[1906, peinture, rapport Institut primitif]Rapport primitif sur les envois de Rome des pensionnaires [...]

Malgré leur extrême désir de voir se réaliser les espérances qu'avaient pu faire naître à l'Académie les précédents travaux des pensionnaires de la Villa Médicis, les membres de la commission de peinture éprouvent devant la plupart des envois, actuellement exposés, une sorte de malaise qu'il leur est impossible de dissimuler. Monsieur Sabatté soumet de nouveau à votre appréciation son tableau de 4ème année, sur le mérite duquel il a été impossible de se prononcer d'une façon définitive, l'an dernier en raison de son peu d'avancement. Ce tableau nous réapparaît malheureusement aujourd'hui tout aussi obscur de pensée, aussi décousu de composition et presque aussi insuffisant d'exécution. M. Sabatté joint au dit tableau une toile de moindre importance dont l'aspect est, certes, moins déconcertant. Le sujet, bien qu'encore trop du domaine littéraire est pourtant écrit avec plus de simplicité et de franchise. J'ajoute même que l'harmonie dans les gris adoptée ici par le jeune peintre n'est point sans agrément. Nous devons toutefois déplorer un manque d'équilibre entre les diverses parties du tableau, dont les fonds compliqués luttent d'intérêt avec le sujet principal. En résumé: tout en rendant justice à l'effort que s'est imposé M. Sabatté, l'Académie regrette de voir son ancien pensionnaire demeurer à ce point préoccupé de littérature en des travaux où devraient avant tout dominer les qualités plastiques. M. Guétin nous présente un grand triptyque ayant pour titre " Bergers des Abruzzes ". Le panneau central montre au premier plan d'un paysage de montagnes, dont on aperçoit la cime neigeuse, un groupe de bergers, entourant une marmite primitive, tandis qu'un autre groupe se dresse au 2ème plan près d'un troupeau. Nous aurions souhaiter trouver dans la conception d ce tableau un peu de grandeur et de l'âpre poésie dont sont empreintes les scènes de la vie rustique. Or, il nous semble vraiment que nous soyons en présence d'une petite étude démesurément agrandie sans un réel souci du style ni de l'effet. De plus, la peinture en est lourde et la couleur crayeuse. Bref, cette toile nous parait bien peu pourvue des qualités que l'on est en droit de réclamer d'un ouvrage de cette importance. Nous avons hâte d'ajouter que les deux panneaux qui l'escortent sont infiniment plus intéressants. Celui de droite montre un berger debout, son chien étendu à ses pieds, et mieux encore celui de gauche représentant un troupeau descendant de la plaine et éclairé dans la partie supérieure par la dernière caresse du soleil couchant, témoignent d'une simplicité qu'on cherche en vain dans l'ouvrage tout entier. La copie de M. Sieffert " Saint Augustin à l'École de Rome " d'après une fresque de Benozzo Gozzoli ( en l'église saint augustin à San Gimignano), ne nous satisfait qu'à demi; elle ne rappelle l'original qu'imparfaitement, dont elle ne possède ni l'entier caractère du dessin, ni surtout le charme de la couleur. Quant à son esquisse intitulée " Les lucioles " elle nous a paru assez insignifiante, arrangement banal, défaillance de dessin dans les figures, effets de lumière inexpliqué et quelque peu contradictoire, tout contribue à en faire un ouvrage quelque peu inférieur à ce que l'Académie attend d'un pensionnaire de la Villa. M. Monchablon est assurément un jeune artiste bien doué qui devra, dans l'avenir faire honneur à l'Académie. Son envoi ayant pour titre " La Ziza " qui met en scène deux enfants nus jouant avec des poissons rouges dans une sorte de piscine, nous séduit, tout d'abord par sa chaude harmonie. Dans l'atmosphère assombrie de cet intérieur, les blancs des marbres, les verts des porphyres ceux de l'eau et de la plante du 1er plan forment, avec les chairs des figures et le jaune d'une draperie, un accord singulièrement savoureux. Nous ne pouvons nous défendre, cependant, du souvenir qui s'impose à nous d’œuvres bien supérieures de notre regretté confrère Benjamin Constant. M. Monchablon a joute à cette toile un grand tableau intitulé "Joueurs de Morra " où se révèle, malgré une exécution trop hâtive, un véritable tempérament de peintre. Ce pensionnaire fait preuve en cet ouvrage d'une entente de groupement pittoresque résultant de l'observation d'une scène populaire prise sur le vif. La peinture est d'ailleurs d'une touche alerte et d'une couleur robuste et sobre. On souhaiterait seulement une exécution plus châtiée dans les têtes et les mains vraiment trop négligées. Le tableau gagnerait à être repris entièrement et son auteur se rendrait alors certainement compte de l'importance excessive donnée par lui à l'énorme manteau d'un personnage de droite dont le ton orange n'a d'écho nulle part et un grand chien beaucoup trop blanc placé à l'angle de gauche. Malgré ces réserves, ce n'en sont pas moins là deux ouvrages dignes d'estime. Nous est-il permis, pour finir d'exprimer le vœu que le beau souffle d'art qui se remarque tout particulièrement cette année dans les envois des sculpteurs et des architectes anime enfin, l'an prochain, ceux de leurs camarades peintres qui partagent avec eux, le bénéfice si enviable du séjour à Rome parmi tant de chefs-d’œuvre ?