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Estampe d'Utamaro représentant une sauterelle posée sur un tuteur au milieu de fleurs roses et violettes.

STEENACKERS Francis-Frédérik (FR)

Jeunesse et premier séjour au Japon

Francis-Frédérik Steenackers naît à Paris le 11 mai 1858. Il est le fils de Marie-Léontine Pargoud (dates inconnues) et de Joseph-François Frédéric Steenackers (1830-1911) [Archives du Ministère des Affaires étrangères (AMA), Dossiers personnels, 2e série, 394QO/1451]. Ce dernier, sculpteur reconnu, est également membre du parti républicain, directeur général des postes et député de la Haute-Marne. C’est au sein de cette famille riche que grandit Francis-Frédérik, entre Paris et le château d’Arc-en-Barrois, que les Steenackers louent à partir de 1862 (AMA, Dossiers personnels, 2e série, 394QO/1451). En outre, la famille réside temporairement à Tours, puis à Bordeaux pendant la guerre franco-prussienne de 1870. Après des études au lycée Bonaparte (l’actuel lycée Condorcet), Francis Steenackers effectue un service militaire court, entre 1879 et 1880 (AMA, Dossiers personnels, 2e série, 394QO/1451). Il quitte la France pour le Japon l’année suivante, sans avoir pris le temps d’effectuer des études supérieures. Ce premier séjour est prévu, à l’origine, comme un voyage de quinze mois au Japon et aux Indes. Dans ce contexte, il fait parvenir à Jules Ferry (1832-1893), ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, plusieurs demandes de mission à partir de 1880 (AMA, Dossiers personnels, 2e série, 394QO/1451). La première lui est accordée à titre gratuit en octobre 1881 et s’étend jusqu’en 1885. Il concentre alors ces recherches sur les poissons japonais, dont il découvre plusieurs espèces. Il fait don à l’État de collections ichtyologiques, aujourd’hui conservées au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris. Cette expédition et les dons qui en découlent valent à Steenackers d’être nommé officier d’Académie par le ministre de l’Instruction publique en 1884 (AN, F/17/2885).

C’est une première étape et un tremplin dans la carrière de Steenackers. À son retour en France en 1885, il émet le souhait d’obtenir un poste de chancelier de consulat en Extrême-Orient, en indiquant sa prédilection pour le Japon qu’il connaît bien désormais. Il porte par ailleurs un intérêt certain à la culture de l’archipel. En 1885, Steenackers publie aux éditions Leroux (Paris) un ouvrage rédigé avec le Japonais Ueda Tokunosuke (上田得之助著, dates inconnues), intitulé Cent Proverbes japonais. Cette anthologie de proverbes est illustrée par des gravures sur bois de Kawanabe Kyosai (河鍋 暁斎,1831-1889). Cette même année, un vice-consulat de France vient en effet d’être créé à Kobé, et il y est rattaché en tant que commis de chancellerie. L’entrée de Francis Steenackers dans la carrière diplomatique, le 28 mai 1885, prolonge donc son séjour au Japon. C’est « par goût et par vocation que M. Steenackers s’est engagé dans la carrière des consulats » (AMA, Dossiers personnels, 2e série, 394QO/1451). Le jeune homme possède en effet une fortune suffisante pour s’épargner de faire carrière. Il dispose alors d’une rente de 6 000 francs qui lui vient de sa mère, ainsi que d’une autre de 5 000 francs, inaliénable et incessible (AMA, Dossiers personnels, 2e série, 394QO/1451).

Carrière au Japon

Une fois entré dans la carrière diplomatique, c’est – semble-t-il – par l’intermédiaire de Georges Clemenceau (1841-1929) que Francis Steenackers peut commencer à en gravir les échelons. En effet, Clemenceau, alors député du Var, siège avec le père du diplomate à l’Assemblée nationale. Dès l’année 1888, il intercède pour Francis Steenackers auprès du ministère des Affaires étrangères, en soutenant sa demande d’être nommé vice-consul en disponibilité à Kobé (AMA, Dossiers personnels, 2e série, 394QO/1451). C’est ainsi qu’il obtient ce poste en juin 1888. Parallèlement, le ministère des Affaires étrangères le met à la disposition du ministère de l’Instruction publique, qui le charge par conséquent d’une seconde mission au Japon, toujours à titre gracieux (AN, F/17/3008). Celui-ci la remplit jusqu’en 1891, il y poursuit essentiellement des recherches en anthropologie biologique. Le 13 juillet 1888, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur, sur proposition d’Armand de Quatrefages de Bréau, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris (AN/LH/2548/15). Cette nomination récompense les collections importantes dont il fait don à l’État. Il n’a en effet de cesse, y compris lorsqu’il n’est pas missionné par le ministère de l’Instruction publique, de collecter des biens afin d’enrichir les collections anatomiques du Muséum (AN, F/17/3008).

Ses recherches pour le compte du ministère de l’Instruction publique nourrissent à plusieurs reprises son ambition au ministère des Affaires étrangères. Ainsi, le ministre de l’Instruction publique Léon Bourgeois (1851-1925) intercède-t-il pour Steenackers auprès de son collègue des Affaires étrangères en mai 1890. Dans une lettre datée du 3 mai 1890 (AN, F/17/3008), il fait valoir la haute importance des collections d’anthropologie réunies par ce dernier, sa parfaite connaissance du Japon, de ses mœurs et de sa langue. Il demande à son collègue de bien vouloir le placer « à des fonctions plus actives » et propose de nommer Steenackers vice-consul de Kobé ou chancelier au consulat de Yokohama. C’est ainsi qu’en janvier 1891 Francis Steenackers est nommé vice-consul de France à Nagasaki. La même année, il se marie avec Émilia-Berthe Frique (1872-1892), une jeune femme d’origine égyptienne. Elle meurt à seulement vingt ans le 17 mars 1892 (AMA, Dossiers personnels, 2e série, 394QO/1451).

Steenackers devient consul de seconde classe à Nagasaki en 1896. Il entretient de bonnes relations avec la population et avec les autorités locales et également avec les bonzes d’un certain nombre de monastères bouddhiques (AN, F/17/3008). C’est grâce à ce réseau que qu’il parvient à réunir les collections qu’il envoie au ministère de l’Instruction publique. Ses liens avec les autorités locales sont également essentiels d’un point de vue diplomatique. Ainsi, dans une lettre de 1901 adressée au ministre des Affaires étrangères, le gérant de la légation de France à Tokyo écrit : « Monsieur Steenackers […] a toujours su entretenir avec les autorités locales des relations qui l’ont mis à même de fournir des renseignements précis particulièrement au moment de la guerre sino-japonaise et de prévenir maintes fois les difficultés surgissant dans les ports de sa résidence soit avec les navires de guerre soit avec les nationaux » (AMAE, Dossiers personnels, 2e série, 394QO/1451). À partir de l’année 1900, Francis Steenackers est également, parallèlement à son poste de consul de France à Nagasaki, chargé de consulat à Yokohama en l’absence du consul titulaire.

Steenackers est fait officier de la Légion d’honneur le 17 mai 1901 (AN/LH/2548/15). Les années suivantes sont riches de succès. Il est nommé consul de première classe en juillet 1903, et obtient en mars 1904 le poste de consul de France à Yokohama. Trois ans plus tard, en février 1907, Francis Steenackers est promu au grade de consul général. Ce nouveau poste est néanmoins provisoire et marque la fin de son long séjour au Japon. Il y aura passé près de vingt-six années.

Retour en Europe

Le diplomate est en effet nommé consul général à Francfort en octobre de la même année. Sans doute repasse-t-il alors par Paris puisque, le 18 juillet 1907, le ministre de l’Instruction publique Aristide Briand (1862-1932) le nomme membre honoraire des Travaux historiques scientifiques (AN, F/17/2885). Le 17 mai 1907, Steenackers se marie pour la seconde fois, avec Aimée-Margueritte Toussaint (dates inconnues). Le couple a une fille en 1911 (AMA, Dossiers personnels, 2e série, 394QO/1451).

Francis Steenackers quitte Francfort pour le poste de consul général à Naples en 1909, puis il est nommé consul général à Zurich en 1910. Son retour en Europe est sans doute un choix du consul lui-même. On sait en effet que dès 1902, époque où il était encore consul à Nagasaki, il avait émis le souhait d’occuper un poste en Méditerranée, vœu qui n’avait alors pas obtenu satisfaction (AMA, Dossiers personnels, 2e série, 394QO/1451). Steenackers est nommé ministre plénipotentiaire de deuxième classe par le ministre des Affaires étrangères Aristide Briand. Néanmoins, à Zurich, le consul fait face à plusieurs difficultés qui marqueront la fin de sa carrière. La première remonte à la fin de l’été 1915. On lui reproche l’existence de certificats d’origine signés de la main de son garçon de bureau, sans qu’une délégation de signature n’ait été autorisée. Ainsi, les actes indiquent-ils le nom du consul, mais la signature d’un autre sans mentionner sa qualité. Ils ne portent pas le sceau du poste et ne sont enregistrés nulle part. Cette délégation est qualifiée d’« irresponsable » (AMA, Dossiers personnels, 2e série, 394QO/1451) par la direction des Affaires politiques et commerciales au ministère des Affaires étrangères.

À peine quelques mois plus tard, au début de l’année 1916, Francis Steenackers se trouve encore une fois dans la tourmente. Le ministre des Affaires étrangères du Danemark se plaint de la façon dont son envoyé a été reçu par le consul général de France à Zurich. Celui-ci, chargé d’apporter une valise diplomatique, s’est vu refuser un renseignement par Steenackers sous prétexte que l’on était dimanche. Il a par conséquent été contraint de passer vingt-quatre heures de plus à Zurich. Cette plainte fait suite à celle d’un autre envoyé danois qui lui aussi avait signalé avoir été mal reçu, quinze jours auparavant. Par conséquent, en 1916, Francis Steenackers est remplacé à Zurich, sans qu’aucun poste de consul général ne soit alors disponible pour l’accueillir (AMA, Dossiers personnels, 2e série, 394QO/1451). Il rentre donc à Paris où il meurt d’une maladie l’année suivante à l’âge de cinquante-huit ans.

Constitution de la collection

Parallèlement à sa carrière de diplomate, Francis Steenackers répond au Japon à deux missions de collecte successives de la part du ministère de l’Instruction publique (AN, F/17/3008). La première, effectuée à titre gratuit, se déroule de 1881 à 1885. Bien que celle-ci porte l’intitulé de « Mission scientifique au Japon et aux Indes afin d’y recueillir des collections scientifiques », Steenackers s’est exclusivement consacré au Japon. Les objets collectés par ce dernier sont extrêmement variés. Il se consacre d’abord à des recherches ichtyologiques, qui donnent lieu à un envoi important de coquilles et de poissons en 1882 au ministère de l’Instruction publique. Il faut ensuite attendre l’été 1884 pour un second envoi. Celui-ci regroupe six caisses contenant « des masques, des livres, et des objets ethnographiques » (AN. F/17/3008). Par la suite, ce sont les restes humains qui constitueront l’essentiel des collections réunies par le diplomate. Après la fin de sa première mission, il envoie en effet, sans demande officielle cette fois, des centaines de restes humains au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris. C’est par ailleurs avec l’objectif de poursuivre ces recherches anthropologiques qu’il demande une nouvelle mission à titre gratuit au ministère de l’Instruction publique. Elle lui est accordée en juillet 1888, quand le ministre charge Francis Steenackers de « recherches relatives à l’anthropologie », et dure jusqu’en 1891 (AN, F/17/3008).

Steenackers parvient à se procurer de très nombreuses pièces et en expédie jusqu’en 1898, alors même qu’il a achevé depuis plusieurs années déjà sa mission. Ces collections anthropologiques constituent aujourd’hui 524 numéros à l’inventaire du Muséum national d’Histoire naturelle. Ces nombreuses acquisitions répondent au besoin du professeur Armand de Quatrefages (1810-1892), titulaire de la chaire d’anthropologie au Muséum d’Histoire naturelle, puis d’Ernest Théodore Hamy (1842-1908), son successeur (AN, F/17/3008). Leur mode de collecte est particulièrement bien documenté par le consul lui-même dans sa correspondance avec le professeur (AN, F/17/3008). Il indique dans une lettre à Armand de Quatrefages dérober ces restes humains la nuit dans des cimetières (AN. F/17/3008). Cinq cent vingt-quatre numéros à l’inventaire du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris sont issus de ces exhumations. Elles sont faites dans des tombes récentes, et les ossements sont ensuite envoyés illégalement hors du Japon. Dans le cadre de ses recherches, Quatrefages cherche à discriminer par des critères physiques plusieurs groupes au sein de l’espèce humaine. Or, les restes humains provenant de la population japonaise sont alors très rares dans les collections européennes.

Outre ces objets, qui constituent l’essentiel de ses acquisitions, Steenackers s’est également procuré une importante collection de couvre-chefs coréens, conservée au musée du Quai-Branly – Jacques Chirac. Cette collection comprenant 98 pièces est donnée au musée Guimet en 1898. La manière dont le diplomate s’est procuré cet ensemble est assez peu documentée. Il indique seulement, dans la lettre qui accompagne les objets, avoir bénéficié de l’aide de M. Rospopoff (dates inconnues), vice-consul de Russie et proche du roi coréen (AN, F/17/2885). Les derniers envois décrits dans sa correspondance avec le ministère de l’Instruction publique (F/17/2885) concernent quant à eux des sculptures japonaises. En effet, il expédie en février et mars 1900 deux sculptures en pierre, représentant respectivement une forme féminine de Kannon Bosatsu, nom japonais du bodhisattva Avalokitesvara, et un rakan, mot qui désigne en japonais les arhats. Les œuvres en question proviennent du trésor d’un temple bouddhiste, le Kotai-ji de Nagasaki. Ce sont d’après Francis Steenackers des œuvres du sculpteur Kobayashi Kentei (1680-1684) réalisées dans la deuxième année de l’ère Tenna, donc en 1682. L’existence de documents rédigés par le supérieur du temple, encore conservés au musée Guimet, laisse penser que Francis Steenackers a pu acheter ces œuvres directement auprès des responsables du monastère (Archives du musée Guimet).