Urne : Ménade sur la panthère
Le décor en relief et polychrome est composé d’une ménade assise à l'envers sur une panthère avançant à droite, tenant un thyrse de sa main gauche (tige souple surmontée d'une pomme de pin). Ses cheveux courts sont ornés d'une couronne végétale et son corps est nu, à l'exception d'un drapé qui passe sur sa cuisse gauche et sous elle, retombant en plis nombreux entre les pattes de sa monture. Elle regarde vers la gauche, au-dessus de la tête de la panthère. Un petit dauphin bondit sous la patte avant droite de la panthère. Le champ de la scène est délimité par des bordures irrégulières en partie haute et basse ; la tête de la ménade est d'ailleurs figurée devant ce cadre. Des traces de polychromie, bleu sur le fond et la couronne de fleurs, blanc sur les chairs de la ménade et brun sur ses cheveux, son vêtement et le pelage du fauve, sont encore perceptibles, mais davantage visibles sur le dessin de Muret. Il semble que le relief antique, qui provenait bien d'une urne fragmentaire, ait été complété au 19e siècle à droite et à gauche par les deux retours pour évoquer ainsi la profondeur de l'urne originelle. |
Membre du cortège dionysiaque, la ménade représentée sur cette urne porte l’attribut caractéristique de Dionysos et des personnages qui lui sont associés : le thyrse, un long bâton surmonté d’un bouquet de lierre ou d’une pomme de pin, ici entourée de rubans volant au vent. Symbole de prospérité, c’est aussi l’emblème des mystères de Dionysos. La ménade chevauche une panthère, animal dionysiaque par excellence : associée au dieu originellement en Asie Mineure, la panthère peut apparaître chevauchée par Dionysos ou un membre de son cortège, mais peut aussi tirer le char de la divinité. Les ménades n’en chevauchent pas moins parfois d’autres animaux, qui évoquent la vie sauvage des suivants du dieu, tels que des ânes et des taureaux, ou parfois même des monstres marins.
L’iconographie de cette urne en particulier trouve un frappant parallèle dans un exemplaire du Louvre [MN 1165.1 ; https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010305056], qui a elle conservé sa forme complète, mais qui est sinon en tous points semblable : thyrse dont l’extrémité est auréolée d’un ruban rond, bras droit invisible derrière l’encolure de la panthère, draperie trainant jusqu’au sol, petit dauphin sautant entre les pattes antérieures du fauve et même la tête de la ménade débordant sur la mouluration supérieure. Il n’est pas impossible que les deux décors aient été fabriqués avec le même moule. L’urne qu’agrémente celui du Louvre est bien plus grand que celui du MCAH, le relief n’occupant qu’un quart de sa surface environ, mais du fait des altérations sur l’exemplaire lausannois, on ne peut exclure qu’il ait eu des dimensions similaires à l’origine, et qu’il provienne du même atelier.
Cet atelier, dont on connait deux autres urnes, conservées au Vatican, a été situé à Bomarzo par M.-F. Briguet (Briguet 2002 ; Briguet 2006) : les objets qui y ont été retrouvées ont été dispersés au 19e siècle, une partie d’entre eux arrivant entre les mains à Gustave-Adolphe Beugnot (1799-1861), alors secrétaire d’Ambassade à Rome. Ce pourrait être par ce biais, directement ou indirectement, que Jean-Baptiste Muret a acquis une urne de Bomarzo vers le milieu du siècle.
M.-F. Briguet signale deux autres reliefs avec le même motif, l’une dans l’aula de l’Esquilin, l’autre sur une plaque Campana conservée au Louvre, et relève les similitudes de ces représentations avec une mosaïque de Pella. Toutes ces représentations ont donc peut-être un modèle originel perdu, daté de la fin du 4e ou début du 3e siècle av. J.-C., peut-être issu de la grande peinture, dont on aurait tiré des moules, déjà usés lors de la réalisation de l’urne du Louvre. Cette époque est aussi celle de la diffusion de la religion bachique en Étrurie, qui fournit un cadre interprétatif au décor : Fufluns-Dionysos, dieu chtonien, est un dieu du passage qui introduit son initié dans l’au-delà, et la chevauchée de la bacchante est pour le défunt un signe d’espérance eschatologique.
Bibliographie : M.-F. Briguet, « Urne cinéraire étrusque à sujet bachique au Musée du Louvre », B. Adembri (dir.), Αειμνηστος. Miscellanea di Studi per Mauro Cristofani, Florence, 2006. p. 656 659 ; M.-F. Briguet, Les Urnes cinéraires étrusques de l’époque hellénistique, Paris, 2002, n°72, Urne à couvercle à deux pentes, p. 178-180.
Auteur : Lionel Pernet
Collection Jean-Baptiste Muret, vendue après sa mort par son fils Ernest à Arnold Morel Fatio, qui la donne au musée en 1867 |