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Commentaire biographique

Né dans un milieu aristocratique légitimiste de la Marne, le baron Joseph de Baye fait ses études au lycée de la rue de Vaugirard, à Paris. C’est à tort qu’on lui attribue parfois le titre de comte de Saint Laurent, qui a été en fait transmis à son frère, Jean de Baye (1857-1930). C’est par son cousin, Louis-Charles de Fayolles, comte de Mellet (1804-1882), que Joseph de Baye s’est intéressé à l’archéologie suite aux ramassages réguliers d’outils préhistoriques. Cette collecte s’est principalement faite en accompagnant son père à la chasse sur les terres du plateau de La Vieille Andecy, à Villevenard (Brisson A. et Guillaume P., 1964). Il en est donc arrivé très rapidement à tenter de vouloir répondre à la question suivante : qui étaient ces hommes et ces femmes ayant laissé tant d’outils dans les proches environs du château parental (Brisson G., 1964) ?

Au cours de sa vie, il va traverser trois périodes d’activités distinctes. La première est consacrée à l’archéologie champenoise et à l’enrichissement d’une collection régionale par une suite de fouilles et d’achats. Elle aboutit à la donation à l’État, pour le musée d’Archéologie nationale, de sa collection d’antiquités préhistoriques, celtiques, gallo-romaines et mérovingiennes en 1906 et à l’inauguration, dans ce même musée, d’une salle portant son nom le 21 janvier 1909. La deuxième période est celle tournée vers la Russie. Elle s’accompagne chaque année d’une mission sans frais du ministère de l’Instruction publique. La dernière période est celle de l’homme âgé, malade et diminué. Elle suit son retour de Russie et, malgré les efforts du baron, ne peut plus être aussi productive que les précédentes.

La période champenoise

Elle débute en 1871 et s’achève en 1890. Le baron de Baye fait ses toutes premières armes sur des sites archéologiques celtiques, gallo-romains et mérovingiens (Morains, Aulnay-aux-Planches, Connantre, Broussy-le-Grand) explorés en partie par d’autres avant lui autour des marais de Saint-Gond. Puis, accompagné de son précepteur, l’abbé Louis Alphonse Bordé (1824-1899) (Charpy J.-J., 2013), il cherche, dans un premier temps sur les terres familiales (Villevenard, « Le Chenail ») puis en d’autres villages. C’est une information parvenue par le bouche à oreille qui lui permet de commencer à explorer, en mars 1872, une première nécropole à hypogées à Courjeonnet (« La Pierre Michelot »), en limite de Villevenard, sur la propriété d’Eugène Ferrat. Quelques semaine plus tard, il œuvre à Coizard-Joches (« Le Razet »), où il met au jour le plus grand cimetière de ce type, contenant au moins trente-sept monuments (hypogées). C’est ainsi que, jusqu’en 1873, il fouille plus d’une centaine d’hypogées néolithiques à Courjeonnet (« Les Houyottes »), à Villevenard (« Le Bas des Vignes » et « Les Ronces »), à Oyes (« Au-dessus du Moulin »), et d’autres encore en un lieu mal localisé de cette commune et enfin à Vert-la-Gravelle (« La Crayère »). C’est cependant à tort qu’on lui attribue la découverte de sépultures collectives dans le village de Baye. Conscient de l’intérêt que représentent ces monuments pour la science archéologique, il réunit les fonds et acquiert les parcelles de deux sites, aujourd’hui classés monuments historiques : Coizard-Joches (« Le Razet ») et Courjeonnet (« Les Houyottes »). Ce sont précisément les cimetières ayant livré des sculptures (haches polies emmanchées et figurations humaines) en bas-relief taillées dans la craie.

C’est donc un jeune autodidacte de moins de vingt ans qui met au jour le plus vaste ensemble de monuments funéraires néolithiques creusés dans le substrat crayeux de la Marne. Les ossements recueillis (crânes et os longs) sont envoyés à Paris auprès des spécialistes de l’anthropologie (collection au musée de l’Homme) afin que cette science naissante apporte son lot d’informations. Ce geste illustre la pensée novatrice du baron de Baye. Dans le même temps, ses parents, d’abord réticents à ce genre de recherches, vont l’aider en faisant réaliser des travaux dans l’aile nord du château afin de pouvoir abriter dignement les trouvailles de leur fils puis d’accueillir les participants au Congrès archéologique de France, tenu à Châlons-sur-Marne en 1875, pour lequel l’un des organisateurs n’est autre que le comte de Mellet. Afin de mieux faire connaître les collections, le musée est ouvert à qui en fait la demande. Il voit ainsi passer les plus grandes sommités européennes de l’archéologie préhistorique.

L’année 1880 marque un tournant avec la fin active des recherches de terrain. Le baron se repose sur quelques personnes de confiance formées à son contact et dont il apprécie la probité. Les années qui suivent sont surtout celles d’acquisitions faites auprès de paysans. Elles lui sont signalées par son réseau constitué dans le milieu catholique. C’est par ce biais que sont entrés au musée de Baye tous les objets de provenance éloignée de la région des marais (vallée de la Marne, secteur Reims, Châlons ou Suippes). Le jeune baron synthétise ses recherches néolithiques dans une monographie, L’Archéologie préhistorique (de Baye J., 1880 ; 1888). Mais son intérêt se porte aussi sur la période mérovingienne, civilisation considérée par l’aristocratie comme fondatrice de la France de l’Ancien Régime ; elle est aussi celle qui voit les débuts de la diffusion du christianisme dans les campagnes. Le mobilier mis au jour dans les tombes du haut Moyen Âge explorées à Joches, Villevenard ou Oyes n’ira pas sans interférer, dans la seconde période de sa vie, lorsque le baron découvrira celui attribué au peuple des Goths. Il ne dédaigne pas non plus faire procéder à quelques recherches dans les nécropoles gauloises, dont le nombre fait la notoriété de la Champagne dans la seconde moitié du XIXe siècle. Il effectue nombre d’achats (Charpy J.-J., 2013), dont les ensembles lorsqu’ils existent sont cependant souvent beaucoup moins fiables (tombe dite de La Cheppe, la tombe à char de Flavigny, Marne) que ses travaux personnels (de Baye J., 1891 ; Charpy J.-J., 2017 ; 2018 ; 2019).

Joseph de Baye abandonne l’archéologie régionale, voyant le milieu scientifique préhistorique le lâcher en raison de son interprétation d’une partie des hypogées néolithiques comme étant des habitations (de Baye J., 1880 ; 1888). Dans le domaine de la protohistoire, il écrit que le torque était porté par les hommes (de Baye J., 1886) en fondant son raisonnement sur les représentations figurées de divinités gauloises et sur les sources antiques écrites. Face aux fouilles de ses contemporains, il émet l’avis suivant : « Les pièces anatomiques qui se trouvaient dans les tombes ont été négligées. Sur ces faits peu nombreux, imparfaitement constatés par des hommes dont plusieurs étaient sans expérience, quelques archéologues ont conclu que le collier était un ornement exclusivement réservé aux femmes » (de Baye J., 1886). Ses positions tranchées ont pesé plus lourd que ses apports réels, qui de ce fait ont été délaissés. Il est évident que son caractère touche-à-tout, bien perceptible dans ses travaux, a favorisé la mise en lumière de certaines de ses carences. Cela transparaît de temps à autre dans les échanges conservés. Citons Émile Cartailhac (1845-1921), qui, dans une lettre du 26 juin 1890, lui écrit : « Même vous qui faites un travail pour combler les trous de la théorie Bertrand, vous n’avez pas lu les ouvrages concernant le Midi » (AM Épernay). Ces exemples offrent une bonne idée de l’entêtement du personnage dans un schéma de pensée qu’il s’est lui-même construit parfois sur la marge des résultats obtenus par ses confrères. À la suite des reproches exprimés même par ses amis (Gabriel de Mortillet [1821-1898], Émile Cartailhac), il choisit de s’exclure de la recherche archéologique nationale, et ce n’est que très lentement qu’il en tire les leçons. Néanmoins, on retiendra de son activité champenoise qu’on lui doit un considérable apport à la connaissance de la période reconnue aujourd’hui comme le Néolitique récent (3500-2900 avant J.-C.) tant par la description des monuments funéraires que par leurs publications, même si celles-ci présentent les défauts de l’époque. Il faut ajouter à ce premier constat sa pratique de l’archéologie expérimentale, comme il en fait la démonstration par la fabrication des flèches à tranchant transversal. On doit encore souligner son souci de voir conforter les résultats de ses études de terrain par la toute jeune science anthropologique, avec les études des ossements qu’il propose au Muséum d’Histoire naturelle de Paris. Enfin, il faut signaler qu’il est probablement le premier à avoir fouillé, dès 1872, une minière d’exploitation de silex à Coizard (« La Haie Jeanneton »).

La période russe

Elle débute en janvier 1890 avec la participation du baron de Baye au Congrès archéologique de Moscou et s’achève avec son retour en France à l’automne 1920. On s’est longtemps interrogé sur les causes du revirement qui le conduisent à regarder vers la Russie. Plusieurs facteurs sont à envisager. En premier lieu, il faut évoquer son souci de trouver une origine à certaines pièces néolithiques, telles les haches polies, dont la nature de la roche est exogène à la région. À cela, il faut ajouter sa participation à de nombreuses rencontres scientifiques : elles lui ont permis d’entrer en contact avec des collègues russes (la comtesse Ouvarova, le comte Bobrinskoy). Un autre ancrage avec l’Empire russe se produit alors qu’il travaille sur la période des invasions et qu’il découvre le parallélisme évident entre des fibules de Kertch et celles mises au jour en Champagne et dans d’autres pays. Reprenons ses propos : « Les archéologues, guidés par de nombreuses fouilles faites partout, commencent à diriger leurs recherches vers le point de départ de l’industrie propre aux peuples envahisseurs du IVe au VIIIe siècle » (de Baye J., 1888). En second lieu, il faut aussi retenir les relations de sa famille avec les milieux russes et les hauts dignitaires de la cour impériale fréquentant Paris. Il est à mentionner que le grand-père, le père et l’oncle du baron sont des membres permanents, au moins depuis 1864, du Cercle de l’Union (Charpy J.-J. et Danilova O., à paraître), qui rassemble l’élite royaliste française ; ce club accueille aussi des représentants du régime tsariste. Une autre raison existe, même si elle paraît à première vue anecdotique. Elle concerne les liens étroits existant entre les familles de Baye et Galitzine, comme le montre clairement un courrier daté du 17 octobre 1868 (APR) écrit par le jeune baron à son père : « Moi qui aimais tant les Galitzine, certes après ma famille, c’étaient eux que j’aimais le plus. » À l’acceptation très rapide du baron parmi l’aristocratie russe viennent s’ajouter aussi son rang et les distinctions reçues pour ses travaux des cours d’Espagne (1877), d’Italie (1880), du Portugal (1881), de Roumanie (1882) et même du Vatican (1882).

En se tournant vers la Russie, il retrouve aussi une ambition d’adolescent, celle d’exercer une fonction diplomatique. Il exprime ce souhait dans une lettre non datée (circa 1868) adressée à Amélie de Böhm, sa grand-mère. Le passage est bref et clair : « La diplomatie, je tiens toujours à cela ; je ne rêve que de cela, être employé dans les ambassades : au moins on est utile à son pays et c’est déjà beaucoup et c’est si agréable de voyager, voilà un moyen de s’instruire, d’embellir la France. […] Oui, j’espère être utile à mon pays, et j’y tiens beaucoup. Comme cela on sert à quelque chose et on rend son nom immortel ! » (APR). Au-delà de la pointe d’orgueil que manifeste le propos, il est aisé de percevoir l’homme que le baron est devenu par la suite. Déjà perce le sens de son action et il correspond à ce qu’il a réalisé au cours de ses années d’activité. Il a œuvré à faire connaître la Russie : culture, art, industrie, histoire, archéologie, géographie, légendes… Il est fier de pouvoir illustrer le pays qu’il considère comme sa seconde patrie – ce qu’il aime à dire et à écrire. Tel est l’objectif envisagé par les expositions d’objets rapportés, par ses publications, par ses nombreuses conférences, par ses articles de presse, etc. Les mêmes principes valent quand il offre au Musée historique impérial de Moscou des souvenirs des manœuvres militaires de Kronstadt et de Toulon, ou bien quand il aide la princesse Tenicheva (1858-1928) à organiser une exposition des peintres russes à Paris.

Ses premiers séjours dans l’empire sont liés à sa participation à des congrès archéologiques. Il met ces opportunités à profit pour visiter les musées, enrichir sa connaissance et nouer des liens avec de nouveaux confrères. C’est après quatre années de maturation qu’il se propose de voyager plus loin dans le pays en allant vers l’est, au-delà de l’Oural, mais des raisons de santé contrarient ses projets. C’est après avoir accompagné le comte S. D. Cheremetev (1844-1918) au Caucase que le baron prend goût à ces contrées qui lui offrent un climat plus favorable : par la suite, chaque séjour s’achève par un passage plus ou moins long en Géorgie. Les missions qui lui sont accordées sont toutes motivées par des études archéologiques et ethnographiques dans l’empire, avec pour thème la Russie orientale et la Sibérie de 1895 à 1897, le Caucase de 1898 à 1901 et en 1903, l’Ukraine en 1902, la Lituanie en 1904 et la Crimée en 1905. Cette dernière mission est cependant écourtée du fait des événements politiques et de l’insécurité. Elle marque aussi la fin des voyages considérés comme « d’exploration ». Lors de ses déplacements, Joseph de Baye profite de ses appuis scientifiques (Savenkov, Polivanov, Tolstoï), politiques (invitation du prince Bariatinsky au Daghestan, du prince Mirsky en Lituanie), techniques (G. O. Clerc ou Valouïev en Sibérie) pour organiser ses périples. Il est donc aidé et accompagné tout au long de ceux-ci : le baron n’est pas un explorateur au sens premier du terme mais un voyageur. Par ailleurs, il ne faut pas négliger les conseils de son ami le comte S. D. Cheremetev, comme le confirme une lettre du 29 mars 1898 dans laquelle Joseph de Baye écrit au ministre français de l’Instruction publique que « le comte Cheremetev a écrit au ministre [russe] pour dire qu’il s’engageait à faciliter [s]es recherches et à [l]’accompagner » de Moscou à Arkangel (AN, F 17/2936 B).

Cette relation d’amitié étroite contribue à faire planer des réticences au sein du comité du ministère de l’Instruction publique qui attribue les missions. D’autre part, les comptes rendus quelque peu généralistes qu’il a fait des congrès archéologiques ont aussi participé à faire émettre par certains des réserves sur son action. Ceci se perçoit lorsqu’il demande, en 1895, l’autorisation de se rendre dans l’Oural. Alexandre Bertrand (1820-1902), directeur du musée des Antiquités nationales, sans méconnaître le zèle du baron ne trouve pas que ses travaux antérieurs en Russie doivent motiver une mission officielle pour « entreprendre dans ce pays des fouilles archéologiques. D’ailleurs les objets recueillis ne parviendraient pas tous dans nos musées, les fouilleurs mercenaires ayant là-bas l’habitude de conserver pour eux les spécimens les plus intéressants ». Et on lit plus loin que, lors de la séance du 10 juillet 1893, Alexandre Bertrand, dans une note relative au congrès de Moscou d’août 1892, émet l’avis suivant : « Il paraît superflu de publier le compte rendu de M. de Baye » (AN, F 17/2936 B). Le baron se voit ainsi opposer des reproches dont les causes remontent, pour une part, à ses positions tranchées que l’on a déjà évoquées, mais aussi à une forme de rivalité, qui sera encore plus flagrante avec Salomon Reinach (1858-1932).

Contrairement à ce qu’on peut lire quelquefois, ce sont bien des événements familiaux douloureux, le procès contre son frère pour rendre caduc le testament de sa mère, l’échec de cette procédure puis les difficultés pour racheter à son frère le château ancestral de Baye, qui le conduisent à rester en France en 1906. Les missions qui vont suivre, de 1907 à 1914, sont orientées vers des recherches plus littéraires (de Baye J. et Girardin F. de, 1912) ou historiques (de Baye J., 1908 ; 1909) faute d’aisance financière. Celles-ci sont en partie suggérées par le comte S. D. Cheremetev autour de ses nombreux biens et de ses archives. Puis le baron se consacre avec un fort engagement, non sans de nombreuses difficultés, à la création d’une collection française pour le projet de musée consacré à la bataille de Borodino en 1812.

Les dernières et longues années passées en Russie consécutives à son impossibilité de revenir en France pour raison de guerre vont terriblement éprouver Joseph de Baye. Il souffre de l’éloignement des siens, de savoir sa femme et sa fille cadette œuvrer dans des ambulances militaires près du front, de voir évoluer et se développer son cancer malgré des soins de plus en plus lourds. Jusqu’en 1917, il ne change guère ses habitudes de vie, sauf à subir comme tout un chacun les restrictions dues au conflit. Il n’a plus guère de goût pour la recherche. C’est sur une demande de la comtesse Ouvarova (1840-1924) qu’il s’adresse à ses amis français pour constituer un fonds documentaire photographique sur les exactions de l’armée allemande en Belgique et en France. Cet appel reste quasi sans effet. Il réorganise alors le projet en une série de cinq conférences sur les causes et les conséquences de la guerre. Elles constituent un plaidoyer à la charge du Reich qu’il publie. Avec la révolution d’Octobre et les changements politiques qui s’ensuivent, la situation du baron se dégrade tant au plan physique que psychique. Il connaît deux hospitalisations et est soumis à des soins nécessaires tous les deux jours. Contraint de vendre ses effets personnels, il gagne quelque argent en peignant des cartes postales. Dans cette période troublée, il subit comme d’autres Français des humiliations et deux arrestations, et voit avec grand chagrin mourir son ami le comte Cheremetev sans pouvoir lui apporter aucune aide. C’est le prince Chtcherbatov qui lui sauve la vie en obtenant l’autorisation de le loger au Musée historique de Moscou et en lui faisant allouer une somme pour l’aider à rembourser ses dettes médicales en échange d’un travail sur les Goths. Le baron de Baye quitte définitivement Moscou à la fin du mois d’août 1920 et est rapatrié sanitaire via Stockholm où il est hospitalisé, après un mois de quarantaine à la frontière finnoise, avant de revenir en France et d’arriver à Paris dans la nuit du 5 au 6 octobre.

Les voyages en Sibérie

Ils sont au nombre de trois. Le baron de Baye en a donné des résumés détaillés par des descriptions de monuments, de paysages, de populations, de croyances et légendes, etc. Ces voyages sont directement liés à ses conférences données à la Société de géographie de Paris (de Baye J., 1896a ; 1897 ; 1898) et reflètent pleinement le carnet du voyageur qu’il a été. Aussi n’est-on point étonné que, le 15 avril 1897, il lui est demandé par Paul Boyer « de bien vouloir indiquer au comité des précisions sur l’objet de sa mission, de lui fournir les indications utiles pour son voyage, de l’entretenir du plan d’exécution des fouilles qu’il compte faire et où il y a intérêt à les pratiquer » (AN, F 17/2936 B). Lorsque le baron évoque la Sibérie, il dit « ne pas pouvoir séparer archéologie et ethnographie tant ces deux sciences s’éclairent mutuellement dans le pays » (AN, F 17/2936 B) et que « l’étude des antiquités et des populations locales vous conduit vers l’Asie » (de Baye J., 1896a). La lecture de ses comptes rendus permet de comprendre que chaque voyage marque une progression vers l’Orient qui l’a conduit jusque sur les rives du Ienisseï. Un opuscule complémentaire constitue le catalogue de l’exposition des objets rapportés du premier séjour (de Baye J., 1896b). Malheureusement, une congestion pulmonaire contractée en mars 1897 accentue la grande fragilité respiratoire de Joseph de Baye et c’est sur avis médical qu’il se voit contraint d’abandonner la Sibérie pour se tourner vers le Caucase. Il est à remarquer que la première photographie signée du baron est publiée pour illustrer son opuscule De Penza à Minoussinsk (de Baye J., 1898 ; Charpy J.-J., 2018) par les maisons des colons à la station d’Oubinskaïa.

La tentative de retour à des études

La fatigue, les privations connues en Russie et surtout la maladie ont fortement amoindri Joseph de Baye physiquement et intellectuellement. Son réseau scientifique n’est plus et ses appuis au ministère de l’Instruction publique sont beaucoup plus réduits. Des soucis familiaux viennent alourdir sa situation. Après deux années difficiles, il ne trouve plus la force que de travailler sur le sujet des carreaux historiés du Moyen Âge et tente un petit retour sur l’archéologie champenoise. Il met aussi ses dernières forces dans l’aide aux émigrés russes et dans un soutien au gouvernement géorgien en exil. Il se lance tout de même dans un projet, né chez lui bien avant la guerre, celui de créer un musée d’Art russe. Pour ce faire, il s’adresse à la paroisse orthodoxe Saint-Serge de Paris, mais la tentative échoue. Pour de multiples raisons, les collections sont versées à l’Institut des études slaves (APR). Sa fille Yolande donne, quelque temps après le décès de son père en 1931, un petit complément d’archives à l’Institut, et un autre à la Bibliothèque nationale puisé parmi les documents restés au château de Baye.

Constitution de la collection

Une salle servant de galerie/musée est aménagée au château de Baye pour le congrès de la Société française d’archéologie de 1875 (APR). Le jeune baron y réunit toute sa collection, qui couvre déjà toutes les périodes du Paléolithique au Moyen Âge. Déshérité par sa mère en 1892, Joseph de Baye se voit obligé de céder le fruit de ses recherches. La donation est acceptée par l’État en 1906. Lorsqu’ensuite le baron rachète le château à son frère, il décide de faire de la galerie le lieu de présentation, pour une part, de ses collections rapportées de Russie et, pour une autre part, d’y réunir les souvenirs familiaux.

Il est bon ici de revenir sur les conditions et les principes qui ont prévalu pour la constitution du fonds russe lors de ses voyages antérieurs à 1898. Joseph de Baye n’a presque rien gardé à l’exception de quelques fragments d’objets (un taillant de hache polie d’Elabouga, quelques tessons du lac Chighir). On comprend donc que les collections rapportées de Sibérie ont été intégralement versées dans les collections d’État, au musée du Trocadéro et/ou au musée des Antiquités nationales, au musée Guimet, au Muséum d’Histoire naturelle. C’est à l’occasion des déplacements postérieurs qu’il va se constituer un fonds personnel russe, principalement fait de pièces venant du Caucase et d’Ukraine. Celles-ci se composent d’objets artisanaux, de bijoux, de tissus anciens et de dentelles, de céramiques, d’éléments de géologie, voire de pièces archéologiques qui lui sont remises personnellement. Il fait preuve d’une très grande probité vis-à-vis des objets qui lui sont remis pour enrichir les musées français. Une note dactylographiée, datable de 1929, issue d’archives privées, fait état des dons suivants : « Muséum d’Histoire naturelle, antiquités de l’âge de pierre et des métaux du Caucase, de Sibérie et de l’Oural. Musée d’ethnographie du Trocadéro, collections ethnographiques de Sibérie et de populations riveraines de la Volga. Une salle doit leur être consacrée et porter le nom du marquis de Baye. Musée Guimet, idoles de Sibérie. Musée Cernuschi, argenterie ancienne russe, collection de croix et d’icônes russes, collection de cadenas et collection de parures du Daghestan. Musée des Antiquités nationales à Saint-Germain-en-Laye, antiquités provenant des fouilles en Champagne, gauloises, gallo-romaines et mérovingiennes [il oublie celles préhistoriques et néolithiques]. Antiquités de Scandinavie et de différentes localités de Russie d’Europe et d’Asie pour la salle de comparaison. Musée du Louvre, collections de poteries provenant des steppes au pied du mont Ararat (Asie Mineure) et du Caucase. Musée de Reims, section préhistorique, antiquités préhistoriques de Champagne. À l’heure présente, [le marquis de Baye] s’occupe de la fondation d’un musée russe à Paris, dont les collections importantes, provenant de missions en Russie, se trouvent à l’Institut des études slaves de l’Université de Paris. » Ce sont les collections du fonds russe qui font l’objet d’un vol par les troupes hanovriennes cantonnées au château de Baye pendant les premiers jours de septembre 1914 ; un reportage réalisé le 1er octobre par Albert Chevojon (1864-1925), photographe parisien, fait état des dégradations dans les vitrines du musée et dans les pièces du château. Les derniers biens de valeur (effets personnels, objets et petit mobilier) sont vendus en enchères publiques, au château de Baye, dans les années 1934 à 1936.

La collection d’archéologie régionale de Champagne est conservée au musée d’Archéologie nationale, à l’exception du fonds médiéval, qui a été dispersé. Les ossements des sépultures mises au jour ont été donnés à la Société d’anthropologie de Paris et devraient donc se trouver au Muséum national d’Histoire naturelle. Ce fonds régional vaut pour les fouilles que de Baye a dirigées et est sujet à réserve pour l’authenticité des contextes des pièces acquises.

Les collections rapportées de Russie ne sont pas le fruit de ses recherches mais de dons qui lui ont été faits par des personnalités dans les différents lieux où il est passé. Elles ont été déposées au musée d’Archéologie nationale, au musée Guimet, au musée du Trocadéro, au musée national de Sèvres.

Le fonds de De Baye se compose aussi d’archives et de photographies acquises ou personnelles qui ont été données à de nombreuses institutions (BNF, fonds Société de géographie, Institut des études slaves, musée d’Archéologie nationale, musée d’Épernay, musée de Reims) ou qui ont fait l’objet, depuis 2006, d’acquisitions d’albums photographiques (musée du quai Branly – Jacques Chirac, musée d’Archéologie nationale, musée d’Épernay, archives départementales de la Marne).

La collection concerne aussi la Russie puisqu’il a donné un fonds d’objets commémorant les manœuvres militaires de Kronstadt et de Toulon, puis un fonds français pour illustrer la campagne napoléonienne de Russie, mais aussi quelques objets archéologiques de Champagne.

Cette collection est représentative du personnage, qui se définissait lui-même comme un « touche-à-tout ». Ses choix, beaucoup trop orientés vers des acquisitions récentes, illustrant par exemple l’activité artisanale ou industrielle du moment, n’ont bien souvent pas retenu l’intérêt des responsables des institutions muséales puisque n’ayant pas d’ancrage dans l’histoire, ou dans ce qu’il est convenu de nommer l’histoire de l’art. C’est maintenant, avec le recul d’un siècle, que ces pièces prennent une plus grande valeur.

Voyages de Joseph Berthelot