BENOIST-MECHIN Stanislas (FR)
Commentaire biographique
Pourvu d’une confortable fortune familiale, Stanislas Benoist-Méchin a pu consacrer une partie de sa vie à de longs voyages dans les pays exotiques. Ancien élève du Collège Louis le Grand (Anonyme, 1883, n° 1, p. 378), Stanislas a tiré profit de son titre du baron hérité de sa mère, Marie-Élisabeth Berthe Benoist née Méchin (1832-1873), elle-même petite-fille du politique Alexandre Méchin (1772-1849) qui en 1809 accéda à la noblesse d’Empire napoléonienne (la famille possédait une copie pour ampliation de 1876 du diplôme d’anoblissement de la famille Méchin : Hermann Historica München, 2007, p. 11). Cette position sociale élevée lui a ouvert de nombreuses portes partout dans le monde et assuré d’être accueilli au plus haut niveau dans tous les pays qu’il a visités. En 1873-1874, alors qu’il est encore très jeune – 19 ans à peine révolus –, Stanislas effectue son premier « Grand Tour » initiatique vers l’Inde, Ceylan, Java, Malacca et la Chine. Le voyage, festif et insouciant qu’il fait en compagnie de deux amis, le vicomte Gouy d’Arsy et Guillaume Jeannel, a été bien décrit par un autre voyageur, Victor Meignan (1846- ?) : pour des raisons dues à un pur hasard, tous parviennent « le même jour à Pékin, presque à la même heure, sans s’être donnés rendez-vous et après avoir suivi les directions les plus différentes », avant de se voir accueillir au début du mois de mai 1874 par Louis de Geofroy, ministre plénipotentiaire à la Légation de France en Chine (Meignan V., 1875, p. 364). En comparant leur voyage à son propre périple, plein de difficultés, à travers la Sibérie et la Mongolie, Meignan écrit : « Pour se rendre de Paris à Pékin, ces trois jeunes voyageurs français n’avaient pas affronté les rigueurs de l’hiver en Sibérie, ni la monotonie du traîneau ou de la voiture chinoise ; mais certes leur odyssée était au moins aussi intéressante que la mienne. Ils avaient visité l’Inde en détail, ils avaient été reçus dans les palais des nababs de ce pays, bien préférables, je pense, à ceux des chercheurs d’or de la Russie asiatique ; ils avaient traqué les bêtes féroces à Ceylan et à Java, chassé l’éléphant dans les forêts vierges de la presqu’île de Malacca […] » (Meignan V., 1875, p. 361-362). Ayant pris goût aux aventures audacieuses, Stanislas Benoist-Méchin repart quatre ans plus tard, en décembre 1878, vers les mêmes destinations, mais cette fois-ci en compagnie du duc de Blacas et du comte Humbert Adrien de Mailly-Chalon (1853-1921). Ce dernier qui n’a rejoint ses amis qu’à Ceylan (Mailly-Chalon H., 1885, p. 5), devient son compagnon de route pour les cinq ans à venir, jusqu’à la fin de l’année 1884. Les amis voyagent très agréablement, avec plaisir et sans aucune obligation, et explorent les labyrinthes de l’Asie sans la surcharge de tâches scientifiques. Ensemble, ils traversent l’Inde (1878-1879), Ceylan (1879) et l’Indochine (1879) où leur activité principale est la chasse exotique ; puis ils séjournent à Canton. Par la suite, de Blacas repart en France tandis que les deux aventuriers se rendent au Japon où ils s’installent pour deux ans (1880-1881) ; à Tokyo, Stanislas Benoist-Méchin remplit alors les fonctions d’attaché culturel à la Légation de France (Hermann Historica München, 2007, p. 11). Après avoir parcouru le pays dans tous les sens (« Deux ans de séjour au Japon ont fait de nous presque des indigènes ; à pied, à cheval, nous avons parcouru toutes les parties de ce ravissant pays » : Mailly-Chalon H., 1885, p. 5), ils décident, en juillet 1881, de revenir en France en traversant de l’est à l’ouest l’Asie alors mal connue. Ils arrivent à Pékin en août 1881 et grâce à l’intervention du Ministre de France en Chine Albert Frédéric Bourré (1838-1914) obtiennent du gouvernement chinois une autorisation spéciale, renforcée par des passeports exceptionnels, pour visiter la Mandchourie jusqu’à Vladivostok, avec une escorte de soldats chinois et l’ordre enjoignant de traiter les voyageurs français avec les plus grands égards (Mailly-Chalon H., 1885, p. 6). Le 15 septembre, après avoir réuni une caravane de vingt personnes dont deux « serviteurs français Mm. Causit et Yvon, douze chevaux de selle et neuf charrettes attelées chacune de trois vigoureux mulets », ils quittent la capitale chinoise en direction de la Mandchourie. Se déplaçant dans des conditions toujours assez confortables, ils se rendent à Niou-Chouang (Changchun) et à Moukden (Shenyang), puis passent le 28 octobre par Kirin (Jilin), avant de remonter la rivière Songhua et redescendre le fleuve Tumen, ce qui, après un parcours de 1400 km en 73 jours, leur permet de gagner Vladivostok où l’expédition arrive le 21 décembre 1881 munie des quelques splendides cadeaux, comme des peaux de tigre ou des étoffes de soie, reçus des administrateurs chinois rencontrés en cours de route (Mailly-Chalon H., 1885, p. 22). Leur itinéraire les conduit ensuite à travers la Sibérie russe par Khabarovsk, Nertchinsk, Blagoveshchensk, Tchita, Irkoutsk et Tomsk où ils participent à la vie mondaine locale pour le programme d’une soirée passée à Nertchinsk en 1882 (Hermann Historica München, 2007, p. 12). Après avoir traversé, au cours de l’été 1882, les steppes « kirghizes » pour gagner Verny (actuellement Almaty), ils s’adonnent à la chasse dans les montagnes des Tian Shan, aux portes du Kashgar et de Kouldja, au moment même où les Russes rendent aux Chinois la province d’Ili. C’est là qu’ils reçoivent du général-gouverneur russe Mikhaïl Tcherniyaev l’autorisation de traverser le Turkestan du tsar. À Tachkent, sa capitale, ils passent six semaines durant lesquelles ils partagent avec Tcherniyaev de nombreuses discussions portant sur tous les projets d’aménagement de la nouvelle colonie, notamment sur le projet de construction d’une ligne de chemin de fer (Benoist-Méchin S., 1885, p. 38-39). Ce séjour est également marqué par la participation à un concours équestre où Mailly-Chalon emporte un prix pour avoir parcouru sur un cheval « indigène » une distance de 2 verstes (env. 2 134 km) en 4 minutes et 10 secondes (Anonyme, 1883, n° 1, p. 378). Ils se dirigent ensuite vers Samarkand qu’ils quittent le 8 janvier 1883 pour Téhéran, avec le regret de ne plus avoir sous les yeux « le surtout vert de l’officiel russe [...], le dernier lien qui [les] rattache à la civilisation ». Par ailleurs, les Français estiment que « pour les indigènes de l’Asie centrale, les Russes ne sont pas des étrangers […]. Le soldat russe vit sur un pied d’égalité avec le Sarte […]. C’est là qu’est la vraie puissance russe ; lorsqu’une ou deux générations de Cosaques et de Sartes auront grandi côte à côte on pourra dire alors que la Russie possède l’Asie centrale […]. Les Russes ont accompli une œuvre [qui …] mérite […] la reconnaissance […] de tous les peuples civilisés » (Benoist-Méchin S., 1885, p. 26, 40-42). Ils poursuivent leur chemin par un très grand froid et, sous la surveillance permanente d’un garde boukhariote, traversent Shahr-i Sabz (Kesh) (fin janvier), Karshi et Boukhara (6-17 février) qui font partie de l’émirat de Boukhara, réduit de facto au statut de protectorat russe grâce, entre autres, à la prise de contrôle du fleuve Zerafshan. L’émir Mouzaffar à qui ils rendent visite, est vu par les Français comme un vrai « prince que les malheurs ont abattu, non abaissé, et l’on comprend que, si les jours de gloire et de puissance sont passés, on n’est pas, devant l’émir, en présence d’une royauté burlesque comme celle d’un roi nègre […], mais bien devant le représentant d’une grande race, devant le descendant direct de Timour et d’Abdullah-Khan » ; la ville-même de Boukhara donne l’impression d’être la ville « la plus musulmane » de la région (Benoist-Méchin S., 1885, p. 29, 33-34). Traversant ensuite le désert, « dans des dunes de sable mouvant », ils franchissent « à pied sec » l’Amou-Darya, « l’Oxus d’Alexandre », recouvert de glace, et passent par Tchardjouï que dirige « un des fils de l’émir […] qui […] ressemblait tout à fait à un prince des “Mille et une nuits” ». De là ils descendent l’Amou-Darya jusqu’au fort russe Petro-Alexandrovsk (Turtkul) (12 mars) et s’installent pour cinquante-deux jours à Khiva, capitale du khanat éponyme et second protectorat russe (Benoist-Méchin, 1885, p. 34-35, 43). Le khan du Khiva, « teint, fardé, recouvert de robe d’or, vivant dans un palais rempli de courtisans, obéissant aux lois de la plus stricte étiquette, représente bien le descendant d’un Louis XIV asiatique. [… il est], grand, fort, l’air bonhomme […], un chef guerrier du moyen âge dont la civilisation n’a pas encore adouci les mœurs ni les manières » (Benoist-Méchin S., 1885, p. 37). L’étape suivante de leur voyage les voit progresser avec une caravane de 85 chameaux et 140 ou 150 cavaliers turkmènes et khiviens (Benoist-Méchin S., 1885, p. 43). Ils traversent le Département Transcaspien de l’empire russe en remontant l’Amou-Daria jusqu’à Kougar (Qongirot) (11 mai) et pénètrent dans le désert de Karakoum par une chaleur « insupportable » et, le 21 mai, « après dix-sept jours assez pénibles », atteignent Merv, un but qu’ils ont voulu atteindre « coûte que coûte » et où, avant eux, un seul Français, Henri de Coulibœuf de Blocqueville (1800- ?), a séjourné en qualité de prisonnier. Pendant les 22 jours que dure leur séjour dans cette ville sous la protection de Kara-Koul-Khan, l’un des chefs les plus puissants des Turkmènes-Tekkés, ils se nourrissent exclusivement de lait de chamelle et de pain d’orge (Anonyme, 1883, n° 1, p. 378 ; Benoist-Méchin S., 1885, p. 25, 45-47 ; Mailly-Chalon H., 1885, p. 6). Selon l’impression qu’ils expriment dans une lettre à Tchernyaev, la population turkmène est si lassée par l’instabilité de la situation politique « que l’oasis de Merv ferait sa soumission sans combat, dans un délai assez rapproché » (Benoist-Méchin S., 1885, p. 48). Sur place ils achètent huit chevaux de « race locale » (l’Akhal-Teke, ou cheval turkmène) qu’ils envoient directement en France. À Merv ils acquièrent également un aigle royal du Turkestan, qui va les accompagner jusqu’à Saint-Pétersbourg avec en plus un « Tatar », Mogamed-Sadyk Feyzuf, qu’ils ont ramené de Boukhara (Anonyme,1883, n° 1, p. 378). La partie la plus dangereuse du voyage est la traversée du Khorasan de Merv, qu’ils ont quitté le 13 juin, à la vallée du Tedjen, puis la forteresse de Sarakhs et enfin Meched où ils sont reçus le 24 juin par Steward, le consul d’Angleterre basé dans cette ville. Le franchissement de la frontière séparant les possessions russes et la sphère d’influence britannique voit immédiatement surgir les discussions sur la question du « Grand Jeu » (Benoist-Méchin S., 1885, p. 49-52). Parvenus le 13 juillet à Téhéran, ils sont amicalement accueillis par l’Ambassadeur de France René de Chavigné, comte de Balloy (1845- ?). Après avoir fêté la traversée de « l’Asie entière de l’est à l’ouest, du nord au sud » sur « une distance de plus de 4 000 lieues », ils repartent vers la Russie, à travers la Caspienne jusqu’à Astrakhan, puis remontent la Volga en passant par Tsaritsine (Volgograd), avant d’atteindre Moscou vers le mois d’octobre 1884, puis Saint-Pétersbourg où ils sont accueillis avec pompe comme de grands explorateurs français. La revue « Illustration universelle » rapporte que « sans être gênés par des moyens matériels, les jeunes voyageurs ont constitué pendant le voyage une collection d’objets antiques chinois et japonais d’une qualité rare, que l’on peut estimer à 500 000 francs, selon les experts ». Elle précise également qu’il est prévu que dès leur retour en France les voyageurs « vont classer les collections qu’ils ont rassemblées et publier une description de leurs voyages » (Anonyme,1883, n° 1, p. 378). Cependant, aucun descriptif détaillé de leur voyage ne voit le jour et leur production littéraire connue se réduit à deux relations de voyages, rédigées intentionnellement en un rapport unique que le « Bulletin de la Société de géographie de Paris » publie en 1885 (Mailly-Chalon y parle de la Manchourie et Benoist-Méchin y raconte la traversée du Turkestan : Mailly-Chalon H., 1885, p. 6). On sait toutefois que, malgré l’incendie qui a détruit l’intégralité des archives familiales au début du XXe siècle, certains documents ont néanmoins survécu comme l’atteste le contenu des archives de Jacques Benoist-Méchin, fils de Stanislas, mises aux enchères à Munich en 2007 par Hermann Historica München avec un récit inédit du voyage. Relativement étoffé (« plus de 200 pages » manuscrites avec « environ 170 pages grand format », ainsi qu’un manuscrit autographe de 70 pages [moyen format] intitulé « Note sur le voyage à travers la Chine du Comte de Mailly-Chalon et du Baron Benoist-Méchin attaché à la légation de France à Tokyo»), ce récit « raconta son voyage de 5 ans à travers l’Asie et la Russie en compagnie du Duc de Blacas », parsemé « d’anecdotes évoquant l’Asie de la fin du XIXe siècle, [notamment] sa visite à l’Empereur de Chine » (Hermann Historica München, 2007, p. 4 et 11, lot N° 5446). Le même lot a également compris d’autres documents familiaux (voir le commentaire sur la collection ci-dessous). Le 23 novembre 1887 Stanislas Benoist-Méchin épouse la baronne Vera de Zaltza (1870-?), une aristocrate russe dont il divorce le 15 avril 1897. Son second mariage avec Marie-Louise Pauline Gatel (1869-1966) le 6 juillet 1898 à Bordeaux, est apparemment plus heureux. Vers la fin de la vie de Stanislas Benoist-Méchin, plus rien, pratiquement, n’a survécu de l’importante fortune familiale. Jacques Benoist-Méchin (1901-1983), le cadet de ses deux enfants, nés du second mariage, a connu la notoriété en tant qu’historien, musicologue, homme politique, journaliste et arabisant ; après s’est montré ouvertement favorable au nazisme, ce dernier a repris après la Guerre une longue et active carrière de scientifique.
Constitution de la collection
La majeure partie de la collection d’art asiatique de Stanislas Benoist-Méchin a été très vraisemblablement achetée à Monseigneur Favier (Pierre Marie Alphonse Favier-Duperron, 1837-1905), archevêque de Pékin, comme en témoigne la correspondance échangée entre les deux hommes et retrouvée avec les documents familiaux vendus à Munich (Hermann Historica München, 2007, p. 11, lot N° 5446). Cette correspondance contient entre autres un document d’environ 50 pages avec la liste dressée par Monseigneur Favier de tous les objets vendus et des prix de l’époque, ainsi que le montant des frais pour les caisses et le transport, et parfois même des notices intéressantes sur les objets. Selon la revue russe « Illustration universelle » la collection de Stanislas Benoist-Méchin comportait « des antiquités chinoises et japonaises d’une qualité rare, que l’on peut estimer à 500 000 francs ». Plus tard, Stanislas Benoist-Méchin lèguera cette collection au Musée Guimet où elle s’intégrera par la suite à la collection de céramique chinoise d’Ernest Grandidier (1833-1912). Dans le même lot vendu à Munich, mentionné plus haut, il y avait également des « cartes du voyage, photos à Tokyo de [Stanislas] Benoist-Méchin en 1880, dont une dans un pousse-pousse, passeport russe, diplôme du tsar Alexandre III, ampliation du diplôme de chevalier de l’Ordre de Saint Stanislas de 2e classe attribué par Alexandre III à [Stanislas] Benoist-Méchin, signature sur bandeau de papier de riz rouge de dignitaires chinois de la fin du XIXe siècle (Préfet de Police, inspecteur général du Ministère de l’Intérieur, vice-président du Ministère des Finances, ministre d’État, le Prince Kong...), manuscrit autographe de 70 pages [… , voir supra]. Journal russe relatant la visite de Gabriel Benoist-Méchin au tsar (1884), lettre autographe signée de deux pages du Général Tchernayev à [Stanislas] Benoist-Méchin l’avertissant des dangers qu’il court en se rendant à Merv (16 avril 1883) et copie autographe de la réponse de [Stanislas] Benoist-Méchin, Licence to Shoot Elephants accordée à Gabriel Benoist-Méchin. » (Hermann Historica München, 2007, p. 11, lot N° 5446). D’autres objets appartenant à Benoist-Méchin ont été également vendus à Munich, dont un coffret d’écriture en laque de la première période Meiji (1868-1912), provenant du fonds de Monseigneur Favier, archevêque de Pékin (Hermann Historica München, 2007, p. 4, lot N° 3050). Un autre lot contenait un étui à cigarettes en argent offert lors du « voyage en compagnie du Comte de Mailli-Chalons et du Prince de Lisle-Montréal [ ?] à travers la Chine et la Russie », à l’intérieur duquel se trouvent des poinçons de contrôle russes ; sur la partie intérieure du couvercle sont gravées des étapes du voyage et les deux faces de l’étui portent une couronne baronniale, ainsi que des signatures gravées en russe et en français (Hermann Historica München, 2007, p. 12, lot N° 5735).
Notices liées
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