Plaque de croix
Grande plaque quadrilobée, détachée du revers du croisillon. Sauveur en majesté tenant le Livre. Appartient au groupe de croix B a. GF-10 du répertoire de François (1983).
Le fond de la plaque est parsemé de disques, de rosettes, de quatre-feuilles à étamines et de quatre-feuilles inscrits dans des cercles, en réserve et émaillés, dont les deux plus grands occupent les bords latéraux du centre de la plaque. Les traces des couleurs composant la palette d'émaux laissent deviner la richesse et la beauté du chromatisme initial de la plaque. La disposition des motifs est très équilibrée, la figure occupe l’axe central et la décoration orne les côtés. L'arc-en-ciel sépare l'ensemble en deux parties, la partie supérieure étant régie par un tracé triangulaire dont les extrémités sont occupées par le nimbe et les deux grands disques, tandis que dans la partie inférieure, la symétrie des motifs est absolue.
La figure du Christ est puissante, en réserve et gravée ; la tête d’applique est classicisante et les traits du visage à peine identifiables à cause de l'usure (ce qui rappelle la tête d’applique de la plaque du Musée d'État de Tver, en Russie). Cheveux longs, barbu, il est assis sur un arc-en-ciel ondulé, qui conserve encore un petit fragment blanc, bleu clair et bleu foncé. Cet arc est doublé d’un arc turquoise au-dessous. Le Christ bénit de la main droite et, de la main gauche, il tient le Livre fermé, orné de ferrures et d’ornements gravés sur la couverture. Ses pieds reposent sur le suppedaneum en forme de bordure étroite décorée de nuages. Le nimbe crucifère occupe le bord supérieur de la plaque et renferme une croix grecque dont il ne reste aucune trace de couleur, chaque branche alternant avec un fragment blanc, bleu clair et bleu foncé, lui-même délimité par le fond bleu. Le Christ est vêtu d'une tunique et d'un manteau, le drapé des tissus s'adaptant à la forme du corps et des jambes pour former de délicats plis incurvés. La partie supérieure et la ceinture de la tunique sont enrichies d'un entrecroisement de lignes moucheté. Les plis de la draperie tout en courbes, en ellipses et en V sont d'origine romane, bien que déjà très adoucis. La richesse des plis et les détails du vêtement témoignent de la maîtrise technique de ce maître, qui cherche à donner une certaine profondeur par le mouvement du manteau, un mouvement qui commence dans le dos et se termine par un pli sur le genou gauche.
Le bord de la plaque est orné d’un listel bleu foncé, bleu clair et blanc dont il ne reste qu'un petit fragment en haut à gauche.
Le modèle de la majesté, les caractéristiques de la tête d’applique, le traitement des plis, les orfrois et la position du pouce de la main qui bénit sont très proches de ceux de la majesté de la couverture du manuscrit Regula pastoralis de Grégoire le Grand (Cod. Sang. 216, Stiftsbibliothek, Saint-Gall, Confédération suisse) (CEM II VA, nº 7). La taille considérable de la plaque donne à la figure un aspect imposant.
La plaque au revers de la croix du Statens Historiska Museum, Stockholm (inv. 10603 b), aujourd'hui disparue, est cataloguée dans le même groupe GF-3bis du répertoire de François. La plaque étudiée pourrait correspondre à une croix de caractéristiques similaires, son contour s’adaptant à l'empreinte suggérée par la croix suédoise (Andersson, Émaux Limousins en Suède..., 1980, nº 27B).
La plaque à l'effigie de saint Paul conservée au musée Sainte-Croix à Poitiers (inv. 890.258) datée du XIIIe siècle, est ornée d'une riche variété de disques, dont certains contiennent des quatre-feuilles sur fond bleu qui correspondent à ceux de la plaque, excepté dans le cercle central qui est émaillé, alors que le cercle encadrant saint Paul est en réserve.
Les grands disques présents dans l’ornementation rappellent ceux du revers de la châsse de sainte Valérie du Musée August Kestner (Hanovre, Allemagne) (cf. CEM II, I E 3, n° 5), datée v. 1210-1220.
D’après les émaux, la plaque du musée Marès daterait de 1210 environ, ce qui était déjà avancé par M.-M. Gauthier dont nous partageons l’opinion. Signalons que les plaques lobées eurent une longue histoire dans l'Œuvre de Limoges au cours du XIIIe siècle (Rupin, 1890, L'Œuvre de Limoges, Pl. XXV, fig. 360 et 361 ; Thoby, Les Croix limousines..., 1953, nos 29, 32 et 34).
La tête d’applique est très détériorée par l'usage, car la plaque fut réutilisée comme baiser de paix. La dorure a pratiquement disparu, seule une petite trace subsiste sur le cou de la figure. L'émail bleu du fond, les motifs décoratifs et le nimbe accusent des pertes importantes.
Christ en majesté
Cette plaque est entrée au Museu Frederic Marès en 1970 avec la deuxième partie du legs de son fondateur, le sculpteur espagnol Frederic Marès i Deulofeu (1893-1991). Les responsables du musée n'ont pas d'informations plus précises. Cependant, nos recherches nous ont permis de déterminer qu’elle avait fait partie de la collection du marquis de Valderrey (Madrid). Sa collection comprenait au moins douze christs, plusieurs fragments et cette plaque (transformée en baiser de paix), tous ces éléments provenant de l'Œuvre de Limoges. Ces pièces furent présentées à l'Exposition universelle de Barcelone de 1929 : compte tenu du volume des œuvres apportées par le collectionneur, la salle XV lui fut attribuée dans son intégralité. La plaque était décrite ainsi dans le catalogue de l’exposition : « Osculatoire byzantin en cuivre émaillé du XIIe siècle. Mesure 0,11 x 0,11 m. M. le Marquis de Valderrey, Madrid ». Cette même description apparaît dans la photo d'archive de l'Arxiu Mas à Barcelone, probablement de la même année
Exposition universelle de Barcelone de 1929.
nº 941, p. 182-183
TOME CEM II