[1833, sculpture, rapport Institut séance publique annuelle]Rapport imprimé officiel sur les envois [...]

Messieurs, L'intérêt avec lequel l'Académie des Beaux-arts attend chaque année l'envoi des ouvrages des élèves pensionnaires à l'Académie de France à Rome n'est pas toujours exempt de quelques inquiétudes. Elle désire ardemment d'y trouver l'heureux accomplissement des espérances que chacun de ces jeunes artistes a fait concevoir dans les concours où ils ont obtenu la couronne du premier grand prix et l'honneur d'être admis dans cette noble école de perfectionnement. C'est là qu'environnés de tout ce qui peut le plus puissamment exciter l'émulation, ils trouvent dans les précieux restes de l'antiquité et dans les célèbres ouvrages des grands maîtres, les plus hautes et les plus véritables leçons. // Quels regrets ne devrait pas ressentir un pensionnaire sur la fin de son séjour en Italie s'il reconnaissait trop tard que ses premières années se sont dissipées dans des capricieuses investigations et qu'une erreur irréparable lui aurait fait perdre à jamais les grands avantages dont il pouvait mieux disposer ! Les années se succèdent avec des chances et des modifications plus ou moins favorables. Si chaque envoi n'apporte pas régulièrement de nouveaux chefs-d’œuvre dans tous les genres il est à présumer du moins que chaque pensionnaire sent la nécessité de n'envoyer que les meilleures de ses productions. Cependant, il n'en est pas toujours ainsi ! À quoi doit-on attribuer ce mécompte ? Dès l'année dernière, on voyait avec peine que, peu pénétrés de l'importance des études demandées, selon les époques successives du cours de leur pension, quelques élèves peintres entraînés par un désir inconsidéré d'innovation avaient essayé de traiter des sujets empruntés à une littérature frivole, au lieu de chercher de plus hautes inspirations dans des ouvrages d'une autorité reconnue. Malgré les conseils dictés par cette bienveillance paternelle qui dans vos rapports voudrait pouvoir adoucir les rigueurs de la critique, plusieurs ont paru négliger l'avertissement qui leur était particulièrement adressé. Une remarque non moins pénible est de voir aussi depuis quelques temps que certains sujets sont choisis de préférence et sont traités d'une manière qui décèle un secret espoir de les placer plus facilement que des ouvrages d'un style plus sérieux et qui exigerait des études profondes. La position des pensionnaires à l'Académie de France à Rome a été établie avec assez de dignité et assez de générosité pour qu'ils n'aient point à se livrer à d'autres idées que celle de se perfectionner dans l'art auquel ils se sont consacrés. [...] M. LANNO, pour satisfaire aux obligations de sa cinquième et dernière année, a envoyé une statue de ronde-bosse de sa composition, de grandeur naturelle, en marbre, représentant Lesbie. Cette figure, par rapport à l'intitulé du sujet, aurait eu besoin de quelques accessoires qui l'eussent mieux fait connaître. Quelques défauts de détails sont rachetés par des qualités particulières d'exécution qui les compensent. M. JALLEY [sic] avait les mêmes obligations. Il a exécuté, pour sa cinquième année, une statue en marbre de grandeur naturelle, représentant la Pudeur ; mais en voulant exprimer ce sentiment, l'artiste semble y avoir mis une nuance d'afféterie. La proportion allongée de cette figure et son mouvement indéterminé porteraient à croire que le bloc de marbre, trop étroit, a nui à son développement. L'exécution est très soignée, la tête a de la beauté, les draperies sont bien travaillées, mais dans un style d'école qui ne semble pas appartenir à celui de la tête, qui est d'un travail plus large. M. DANTAN, pour la quatrième année de son pensionnat, devait le modèle d'une figure en ronde-bosse, grandeur naturelle, de sa composition, plus l'esquisse d'un groupe. Le modèle de la figure n'a pu être envoyé, parce qu'il sert à la mise aux points pour l'exécution du marbre. Le buste envoyé par M. Dantan pour suppléer, paraît satisfaisant ; le masque semble avoir de la vérité. L'exécution en est soignée ; il y a peut-être trop de travail dans les cheveux, ce qui produit de la maigreur. M. DEBAY a envoyé, en exécution du règlement qui prescrit pour la troisième année une figure en bas-relief modelée d'après nature, une composition d'Adam et Ève. L'Académie n'a pu trouver // rien a apprécier dans ce travail, qui n'annonce aucune étude réfléchie, par conséquent aucun moyen de citer, dans un rapport, quelque chose à l'avantage de l'auteur. M. HUSSON, pour le travail de sa seconde année, a envoyé un groupe ronde-bosse en plâtre, de grandeur naturelle, de sa composition, sous le titre d'Adam et Ève. Ce n'est pas le même instant que celui qu'a traité M. Debay. Ce groupe a un assez bon aspect vu de face, mais il est moins heureux vu des autres côtés. On y trouve un sentiment de vérité qui fait regretter que l'étude n'ait pas été assez consciencieuse et assez soignée dans toutes les parties. L'ensemble eût été plus satisfaisant. Cependant, pour rendre justice à M. Husson, on remarque avec plaisir que, depuis son dernier envoi, il a fait des progrès fort sensibles. Le buste-portrait qu'il a joint à son travail n'a donné lieu à aucune observation particulière, mais en a rappelé une générale que l'Académie croit devoir renouveler : c'est que l'intention de la tête d'étude, que prescrivent les règlements, ne saurait être remplie par un portrait quelconque, qui, bien souvent, est un portrait d'ami. On demande, au contraire, que le pensionnaire fasse choix de quelque belle tête de caractère, donnant lieu à une inspiration plus ou moins animée de sentiment de passion, de dignité, selon l'âge ou la nature locale du personnage qu'il aura eu l'intention de représenter.