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Commentaire biographique

Georges de Tressan était connu des amateurs d’art japonais comme historien d’art et collectionneur de gardes de sabre (tsuba). Toutefois, il ne vécut pas dans le milieu de l’art. En 1907 l’État japonais lui décerna le 5ème ordre impérial du Soleil Levant en reconnaissance de son aide au Prince Morimasa Nashimoto, cousin de l’Empereur Meiji (Mutsuhito) durant la mission militaire de ce dernier en France. Au moment de sa disparition au champ d’honneur en octobre 1914, Tressan était capitaine du 41ème régiment d’Infanterie. Tout en suivant la tradition familiale, comme aristocrate et officier, il se documenta et établit un réseau d’informateurs par-delà les frontières. Ses recherches furent menées afin de préciser et compléter l’histoire des arts nippons déjà présentés partiellement en France.

C’est à l’Exposition universelle de Paris en 1900 que le jeune Tressan découvrit les arts japonais. Dès lors, il fit connaissance de plusieurs collectionneurs européens qui échangeaient des renseignements par correspondance. Parmi eux, on trouve Justus Brinckmann (1843-1915), directeur du Museum für Kunst und Gewerbe de Hambourg et Cecil Harcourt-Smith (1859-1944), directeur du Victoria and Albert Museum. Par ailleurs, un collectionneur allemand, Oskar Münsterberg (1865-1920), adressa ses remerciements à Tressan dans un de ses ouvrages où plusieurs gardes de sabre de la collection de son ami français étaient présentées. Dans l’annuaire du Bulletin de la Société franco-japonaise de Paris, le nom de Tressan apparaît pour la première fois en juin 1906 (numéro 4). En 1913, Tressan eut l’occasion de solliciter des renseignements sur les tsuba et les ouvrages de référence à un des membres de la Tôken-kai刀剣会, la Société des sabres basée à Tôkyô, Kyûsaku Akiyama 秋山久作 (1843-1936). Ce dernier était reconnu comme une autorité incontestée dans le milieu de l’expertise des sabres et des montures. Tressan lui-même adhéra à la Tôken-kai en 1913.

Il est à noter que  la correspondance avec Henri L[ouis]. Joly (1876-1920) stimula le travail de Tressan. Grand collectionneur et expert des accessoires de sabre japonais, membre de la Société franco-japonaise de Paris et la Japan Society de Londres, Joly rédigea plusieurs catalogues des éditions de luxe concernant des collections de montures de sabre dans la capitale anglaise. Dans leurs lettres et articles, ils discutaient de la lecture des signatures de peintres japonais et l’authenticité de certains tsuba tout en commentant les références utilisées par chacun.

Nommé sous-lieutenant en octobre 1900, puis lieutenant, il vit à Rouen de l’automne 1902 à l’été 1906. En août 1904, il se marie avec Noël Fanny Eléonore Morillot (1882-1963). Malgré son éloignement de Paris, Tressan publia plusieurs articles dans la revue Mercure de France et en automne 1905, son premier ouvrage Notes sur l’art japonais, la peinture et la gravure, et presque six mois après ses Notes sur l’art japonais, la sculpture et la ciselure à la Société du Mercure de France sous le pseudonyme de « TEI-SAN ». Il nous reste des lettres du directeur de la maison d’édition et de la revue du Mercure de France, Alfred Valette (1858-1935), adressées à Tressan qui éclairent la réalisation de ces deux volumes. Juste après l’achèvement du second volume des Notes sur l’art japonais, Tressan fut muté à Eu, puis au bout d’un an, à Rouen. Après avoir été chargé de l’instruction du Peloton des Dispensés, avec le grade de lieutenant stagiaire de l’Ecole de Guerre, il fut muté à Paris (15ème arrt.) en 1909, et y vécut jusqu’à l’été 1912. En juin 1913, il devint capitaine breveté d’Etat-major du 10ème Corps d’armée basé à Rennes.

A la différence de la plupart des japonisants de la génération précédente, Tressan savait lire la langue des haïku. Il l’apprit en autodidacte, certainement par nécessité, car sur les tableaux et les objets d’art japonais ou encore leur étui, se lisent les titres, les signatures, les sceaux ou les paraphes des créateurs. Afin d’expertiser une œuvre, il faut comprendre ces informations. Pour maîtriser le japonais ancien, Tressan se servit des manuels de Léon de Rosny (1837-1914), premier professeur de japonais à l’École spéciale impériale des Langues orientales.

L’exhaustivité et l’historicité sont caractéristiques des écrits de Tressan. Postérieurement à ses Notes sur l’art japonais, nous classerons ses textes en trois thèmes : histoire de la peinture et de l’art bouddhique anciens ; encyclopédie relative à l’ukiyoe ; classification des gardes de sabre. Lorsqu’il décrivit l’évolution de la peinture, il se basait sur des références sûres,à commencer par la revue japonaise Kokka國華, lancée en 1889 dans le but de revaloriser les œuvres d’art ancien délaissées après la restauration de Meiji (1868). Les chromo-xylographies et les photogravures de haute qualité, ainsi que les articles de spécialistes que contient cette revue constituent pour lui une source vivifiante. En ce qui concerne les sources visuelles, il se servit également de la série Selected relics of Japanese Art (titre japonais, Shimbi taikan 真美大観), dont 20 volumes furent successivement publiés à partir de 1899 dans un format plus grand que celui de Kokka. Chaque page est suivie d’une légende détaillée et bilingue (anglaise et japonaise). En se fondant sur ces luxueuses séries Tressan rédigea deux longs articles dans la Revue de l’art ancien et moderne. D’abord dans « La Naissance de la peinture laïque japonaise et son évolution du VIe au XIVe siècle », l’auteur consacre une grande partie de son texte à une analyse de l’histoire du genre yamatoe. Ensuite dans « La Renaissance de la peinture japonaise sous l’influence de l’école chinoise du Nord ; du milieu du XIVe siècle à la chute des Ashikaga (1573) », il met en avant les tableaux réalisés sous l’influence de la peinture des dynasties Song du Nord (960-1127), Song du Sud (1127-1279) et Yuan (1279-1368). Il s’agit d’une courte période pendant l’époque Muromachi (1336-1573) où deux des shoguns Ashikaga, commandèrent à des peintres des kakemono et des paravents pour décorer leurs édifices.

En 1912, Tressan publia dans une revue d’information générale, la Revue des Deux mondes, l’histoire de la peinture du VIème au XIVème siècle. Cette même année, il se mit à contribuer en tant que mitarbeiter (collaborateur) à la revue berlinoise Ostasiatische Zeitschrift créée par Otto Kümmel (1874-1952) et William Cohn (1880-1961). En 1913, il édita et écrivit un numéro spécial de la revue L’Art et les artistes : La peinture en Orient et en Extrême-Orient avec 100 illustrations hors texte et dans le texte ainsi que 4 planches en couleur.

En octobre 1912, Emile Guimet (1836-1918), fondateur du Musée Guimet et vice-président de la Société franco-japonaise de Paris, demanda à son jeune ami de parler dans le cadre de la conférence dominicale sur les influences étrangères dans l’histoire de l’art japonais. Pour préparer les diapositives dont il se servit pour sa conférence, Tressan demanda l’autorisation de reproduire des photographies prises par les archéologues Edouard Chavannes (1865-1918) et Paul Pelliot (1878-1945), dont l’une représentant une statuette de bronze du Buddha du Musée Cernuschi, au conservateur adjoint du Musée Guimet, Joseph Hackin (1886-1941). La conférence fut donnée le 2 mars 1913 devant des spécialistes, des amateurs et des membres de sa famille.

Alors qu’il contribuait à faire découvrir la peinture ancienne, à partir de 1913, Tressan s’efforça aussi d’approfondir l’étude de l’ukiyoe. Ses études sur l’histoire globale du genre trouvèrent leur aboutissement dans l’ébauche d’un « Dictionnaire des peintres d’ukiyoye et de maîtres de la gravure du Japon » paru dans le Bulletin de la Société franco-japonaise de Paris. Une longue préface est consacrée à un ensemble d’informations nécessaires pour connaître l’histoire d’une œuvre, telles que les ères impériales, les noms différents attribués à un artiste unique, ou encore les signatures, sceaux et paraphes. La partie dictionnaire commence par l’entrée Anchi 安知 et se termine, inachevé, par Bokutei 牧亭.

En tant qu’expert des montures de sabre japonaises, Tressan réalisa deux expositions au Musée des Arts décoratifs en 1910 et 1911 (Commentaire annexe pour la reproduction des catalogues des expositions Estampes japonaises, exposées au Musée des Arts Décoratifs de Paris 1909-1914). Il rédigea la notice du catalogue d’exposition et un article de présentation pour la revue Art et décoration.

Enfin, en juin et juillet 1914, Tressan synthétisa ses travaux pour un ouvrage qui aurait dû s’intituler La ciselure japonaise : le décor des gardes de sabre. L’ouvrage de Tressan devait contenir 349 pages en trois parties, ainsi que 80 illustrations. D’après des lettres datées du 8 et du 16 juillet 1914 (archives privées de la famille), le manuscrit et les illustrations ont bien été expédiés aux éditions Van Oest. Le tout aurait dû paraître en hiver, néanmoins, avec la guerre et la disparition de l’auteur, ce projet resta en suspens.

Avant l’achèvement de son manuscrit, il trouva un livre japonais récent, le Hompô sôken kinkô ryakushi本邦装剣金工略誌 [Notes abrégées sur les artisans métallurgistes et fabricants de garnitures de sabre de notre pays] de Tsunashirô Wada和田維四郎 (1856-1920) qui lui permit de résoudre des questions liées à l’authenticité de certaines pièces. Il rédigea un long commentaire sur cet ouvrage en japonais pour le Bulletin de la Société franco-japonaise de Paris et l’Ostasiatische Zeitschrift, dont une traduction anglaise devait paraître 82 ans plus tard dans une revue californienne publiée par le Northern California Japanese Sword Club.

Le 4 août 1914, juste après la déclaration de Guerre, Tressan quitta Rennes pour le front. En menant sa campagnie à l’attaque, il fut tombé et aurait dû être recueilli dans une ambulance allemande. D’après un article du  Journal Officiel (24 octobre 1914), il « a repoussé toutes les attaques ennemies pendant 4 jours et 4 nuits et n’a pas perdu un point de ses positions ». Les revues Ostasiatische Zeitschrift (januar-märz 1915) ainsi que Bulletin de la Société franco-japonaise de Paris (janvier-septembre 1916) annoncèrent sa disparition avec une douloureuse sympathie.

Constitution de la collection

Bien que la collection de Tressan soit dispersée « dans son entier » au moment de la vente en 1933 à l’Hôtel Drouot nous pouvons en saisir les caractéristiques à travers ses écrits, le catalogue de la vente ainsi que les circonstances historiques de la collection des objets d’art japonais. Parmi les pièces métalliques qui composent la monture de sabre japonaise, il y a le tsuba (garde), le kozuka (petit couteau inséré dans un côté du fourreau) et le kōgai (sorte de poinçon glissé de l’autre côté) et le fuchi-kashira (une combinaison de deux composants métalliques attachés à la poignée). À l’époque d’Edo (1606-1867), non seulement dans la classe des samouraïs mais aussi chez les bourgeois, à qui le port d’un sabre était désormais autorisé, les hommes de goût recherchèrent des montures qui rivalisaient d’inventions. Ils commandèrent un ensemble de montures dotées de dessins recherchés et comportant des matières précieuses. Néanmoins dans l’Europe de la seconde moitié du 19ème siècle, ce sont les tsuba en fer qui furent principalement importées et collectionnées, car elles permettaient probablement de réaliser des bénéfices aux marchand. Tressan commença sa collection de gardes de sabres japonais à l’âge de 25 ans. Méthodique, il consacrait une fiche à chaque œuvre acquise (Après son décès, les fiches ont été reliées en deux volumes et intitulées Catalogue de la collection du Marquis de Tressan. La copie de chaque tomes se trouve à la Bibiliothèque du Musée Guimet, 70613.113/V). Sur de nombreuses fiches, Tressan note qu’il achète l’objet dans le magasin de Florine Langweil (1861-1958). Il acquit, par ailleurs, en 1911 une partie de la collection de Tadamasa Hayashi (林 忠正, 1853-1906), marchand d’art japonais à Paris qui était lui-même collectionneur de tsuba.

Sa prédilection pour ces objets l’entraîne vers les œuvres dites archaïques qui représentent à ses yeux l’esprit du samouraï. A ce point, son goût provient du même terreau que le mouvement qui a fait connaître en Occident les goûts du Japonais cultivé de l’ère Meiji (1868-1912). Cependant, dans un but scientifique, Tressan réunissait plusieurs types d’œuvres, les déchiffrait et précisait leur historicité. Sur tous les plans, que ce soient les décors, les techniques ou les lieux d’origine, toutes les variétés sont bien représentées. Dans la collection de Tressan nous voyons par exemple les tsuba en fer ajourées du type appelé katchûshi-tsuba (tsuba d’armuriers) et créées à Akasaka (quartier d’Edo). Nous trouvons également des tsuba incrustées d’or des régions de Kaga, Yamashiro, et Hizen. Et encore des œuvres des écoles des Myôchin, Shôami et d’Umetada. Il collectionna également des gardes de sabres plus raffinées et élaborées du XVIIIe et XIXe siècles, telles des montures incrustées d’or et d’émaux des écoles de Hirata et de Gotô.