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Estampe d'Utamaro représentant une sauterelle posée sur un tuteur au milieu de fleurs roses et violettes.

ISAAC Prosper-Alphonse (FR)

Commentaire biographique

Originaire de Calais, Prosper-Alphonse Isaac naît dans une famille bourgeoise d’industriels de la dentelle. Son père Augustin Isaac (1810-1869), collectionneur et sculpteur amateur, lui transmet son goût pour les arts – notamment extrême-orientaux. À la fin des années1870, Prosper-Alphonse Isaac quitte sa région natale pour se former à Paris auprès du peintre Jean-Paul Laurens (1838-1921).

Isaac et les cercles de japonisants

Lorsque Isaac s’installe à Paris à la fin des années 1870, le japonisme a déjà pleinement imprégné la capitale, et le jeune peintre ne manque pas de visiter les multiples expositions consacrées aux arts nippons : « À Paris, son goût raffiné de décorateur avait été frappé de la beauté nouvellement révélée de l’estampe japonaise. Il avait visité l’exposition qu’en avait faite Louis Gonse à la galerie Georges Petit [en 1883]. Jamais je n’oublierai l’enthousiasme avec lequel il faisait des adeptes nouveaux à l’occasion de la magnifique exposition qu’en fit S. Bing en 1889 à la grande Galerie de l’École des beaux-arts », témoigne Gaston Migeon (1861-1930) [Objets d'art du Japon, 1925].

Isaac s’intègre véritable au milieu des japonisants de la capitale au début des années 1890, lors de la fondation de la Société des amis de l’art japonais par Siegfried Bing (1838-1905). Il participe au premier dîner mensuel de la Société le 12 mars 1892, et n’en manque pas un seul jusqu’en 1910 – Henri Vever (1854-1942) ayant repris les réunions en 1906 peu après la mort de Bing. Aux côtés d’une quinzaine d’autres graveurs japonisants, Isaac est l’auteur de plusieurs cartons d’invitation entre 1906 et 1914 – huit estampes originales et cinq estampes d’après des œuvres japonaises de Utagawa Hiroshige(歌川広重) [1797-1858], Kitao Masayoshi (北尾政)[1764-1824] et Ogata Kôrin (尾形光琳)[1658-1716] – et l’imprimeur d’une quinzaine de cartons. Variées, les estampes originales d’Isaac représentent aussi bien des compositions végétales que des animaux, ou encore des objets japonais.

Avec les membres de la Société des amis de l’art japonais, Isaac participe à la fondation de la Société franco-japonaise de Paris à l’issue de l’Exposition universelle de 1900, et en est élu membre à vie. Il réalise pour cette nouvelle société deux menus ainsi que le grand diplôme délivré à l’ensemble des adhérents. Alliant volontairement symboles français et japonais, ce dernier est orné d’un coq chantant dans un champ de bleuets et de coquelicots, surplombé par le mont Fuji et un soleil levant (Grand Diplôme de la Société franco-japonaise de Paris, gravure sur bois à la manière japonaise, n.d., Paris, BnF).

Les étoffes teintes

Après avoir débuté comme peintre, Isaac oriente sa carrière vers la décoration et en particulier le textile. Son goût pour l’art nippon le conduit à s’intéresser aux procédés de teinture des étoffes, qu’il produit dès le milieu des années 1890 dans son propre atelier. Il en acquiert apparemment les techniques de manière empirique, après un certain nombre d’essais, employant aussi bien l’impression au pochoir inspirée des katagami japonais, qu’un procédé inventé par ses soins, et consistant à « graver » les motifs directement dans le tissu.

Encouragé par Siegfried Bing, il se lance dans la production de quantité d'étoffes, tentures, rideaux, paravents, fauteuils, nappes, dessus de lit, éventails, sacs à main, qui sont exposés entre 1895 à 1897 au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts et au Salon de la Rose-Croix à Paris, à Liège ou encore à Dresde. Il est également représenté par la galerie L’Art nouveau de Bing dès son inauguration en 1895, où il expose dans la section « Mobilier » trois panneaux pour dossiers de banquettes (n521) et huit encadrements de panneaux d’étoffe en bois teint (n522), et dans la section « Étoffes et Tentures » une tenture d’un salon en rotonde en onze panneaux et une frise (n541) [Salon de l’Art nouveau, 1896].

La gravure à la manière japonaise

Peu après la mort de Bing, Isaac décide d’abandonner la décoration textile pour se consacrer pleinement à la gravure. Ses premières tentatives connues datent de 1900, lorsqu’il s’essaye à la pointe sèche et à l’aquatinte, et représentent pour la plupart des paysages hollandais et vénitiens. La transition vers l’estampe à la manière japonaise débute quelques années plus tard, notamment avec ses essais de gravures sur albâtre en couleurs, où il accentue le trait de contour noir et traite les couleurs en larges aplats sur le modèle des ukiyo-e. Ces estampes du début du siècle correspondent à la première utilisation par Isaac du monogramme à l'encre de Chine rouge ou noir, sous deux formes différentes : un « I fleuri » et/ou son nom en toutes lettres. Son monogramme est accompagné d’un svastika apposé en noir qu’il ajoute systématiquement (Gondoles à Venise, gravure sur albâtre, n.d., Paris, BnF).

À partir de 1905, Isaac s’essaie à la gravure sur bois en couleurs, qui deviendra son médium privilégié jusqu’à sa mort en 1924. Ses débuts sont incertains : il commence par imprimer des estampes en noir et blanc, qu’il colorise ensuite une à une au pinceau (voir Composition, jouets et pavots dans un vase, 1906, Paris, BnF). En 1908, au cours de l’exposition anglo-japonaise de Londres, il fait la connaissance de d’Urushibara Yoshijirô (漆原木虫) [1889-1953], jeune artiste de dix-neuf ans. Travaillant au service de la célèbre imprimerie Shimbi Shoin de Tokyo, ce dernier avait été embauché comme « démonstrateur » de la technique japonaise de gravure sur bois. Enthousiasmé par cette rencontre, Isaac lui propose de s’associer à lui et de le suivre à Paris pour lui enseigner personnellement son savoir-faire. Ils produisent un certain nombre de gravures à quatre mains, signées de leurs deux monogrammes (Urushibara Yoshijrô et Prosper-Alphonse Isaac, Outils de graveur sur cuivre, gravure sur bois à la manière japonaise, 1908-1912, Paris, BnF).

Isaac collabore à la même époque avec d’autres graveurs japonais, dont Noguchi Shunbi (駿尾野口) [?-1946] (Noguchi Shunbi et Prosper-Alphonse Isaac, Canard, gravure sur bois à la manière japonaise, 1908-1912, Paris, BnF).

À force de pratique, Isaac atteint bientôt un niveau technique qui lui assure la réputation de spécialiste de la gravure sur bois à la manière japonaise. Il forme à son tour plusieurs graveurs et dessinateurs – dont Jules Chadel (1870-1941) et Géo-Fourrier (Georges Fourrier, 1898-1966) – et publie en mai 1913 le premier traité sur le sujet dans la revue Art et Décoration. Imprimeur de métier, il se procure des bois gravés par des artistes japonais et en fait des retirages dont il lègue une centaine au département des Estampes de la Bibliothèque nationale. Son œuvre gravé, qui compte un peu moins de 200 estampes, est conservé au département des Estampes de la Bibliothèque nationale de France et à la Bibliothèque d'histoire de l’art et d'archéologie (De Belleville A., 2000, p. 187).

Constitution de la collection

Prosper-Alphonse Isaac débute vraisemblablement sa collection d’art japonais au cours des années 1880, fréquentant assidûment les boutiques de Siegfried Bing et Hayashi Tadamasa (林忠正) [1853-1906], et probablement l’hôtel Drouot, où les ventes des collectionneurs de la première génération se succèdent entre les années 1890 et 1914. Il constitue ainsi en quelques années une importante collection de plus d’un millier d’objets : étoffes, poupées, bronzes, peintures, et surtout livres illustrés et estampes ukiyo-e de toutes les époques et tous les styles (Vabre E., 2009-2010, p. 32-33). Entre 1909 et 1914, Isaac prête chaque année une partie de sa collection pour les grandes expositions d’estampes japonaises qui se tenaient au pavillon de Marsan (Vabre E., 2011-2021, p. 6).

Donateur actif, il enrichit les collections du musée du Louvre, du musée des Arts décoratifs et de la Bibliothèque nationale. C’est Gaston Migeon, conservateur du département des Objets d’art du Louvre et membre de la Société des amis de l’art japonais, qui encourage le premier Isaac à se séparer de quelques objets de sa collection, dans le but d’offrir à l’art japonais une reconnaissance institutionnelle. Isaac donne ainsi au Louvre un masque japonais en bois sculpté en mai 1897 et une « feuille de triptyque » en 1912. Il participe également à des « dons groupés » à hauteur du volume de sa collection, offrant par exemple quatre estampes le 5 mars 1894 aux côtés de Henri Vever, Siegfried Bing, Raymond Koechlin (1860-1931) ou encore Charles Gillot (1853-1904). À la mort d’Isaac en 1924, le fonds asiatique du Louvre s’enrichit une dernière fois lorsque son frère, Louis Isaac, fait parvenir trois peintures japonaises. Le musée des Arts décoratifs, alors dirigé par Louis Metman (1862-1943), reçoit, quant à lui, un morceau d’étoffe de soie japonaise et un lot de fusumagami (papiers utilisés pour décorer les paravents) en 1912. Pour la même institution, Isaac complète les albums de Jules Maciet (1846-1911) par l’envoi d’estampes, invitations et menus. Entre 1909 et 1922, Isaac envoie à la Bibliothèque nationale un lot de 96 estampes tirées par ses soins d’après des matrices japonaises. Ce curieux ensemble révèle une autre facette de sa collection : passionné par les procédés de gravure, le peintre avait pu rassembler une centaine de bois, et ce malgré leur rareté (la législation japonaise imposant leur destruction après un certain nombre de tirages). Leur localisation actuelle demeure inconnue, puisqu’ils ne figurent ni dans les inventaires des dons ni dans son catalogue de vente. Nous savons qu’il prêtait régulièrement ces matrices à ses amis graveurs, et il est possible qu’il leur en offrît certaines (Vabre E., 2009-2010, p. 38-42).

Parallèlement à son action en faveur de la diffusion de l’art japonais, plusieurs dons révèlent l’intérêt d’Isaac pour les arts de l’Islam, qu’il collectionnait plus modestement : il offre en 1894 au musée du Louvre un carreau de revêtement et une bouteille plate en verre persans (XVIe ou XVIIe siècle), et en 1924 une miniature iranienne du XVIIe siècle intitulée Jeune Homme tenant un livre ouvert (Laclotte M., 1989, p. 235). Isaac est sans doute initié par Gaston Migeon dans les années 1890, à l’époque où de nombreux japonisants s’intéressaient à l’art musulman, notamment Raymond Koechlin, Henri Vever ou Georges Marteau (1858-1916).

À partir des années dix, la collection d’Isaac prend un tournant vers l’art chinois, tandis que le japonisme s’éteint et qu’émerge une nouvelle génération de marchands spécialisés. Encore une fois, les dons nous renseignent sur la nature de ce fonds : en 1912, le peintre donne au Louvre une peinture chinoise datée du XVIIe siècle ; le 9 décembre 1913, le musée des Arts décoratifs reçoit deux petits meubles chinois du XIXe siècle, un tabouret et un fauteuil d’enfant. Après sa mort, la famille Isaac offre à deux reprises des bronzes anciens au musée – dont une coupe qui viendra illustrer le livre L’Art chinois (1925) de Gaston Migeon (Vabre E., 2009-2010, p. 32-41).

La collection japonaise d’Isaac est aujourd’hui dispersée, entre les dons aux musées et bibliothèques, et la vente aux enchères que sa famille organise un an et demi après sa mort, du 21 au 23 décembre 1925. Cette vente comprenait 668 lots, soit plus d’un millier d’objets, essentiellement des estampes, livres illustrés, poupées, textiles, ainsi que quelques dessins, éventails et bronzes. S’y ajoutent quelques objets chinois (dessins et bronzes) et des miniatures indo-persanes du XVIIe siècle. Au sein des estampes, datant du XVIIe siècle à la première moitié du XIXe siècle, sont représentés les principaux maîtres : les primitifs Hishikawa Moronobu (菱川 師宣) [1618-1694], son élève Hishikawa Morofusa (師房 菱川) [actif 1685-1703] et Torii Kiyonobu(鳥居 清信) [1664-1769], une trentaine d’épreuves de Suzuki Harunobu (鈴木春信) [1725-1770] et tout autant d’Isoda Koryusai (礒田湖龍斎) [1735-1790), 80 estampes de Kitagawa Utamaro (喜多川 歌麿) [1753-1806], 13 des 36 vues du mont Fuji de Hokusai (葛飾 北斎) [1760-1849] et près d’une centaine d’œuvres de Hiroshige dont 19 des 53 stations du Tokaido. Les sujets étaient variés, sans préférence manifeste : portraits d’acteurs (yakusha-e), belles femmes (bijin-ga), paysages (meisho-e). Les estampes érotiques (shunga), alors en vogue, en sont cependant absentes. Isaac était aussi un grand collectionneur de livres illustrés (ehon) : Hokusai et sa Manga, Kawamura Bumpo (河村 文鳳) [1779-1821], Yamaguchi Soken (山口 素絢) [1759-1818] et surtout Kitao Masayoshi(北尾政美) [1764-1824], élève de Hokusai, dont il possédait une dizaine de volumes (Vabre E., 2009-2010, p. 34-36).