MÈNE Édouard (FR)
Le Dr Mène
Edmé Édouard Mène, dit Édouard Mène ou encore le Dr Mène, est né à Vaugirard (commune aujourd’hui partie intégrante de Paris), passage Saint-Charles, le 22 septembre 1833. Il est le fils de Maurice Mène (1794- n.c.) – docteur en médecine de la faculté de Paris spécialisé en neurologie – et Augustine Flore Mène, née Petit (1803-n.c.), dont le mariage a lieu en 1826 (AN, base Léonore, notice no L1823050). Il effectue ses études secondaires au lycée Louis-Le-Grand (Collin V., 1913, p. 1). Puis, tout comme son père avant lui, il rentre à la faculté de médecine de Paris où il est élève des professeurs Natalis Guillot (n.c-n.c.), Édouard Monneret (1810-1868), Adolphe Lenoir (1802-1860), Pierre-Paul Broca (1824-1880), Aristide Verneuil (1823-1895) ou encore Jean Civiale (1792-1867) (Collin V., 1913, p. 1 ; Curinier C.-E., 1899-1919, p. 119). Il est reçu docteur en médecine le 15 janvier 1859 (AN, base Léonore, notice no L1823050) avec une thèse ayant pour intitulé De la névralgie fémoro-poplitée et de son traitement par la cautérisation transcurrente (Mène E., 1859). Au cours de cette même année, il soumet un mémoire sur la migraine à l’Académie des sciences de Paris (Collin V., 1913, p. 1) qui est publié en 1860 au sein de l’ouvrage des Nouvelles Recherches sur les causes de la surdité, les bourdonnements, les étourdissements et la migraine, leurs traitements (Mène M. et E., 1860, 8e édition) qu’il rédige avec son père le Dr Maurice Mène.
Durant sa carrière de docteur en médecine, il occupe de nombreux postes, tels que médecin du théâtre de l’Odéon entre 1859 et 1888, médecin titulaire du bureau de bienfaisance et inspecteur de la maternité du 7e arrondissement de Paris entre 1862 et 1880 ou encore médecin de la Société des secours mutuels du quartier Saint-Thomas-d’Aquin de 1862 à 1879. La fonction qu’il occupe la majeure partie de sa vie, de 1873 jusqu’à sa mort en 1912, est celle de médecin en chef de la maison de santé des Frères-de-Saint-Jean-de-Dieu (AN, base Léonore, notice no L18-23-050 ; Curinier C.-E., 1899-1919, p. 119). Pendant le siège de Paris, il est médecin chargé des visites médicales lors des enrôlements volontaires à la mairie du 7e arrondissement de Paris ainsi que médecin civil requis par l’administration de la guerre pour l’ambulance militaire de l’Institution des jeunes aveugles. Cela lui vaut de recevoir la médaille de 1870 et d’être fait chevalier de la Légion d’honneur en 1871 sur proposition du ministre de la Guerre, avant d’être promu officier de la Légion d’honneur en 1892 (AN, base Léonore, notice no L18-23-050). Ce sont loin d’être ses seules décorations, puisqu’il reçoit la médaille d’argent du ministère de l’Agriculture à la suite de son implication dans la lutte contre l’épidémie de choléra de 1865-1866, ainsi que les titres d’officier de l’Instruction publique, d’officier du Mérite agricole, ou encore de commandeur des ordres de Saint-Grégoire-le-Grand et du Saint-Sépulcre (AN, base Léonore, notice no L18-23-050 ; Collin V., 1913, p. 1).
Devenu veuf de « Fanny » Agathe Mène, née Agathe Denise Peuchot (1833-n.c) qu’il a épousée le 6 mai 1888 et avec qui il n’eut pas d’enfants, il meurt le 15 octobre 1912 et est inhumé au cimetière de Montparnasse (AN, base Léonore, notice no L1823050 ; Marcignac, « Nécrologie », Excelsior, 19 octobre 1912).
L’érudit passionné d’Asie : de la Chine au Japon
En parallèle de ses activités professionnelles en médecine, Édouard Mène est un érudit qui se passionne pour les civilisations asiatiques, et plus précisément extrême-orientales. Ainsi, le journaliste Émile Berr (1855-1923) le présente-t-il dans les colonnes du Figaro du 4 novembre 1911 par ces mots : « Il était une fois un médecin très savant, très occupé par ses malades, et que hantaient deux passions secrètes : celles des fleurs, et celle du bibelot chinois. Il leur consacrait les loisirs que la médecine lui laissait, c’est-à-dire toutes ses soirées, et, chaque matin, les deux ou trois heures qui précèdent le début d’une journée de travail bien remplie » (Berr E., « Un japonisant », Le Figaro, 4 novembre 1911). C’est, en effet, à la fois par ses travaux sur la botanique et sa curiosité pour les artefacts chinois que le Dr Mène semble tout d’abord s’intéresser à l’Asie. En témoigne, en 1869, la conférence qu’il prononce lors de la treizième séance annuelle de la Société d’acclimatation avec pour thèmes principaux la culture du thé, du coton, du tabac et du bambou en Chine ainsi que les divers objets et usages qui en découlent (Jacob F., L’Étendard, 22 février 1869). Cet exemple montre que l’intérêt culturel qu’il porte à l’Asie est mêlé à l’intérêt du scientifique pour l’agriculture et la botanique. Il publie plusieurs travaux sur ces thématiques dans le Bulletin de la Société d’acclimatation, notamment « Des usages du bambou en Chine » (1869) et « Des produits végétaux de la Chine et en particulier du bambou » (1869). À la suite de l’Exposition végétale du Japon de 1878, il publie, de 1880 à 1885, toujours dans ce même Bulletin de la Société d’acclimatation, une série intitulée « Des productions végétales du Japon » qui lui valent deux médailles d’or de cette même Société et qui marquent le début de son engouement – devenu bientôt quasi exclusif – pour le Japon (Curinier C.-E., 1899-1919, p.119 ; Berr E., « Un japonisant », LeFigaro, 4 novembre 1911). Il complète ses travaux par la publication dans les Mémoires de la Société des études japonaises d’études sur « Le bambou en Chine et au Japon » (1881) et sur « Le Chrysanthème dans l’art japonais » (1885) qui est une preuve supplémentaire de la nature plurielle, à la fois culturelle et scientifique, de l’intérêt qu’Édouard Mène porte aux civilisations de l’Extrême-Orient et plus particulièrement à la civilisation japonaise, dont il connaît la langue et pour laquelle il se passionne dans son ensemble. Cet intérêt global pour la culture et l’art japonais est visible à travers la variété des sujets traités dans les articles qu’il publie dans The weekly critical review, tels que « Les laques du Japon » (Mène E., 1903), « L’art de la sculpture au Japon » (Mène E., 1903-1904), ou « La céramique au Japon » (Mène E., 1904). Ainsi, selon la formulation du journaliste Émile Berr, « après avoir aimé en naturaliste et en jardinier ce prodigieux pays [le Japon, ndlr], il l’aimait en artiste, en amateur d’histoire. Et bientôt furent délaissées les chinoiseries. De la fleur japonaise, tout doucement les curiosités et les tendresses du savant s’étaient portées au bibelot japonais » (Berr E., « Un japonisant », Le Figaro, 4 novembre 1911).
Un japonisant de la première heure
La collection d’art et d’objets asiatiques d’Édouard Mène, qu’il ne cessera d’enrichir jusqu’à sa mort en 1912, naît dès 1868 (Tressan, marquis de, « Préface », Catalogue des armures japonaises …, hôtel Drouot, 21-26 avril 1913), date du début de l’ère Meiji, 明治時代, qui marque la fin de la politique d’isolement volontaire du Japon et par conséquent le développement du commerce et des échanges avec l’Europe. Il est ainsi, selon son confrère au sein de l’Association amicale franco-chinoise Victor Collin de Plancy (1853-1922), un véritable précurseur qui « avait su discerner l’attrait que devaient plus tard inspirer à tout amateur éclairé les objets de l’Asie orientale qui parvenaient alors en Europe, sans que les gens de goût, surpris par leur nouveauté, leur eussent, à quelques exceptions près, accordé l’estime qu’ils méritaient » (Collin, V., 1913, p. 3-4). S’il ne commence véritablement à collectionner de manière significative les objets d’art japonais qu’en 1878 (Berr E., « Un japonisant », Le Figaro, 4 novembre 1911), préférant tout d’abord ceux provenant de Chine, il fait néanmoins partie des japonisants de la première heure, et pendant la quarantaine d’années durant laquelle Édouard Mène va s’adonner à rassembler les pièces de sa collection, il fréquente les marchands et importateurs parisiens les mieux achalandés, tel Adolphe Worch (1843-1915) avec qui il se lie d’amitié (Tressan, marquis de, « Préface », Catalogue des armures japonaises…, hôtel Drouot, 21-26 avril 1913). Il fréquente également le milieu des collectionneurs et des passionnés, et il aime échanger sur le sujet, comme en témoigne son ami le marquis Georges de Tressan (1877-1914) qui le décrit comme un « premier guide d’une extrême bienveillance » en matière d’art d’Extrême-Orient et qui déclare : « Il aimait rallier les adeptes à la cause japonaise et savait gré à ceux-ci de leur bonne volonté » (Tressan, marquis de, « Préface », Catalogue des armures japonaises …, hôtel Drouot, 21-26 avril 1913). Cet engagement pour la connaissance de l’art japonais est visible par les fonctions qu’il occupe au sein de la Société franco-japonaise et de la Société des études japonaises, chinoises et indochinoises, dont il sera respectivement vice-président et président et à travers lesquelles il côtoie le milieu japonisant parisien. Son penchant pour le Japon ne l’empêche par ailleurs pas de continuer à s’intéresser aux autres civilisations extrême-orientales, comme en témoigne sa fonction de vice-président de la Commission de Corée à l’Exposition universelle de 1900 ainsi que son appartenance à l’Association franco-chinoise de Paris. Ses activités lui valent de recevoir des titres et décorations qui montrent son intérêt et son lien avec l’Asie, puisqu’il est commandeur de l’ordre du Trésor sacré, 瑞宝章, du Japon, de l’ordre impérial du Double Dragon, 雙龍 寶 星, de Chine, ainsi que grand officier de l’ordre des Huit Trigrammes de Corée (AN, base Léonore, notice no L1823050 ; Collin V., 1913, p. 4).
La collection du Dr Mène
L’étude du catalogue de la première vente de sa collection à l’hôtel Drouot en avril 1913 donne un premier aperçu de l’ampleur et de la composition de la collection d’Édouard Mène. Ainsi, sur 1 343 lots présentés, on en compte 34 d’armures complètes, 31 de pièces d’armures, 58 de casques et chapeaux de guerre, 20 de masques d’armures, 56 de sabres et poignards, 64 d’armes diverses, 517 de gardes de sabre, 101 de kozuka, 小柄, 57 de fuchi-kashira, 縁-頭, 17 de kojiri, 鐺, kogai, 笄, et kurigata, 栗形, 22 lots de menuki, 目貫, et tsuka, 柄, 39 lots d’objets en fer, 21 d’objets en cloisonné, 135 d’inrō 印籠 et écritoires, 113 d’objets en laque divers, 35 d’objets en corne et pierres dures et 23 de meubles et étoffes. Parmi ces derniers, certains sont des objets en cloisonné d’origine chinoise – auxquels il faut ajouter quelques lots de tapis et de devants d’autel également chinois – 7 sont des armes orientales (des poignards et un couteau d’origine perse) et l’un d’entre eux est composé d’un coffre d’origine coréenne (Charpentier G., Lair-Dubreuil F., Catalogue des armures japonaises des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, casques..., 1913). Si cette vente ne représente qu’une partie de la collection d’Édouard Mène (qui donnera lieu à une seconde vente en mai 1913 de 1 101 lots), elle reste représentative, dans la répartition des types d’objets et de leurs origines, de la composition de l’ensemble de la collection. Ainsi, la majeure partie de la collection d’Édouard Mène est consacrée au Japon, et plus particulièrement aux armes et armures japonaises, bien qu’il possède également une collection d’inrō, 印籠, et de divers objets en fer, en cloisonné, en laque (boîtes à parfums, cabinets, bouteilles à saké ou encore cantines), en corne et en pierres dures (notamment en jade et en cristal de roche), ainsi que des meubles et des étoffes dont une partie est d’origine chinoise, coréenne, bouddhique ou encore perse (Charpentier G., Lair-Dubreuil F., Catalogue des armures japonaises des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, casques..., 1913).
Les objets les plus remarquables apparaissent pour partie dans le compte rendu du Bulletin de la Société franco-japonaise des deux ventes de la collection d’Édouard Mène à l’hôtel Drouot en 1913 (Möller T., 1913, p. 127-128). Ainsi, en dehors des armes et armures japonaises dont le détail figure ci-après, le Dr Édouard Mène possède dans sa collection des okimono, 置き物, sous la forme de figurines d’animaux en fer, dont un corbeau martelé et ciselé ainsi qu’un coq travaillé au repoussé et ciselé par Myochin Shikibu Munesuke (actif 1688-1735) [lots no 978 et no 979, première vente, avril 1913 ; Catalogue des armures japonaises des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, casques..., 1913). Il a également en sa possession divers objets chinois de l’époque Ming, dont un vase balustre, une bouteille et un plat tous les trois en émail cloisonné (lots no 1017, 1018 et 1019, première vente, avril 1913 ; Catalogue des armures japonaises des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, casques..., 1913) ainsi qu’un brûle-parfum en bronze de la même époque (lot no 292, seconde vente, mai 1913). Les objets en pierres dures comprennent un vase en jade blanc ciselé et ajouré ainsi qu’une statuette bouddhique de Kuan Yin (Guanyin), 观音, en cristal de roche (lots no 1 290 et no 1316, première vente, avril 1913 ; Catalogue des armures japonaises des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, casques..., 1913). Tyge Möller note également la présence, entre autres, d’émaux translucides japonais, d’une boîte écritoire en laque d’or, attribuée à Korin, 光琳, de deux cantines de voyage en laque aventurinée ou encore d’une grande tenture de soie blanche polychrome présentant l’histoire du général Kuo Tseu-y (lots no 1 034, 1 038, 1 277 et 1 336, première vente, avril 1913 ; Catalogue des armures japonaises des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, casques..., 1913).
La place particulière des armes et armures japonaises
Sa collection d’armes et d’armures japonaises est considérée comme majeure par ses contemporains, voire « la plus riche peut-être du monde entier et dont on ne retrouverait pas l’équivalent, même au Japon » (Collin V., 1913, p. 4). Les 34 armures complètes possédées par Édouard Mène sont en majeure partie datées du XVIIIe siècle, mais il possède également des modèles datant des XVIe et XVIIe siècles. Elles sont composées, selon les modèles, d’une cuirasse, d’un casque, d’une jupe, de jambières, de brassards, d’un jupon, d’un demi-masque, d’une étoffe et d’épaulières. Richement décorées, elles présentent, toujours selon les modèles, un travail au fer forgé, au repoussé, avec des ciselures ou encore des damasquinures en or ou en argent qui révèlent l’attrait tout particulier d’Édouard Mène pour le travail et l’artisanat du métal. Au sein de ces armures, seize possèdent des signatures faisant référence à la famille d’armuriers Myochin, 明珍, active depuis l’époque de Muromachi jusqu’à la fin de l’époque d’Edo (Charpentier G., Lair-Dubreuil F., Catalogue des armures japonaises des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, casques..., 1913, lots no 1-34). Georges de Tressan déclare à ce propos que le « Dr Mène avait élevé dans sa demeure un véritable temple en l’honneur de la famille Myôchin » (Tressan, marquis de, Catalogue des armures japonaises …, « Préface », 1913, p. 1). Les autres possèdent également des signatures prestigieuses, telles que celles de Nobuiye ou de Sastome Iyemasa (Möller T., 1913, p. 127-128).
Au-delà de ces armures complètes, la collection présente des demi-masques et autres menpō 面頬, ainsi que des casques de guerre, ou kabuto 兜, dont un casque aux incrustations d’argent signé Yoshida et daté de 1673, ainsi qu’un casque en fer forgé signé Myochin Munesuke (Möller T., 1913, p.127-128 ; Charpentier G., Lair-Dubreuil F., Catalogue des armures japonaises des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, casques..., 1913, lots no 84 et no 114). Le reste est composé de diverses pièces d’armures, cuirasses, poitrails d’armure, gorgerins, épaulières, brassards, jupes et sous-jupes, étriers, mors ou encore fanions et oriflammes d’armures. Parmi les types de sabres et poignards, Édouard Mène possède des katana 刀, des tachi, 太刀, des wakizashi, 脇差, et des tanto, 短刀. Il est plus particulièrement cité parmi ces derniers dans le compte rendu de la première vente à l’hôtel Drouot en avril 1913 un grand sabre de combat à lame ciselée daté de 1596 par Kunishige 国重, ainsi qu’une épée de cérémonie en or ciselé et cuivre (Möller T., 1913, p. 127-128 ; Catalogue des armures japonaises des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, casques..., 1913, lots no 149 et no 168). À ces armes s’ajoutent des fusils, pistolets, lances, hallebardes, arbalètes, arcs, masse de guerre et fers de flèche tous datés entre le XVIe et le XVIIIe siècle (Charpentier G., Lair-Dubreuil F., Catalogue des armures japonaises des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, casques..., 1913).
Parmi ces objets de sa collection appartenant à l’art de l’armurerie japonaise, les gardes de sabres, ou tsuba, 鍔, sont sans conteste les plus nombreux puisqu’ils sont estimés atteindre entre les 5 000 et 6 000 exemplaires selon les sources (Curinier C.-E., 1899-1919, p. 119 ; L’Attaque, « une exposition d’armes et d’armures japonaises », 6 novembre 1911 ; Gil Blas, « Les arts – Au musée Cernuschi », 3 novembre 1911). Destinée à protéger la main du guerrier en l’empêchant de glisser vers la lame, la garde de sabre est recherchée pour la richesse et la qualité de ses décors qui marquent l’ingéniosité du travail sur le métal de l’atelier ou de l’artiste dont il est l’œuvre. Le Dr Édouard Mène s’intéresse à la fois à la qualité esthétique, mais aussi à la valeur historique et documentaire des gardes qu’il collectionne. Selon son ami Georges de Tressan, « dans le choix des gardes de sabre, il s’est laissé guider tout à la fois par la recherche d’une série historique, par l’intérêt du décor et l’étude de la technique » (Tressan, marquis de, Catalogue des armures japonaises …, « Préface », 1913, p. 1). Il cherche à réunir une collection qui rassemble les signatures les plus significatives de leur période tout en donnant à voir la variété et l’évolution des gardes de sabres au fil du temps. Ainsi, parmi les 51 exemplaires qui figurent à la vente d’avril 1913 à l’hôtel Drouot, on ne compte pas moins de 32 genres, ateliers, familles d’artisans différents (Charpentier G., Lair-Dubreuil F., Catalogue des armures japonaises des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, casques..., 1913). Parmi les plus significatifs, la collection du Dr Mène compte des tsuba, 鍔 de style, namban, 南蛮美術 (XVIe-XVIIe siècles), reconnus pour la finesse de leur exécution et leur inspiration européenne. Il en possède également d’autres sortant des ateliers des familles et écoles d’armuriers les plus réputées tels que ceux des Myochin, des Kaneiye, des Umetada, des Goto, des Shoami, des Hamano ou des Nara. Parmi les plus prestigieuses de la collection figurent deux gardes de l’atelier des Kaneiye (XVIIe siècle), dont une garde en fer quadrilobée dite « du cortège », plusieurs gardes en sentoku, dont une ciselée en relief de Fujin, le dieu du vent, par Somin, ou encore une garde en fer ciselée en relief d’un hibou par Nara Toshimune (Möller T., 1913, p.127-128). Certaines gardes de sabres de sa collection sont qualifiées de « primitives », car elles sont antérieures au VIIIe siècle après J-C. D’autres sont classifiées en fonction d’ateliers qui se distinguent par leur technique : ateliers de damasquineurs, d’émailleurs, de laqueurs ou encore d’incrustateurs avec des gardes aux incrustations de genre Mukade百足. Cette classification par ateliers et par techniques figure dans le reste de la collection d’armurerie, comme dans les séries de kozuka, 小柄, et de fuchi-kashira, 縁-頭, où l’on retrouve les mêmes noms d’artisans, d’ateliers et de styles (Charpentier G., Lair-Dubreuil F., Catalogue des armures japonaises des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, casques..., 1913).
Un amateur éclairé
Édouard Mène est un collectionneur qui aime à connaître les objets de sa collection dans le détail et qui adopte la rigueur de la méthode scientifique dans leur étude, s’attachant avec minutie à en retracer l’histoire, en identifier l’origine, la date, le style, la signature. Il a une approche savante de la collection, et s’intéresse avant tout à pouvoir replacer l’objet dans son contexte civilisationnel et historique, ce qui le pousse à apprendre de manière approfondie l’histoire et la langue japonaise (Berr E., « Un japonisant », Le Figaro, 4 novembre 1911). Fortuné d’Andigné (1866-1935) témoigne également de « sa connaissance parfaite des langues d’Extrême-Orient » qui « lui a permis de déchiffrer les inscriptions les plus difficiles » (Andigné F. d’, « Une 2ème exposition au musée Cernuschi », Écho de Paris, 2 novembre 1911). Dans le Bulletin de la Société franco-japonaise d’avril 1913, Tyge Möller (n. c. – n. c. déclare « Il ne faut pas oublier que le Dr Mène avait toujours eu plus en vue de réunir une collection, je dirais historique, où la signature prenait surtout de la valeur, qu’une collection véritablement d’art comme le comprennent la presque totalité des collectionneurs » (Möller T., avril 1913, p. 128). Il constitue ainsi des séries d’objets dans l’objectif d’avoir des panels variés et représentatifs des noms et des écoles, ce qui explique l’ampleur de sa collection, qualifiée de « véritable musée » (Curinier C.-E., 1899-1919, p. 119) à elle seule. L’un des meilleurs exemples de sa manière de collectionner l’ensemble de plus de 5 000 gardes de sabres japonais (tsuba, 鍔) « qu’il a classé[e]s par siècles, par artistes, par sujets, par légendes, dont il a déchiffré les signatures et qu’il a fait photographier en planches, reproduisant un grand nombre d’armoiries des familles princières et seigneuriales du Japon, ayant au verso toutes les indications des dates d’anoblissement, de lieu de résidence, etc. » (Curinier C.-E., 1899-1919, p. 119). Les photographies en planches de ces gardes de sabre sont aujourd’hui conservées au sein des collections photographiques de la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art (Japon, collection du docteur Mène, photothèque archéologie Extrême-Orient I, 28-49, 1900-1913).
Un collectionneur au service de la connaissance
Le Dr Édouard Mène aime s’entourer de sa collection au quotidien, dans ses appartements parisiens, et n’hésite pas à disposer six de ses armures japonaises dans son antichambre en compagnie de divers sabres, épées et bronzes tandis qu’il répartit dix autres armures, avec de nombreux autres objets d’Extrême-Orient, entre son salon, son bureau et sa salle à manger (AN, MC/ET/XXIX/1872). Raymond Kœchlin (1860-1931) compare son appartement à un « sanctuaire » abritant les « trésors » du collectionneur (Kœchlin R.., avril 1913, p. 26). Néanmoins, il ne se contente pas de garder jalousement sa collection et ses découvertes pour lui seul, mais tient au contraire à en partager le contenu ainsi que les résultats de ses études. De ce fait, il donne des conférences – dont le propos s’appuie en grande partie sur des exemples tirés de sa collection personnelle – dans les différentes sociétés auxquelles il appartient, principalement pour la Société franco-japonaise devant laquelle il tient plusieurs conférences sur les armures japonaises (Cordier H., 1912, p. 661). Il va jusqu’à apporter des pièces de sa collection (armures, casques, armes diverses) sur place afin d’appuyer ses paroles sur des démonstrations concrètes au fil de sa présentation (« Les conférences de la Société franco-japonaise – l’art des armures au Japon », Le Petit Temps, 3 février 1901). Ces rencontres sont accompagnées de publications régulières, notamment dans le Bulletin de la Société franco-japonaise, telles qu’« Aperçu sommaire sur les laques du Japon » (Mène E., 1902-1906), « Des transformations successives des armures japonaises (Mène E., 1907), « Les anciennes garnitures de sabres du Japon » (Mène E., 1908), ou encore « Les anciennes armes japonaises » (Mène E., 1909). Il accepte également de faire apparaître des photographies d’objets de sa collection dans des ouvrages spécialisés tels que Chefs-d’œuvre de l’art japonais de Gaston Migeon (1861-1930) ou Japanische Kunstgeschichte d’Oskar Münsterberg (1865-1920).
Par ailleurs, il fait des prêts dans le cadre d’expositions, comme lors de l’Exposition universelle de 1889 où il prête un grand nombre d’objets à la partie consacrée au travail et aux sciences anthropologiques (Collin V., 1913, p. 4). Il prête, en outre, des objets de sa collection au musée des Arts décoratifs lors des deux expositions de garnitures et gardes de sabre japonaises qui se tiennent en 1910 et 1911, tout comme pour la partie consacrée aux cloisonnés et pierres dures de Chine lors de la première exposition rétrospective d’art chinois du musée Cernuschi de mai à juin 1911 (Collin V., 1913, p. 5). Néanmoins, l’exposition la plus importante dans la vie de collectionneur du Dr Mène est celle qui lui est exclusivement consacrée de novembre 1911 à mars 1912 au musée Cernuschi à Paris et qui constitue la première partie de la deuxième exposition rétrospective des arts de l’Asie, avec pour thème « les armes japonaises de la Collection du Dr Mène ». Organisée en étroite collaboration avec son ami et conservateur dudit musée, Henri d’Ardenne de Tizac (1877-1932), et avec le concours de la commission des Beaux-Arts du conseil municipal de Paris représentée par Fortuné d’Andigné, cette exposition permet au Dr Édouard Mène de montrer au public une grande partie de sa collection liée à l’équipement militaire japonais ancien et au travail du fer dans l’armurerie japonaise, sur une période principalement comprise entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Sont ainsi présentés, entre autres, 34 armures complètes, une cinquantaine de casques d’armures – dont deux, plus anciens, sont datés l’un du IVe siècle et l’autre du milieu du XIIe siècle – 1 200 gardes de sabres et plus de 400 garnitures complètes « avec des spécimens des gardes des principaux artistes et des siècles successifs étudiés et classés par ordre chronologique » (Archives du musée Cernuschi, CER-EXPO1911/3, boîte 3). L’enjeu de l’exposition est, en effet, de présenter l’évolution dans le temps de l’art de la ferronnerie au sein de l’armurerie japonaise, « depuis la décoration sobre et expressive du début jusqu’aux formes plus graciles et conventionnelles de la fin » (Paris-Journal, 28 octobre 1911). Fortuné d’Andigné évoque l’évolution visible des garnitures de sabres présentées à cette occasion : « Simples et sévères au début, à la fin du quinzième siècle, elles commencent à devenir véritablement artistiques et luxueuses. La recherche et l’élégance de l’ornementation deviennent peu à peu une véritable orfèvrerie dont les dix-septième et dix-huitième siècle ont marqué l’apogée. » (Andigné F. d’, « Une 2ème exposition au Musée Cernuschi », Écho de Paris, 2 novembre 1911). Le jour de l’inauguration, le 4 novembre 1911, sont présents de nombreux officiels, mais également de nombreux amateurs, collectionneurs ou marchands d’arts asiatiques tels que Georges Clemenceau (1841-1929), Victor Collin de Plancy, Théodore Duret (1838-1927), Raymond Kœchlin, Georges Marteau (1858-1916) ou encore Adolphe Worch (Bulletin municipal officiel, 9 novembre 1911 ; Archives du musée Cernuschi, CER-EXPO1911/3, boîte 3).
Destin et postérité de la collection du Dr Mène
Si la collection du Dr Édouard Mène n’a pas survécu en tant que telle à la mort de son rassembleur, la postérité de cette dernière est d’avoir enrichi quelques-uns des musées les plus réputés du monde en matière d’art asiatique et d’avoir complété les collections de nombreux amateurs de renom.
Les deux ventes qui ont lieu à l’hôtel Drouot entre fin avril et début mai 1913, à la suite de la disparition du Dr Édouard Mène en octobre 1912, vont disperser sa collection en 2 444 lots différents pour un chiffre de vente estimé à 260 000 francs (Möller T., 1913, p.126-128). Parmi les acheteurs se trouvent de grandes institutions culturelles et muséales, dont la présence révèle la qualité et la renommée de la collection. Ainsi, le Metropolitan Museum of Art (MET) de New York acquiert lors de la première vente en avril 1913 plusieurs lots d’importance, dont deux armures complètes : une armure à cuirasse d’étoffe du XVIIIe siècle pour 1 900 francs (lot no 4) et une armure complète en fer, ciselée d’un dragon et de branches de cerisiers par Myochin Munesuke pour 1 050 francs (lot no 18 ; inv.13.112.4). Concernant les gardes de sabre, le musée se porte acheteur d’une garde en fer quadrilobée, dite « du cortège », signée Kaneiye (lot no 367 ; Möller T., 1913, p. 126-128). Il acquiert par ailleurs pour la somme de 12 100 francs le fameux okimono, 置き物, en forme de corbeau en fer martelé et ciselé par Myochin Munesuke (lot no 978 ; inv. 13.112.20) (Möller T., 1913, p. 126-128). Plusieurs autres objets de la collection du musée new-yorkais proviennent également des ventes de la collection du Dr Édouard Mène, dont deux casques de guerre, un de type suji-kabuto daté de la fin du XVe siècle, début du XVIe siècle (inv. 13.112.10) et un du XVIIe siècle de type namban,南蛮美術 (inv. 13.112.9), ainsi qu’un pistolet matchlock du XVIIe siècle (inv. 13.112.11), un demi-masque menpō, 面頬, du début du XIXe siècle (inv. 13.112.17) et divers fukusa, 袱紗, et bannières (hata-jirushi, 旗). Les musées royaux du Cinquantenaire à Bruxelles achètent, quant à eux, un casque en fer forgé imitant les valves d’un coquillage par Myochin Munesuke pour 480 francs (Möller T., 1913, p. 126-128).
Cette première vente est également l’occasion pour de nombreux amateurs privés d’enrichir leur propre collection. Henri Vever (1854-1954) se porte acquéreur de deux gardes en sentoku, attribuées l’une à Somin et l’autre à Kazutomo, pour 315 francs (lot no 574) et 300 francs (lot no 755), ainsi que d’un plat en émail cloisonné de l’époque Ming pour 720 francs (lot no 1019). Le marquis Georges de Tressan, connu également pour sa collection de gardes de sabres, achète, quant à lui, une garde en fer aux émaux translucides à 300 francs (lot no 698), tandis que François Poncetton (1875-1950) acquiert une garde en fer ciselée en relief par Nara Toshimune pour 455 francs (lot no 590) ainsi qu’une garde en shakudō, 赤銅, ajourée d’un cep de vigne, à décor d’émaux translucides pour 560 francs (lot no 701). Sont également présents Marcel Cosson (1878-1956), qui se procure une garde de sabre en fer avec émaux translucides, décorée d’un pot et d’une cuillère à saké pour 301 francs (lot no 704), ou encore Ernest Cognacq (1839-1928), qui obtient un coq en fer repoussé et ciselé par Myochin Munesuke pour 1 000 francs (lot no 979), ainsi qu’une boîte rectangulaire en laque rouge avec incrustations d’un décor de daimyō, 大名, à cheval pour 470 francs (lot no 1180). André Portier (n.c. – 1963), expert de la vente, obtient deux vases en forme de gourdes en émail cloisonné Kang-Hi pour 1 020 francs, un grand brûle-parfum en émail cloisonné fin XVIIIe pour 4 200 francs, trois pièces en émaux translucides japonais pour 1 060 francs (lot no 1034) et une boîte écritoire en laque d’or, attribuée à Korin pour 1 050 francs (lot no 1038) [Möller T., 1913, p. 126-128].
Tous les objets de la collection du Dr Édouard Mène ne figurent néanmoins pas dans les catalogues de ces deux ventes, ayant fait l’objet de donations de la part du collectionneur, toujours dans le souci de mieux faire connaître l’art extrême-oriental et plus précisément l’art japonais. Édouard Mène fait plusieurs fois des dons et n’hésite pas à se séparer de 70 de ses précieux tsuba pour les confier au musée d’Ennery à l’occasion de son ouverture (Archives du musée d’Ennery, Livre des donateurs ; Collin V., 1913, p. 5). Il fait également don de son vivant d’une partie de ses gardes de sabre au musée Cernuschi tandis que ses légataires universels, selon le souhait qu’il avait exprimé, font un don de même nature au musée des Arts décoratifs après sa mort (Collin V., 1913, p. 5).
Notices liées
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