Skip to main content
Lien copié
Le lien a été copié dans votre presse-papier
Estampe d'Utamaro représentant une sauterelle posée sur un tuteur au milieu de fleurs roses et violettes.

DESOYE Louise et Emile (FR)

Commentaire biographique

Le magasin « E. Desoye », situé au 220, rue de Rivoli à Paris, était considéré comme légendaire pour les premiers japonistes tels que James Whistler (1834-1903), Edmond (1822-1896) et Jules (1830-1870) de Goncourt et James Tissot (1836-1902), qui ont identifié cette boutique comme la première en France à se spécialiser dans des objets importés directement du Japon et comme une « école » pour ceux qui s’intéressaient au Japon (Goncourt de E. Goncourt de J., 1989, 31 mars 1875). Proposant d’abord des costumes, livres et laques rapportés d’un voyage au Japon, les Desoye importent ensuite toutes sortes d’objets (ivoires, émaux, armes, figurines, paravents) qu’ils vendent au Tout-Paris (Emery E. 2020). On compte parmi leurs clients des écrivains et artistes tels que Charles Baudelaire (1821-1867), Dante Gabriel Rossetti (1828-1882) et son frère William (1829-1919), Laurent Bouvier (1840-1901) et Henri Fantin-Latour (1836-1904), et des collectionneurs comme Auguste Lesouëf (1829-1906), Adolphe Thiers (1797-1877) et Clémence d’Ennery (1823-1898). Il ne faut surtout pas confondre l’établissement des Desoye au 220, rue de Rivoli, spécialisé en objets japonais, avec d’autres magasins de curiosité (« A la Porte chinoise », « La Jonque chinoise ») comme c’est souvent le cas.

Nous savons peu de choses de la vie du couple Desoye avant leur mariage le 28 avril 1863, année où le nom de leur établissement, E. Desoye, apparaît pour la première fois dans le Bottin (l’annuaire-almanach de commerce). M. Desoye est évoqué comme « rentier » dans l’acte de mariage avec une résidence partagée entre Port-à-l’Anglais et la rue de Rivoli à Paris (AD 94, 1MI/1032). Leur contrat de mariage le dit « négociant » et évalue leur fonds de commerce « d’objets de curiosités » à 80.000 francs (AN, MC/ET/RE/II/1127). Fils de Pierre Joseph De Soÿe, un cocher d’origine hollandaise et de Marie Catherine Latine, tailleuse, Jean Baptiste Desoye est né à Bruxelles le 2 novembre 1811 (AEB, État civil, 1811, 2462) et mort à son domicile le 7 janvier 1870 au 220, rue de Rivoli (AP, V4E00098). En 1844, lors du mariage de sa sœur, il exerce le métier de maître d’hôtel à Bruxelles (AEB, Acte de mariage, 1844, 116). Nous ne savons rien d’autre de sa vie entre 1844 et 1862 à part un séjour au Japon avant 1862 (L.R., 1863).

Fille d’une mère célibataire (Marie Barbe Richard) et d’un père, Joseph Chopin, qui la reconnaîtra en 1837, Louise Mélina Chopin est née à Mangiennes (Meuse) le 20 avril 1836 (AD 55, 2E324 9). Ses parents meurent respectivement en 1840 et 1841. Reconnue, dès son contrat de mariage avec Jean Baptise Desoye (AN, MC/ET/RE/II/1127), comme partenaire dans leur commerce, elle semble avoir pris la direction du magasin suite à la longue maladie qui emportera son époux en 1870 (AN, MC/ET/RE/II/1167). Ceci expliquerait ainsi l’attribution fréquente de ce magasin à « Mme Desoye ». Le magasin « Veuve Desoye » au 220, rue de Rivoli ne disparaitra du Bottin qu’en 1888.

En 1874, Louise Desoye se remarie à Joseph Auguste (« Maurice ») Lasmolles, inspecteur de la Compagnie des assurances maritimes ; leur contrat de mariage accorde à Louise le droit de continuer à gérer son commerce (AN, MC/ET/II/1184). Le couple s’installe à Asnières dans la maison achetée par le couple Desoye en 1869 juste avant la mort de Jean Baptiste. Louise Desoye Lasmolles a eu trois enfants : une fille, Berthe Gabrielle Desoye, née le 15 août 1867 (AP, V4E 67), puis Louise Céline Lasmolles, née le 29 décembre 1874 (AP, V4E 2513) et Maurice Gaston Lasmolles, né à Asnières le 7 septembre 1876 (AD 92, ASN109).

Malgré des sources qui évoquent la présence des Desoye en Asie avant 1863 (L.R., 1863 ; Burty P. 1877 ; Rossetti W. 1903) il n’y a pas, à ce jour, de trace tangible de leurs activités au Japon. Leurs premiers clients, tels que Philippe Burty (1830-1890), parlent d’un passage au Japon et de leur connaissance de la langue et la culture japonaises (Burty P., 1877 ; Burty P., 1880). De plus, une lettre de Mme Desoye envoyée à Edmond de Goncourt en 1884 revendique son statut de « première importatrice des beaux objets [japonais] » (BNF, N.A.F. 22460, folios 302 à 303r). En effet, si M. et Mme Desoye participent activement aux milieux professionnels japonisants (ventes, expositions) dans les années 1860, c’est Mme Desoye que les clients comme Burty et Rossetti reconnaissent comme « experte ». En effet, c’est elle qui leur explique la signification des albums japonais, leur raconte des histoires, leur apprend à prononcer des mots japonais et les met en contact avec d’autres amateurs d’objets japonais (Burty P 1877 ; Rossetti W. 1903 ; Emery E., 2020).

Constitution de la collection

Un des petits-fils de Mme Desoye a gardé le souvenir d’une « maison chinoise », édifiée dans le jardin de la propriété de sa grand-mère à Asnières, où elle conservait des armures, des armes, des vases et autres objets précieux asiatiques. Sa fille, Louise Céline, en a, semble-t-il, récupéré une partie. En effet, l’appartement parisien de cette dernière était tellement rempli d’objets japonais et chinois que ses petits-enfants avaient l’impression de voyager en Asie. Malheureusement, cette collection semble avoir été dispersée à sa mort en 1942 (Emery E. et Huet M. 2019, s.c.).

À en juger par des articles, des procès-verbaux des commissaires-priseurs, et des souvenirs de leurs clients datant des années 1860, les Desoye furent les premiers parisiens à se présenter comme spécialistes d’objets japonais et ils visèrent un public d’artistes et de touristes (L.R. 1863 ; Rossetti W. 1903 ; Emery 2020). Cette spécificité était notamment indiquée sur les étiquettes et les factures et répétées dans des textes publicitaires comme ceux du Guide de l’étranger à l’Exposition de 1867 (Emery E., 2020). Ils seraient revenus du Japon en 1862 avec une « belle collection d’armes, d’étoffes, de peintures et d’objets de toutes sortes » qu’ils auraient exposé au public (L.R., 1863, p. 217). En achetant lors des ventes aux enchères parisiennes des objets japonais—laques, boîtes en ivoire, costumes et figurines—venant des collections des voyageurs et militaires ayant vécu en Chine (comme celle d’Eugène Louïrette en 1864), ils ont pu augmenter leur stock.

En 1883, Mme Desoye était décrite comme une précurseur — « la providence des japonisants d’alors » — grâce aux estampes, costumes, meubles, et les divers petits objets qu’elle offrait dans son magasin (Josse, 1882, p. 33 ; Burty P., 1880, p. 144). Sa collection n’existe plus mais nous n’avons qu’à regarder les tableaux « japonisants » de James Whistler, James Tissot, et Jean-Georges Vibert (1840-1902) peints dans les années 1860 et 1870 pour y voir des objets étant passés par son magasin. Sa plus grande influence fut, comme le disaient Burty (1880), Josse (1882) et Goncourt (Goncourt de E. Goncourt de J., 1989, 31 mars 1875), d’être parmi les premières à « faire école », à offrir et à expliquer l’importance culturelle et artistique des objets en vente, avant que le japonisme ne devienne un phénomène de masse. Burty, par exemple, note que c’est elle qui lui explique « une série de petits volumes ornés de très-curieuses gravures sur bois » (L’Histoire des chiens célèbres ) qu’il achète chez elle (Burty P. 1872, p. 60) et Edmond de Goncourt la qualifie comme « Une figure presque historique de ce temps, car ce magasin a été l’endroit, l’école, pour ainsi dire, où s’est élaboré ce grand mouvement japonais, qui s’étend aujourd’hui de la peinture à la mode » (Goncourt de E. Goncourt de J., 1989, 31 mars 1875). Elle fut, de fait, comme elle le dit elle-même dans une lettre à Edmond de Goncourt (BNF, N.A.F. 22460), la première importatrice d’objets spécifiquement japonais, dès les années 1860.