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Commentaire biographique

Les origines vendéennes et républicaines

Georges Clemenceau naît le 28 septembre 1841 à Mouilleron-en-Pareds, en Vendée (AD 85, État civil, AD2E154/7). Il est le fils du docteur Benjamin Clemenceau (1810-1897) et de Sophie-Emma Eucharis Clemenceau, née Gautreau (1817-1903), dont le mariage a lieu en 1839 (AD 85, État civil, AD2E154/7). Deuxième enfant du couple, il fait partie d’une fratrie de six enfants, composée de sa sœur aînée Emma (1840-1928) et de ses benjamins Adrienne (1850-1927), Sophie (1853-1923), Paul (1857-1946) et Albert (1861-1955). Il grandit dans une famille bourgeoise, dont les membres sont avocats et médecins sur plusieurs générations et dont l’aisance financière repose sur les revenus de propriétés foncières : le logis du Colombier et son domaine à Mouchamps du côté paternel, et le château de l’Aubraie et ses terres, à La Réorthe, du côté maternel (Duroselle J.-B., 1988, p. 11-26).

Issu d’une famille vendéenne sur plusieurs générations, Georges Clemenceau évolue toute son enfance dans un univers familial fortement marqué par la tradition politique républicaine. Ainsi, la véritable figure de proue du jeune Georges Clemenceau se trouve en la personne de son père, Benjamin Clemenceau, fervent républicain, anticlérical et athée, dont il admire le militantisme. Au-delà de ses convictions politiques, Benjamin Clemenceau, peintre amateur et bibliophile, est souvent cité comme celui qui a transmis à son fils Georges le goût de l’art et de la littérature (Duroselle J.-B., 1988, p. 15-37).

Les années d’études et l’expérience américaine

Georges Clemenceau, après l’obtention d’un baccalauréat littéraire, suit les traces familiales et plus particulièrement celles de son père – médecin exerçant à Nantes avant d’hériter du domaine de l’Aubraie et de vivre exclusivement de ses revenus fonciers agricoles – en rentrant le 1er novembre 1858 à l’École préparatoire de médecine de Nantes pour y étudier pendant trois ans (Duroselle J.-B., 1988, p. 38 ; AD 44 : I E 99 / I E 100). Par la suite, il poursuit son cursus à Paris et débute en parallèle ses activités militantes en participant à la création du journal pro-républicain Le Travail. Il a pour camarades, entre autres, Germain Casse (1837-1900), Jules Méline (1838-1925) ou encore Émile Zola (1840-1902). Son militantisme révolutionnaire lui vaut des poursuites judiciaires ; il est arrêté en février 1862 et conduit à la prison de Mazas où il est condamné à une peine de deux mois d’emprisonnement. Cela ne le décourage pas à continuer la lutte pour ses idéaux politiques, aux côtés de figures révolutionnaires telles qu’Auguste Blanqui (1805-1881) et Auguste Scheurer-Kestner (1833-1899).

Parallèlement, il poursuit ses études en s’inscrivant à la faculté de droit et est élu président de l’Association des étudiants en médecine. Dès 1864, il prépare son doctorat avec pour sujet De la génération des éléments atomiques où il défend les thèses du matérialisme et de l’hétérogénie, suivant le travail de son professeur Charles Robin (1821-1885), membre de l’Académie de Médecine, grand opposant des théories scientifiques de Louis Pasteur (1822-1895). Il présente sa soutenance avec succès le 13 mai 1865. S’il s’éloigne d’une carrière dans le domaine de la médecine par la suite, il continue néanmoins par intermittence, et ce jusqu’en 1906, à faire des consultations au dispensaire qu’il ouvre à Montmartre en 1871 (Duroselle J.-B., 1988, p. 122) et reste passionné toute sa vie par ces questions qui mêlent science et philosophie.

Docteur en médecine à tout juste 25 ans, il décide de quitter un temps la France pour une autre nation forgée sur des idéaux révolutionnaires, démocratiques et républicains : les États-Unis. Georges Clemenceau embarque à Liverpool pour New-York en septembre 1865 (Winock M., 2007, p. 43). Il s’essaye au métier de journaliste en devenant correspondant régulier du journal Le Temps, pour lequel il écrit des articles traitant de l’actualité politique et analysant la société américaine dans son ensemble (Winock M., 2007, p. 44 ; Clemenceau G., Lettres d’Amérique, 2020). Afin de compléter ses revenus, il devient professeur de français et d’équitation pour des « jeunes filles de bonne famille » (Winock M., 2007, p. 45) dans un pensionnat de jeunes filles à Stamford. Il se fiance à l’une de ses élèves, Mary Plummer (1849-1922) et le mariage a lieu le 23 juin 1869 à New-York (AD 85, État civil, AD2E188/13). Le couple vient s’installer en France et de leur union naissent trois enfants : Madeleine (1870-1949), Thérèse (1872-1939) et Michel (1873-1964). Ils se séparent dès 1876, puis divorcent en 1891 (AD 85, État civil, AD2E188/16).

La carrière politique du tigre : du révolutionnaire à l’homme d’État

De retour en France juste à temps pour assister à la chute de Napoléon III et prendre part aux évènements qui mènent à la proclamation de la République, Georges Clemenceau est nommé par Étienne Arago (1802-1892) maire provisoire du 18arrondissement le 5 septembre 1870 (Duroselle J.-B., 1988, p. 92), puis élu le 8 février 1871 représentant de la Seine à la Chambre des députés sur les listes de l’Union républicaine aux côtés de Victor Hugo (1802-1885), Giuseppe Garibaldi (1807-1882) ou encore Léon Gambetta (1838-1882). Après le massacre des communards en mai 1871, il est réélu le 30 juillet 1871 à la marie du 18e arrondissement de Paris, dans le quartier de Clignancourt. Il est élu, par la suite, président du conseil municipal de Paris en novembre 1875, puis député de la Seine en 1876. Il est réélu député de la Seine en 1877 et en 1881, puis député du Var en 1885 et 1889 (Robert A. et Cougny G., 1889, t. II, p. 126 ; AD 83 : 2 M3341 et 2 et 2 M335). Il fait partie des députés républicains radicaux et siège à l’extrême-gauche de l’Assemblée, prônant, entre autres, l’amnistie des communards, l’abolition de la peine de mort, la séparation de l’Église et de l’État, l’inscription d’une durée légale journalière de temps de travail, la mise en place d’un droit à la retraite, la reconnaissance des droits syndicaux, l’interdiction du travail des enfants et une éducation publique obligatoire et laïque (Robert A. et Cougny G., 1889 t. II, p. 126). Il s’oppose également à la politique d’expansion coloniale, incarnée alors par Jules Ferry, et aux guerres franco-chinoises et de conquête du Tonkin (1883-1885) (Robert A. et Cougny G., 1889 t. II, p. 126 ; Journal officiel, 31 juillet 1885). C’est durant ses mandats de député qu’il acquiert le surnom de « Tigre » pour la férocité qu’il met à défendre ses convictions.

Compromis dans le scandale du Panama en 1892, il est sans mandat électoral après un échec aux législatives de 1893 (AD 83 : 2 M336), et se consacre alors un temps au journalisme. Il remplace dès octobre Camille Pelletan (1846-1915) au poste de rédacteur en chef à La Justice, quotidien radical et républicain qu’il a fondé en 1880 avec Stephen Pichon (1857-1933). Outre ses articles quotidiens dans La Justice, il publie également des papiers dans Le Journal, L’Écho de Paris, Le Français, La Dépêche de Toulouse ou encore L’Illustration (Duroselle J.-B., 1988, p. 314). Son journal La Justice ayant fini par péricliter, criblé de dettes, en octobre 1897, Clemenceau devient éditorialiste au journal L’Aurore, où il se distingue par sa prise de position dans l’affaire Dreyfus. Dès décembre 1897, il prend le parti de l’innocence du capitaine aux côtés d’Émile Zola (Jolly J., 1966, t. I).  

Sa carrière politique reprend en 1902 avec son élection en tant que sénateur du Var (AD 83 : 2 M4 9). Il accède par la suite aux fonctions de ministre de l’Intérieur en mars 1906. Cette période est marquée par sa rupture avec la gauche socialiste menée par Jean Jaurès (1859-1914) et la Confédération Générale du Travail (C.G.T). En octobre de la même année, il devient Président du Conseil avant d’être écarté du pouvoir en 1909. Il continue alors, en tant que sénateur (AD 83 : 2 M4 9), sa carrière politique tout en fondant, en parallèle, le journal L’Homme libre en 1914, renommé L’Homme enchaîné l’année suivante. Président au Sénat de la Commission de l’Armée, son patriotisme affiché et ses attaques contre les méthodes du haut commandement, contre les défaitistes et contre les pacifistes lui valent une popularité croissante. Il est rappelé à la Présidence du Conseil ainsi qu’au ministère de la Guerre par le président Raymond Poincaré (1860-1934) le 16 novembre 1917 (Jolly J., 1966, t. I). Il engage alors une politique belliciste et patriotique. La défaite allemande ne tarde pas et l’armistice est signée le 11 novembre 1918. Il choisit la Galerie des Glaces pour signer le traité de Versailles le 28 juin 1919, et obtient la réintégration au territoire national de l’Alsace et de la Lorraine, l’occupation de la Rhénanie et le paiement par l’Allemagne, reconnue seule responsable du conflit, d’importantes sommes en guise de « réparations » de guerre. Malgré sa victoire, les inimitiés qu’il s’est créées à gauche comme à droite l’empêchent d’accéder à la présidence de la République lors des élections de janvier 1920, remportées par Paul Deschanel (1855-1922) (Jolly J., 1966, t. I).

Le temps du repos : Clemenceau l’écrivain voyageur

Georges Clemenceau déclare dans sa correspondance avec son ami Nicolas Pietri (1863-1954) en 1920 : « Je pense avoir assez fait pour le pays, m’être assez débattu de toutes manières, et avoir par conséquent droit au repos. » (MCL, s.c., dossier n° 3 ; cité par Duroselle J.-B., 1988, p. 862). Son repos, Clemenceau le consacre à écrire et à voyager. Il n’en est pas à son premier écrit, et compte déjà neuf publications à son actif qui datent de la période où il se consacre au journalisme entre 1893 et 1902. Ces publications se divisent entre des écrits et des recueils d’articles politiques et philosophiques tels que La Mêlée sociale (1895) ou encore Des juges (1901), sur l’affaire Dreyfus, mais aussi des œuvres littéraires avec son roman Les Plus Forts (1898) et sa pièce de théâtre Le Voile du bonheur (1901). Certaines, enfin, sont à la croisée des deux genres précédents, quasiment inclassables, telles que Le Grand Pan (1896), Au fil des jours (1900) ou Aux embuscades de la vie (1903). Désormais retiré de la politique comme du journalisme, il reprend sa plume pour écrire un essai sur l’Athénien Démosthène (1926) et un livre Au soir de la pensée (1927) dans lequel il fait part de sa réflexion sur les diverses sources philosophiques et théologiques des différentes civilisations humaines.

Au-delà de ses travaux littéraires, presque immédiatement après sa défaite présidentielle, il entreprend le premier d’une série de grands voyages en se rendant en Égypte et au Soudan entre le 4 février et le 21 avril 1920 (Duroselle J.-B., 1988, p. 861). Il séjourne au Caire et à Khartoum. Il repart, le 22 septembre 1920, pour Ceylan avec son compagnon de voyage Nicolas Pietri, répondant à une invitation de Ganga Singh Bahadur (1880-1943), maharadjah de Bikaner, à participer à une chasse au tigre. Il entame alors un périple de plusieurs mois en Asie du Sud-Est, faisant escale à Colombo, Singapour, Djakarta, Bandung, Rangoon, Calcutta, Bénarès, puis à Allahabad, Delhi et Lahore. Il achève son voyage en visitant Bombay et Mysore avant d’atteindre sa destination finale, Ceylan. Après ce périple de plusieurs mois en Asie du Sud-Est, il rentre à Paris le 4 mars 1921 (Winock M., 2007, p. 502). Il se rend la même année en Angleterre, où il est fait docteur honoris causa par l’université d’Oxford le 22 juin 1921. Enfin, en 1922, il retourne aux États-Unis (SHD GR/1/K/841/834) et séjourne à New-York, Boston et Washington où il multiplie les rencontres d’ordre politique, son expertise de chef d’État étant encore beaucoup sollicitée (Winock M., 2007, p. 508). C’est là son dernier grand voyage. Georges Clemenceau s’éteint le 24 novembre 1929 en son domicile parisien (AP 16D 139). Il est inhumé auprès de son père Benjamin Clemenceau dans la propriété familiale du Colombier, à Mouchamps.

Constitution de la collection

Aux sources d’une collection : le défenseur passionné de l’Asie

La constitution de sa collection d’art asiatique est à replacer dans le goût, si ce n’est la passion qu’entretient Clemenceau pour le continent asiatique dans son ensemble. Clemenceau est un grand défenseur de l’Extrême-Orient à travers son combat anticolonialiste, qui se traduit dès ses premiers mandats de député avec sa condamnation de la guerre française au Tonkin en 1885 (Journal officiel, 31 juillet 1885) et qui se poursuit, lors de sa présidence du Conseil en 1907, par le traité franco-siamois qui entérine la restitution de trois provinces au Cambodge. Il est à l’origine, la même année, de l’accord franco-japonais qui assure l’intégrité territoriale chinoise tout en plaçant le Japon parmi les grandes puissances internationales (Séguéla M., 2014, p. 37-38). Outre cet aspect politique, il se passionne, par ailleurs, pour l’étude théologique et l’héritage civilisationnel des religions bouddhiste et hindouiste, comme en témoigne certains de ses écrits (Clemenceau G., Au soir de la pensée, 1927), sa participation à plusieurs cérémonies bouddhiques au musée Guimet en 1891, 1893 et 1898 (Kennel K., 2014, p. 186) ainsi que son voyage en Asie du Sud-Est en 1920-1921. Ce voyage est l’occasion pour cet universaliste convaincu amateur d’art, après avoir pu découvrir l’Islam lors de son séjour au Proche-Orient, d’assouvir sa curiosité envers les civilisations de l’Asie et de visiter de grands sites patrimoniaux liés aux religions bouddhiste et hindouiste, tels que le temple bouddhiste de Borobudur à Bandung ou le lieu du premier sermon du Bouddha à Bénarès (Winock M, 2007, p. 500). Il ramène des objets d’art de ce voyage, dont les deux statues de Bouddha et les deux reliefs en schiste donnés au musée Guimet en 1927 (Cambon P., 2014, p. 228-233 ; inv. MG 17062 ; MG 17061 ; MG 17063 ; MG 17060), ainsi qu’une importante documentation iconographique composée d’albums et de plus de 250 photographies et cartes postales (Lentignac L., 2016, p. 153-166). Sa production littéraire est, quant à elle, marquée par la promotion du dialogue entre les cultures occidentales et extrême-orientales et son intérêt pour la civilisation chinoise, au sein de laquelle prend place sa pièce de théâtre orientaliste Le Voile du bonheur (1901).

Concernant le domaine des beaux-arts, son goût pour l’art asiatique se rapproche de celui des artistes de l’avant-garde de la fin du XIXe siècle (Lacambre G., 2014, p. 77). Il compte dans son entourage des amis artistes eux-mêmes inspirés par le japonisme, tels que les peintres Édouard Manet (1832-1883) et Claude Monet (1840-1926) à qui il rend visite régulièrement dès 1895 à Giverny où il peut admirer sa collection d’estampes et le petit pont japonais qui orne son jardin (Lacambre G., 2014, p. 282). Au-delà de son cercle d’amitiés proches, il rencontre Philippe Burty (1830-1890), Théodore Duret (1838-1927) et Henri Cernuschi (1821-1896) et fréquente la société parisienne alors peuplée de japonistes (Séguéla M., 2001, p. 12-13). On sait également qu’il demanda à visiter la collection d’Edmond de Goncourt (Goncourt E. et J. de, 1889 : 6 mai 1885, p. 229), lui-même très féru d’art asiatique (Duroselle J.-B., 1988, p. 301). Sa bibliothèque témoigne de ses lectures d’ouvrages des plus importants japonistes de son temps, accueillant L’Art japonais (1883) de Louis Gonse (1846-1921) ainsi que la revue mensuelle sur les arts japonais Le Japon artistique (1888-1891) de Siegfried Bing (1838-1905) (Séguéla M., 2014, p. 57). Il participe par ailleurs à l’exposition de gravures japonaises que ce dernier organise en 1890 à l’École des Beaux-Arts de Paris en obtenant la mise à disposition du bâtiment et en prêtant lui-même 13 estampes de sa collection personnelle (Séguéla M., 2014, p. 57 ; Bing S., 1890). Il est également potentiellement influencé dans ses penchants pour l’art asiatique par ses fréquentations de ressortissants japonais, dans le cadre de ses fonctions politiques comme dans son cercle privé. Ainsi, il est initié à la cérémonie traditionnelle du thé (chanoyu) lors d’une invitation du ministre-plénipotentiaire japonais en poste à Paris Tanaka Fujimaro 田中不二麿 (1845-1909) en 1889 (Deshayes E., Tokonosuke U., 1895, p. 7-68). Par ailleurs, il se lie d’amitié en 1874 avec Saionji Kinmochi 西園寺 公望(1849-1940), aristocrate originaire de Kyôto et futur premier ministre du Japon qui fait alors ses études de droit à Paris (Séguéla M., 2014, p. 56), et fréquente nombre de japonistes dans les salons mondains, tels que les frères Goncourt ou encore Judith Gautier (1845-1917) (Yoshikawa J., 2011, p. 115-116).

Clemenceau collectionneur

L’admiration de Georges Clemenceau pour les arts en général et son goût pour l’Asie se traduit par la constitution d’une collection rassemblée entre le début des années 1870 et 1894, date à laquelle il se sépare d’une grande partie de ses pièces (Delestre M., Leroux E., 1894 ; Delestre M., Bing S., 1894) suite à un endettement important. Il continue par la suite, de manière plus modérée, son activité de collectionneur en esthète qui aime s’entourer de sa collection au quotidien, dans ses maisons et appartements privés comme dans ceux liés à ses fonctions d’homme politique (Séguéla M., 2014, p. 63). Il aime mettre en scène ses acquisitions et semble prendre plaisir à les disposer de manière décorative et originale (Maucuer M., 2014, p. 103), créant une atmosphère où la rêverie artistique de l’amateur l’emporte sur la cohérence de l’ensemble, mêlant ses photographies et moulages d’antiques, témoignages de son hellénisme, aux objets d’art asiatiques et aux œuvres de ses amis artistes avant-gardistes (Rionnet F., 2016, p. 27-44).

Au-delà d’une satisfaction esthétique et décorative, Clemenceau trouve dans le fait de collectionner le plaisir de l’émulation intellectuelle. S’il est passionné, Clemenceau n’en est pas moins un amateur éclairé, motivé par « la quête de l’objet rare, la possession de la pièce manquante ou la découverte d’une œuvre à sa convenance » (Séguéla M., 2014, p. 57) et trouve dans l’activité de collectionner une satisfaction scientifique par l’étude des techniques et la possession de séries de typologies d’objet. Homme de lettres et bibliophile, il tire ses connaissances sur sa collection de la centaine d’ouvrages en rapport avec l’art asiatique parmi les quelque cinq mille titres de sa bibliothèque (Joxe V., 2016, p. 199-209), dont mille cinq-cents sont aujourd’hui encore conservés dans les fonds de la maison de Clemenceau à Saint-Vincent-sur-Jard. Pour ce qu’il ne parvient pas à connaître par sa seule activité d’autodidacte, il se fait aider, pour le classement et l’expertise de ses œuvres, par son ami conservateur adjoint au musée Guimet, Émile Deshayes (Séguéla M., 2014, p. 57).

Les modalités d’acquisition des objets d’art de la collection de Georges Clemenceau sont peu connues, mais il est néanmoins possible de retracer quelques achats. Deux séries d’achats au moment de ventes publiques sont documentées, notamment six lots (dix-huit livres et une gravure) lors de la troisième vente de la collection Philippe Burty et trois lots (comprenant cinq kôgô) lors de la quatrième vente (Lacambre G., 2014, p. 76-77), qui ont lieu entre le 16 et le 28 mars 1891, respectivement à l’Hôtel Drouot (E. Leroux, 1891) et dans les galeries Durand-Ruel (Delestre M., Bing S., 1891). Il acquiert également six objets lors de la vente de la collection de Michel Martin Baer (1841-1904) les 15 et 17 juin 1891, dont deux kôgô, une théière et une coupe (Lacambre G., 2014, p. 79). Georges Clemenceau, dans l’ensemble, collectionne en nombre des objets de peu de valeur marchande car trop peu anciens ou encore peu considérés sur le marché de l’art occidental (Maucuer M., 2014, p. 102), ce qui en fait un adepte du chinage d’objets. Il est client des grands marchands parisiens spécialisés en art asiatique, comme le montrent deux factures conservées (collection privée G. Wormser, s. c., Paris) qui témoignent d’achats le 28 octobre 1891 chez Siegfried Bing (1838-1905) et Antoine de la Narde (1839-n. c.). Ces factures montrent que Clemenceau n’hésite pas à acheter en quantité des objets peu chers, puisqu’il acquiert soixante-dix objets chez Bing ce jour-là, presque exclusivement des kôgô, pour la somme de 773 francs (Duroselle J.-B., 1988, p. 301). Au-delà de ces achats parisiens, Georges Clemenceau approvisionne également sa collection d’objets en provenance directe du Japon grâce à son amitié avec le diplomate Francis-Frédérik Steenackers (1858-1917), alors en poste au Consulat français sur l’archipel nipponne, à Kobe, Nagasaki puis Yokohama, lui-même collectionneur et collecteur féru d’Asie (Pujos D., 2020). Il reçoit, par ailleurs, des dons, notamment des cadeaux diplomatiques, comme en témoigne à Saint-Vincent-sur-Jard la statue de Kannon観音dite « au panier de poisson » (Gyôran Kannon) en bronze et ivoire (inv. CLE 1936001612) offerte par le gouvernement japonais en 1907 (Séguéla M., 2014, p. 63-64).

Il reçoit également des dons de ses amis peintres et collectionneurs. Toute la collection de Clemenceau n’est pas consacrée à l’art asiatique et sa collection d’art moderne traduit ses fréquentations d’artistes avant-gardistes et impressionnistes dont il est l’admirateur et l’ami, comme en témoigne sa relation avec son grand ami Claude Monet, qu’il soutient dans son projet des Nymphéas pour le musée de l’Orangerie et dont il écrit une biographie après sa mort (Clemenceau G., Claude Monet – Les Nymphéas, 1928). Il est également proche d’Édouard Manet, auteur de deux portraits à son effigie entre 1879 et 1880 (Paris, Musée d’Orsay, inv. RF 2641 ; AN 20144790/87 ; Kimbell Art Museum, inv. AP 1981.01) et dont il soutient l’entrée au Louvre de son Olympia en 1907. Il possède ainsi, au fil d’acquisitions, de dons et d’échanges des œuvres d’Eugène Carrière (1849-1906), Camille Pissarro (1830-1903), Jean-François Raffaëlli (1850-1924), Honoré Daumier (1808-1879) dont un tableau de Don Quichotte (AN 20144790/74), Auguste Rodin (1840-1917) ou encore de Claude Monet, dont un autoportrait qu’il cède sous forme de don à l’État en 1927 (Musée d’Orsay, n° inv. RF 2623 – AN 20144790/86).

La collection d’art extrême-oriental

La collection d’art asiatique de Georges Clemenceau est fortement marquée par la tendance au japonisme et la majorité des œuvres et objets d’art collectionnés sont d’origine japonaise. Néanmoins, ce goût n’est pas exclusif et il possède, bien qu’en nombre plus restreint, des objets chinois et indiens, ainsi que quelques pièces indonésiennes, birmanes et tibétaines (Samuel A., Séguéla M. et Taha-Hussein Okada A., dir., 2014). La collection est créée selon des typologies d’objets, dans un mélange de rigueur scientifique mêlée à l’obnubilation du passionné. Deux ensembles principaux se détachent au sein de sa collection, rassemblant chacun plusieurs milliers d’objets : les kôgô et objets d’art asiatiques en céramique – dont beaucoup sont miniatures et en lien avec le cérémoniel autour de la consommation de thé – et les estampes.

Ainsi, Clemenceau s’intéresse à des types d’objet en céramique particuliers, souvent miniatures, qu’il n’hésite pas à collectionner en très grand nombre. L’ensemble le plus important, le plus significatif et le plus singulier reste les quelque trois mille kôgô qu’il rassemble au sein de sa collection d’art céramique (Maucuer M., 2014, p. 104). Il s’agit encore aujourd’hui de la plus grande collection de ces petites boîtes à encens jamais rassemblée par un amateur dans le monde (Yutaka M., 1977). Ces outils associés à la cérémonie du thé au Japon sont alors présents en grand nombre sur le marché occidental dès les années 1880 où ils sont appréciés pour leur grande variété de formes, de matières et de couleurs (Vigo L., 2014, p. 158-166 ; Deshayes E., 1909). Clemenceau achète des boîtes à encens provenant de divers lieux traditionnels de la production céramique au Japon, dont Shigaraki, Tokoname, Bizen ; sans oublier Kyôto, ville incontournable pour la production céramique durant l’époque Edo dont Clemenceau possède des modèles signés des célèbres potiers Nishimura Zengorô Hôzen (1795-1854) et Ogata Kenzan (1663-1743), à l’origine de l’école Rinpa (Vigo L., 2014, p. 163-173 ; Musée des Beaux-Arts de Montréal, inv.1960.Ee.613 ; 1960.Ee.568 ; 1960.Ee.562). Il possède plusieurs exemplaires de kôgô de type Oribe qui présentent des décors peints (Musée des Beaux-Arts de Montréal, n° inv. 1960.ee.1039). Le goût de Clemenceau pour le dialogue interculturel semble trouver un écho dans sa collection de kôgô, certains étant de type katamono, c’est-à-dire des modèles de commande fabriqués à l’aide de moules en Chine pour le marché japonais et qui s’inspirent de modèles céramiques chinois alors plébiscités (Vigo L., 2014, p. 162-163 ; Musée des Beaux-Arts de Montréal, inv. 1960.ee.1185). Sa collection de kôgô d’inspiration chinoise comprend, par ailleurs, des boîtes à encens de style Kôchi, inspirés de modèles provenant de la province du Fujian mais fabriqués au Japon. En témoigne le kôgô en forme de tortue réalisé en grès blanc avec décor peint en émaux vert et jaune du Musée des Beaux-Arts de Montréal (n° inv. 1960.Ee.599) signé Zengoro Hozen (actif 1795-1854), dont le modèle se trouve dans les céramiques chinoises similaires de l’époque de la dynastie des Ming (Vigo L., 2014, p. 164-166).

Cet attrait pour les boîtes à encens, utilisées lors de la cérémonie du thé ou chanoyu, fait partie de la pratique de Clemenceau de ce cérémoniel qui conjugue tradition, art et philosophie. On en retrouve la trace dans sa collection d’une petite centaine de théières, pour l’essentiel chinoises, malgré la présence de quelques modèles japonais (Séguéla M., 2014, p. 152-155). Il collectionne des théières de type boccaro (紫砂壶 zishahu) en argile brun ou rouge, parfois incisées de motifs décoratifs ou de poèmes et originaires de la ville de potiers de Yixing, au nord de Shanghai. Outre les théières, Clemenceau possède diverses séries d’artefacts en lien avec la cérémonie du thé, dont M. Séguéla (2014, p. 155) donne le détail : « un chasen, quinze kôro (brûle-parfum), deux fukusa, trois bouilloires, […], six mizusashi (réservoirs à eau pour le thé), trente-huit cha-ire (pots contenant le thé) et soixante-trois chawan (bols à thé). » Le reste de sa collection de céramiques confirme cet attrait de Georges Clemenceau pour la mode de la collecte d’ensembles d’objets miniatures, avec un ensemble de flacons à tabac chinois en porcelaine (Rey M.-C., 2014, p. 256) dont certains sont conservés au musée Guimet (inv. MG 9752, MG 9753). La collection chinoise, principalement de l’époque Qing (1644-1912), comporte également des vases en porcelaine et en bronze, des objets en céladon, des peintures (dont trois albums provenant du Palais d’Été vendus en 1894 (Delestre M., Bing S., 1894), diverses poteries et une coupe en jade (Séguéla M., 2014, p. 65).

Le deuxième grand ensemble de sa collection est constitué d’estampes japonaises, dont 1 869 pièces sont vendues en décembre 1894 (Delestre M., Bing S., 1894). Comme beaucoup de ses contemporains amateurs d’art asiatique, il s’intéresse à l’estampe ukiyo-e dont il collectionne une large gamme de styles et d’époques sur une période qui va du début du XVIIIe siècle au milieu du XIXe siècle (Kozyreff C., Vandeperre N., 2014, p. 95). La majeure partie de sa collection est consacrée à l’estampe de paysage (fukei-ga), représentée notamment par Katsushika Hokusai 葛飾 北斎 (1760-1849), dont il possède plusieurs exemplaires complets de la série des Trente-six vues du Mont Fuji, et par Utagawa Hiroshige 歌川広重 (1797-1858). Il collectionne également des pièces qui s’inscrivent dans la tradition de la représentation théâtrale et des portraits d’acteurs de kabuki, avec des estampes de l’école Torii 鳥居派 et de l’école Katsukawa 勝川派, dont L’Acteur Onoe Matsusuke dans le rôle de Matsushita Mikinoshin (Collection Musée Clemenceau) par le spécialiste du portrait d’acteur Tôshûsai Sharaku 東洲斎写楽 (actif de 1794 à 1795), ou encore des estampes d’Utagawa Kunisada 歌川 国貞 (1786-1865) de la série des Sono sugata yukari no utsuhi-e (Musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles, n° inv. JB.143). Clemenceau s’intéresse, par ailleurs, aux portraits féminins, et acquiert des estampes de Suzuki Harunobu 鈴木春信 (vers 1725-1770), de Torii Kiyonaga 鳥居清長 (1752-1815) ainsi que de Kitagawa Utamaro 喜多川 歌麿 (vers 1753-1806). Parmi ces portraits féminins, on note la présence d’estampes oshi-e, faites de collages de tissus, comme pour Deux femmes et un enfant en contemplation devant la lune de Suzuki Harunobu, conservée aux Musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles (n° inv. JP.4316).

Au-delà de ces deux grands ensembles, les catalogues des ventes de 1894 donnent un aperçu de l’ampleur et de la variété de la collection Clemenceau à son apogée, puisqu’ils présentent, en plus des près de trois mille estampes, 358 livres imprimés, 528 peintures, éventails et panneaux, 28 laques, 217 netsuke qui viennent compléter sa collection d’objets miniatures, 887 objets divers parmi lesquels on retrouve, en plus des céramiques, des bronzes et des objets de bois sculpté, dont 63 masques de théâtre (Delestre M., Leroux E., 1894 ; Delestre M., Bing S., 1894 ; cités par Séguéla M., 2001, p. 20-21). Clemenceau possède, en effet, une collection de masques en bois de théâtre et kyôgen qu’il accroche aux murs de ses différentes résidences, dont fait partie le Masque de Masukami (inv. AD 638) conservé avec quatre autres masques de la collection Clemenceau au Musée des Beaux-Arts de Nancy (Lacambre G., 2011). Il acquiert également quelques petits objets d’ameublement décoratifs en laque, aujourd’hui conservés à Saint-Vincent-sur-Jard, qui se distinguent par la finesse de leur exécution, dont un cabinet laqué d’or (inv. CLE 2005002078), un sagedansu (nécessaire portatif à pique-nique) en laque rouge rehaussée d’or (inv. CLE 2005002076) et un kôdana (meuble à encens) en bois laqué de noir à décor de chrysanthèmes (inv. CLE 2005002006). Sa collection présente, de plus, des bronzes japonais (88 figurent à la vente de décembre 1894 ; Delestre M., Bing S., 1894) dont une paire de renards, symboles liés au culte shintô du dieu des récoltes Inari, conservés à Saint-Vincent-sur-Jard (inv. CLE 1936001513 et CLE 1936001514) où Clemenceau en disposait un de chaque côté de sa porte d’entrée.

Un dernier ensemble, de moindre importance en termes de nombre de pièces mais non moins significatif, permet de mesurer l’intérêt de Georges Clemenceau pour l’art et la culture bouddhiques. Beaucoup de ces pièces sont d’origine japonaise, comme le Coffret surmonté de Shâkyamuni atteignant le nirvâna en cuivre de la fin de l’époque d’Edo conservé au Musée Clemenceau à Paris. Il apprécie tout particulièrement le style du Gandhâra, dit gréco-bouddhique, et s’intéresse aux travaux d’Alfred Foucher (1865-1952) tout en faisant donation de quatre œuvres gréco-bouddhiques en schiste du Gandhâra au musée Guimet en 1927 (Cambon P., 2014, p. 228-233 ; inv. MG 17062 ; MG 17061 ; MG 17063 ; MG 17060). Certaines pièces de sa collection montrent, plus généralement, sa curiosité pour la mythologie indienne, comme la statuette en cuivre représentant le héros Hanumân conservée au musée Clemenceau à Paris et acquise lors de son voyage en Inde (Taha-Hussein Okada A., 2014, p. 205). Enfin, il collectionne de manière plus marginale quelques objets d’art indonésiens, birmans et tibétains rapportés en partie de ses voyages, tels la Copie en réduction de la statue de Prajnâpâramitâ de Singhosari et sa boîte, originaire de l’île de Java en Indonésie et conservée à Saint-Vincent-sur-Jard (inv. CLE 1936001608) ainsi qu’un porte-documents birman en argent au riche décor incisé et travaillé au repoussé conservé au musée Clemenceau à Paris (Cambon P., 2014, p. 218-227).

Postérité d’une passion au service de la diffusion de l’art asiatique

La passion du collectionneur pour les arts d’Asie, associée à la fidélité de l’homme politique envers les principes universalistes et à la volonté de l’érudit de défendre un héritage culturel trop souvent vu comme inférieur en Occident mènent Georges Clemenceau à s’engager au service d’une politique muséale et culturelle de mise en valeur des arts asiatiques. Afin d’atteindre cet objectif, il use de son influence dans les plus hautes sphères de l’État tout en s’impliquant en tant que collectionneur par des dons (Séguéla M., 2014, p. 136-141). Il va notamment mener le combat pour l’entrée des arts asiatiques au musée du Louvre qui se concrétise par l’ouverture du département d’art japonais en 1893, alors alimenté en partie par des œuvres acquises sur les conseils de Clemenceau (musée Guimet, n° inv. EO 1 et EO 2). En parallèle, il apporte son soutien à son ami l’industriel et collectionneur Émile Guimet (1836-1918) pour l’obtention de subventions étatiques dans le cadre de la création du musée Guimet, qui ouvre ses portes en 1889 (Séguéla M., 2014, p. 136-141). Clemenceau suit de près le développement de cette institution, encourage des achats d’œuvres et d’objets d’art par le ministère de l’Instruction publique spécialement pour le musée, tout en faisant lui-même des donations dès 1890 (Séguéla M., 2014, p. 136-141). Il est le premier donateur d’art japonais du musée en 1904 (E. Leroux, 1904, p. 26-27) et ses dons sont à l’image de ce qui fait l’essence même de sa collection personnelle : principalement des kôgô, des théières chinoises boccaro, des petits objets d’art souvent en céramique auxquels il faut rajouter les quatre œuvres bouddhistes ramenées d’Inde citées précédemment (Cambon P., 2014, p. 228-233 ; inv. MG 17062 ; MG 17061 ; MG 17063 ; MG 17060). Il est également à l’origine de la naissance d’une autre institution muséale consacrée aux arts asiatiques, le musée d’Ennery, qui accueille la collection d’art asiatique de son amie Clémence d’Ennery (1823-1898). Souhaitant léguer sa collection à une institution publique, elle suit les conseils de Georges Clemenceau, qu’elle nomme son exécuteur testamentaire, et décide de léguer son hôtel particulier à l’État en échange de la constitution d’un musée autour de sa collection ; c’est ainsi que le musée d’Ennery ouvre ses portes en 1908 (Alexandre, A., 1908 ; Séguéla M., 2014, p. 142-149).

La collection personnelle de Georges Clemenceau connaît, quant à elle, un destin plus mouvementé, n’ayant pas été conservée dans son intégrité mais divisée du vivant même du collectionneur avec les ventes de février et de décembre 1894 à l’Hôtel Drouot (Delestre M., Leroux E., 1894 ; Delestre M., Bing S., 1894). Beaucoup de lots sont alors achetés par les marchands parisiens spécialisés dont Florine Langweil (1861-1958), Ernest Leroux (1845-1917), Siegfried Bing, Hayashi Tadamasa 林 忠正 (1853-1906) et Michel Manzi (1849-1915) et sont ainsi rapidement remis sur le marché. D’autres sont acquis par des amateurs dont les collections font à leur tour l’objet de ventes publiques dispersant un peu plus la collection initiale de Clemenceau (Lacambre G., 2014, p. 81-82). Cependant un certain nombre de ces amateurs acheteurs des ventes de 1894 vont au contraire compléter les collections publiques à travers des legs aux musées nationaux, comme c’est le cas de Raymond Kœchlin (1860-1931), d’Edmond Michotte (1831-1914) qui lègue la majeure partie de sa collection japonaise aux musées d’Art et d’Histoire de Bruxelles en 1905 (Lacambre G., 2014, p. 82), ou encore de Charles Cartier-Bresson (1853-1921) dont une partie de la collection, y compris les cinq masques de théâtre japonais acquis lors des ventes de la collection Clemenceau en décembre 1894 (Lacambre G., 2014, p. 111-113 ; Lacambre G., 2011), est léguée en 1936 au musée des Beaux-Arts de Nancy (n° inv. AD638 ; AD664 ; AD 661 ; AD 632 et AD 667).

Concernant les objets gardés après 1894 et ceux que Georges Clemenceau acquiert par la suite, l’ensemble des kôgô semblent faire l’objet d’un attachement particulier au sein de sa collection et sont conservés jusqu’à la mort du collectionneur, qui les expose de 1895 à 1908 au musée Guimet, puis dès 1908 au musée d’Ennery (Séguéla M., 2014, p. 59 – AN F/21/4469 ; F/21/4472). Ces 2 875 petites boîtes à encens sont aujourd’hui conservées au musée des Beaux-Arts de Montréal suite à leur vente en 1938 par Michel Clemenceau à l’industriel Joseph-Arthur Simard (1888-n. c.) qui en fait don à l’institution muséale par la suite (Vigo L, 2014, p. 158). Le reste de sa collection se divise entre les pièces ayant fait l’objet de dons ou de legs du vivant de Georges Clemenceau (AN 20150044/75) et celles conservées dans les deux demeures du collectionneur devenues musées : la maison vendéenne de Georges Clemenceau à Saint-Vincent-sur-Jard et l’appartement parisien du 8 rue Benjamin Franklin devenu musée Clemenceau. Ce dernier contient presque l’ensemble du mobilier et des objets d’art qui s’y trouvaient à la mort de Georges Clemenceau, dont quarante œuvres japonaises (Séguéla M., 2014, p. 63), suite à la donation de ses enfants à la Fondation du musée (MCL, s. c., dossier n° 7) qui gère l’institution depuis l’ouverture de ses portes au public en 1931 (Lemieux A., 2019). La maison de pêcheur de Saint-Vincent-sur-Jard, est, quant à elle, acquise avec son terrain par l’État entre 1932 et 1935, tandis que la totalité de son ameublement fait également l’objet d’une donation par les trois enfants de Georges Clemenceau aux collections publiques nationales.