Croix d'autel massive, à croisée ronde et branches à empattements potencés en cavet, tenon à la base.
À l'avers, Christ d'applique crucifié, avec tête rapportée à part, entourée d'un nimbe crucifère. Cantonné aux extrémités de quatre appliques à mi-corps, il est surmonté du titulus abrégé, inscrit en réserve sur deux lignes : IHS - XPS. À ses pieds, Adam ressuscité tend les bras vers le Sauveur. Au revers, décor de rinceaux à palmettes fleurs gravés sur toute la surface, emplacements pour six cabochons de verre manquants, quatre aux extrémités des traverses, un au centre et le dernier au milieu de la hampe inférieure.
Hormis les appliques qui ornent ses extrémités, la croix est en tous points semblable à celle, beaucoup mieux conservée, du Schweizerisches Landesmuseum de Zurich, inv. LM 24057 (UK 89312), exception faite d'une légère différence de longueur.
Ces deux œuvres posent d'évidents problèmes d'authenticité. Renvoyant à la notice UK 89312 pour l'étude de la croix de Zurich, on se limite ici à rappeler que sa structure, son décor, ainsi que son émail, ne sont pas conformes aux procédés stylistique et techniques propres aux ateliers limousins. Quant à la croix de l'ancienne collection Rütschi, il faudra signaler d'abord la palette chromatique inhabituelle, comportant des tons vifs de vert et de bleu. Le décor gravé du revers, au dessin imprécis, pose également question. La disposition très régulière des disques émaillés par rangées horizontales, que l'on retrouve aussi sur l'exemplaire de Zurich, est toute aussi étrange. Il faudra enfin observer que si le décor émaillé de la croix est proche (bien que seulement en apparence) de la production autour de 1200, sa structure, massive mais de grande taille, est singulière. Comme le présent corpus le montre, entre 1190 et 1215, les croix massives sont généralement des croix d'autel, de petite taille, tandis que les croix processionnelles ont des dimensions plus importantes. L'objet décrit ici est en effet un mélange original et rare de ces deux typologies.
Les reliefs, quant à eux, ne suscitent pas autant de perplexité. Au contraire, l'applique du Christ se distingue par une belle qualité de ciselure, soulignée par le détail de la tête rapportée à part, indicateur d'un certain raffinement d'exécution. Le Christ appartient à un nombreux groupe d'appliques décorant les croix processionnelles de la première décennie du XIIIe siècle, comme celle du trésor de la cathédrale de Munster, inv. BM 349 (UK 89193) et du musée national de Reykjavik, inv. pjms 7032 (UK 89270). Les figures des saints en demi-relief situés aux extrémités de la croix sont en revanche plus tardives, d'une facture moins soignée. Elles sont à rattacher aux figures d'applique dites 'poupées', réalisées en série dans la deuxième moitié du XIIIe siècle (B. -M. Andersson en a répertoriées un certain nombre dans son article Emaux limousins en Suède, les châsses, les croix, Antikvariskt Arkiv, 69, Stockholm : Almquist, 1980, p. 41).
L'oeuvre de l'ancienne collection Rutschi est donc un assemblage d'une croix très probablement "de style limousin" avec des éléments anciens. Son authenticité médiévale devra être considérée avec la plus grande attention, de même que pour la croix du Landesmusem. Seul un examen direct des deux objets, idéalement regroupés, ainsi que des analyses scientifiques pourraient permettre de réfuter l’hypothèse selon laquelle les deux croix auraient été créés au XIXe siècle et ensuite agrémentées d’éléments médiévaux (les reliefs pour celle ici étudiée et la base pour celle de Zurich).

IHS / XPS