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Estampe d'Utamaro représentant une sauterelle posée sur un tuteur au milieu de fleurs roses et violettes.

JOUVEAU-DUBREUIL Gabriel (FR)

21/03/2022 Collectionneurs, collecteurs et marchands d'art asiatique en France 1700-1939

Commentaire biographique

Auteur méconnu d’une des œuvres les plus originales de l’indianisme du XXe siècle, Gabriel Jouveau-Dubreuil (1885-1945) fut constamment en marge des écoles et des doctrines officielles. Personnage excentrique, archéologue passionné et poète dans l’âme, voyageur et collectionneur, il écrivit à propos de l’Inde, peu avant sa mort en 1945 : « J’ai fait tout le temps des découvertes dans ce pays. Je me suis oublié pour ne penser qu’à Elle. Elle fut ma passion – elle mérite cet amour. Je lui ai rendu des services » (archives privées, s. c.). C’était le résumé d’une vie : son dévouement à la recherche scientifique, l’accumulation de découvertes exceptionnelles et le culte voué au sous-continent indien, et en particulier à Pondichéry, sa patrie d’adoption.         

Né à Saigon le 1er janvier 1885, second des quatre fils d’un médecin de la Marine, Jouveau-Dubreuil est issu d’une famille française de vieille souche établie en Guadeloupe depuis les années 1830. Il passe ses jeunes années entre les Antilles et Paris, avant d’entamer une carrière au ministère des Finances. Les musées parisiens éveillent sa sensibilité : il fréquente le Louvre mais aussi le « musée des religions » d’Émile Guimet, où naît sans doute sa fascination pour le monde indien. En 1909, il obtient un détachement dans les Établissements français de l’Inde, en tant que professeur de physique au prestigieux Collège colonial de Pondichéry (Roustan Delatour C., 1995).

À peine installé dans cet ancien comptoir au charme désuet, Jouveau-Dubreuil entreprend une exploration méthodique du sud du Dekkan, le pays dravidien. Infatigable, il consacre ses congés à parcourir seul, parfois dans un dénuement extrême, ces régions qu’il désigne « par le nom assez vague » de Sud de l’Inde. Il visite les centres religieux, participe aux fêtes, s’émerveille de la bourdonnante confusion des villes, à Madras, Bangalore ou Cochin. Il cherche bientôt à s’éloigner des sentiers battus. Dans la campagne de Pondichéry, tout d’abord, où on l’aperçoit juché sur une jutka cahotante derrière son poney fringant, ou bien dans la traditionnelle charrette tirée par son bœuf » (Renault J., 1953, p. 9). Pénétrant dans l’intérieur des terres, il découvre au hasard des étapes un univers dont il n’a soupçonné ni la beauté ni l’importance, un monde secret et hors du temps : l’Inde des villages. À l’écart des grands sanctuaires du sud, tels que Tanjore ou Maduraï, il y découvre des temples inconnus dont l’étude reste à faire… C’est la révélation de sa vocation : il sera indianiste. Ces monuments à l’histoire incertaine, qu’il croise au fond de la jungle comme dans les bazars les plus achalandés, il tentera désormais « non seulement de [les] faire voir, mais de les faire comprendre » (Jouveau-Dubreuil G., 1914, p. 4).

Convaincu que l’Inde dravidienne a engendré un art autochtone, dont l’évolution peut être retracée depuis ses origines jusqu’à l’époque moderne, Jouveau-Dubreuil poursuit ses excursions vers les sites les plus isolés, amassant en trois ans une documentation remarquable et unique, qui fournira la matière d’une thèse de doctorat, publiée en 1914 sous le titre Archéologie du Sud de l’Inde. En 1911, sa rencontre avec l’orientaliste Victor Goloubew (Müller C., 1924) lui permet de confronter ses recherches à l’indianisme institutionnel. Sous la conduite de Jouveau-Dubreuil, Goloubew étudie et photographie les principaux sites du Coromandel (Goloubew V., 1921 ; Malleret L., 1967). Aux lourds appareils photographiques, Jouveau-Dubreuil préfère le dessin. Il y trouve le moyen idéal de se familiariser avec l’art dravidien, d’en ressentir plus intimement, par le tracé précis de sa plume, les formes et les contours. Dans ce rapport direct avec les monuments et leurs décors, c’est la pensée même de l’artiste qu’il veut saisir. C’est pourquoi il se rend aussi souvent que possible dans les temples en construction, notamment à Cuddalore au sud de Pondichéry, afin de s’imprégner des traditions vivantes. D’une curiosité insatiable, il y questionne les ouvriers sur les techniques de fabrication, l’utilisation des outils, l’organisation du travail, l’iconographie. Il observera ainsi, au fil de ses « promenades archéologiques », le développement quasi organique des édifices à travers les âges. Mais l’observation seule ne constitue pas une étude et son œuvre se veut avant tout scientifique : il reste à écrire, selon lui, « l’anatomie et la paléontologie des édifices (Jouveau-Dubreuil G., 1914, p. 4).

Déclarant qu’il n’a pas « la prétention de faire de la critique d’art », Jouveau-Dubreuil ambitionne avant tout « de faire la science des monuments en recherchant les lois générales par l’étude comparée des motifs d’ornementation » (Jouveau-Dubreuil G., 1914, p. 4). Sa méthode, à la fois simple et rigoureuse, évoque les procédés de classement des naturalistes et surtout de Darwin, auquel son père l’a initié. En dépit de quelques bizarreries évolutionnistes, sa théorie eut l’immense mérite d’adopter le point de vue indien. Elle l’amena à corriger, parfois de six siècles, les datations de ses prédécesseurs. Mais surtout, face à l’opinion générale selon laquelle « l’histoire de l’art en Inde s’est écrite sous le signe du déclin » (Chandra P., 1992, p. 42), elle opposa la notion d’un art indien intelligible et structuré, s’incarnant au fur et à mesure d’une constante maturation en des formes de plus en plus raffinées. Cette idée, appuyée par de rigoureuses démonstrations, contribua à révolutionner la conception des arts de l’Inde.

En mai 1914, fort du succès d’Archéologie du Sud de l’Inde, Jouveau-Dubreuil est élu membre, à 28 ans, de la prestigieuse Société asiatique. Malgré quelques critiques – on lui reproche notamment un vocabulaire intimidant, relevant plus de la biologie que de l’histoire de l’art –, il devient le maître incontesté de son sujet (à une époque où il n’y avait aucun archéologue permanent à Pondichéry). Dispensé des obligations militaires, il passe les années de guerre entre le travail d’érudition et la salle de classe, accumulant au fil de ses explorations une quantité impressionnante de découvertes. Il en tire une série d’études sur les dynasties anciennes du Dekkan, publiées dans la Revue historique de l’Inde française, et un essai fondamental intitulé « Les antiquités de l’époque pallava » (1917-18).

Au cours des années 1920, la réputation de « l’érudit à manchettes » s’impose dans les milieux savants de l’Inde britannique et des États princiers. Intrigué par les énigmatiques grottes excavées du Malabar, il y fait coup sur coup des trouvailles extraordinaires (1919-21) : les peintures pallava de Sittannavasal, les fresques de Bedsa (IIe siècle) et des grottes du temple de Tirumalaipuram à Kandayanallur (époque pandya), les quatre cavernes de Mennapuram. De ces expériences naît un ouvrage controversé, Vedic Antiquities (1922), dont les arguments invraisemblables ne réussiront qu’à masquer l’intérêt… Jouveau-Dubreuil espère démontrer l’originalité profonde de la civilisation dravidienne, voire sa supériorité sur la civilisation aryenne du nord, dont elle fait alors figure de parent pauvre. Sévèrement critiqué, notamment en France, Jouveau-Dubreuil délaisse l’écriture pour la fouille archéologique. Dans ce domaine, son flair est devenu légendaire, si bien qu’en mars 1924 on pouvait lire dans le Madras Mail que « Jouveau-Dubreuil, dans le court espace de trois ans, en a fait beaucoup plus que n’a pu faire l’archéologue officiel de Madras durant les vingt dernières années et cela sans bénéficier d’aucune des facilités ni des commodités de l’archéologie moderne ». Ses intuitions sont souvent récompensées par des découvertes spectaculaires, comme celle des fresques pallava du Kailasanatha de Kanchipuram (1931).

Pourtant, sa première mission d’envergure, en tant que collaborateur de la Délégation archéologique française en Afghanistan durant l’été 1924, tourne court. Face à la réussite des archéologues britanniques dans la vallée de l’Indus, leurs homologues français se sont retranchés dans les vallées encaissées et sauvages du royaume afghan, où ils ont obtenu en 1922 le monopole des fouilles. Alors qu’Alfred Foucher et Joseph Hackin sont occupés par les fouilles de Balkh, Jouveau-Dubreuil tente sa chance dans la région de Begram, au nord de Kaboul, où Foucher a identifié un site prometteur (Cambon P., 1996). Jouveau-Dubreuil est persuadé d’y retrouver à la fois l’antique capitale de la région, Kapishi, décrite au VIIe siècle par le pèlerin chinois Xuanzang, et la cité grecque d’Alexandrie du Caucase, fondée par Alexandre aux portes de l’Inde. Il rêve déjà d’y exhumer « les déesses de marbre et les héros d’airain » qui témoigneront des conquêtes du Macédonien (MNAAG, Jouveau-Dubreuil, Ms. 3). Hélas, un mois seulement après son arrivée une violente révolte éclate, qui force les Européens à quitter le pays. Jouveau-Dubreuil a tout juste le temps de conforter ses hypothèses par quelques observations. Les fouilles de Begram sont suspendues avant même d’avoir commencé. Le chantier ne sera repris que douze ans plus tard – avec un succès retentissant – par Jean Carl puis les époux Hackin (Cambon P., 1996).

Sa mission avortée, Jouveau-Dubreuil rentre en Inde les mains vides. Il tourne alors son attention vers une région dont il connaît le potentiel archéologique : l’ancien royaume des Andhra (Jouveau-Dubreuil G., 1917), pays de la sculpture bouddhique d’Amaravati. Plus accessible que Begram, cette région n’en dépend pas moins de la Présidence de Madras, où Jouveau-Dubreuil compte déjà quelques rivaux. Il lui faut patienter, obtenir des autorisations… En 1926, il est prêt à fouiller. Mais seul, manquant de temps et surtout de moyens, il ne peut procéder qu’à de rapides sondages. Qu’importe car il a vu juste ! Dans un champ proche du village de Goli, sur les bords de la Krishna, il excave à la hâte un petit stupa au revêtement de pierre richement sculpté. Ailleurs, à Nagarjunakonda et à Ghantashala, il met au jour de nombreux bas-reliefs datant des IIe et IIIe siècles (Hackin J. et Grousset R., 1928 ; Ramachandran T. N., 1929). La frustration de l’historien, encore obsédé par son inextricable théorie dravidienne, cède la place au bonheur de l’archéologue : ces sculptures sont de purs chefs-d’œuvre. Elles seront acheminées pour la plupart au musée de Madras, dont Jouveau-Dubreuil se fait pour l’occasion le collaborateur.

Dorénavant, le jovial professeur sera sollicité et honoré de toutes parts. L’université de Cambridge lui demande d’écrire l’histoire ancienne du Dekkan. Madras le consulte pour le choix de ses jeunes archéologues… Il collabore avec le musée Guimet, diverses sociétés savantes et les organisateurs de l’Exposition coloniale de 1931. Il met au jour les imposantes fondations du Fort Louis, en plein centre de Pondichéry (1928-29). En 1932, il obtient la Légion d’honneur. Affaibli par une maladie, il limite ses prospections aux environs de Pondichéry et passe plus de temps dans les archives de la colonie que sur les terrains de fouilles ; il y fait, là encore, d’heureuses découvertes. Cependant, une pièce maîtresse manque encore à son tableau de chasse : celle qui prouvera, aux yeux du monde, l’intérêt historique de l’Inde dravidienne.

Or, depuis 1935, ses travaux sur Pondichéry s’orientent autour de deux pôles : l’histoire coloniale (Dupleix ou l’Inde conquise, 1941) et le passé antique du comptoir. On savait, en effet, qu’aux environs de l’ère chrétienne l’Inde avait entretenu des relations commerciales avec la Rome impériale. De nombreuses sources antiques (la Géographie de Ptolémée, l’Histoire naturelle de Pline, etc.) en conservaient le souvenir. Inspiré par ce thème, Jouveau-Dubreuil avait imaginé dans L’Inde et les Romains (1921) le voyage d’un marchand romain au Dekkan vers l’an 30 av. J.-C. Mais il prétendait à présent, en l’absence totale de preuve, que les Romains s’étaient installés à Pondichéry même ! La théorie était audacieuse et le symbole puissant. La chance allait lui sourire une dernière fois.

En 1939, alors qu’il prospecte le site d’Arikamedu, à quelques kilomètres de chez lui, Jouveau-Dubreuil met la main sur une petite intaille ovale (Jouveau-Dubreuil G., 1941). Ce simple chaton de bague aux dimensions insignifiantes, trouvé presque par hasard dans un faubourg de Pondichéry, porte sur sa face gravée l’effigie de l’empereur Auguste… Et voici le lien tant espéré avec l’Histoire universelle. L’Antiquité dravidienne sort enfin de sa jungle obscure. Le Gandhara avait ses Grecs ; grâce à Jouveau-Dubreuil, Pondichéry a ses Romains.

Les fouilles d’Arikamedu, entamées en 1940, livreront les vestiges d’un établissement commercial avec des entrepôts, un port maritime et de nombreux objets témoignant d’échanges avec l’Empire romain. Mais c’est à d’autres qu’échoira le privilège de mener ces fouilles : Sir Mortimer Wheeler d’abord, puis à l’équipe française de Jean-Marie Casal (1947-48). Jouveau-Dubreuil ne verra jamais ce qu’il a découvert. Dans l’excitation de la première campagne de fouille, alors que tout semble lui réussir, il quitte définitivement l’Inde, le 9 mars 1941 (Pattabiramin P. Z., 1946).

Contraint par les hasards de la guerre à se rendre en métropole, il s’y retrouve bientôt pris au piège, à court d’argent et sans possibilité de repartir. Commencent alors ses « heures d’exil » : la séparation contre nature avec l’Inde. Pendant deux ans, il séjourne dans différents hôtels de Marseille, vivant d’expédients mais dans une solitude « fort favorable à [l’écriture] » (archives privées, s. c.). Son travail sur une deuxième version de Dupleix ou l’Inde conquise lui permet de garder espoir, tout commel’atmosphère de la côte phocéenne où il retrouve « la chaleur et le soleil » de Pondichéry. Hélas, la publication de son livre en novembre 1942 passe inaperçue. Gravement malade, il entre bientôt en clinique. On le ramène d’urgence à Paris, chez son frère.

« Au milieu de ce Paris fiévreux d’après-guerre, il ne rêvait qu’une chose, revoir l’Inde, retourner à Pondichéry » (Gaebelé Y., 1946, p. 2). Il sait que ce n’est plus possible : « J’ai fait de grandes découvertes, écrit-il. Les Romains à Pondichéry, c’est sensationnel. Mais pour le moment je suis mort » (Renault J., 1953, p. 27). Gabriel Jouveau-Dubreuil s’éteint à l’âge de 60 ans, le 14 juillet 1945.

Constitution de la collection

Au cours des années 1920, parallèlement à ses travaux savants, Gabriel Jouveau-Dubreuil acquiert une solide réputation en tant que collectionneur et donateur, en lien avec ses domaines d’expertise : l’Inde ancienne et la présence coloniale française.

Art classique de l’Inde

Pendant son premier séjour à Pondichéry (1909-12), Jouveau-Dubreuil fait l’acquisition d’une importante série de « bois de char » (sculptures décorant les chars de procession) datant du XVIIe siècle (Roustan Delatour C., 1995). En 1917, il achète (ou trouve) à Vijiaderpuram une belle Tête de Bouddha de l’école d’Amaravati, dont il fait don six ans plus tard au musée Guimet (MNAAG, inv. MG17003). Ses moyens financiers étaient alors insuffisants pour constituer une collection importante. Toutefois, il entama en juillet 1924 une collaboration avec l’antiquaire chinois C.T. Loo (1880-1957), dont la galerie parisienne était florissante (source : Alexander Reeuwijk). Spécialisé dans les pièces archaïques chinoises, Loo s’intéressait depuis peu à l’art indien et cherchait un fournisseur avisé, capable de garantir la qualité des pièces. Jouveau-Dubreuil, quant à lui, avait besoin d’argent, ne parvenant plus à financer des fouilles archéologiques pour lesquels il « ne fut jamais appointé ». Sans l’avoir rencontré, C.T. Loo proposa à Jouveau-Dubreuil de devenir son agent en Inde. Le 9 juillet 1924, Loo écrivit à Jouveau-Dubreuil pour l’inciter à n’acquérir que des pièces indiennes exceptionnelles – « primitives et d’un caractère rare » – susceptibles d’intéresser le marché américain. Un accord verbal fut également passé avec Joseph Hackin, conservateur au musée Guimet. Aux termes de cet accord, révélé par Loo dans sa lettre du 9 juillet, le musée national entrait en relation d’affaire le marchand chinois et l’érudit de Pondichéry : « les produits sur les ventes [des objets acquis en Inde] seront divisés en trois dont un tiers sera attribué soit en objets, soit en espèces, à vous [Jouveau-Dubreuil] ou au musée Guimet ». Le but avoué était de contribuer à l’enrichissement du musée Guimet. Jouveau-Dubreuil fournit ainsi à CT. Loo plusieurs centaines de sculptures : reliefs narratifs, statues en pierre, bronzes… achetés discrètement ou excavés sur le terrain, et presque tous d’une qualité irréprochable, à faire courir les conservateurs du monde entier. Ces trésors, aujourd’hui dispersés dans une quinzaine de musées à travers le monde (British Museum, MET, Museum Rietberg, Freer Gallery of Art, etc.) et chez quelques particuliers, alimentèrent le marché international de l’art pendant trois décennies.

La collaboration avec C. T. Loo n’est pas uniquement commerciale. Les deux hommes admirent profondément l’art indien et souhaitent le promouvoir en Occident. Entre 1925 et 1939, ils offrirent au musée Guimet, conjointement ou à titre individuel, quelque 42 œuvres d’art, dont 18 sculptures en pierre, 6 bronzes et 18 bois de char. Parmi les pièces les plus connues figurent des plaques de revêtement des stupa de Ghantashala et de Nagarjunakonda représentant un Souverain universel (chakravartin) (c. Ier siècle, MNAAG, n° inv. MG19063) et L’Assaut de Mara (IIe siècle, inv. MG17066), l’exceptionnel Shiva dansant en bronze, chef d’œuvre de l’art chola (IXe-XIIIe siècle, inv. MG17471), un grand Lingodbhavamurti en basalte (XIIe-XIIIe siècle, MNAAG, inv. MG17472) ou encore, trois statues de Yogini (divinités féminines tantriques) (Xe siècle, MNAAG, inv. MG18506, MG18507 et MG18508) collectées en 1926 dans la région de Kanchipuram.

Vestiges de l’Inde coloniale

De 1914 à 1941, nostalgique comme beaucoup de ses compatriotes de l’âge d’or de l’Inde française, Jouveau-Dubreuil amasse une remarquable collection de meubles et d’objets décoratifs des XVIIe et XVIIIe siècles, qu’il dénichait « au fond des vieilles maisons, dans des greniers, sous des couches de poussières, derrière des ballots de marchandises… » (Dorsenne J., 1932, p. 3). Transformée en un « Panthéon des vieilles choses », sa maison de la rue Dumas – célèbre pour son jardin de bananiers géants, son « petit lac » et son éléphant apprivoisé – devint une sorte de musée d’histoire de la colonie.

À l’occasion de l’Exposition coloniale de 1931, puis de la création du Musée des Colonies (rebaptisé musée de la France d’Outre-Mer), Jouveau-Dubreuil fait don à l’État français de 138 meubles, miroirs, peintures, tissus, porcelaines et objets de fouilles provenant des comptoirs du Dekkan. Reflets des rencontres entre les traditions européennes, indiennes et chinoises, ces objets figurent en bonne place dans la galerie historique du Palais de la Porte Dorée. Parcourant la « Salle Paul et Virginie », le visiteur pouvait ainsi admirer « des vitrines avec des objets divers […], des meubles de la Compagnie des Indes provenant de la très riche collection Jouveau-Dubreuil installés dans des alcôves, des papiers peints [créant] une atmosphère exotique » (Cornillet-Watelet S., 1989, p. 91). En 1960, André Malraux voue le bâtiment aux arts africains et océaniens et la collection « indo-coloniale » de Jouveau-Dubreuil alla s’échouer dans les réserves.

Unique en France, l’ensemble représente 113 numéros dans l’inventaire actuel du musée du Quai Branly-Jacques Chirac. Les plus belles pièces sont exposées ailleurs, dans le cadre de dépôts de l’État. Ainsi, le Musée de la Compagnie des Indes a accueilli dès 1981 (avant son installation dans la citadelle de Port-Louis) une sélection de 14 meubles de style indo-colonial et 19 objets issus des fouilles du fort de Pondichéry (Roustan Delatour C., 1999). Parmi les meubles, citons la Table aux Tritons richement sculptée (Cochin C. 1690, MQBJC, inv. 73.3289), une commode en palissandre (v. 1730, MQBJC, inv. 75.3296) ou encore l’étonnant Lit à baldaquin en rotond (daté 1804, n.inv. 75.3305.1-10) découvert par Jouveau-Dubreuil dans la maison du vice-roi du Danemark à Tranquebar. Une autre précieuse relique fut déposée au Musée de l’Armée en 1979 : l’Étendard de Dupleix (c. 1750), acquis par Jouveau-Dubreuil auprès des descendants d’Ananda Ranga Pillai, le courtier de Dupleix.

Certains objets ont disparu depuis leur donation et attendent d’être localisés (Roustan Delatour C., 1995). On ignore, par exemple, le devenir des objets confiés par Jouveau-Dubreuil aux musées de l’École française d’Extrême-Orient à Saigon et à Hanoi, dont il ne reste que de vagues mentions : une « belle série de monnaies indo-grecques » acquise au Penjab en août 1924 (BEFEO, 1927, p. 449) et un ensemble de « motifs en terre cuite » provenant de l’ancien séminaire des Missions étrangères, construit en 1772-73 près de Pondichéry (BEFEO, 1940, p. 327).