Croix massive à croisée ronde et empattements potencés et profilés d'un cavet avec tenon.
Sur l'avers, au centre, figure d'applique du Christ vivant, avec les yeux ouverts (en perles de verre), couronné et vêtu d'un périzonium émaillé. Aux extrémités, à l'exception de celle supérieure, figures d'applique émaillées avec têtes classicisantes rapportées : sur les côtés, Vierge et saint Jean à mi-corps, en bas, saint Pierre en pied. Au sommet, plaque avec silhouette dépourvue de son applique, probablement d'un ange ; manque à l'emplacement du titulus . Sur le fond, très fin décor gravé de rinceaux.
Le revers est émaillé, laissant les figures en réserve : au centre, Seigneur en Majesté sortant d'une nuée et entouré de l’alpha et l’oméga. Aux extrémités, symboles des évangélistes : le bœuf de saint Luc et le lion de saint Marc tenant le livre, l'aigle de saint Jean tenant le phylactère et, en bas, l'homme ailé de saint Matthieu. Sur les bras, cinq petits médaillons avec anges en demi-buste. Le fond est orné de disques avec rosettes et quatre-feuilles, et de losanges. Sur la partie inférieure de la hampe, plaque rectangulaire avec ange, tenant ses mains déployées et sortant d'une nuée.
Cette croix présente un parti pris très original parmi les croix répertoriées dans le CEM II, à l'inverse des types les plus courants : croix massive de grande taille, elle présente une face non émaillée (à l'exception des figures d'applique) sur l'avers et émaillée au revers.
Il faut tout d'abord souligner la belle qualité de son exécution, caractérisée par l'usage des têtes d'applique, pourvues en outre de nimbes rapportés, par le très fin décor gravé du fond et par la gamme chromatique du bleu, très élégamment nuancée, notamment par l'alternance du bleu translucide et du bleu moyen (lapis). Fait inhabituel, la croix - bien que massive - est ornée de figures d'applique. Leur traitement se révèle soigné : les têtes classicisantes, qui rappellent des exemplaires ici répertoriés (cf. Londres, V&A Museum, inv. M 575-1910, ainsi que le ciboire de maître Alpais [CEM II, 2011, III A, n°2), sont expressives et s'accordent bien avec les gestes des personnages, bien individualisés. L'émaillage montre également un grand raffinement : au-delà de la gamme chromatique du bleu déjà évoquée, il faut remarquer les drapés de saint Jean et de saint Pierre, émaillés à la fois de vert et de jaune dans les mêmes cloisons, pour rendre les tons chatoyants.
Au revers, à l'exception des quatre symboles des évangélistes, le répertoire décoratif est original. Cinq médaillons, dont chacun est entouré par quatre disques, décorent les bras. La plaquette rectangulaire du bas frappe par le fin dessin de l'ange, tenant les mains déployées et sortant d'une nuée, ainsi que les petits losanges en réserve, décor plutôt rare.
Certains éléments de la croix la rapprochent des croix du tout début du XIIIe siècle : les têtes d'applique, les couleurs brillantes, l'émail translucide, le décor gravé et les plaques avec symboles des évangélistes.
D'autres éléments semblent plus tardifs, notamment l'applique du Christ. Celui-ci, vivant et couronné, commence à apparaitre sur les croix dans la première décennie du XIIIe siècle (cf. l'applique de Barcelone [MNAC 4100], celle de la vente de la Keir collection [Sotheby's 1997, lot 46] et les appliques de Christ des croix de Francfort [Museum für Angewandte Kunst, inv. 5874], de Jouac, de Stockholm [Historiska Museet, inv. 11054], et de la plaque à Bruxelles [Musées royaux d'Art et d'Histoire, inv. 885]), ainsi que les empattements potencés (cf. Francfort, Menussac, Jouac).
Ainsi, cette croix à la provenance ancienne semble être une oeuvre remarquable et original de la fin de la première décennie du XIIIe siècle.

α ω

Provient de l'église de Moudon (c. Vaud) où elle est inventoriée en 1531; donnée par la municipalité au musée cantonnal de Lausanne en 1887.
La croix a été retrouvée en 1888 dans les archives de Moudon par Henri Carrand, alors conservateur en charge de la formation du musée de Chillon. Originairement destinée à intégrer cette collection, la croix est toutefois toujours restée à Lausanne.
Selon Claire Huguenin, l'oeuvre pourrait provenir de la chapelle de Notre-Dame de l'Hôpital Saint-Jean de Jérusalem de Moudon et avoir été perdue après l'introduction de la Reforme en 1536.