Skip to main content

[1815-1816, peinture, rapport Institut à AFR]Rapport de l'Institut sur les envois de 1815 examinés e [...]

Statut
Publiée
Contributeur
flechlei
Dernière modification
01/12/2021 16:18 (il y a environ 3 ans)
Type de document
Description
[1815-1816, peinture, rapport Institut à AFR]
Rapport de l'Institut sur les envois de 1815 examinés en 1816, peinture
TYPE : rapport de l'Institut de France à Académie de France à Rome
AUTEUR : Guérin, Pierre Narcisse ; Gros, Antoine Jean
PAGE DE TITRE : Institut de France // Académie Royale des beaux-arts // Paris le […] 1816 // Le Secrétaire perpétuel de l’Académie // Rapport fait à l’Académie Royale des beaux-arts de l’Institut, dans les séances du 28 Septembre et 12 Octobre 1816 par la Commission chargée de l’examen des ouvrages de peinture envoyés dans ladite année par les pensionnaires de l’École de Rome
LIEU DE REDACTION : Paris
DATE : 12/10/1816
COMMENTAIRE : il s'agit des envois exécutés pour l'année 1815 mais jugés en 1816 car les envois ne sont arrivés à Paris qu'après la tenue de la séance publique annuelle de 1815.
Descriptions
Transcription : 
[f°109] La commission que vous avez chargée de l’examen des ouvrages envoyés d’Italie par les pensionnaires de l’École de France à Rome vient vous soumettre le résultat de cet examen ainsi que les considérations dont elle a cru devoir les faire précéder. / L’utilité non contestée de l’Établissement de l’École de Rome pour le progrès des élèves, nous permettra de montrer les inconvénients qui naissent parfois de la fausse direction que peut prendre leur talent et la fâcheuse influence qu’elle exerce par suite sur celles des arts en général. La recherche [f°109bis] de ces inconvénients, nés au sein du plus utile des encouragements, a été nécessaire à votre commission pour arriver à un corps d’observations qui put devenir profitable au talent des jeunes élèves dont les ouvrages vous sont soumis en ce moment, et celle des considérations qui détruisent l’ordre, le rang, l’importance des qualités qui font les bons ouvrages a été son premier soin. Si l’Académie daigne nous permettre d’arrêter un moment son attention sur ces réflexions qui nous ont décelé la source du mal et indiqué les moyens d’y porter remède, elle y trouvera aussi la justification de notre opinion. / Au reste cette opinion que nous allons émettre n’est point formée de notre seule manière de voir. Nous l’avons nourrie des observations importantes, des judicieuses réflexions que nous avons pu recueillir parmi vous, Messieurs, et déjà nous avons la satisfaction de voir l’expression de notre conscience d’accord avec un grand nombre d’opinions recommandables. / On l’a dit souvent, et peut-être n’est-il que trop vrai, que l’expérience des autres nous sert peu. Aussi la carrière des arts offre-t-elle sans cesse de nouveaux exemples d’erreurs. Cependant pour en diminuer le nombre n’est-ce pas à ceux qui l’ont parcourue qu’il appartient d’y porter la lumière ? Voyageurs plus ou moins heureux sur cette voie périlleuse, ne devons-nous pas signaler les écueils que nous avons marqués par des naufrages, ou tout au moins par des dangers ? Mille chemins nous égarent, tandis qu’il en est peu pour nous conduire au but [f°110] désiré. Dans l’impossibilité de tout prévoir, nous allons du moins indiquer celles de ces routes dont les déviations sont les plus fréquentes et les plus dangereuses, laissant à votre sage expérience, Messieurs, le soin de tracer les plus sûres, celles enfin qu’on peut parcourir avec succès. / Au moment où les élèves disputent le prix ils doivent posséder et possèdent en effet une partie des qualités élémentaires de leur art. Mais une faculté plus essentielle encore, l’application sagement combinée de ces mêmes qualités est souvent restée un secret pour leur inexpérience. Ils ne sauraient au reste donner plus qu’on exige d’eux, et c’est ici le lieu de remarquer en passant, que notre coupable indulgence est souvent complice de leurs défauts. Beaucoup d’entr’eux semblent ignorer que l’harmonie des parties produit plus de bons ouvrages que n’en sauraient faire naître quelques qualités supérieures, mais isolées. Appliqués la plupart, et presque exclusivement, au mécanisme de l’art, ils paraissent en oublier entièrement la partie morale ou intellectuelle. La main seule les conduit, ils travaillent avant d’avoir pensé et par un renversement intolérable d’idées et de principes, on les voit s’adonner de préférence à des qualités secondaires où l’âme et l’esprit n’ont point de part. Ils en composent des ouvrages pour lesquels ils briguent hardiment le suffrage des maîtres et malheureusement, il n’est que trop fréquent de les voir l’obtenir. / Cependant l’Italie va bientôt offrir à ces jeunes talents des modèles, des exemples et des aspirations [f°110bis] salutaires ; mais ces hautes leçons, il faut savoir les comprendre pour en profiter et l’intelligence des élèves y est rarement assez exercée. Aussi tel d’entre eux, juste admirateur des grands maîtres, mais faible et timide trouvant dans leurs productions des leçons plus écrites et des manières toutes formées, tombera dans un esprit d’imitation dont le mérite suit une progression toujours décroissante et prolongera ainsi la manie de faire des tableaux avec des tableaux, comme en littéraire on fait des livres avec des livres. Tandis que celui-ci se traînera dans l’ornière de la routine, un autre, plein de cette audace qui donne l’ignorance du danger, en se laissant aller sans mesure à ce qu’il appellera ses inspirations, se jettera dans la manière, la bizarrerie ou le mauvais goût et ne reconnaîtra que trop tard, s’il le reconnait, l’égarement dans lequel un faux système l’aura conduit. Trop heureux encore, si par le prestige de la facilité et du talent, il ne parvient à persuader à de jeunes et impatientes imaginations, que l’affranchissement des principes est l’indice certain du génie et ne les entraîne, par un funeste exemple, à innover ainsi que lui des manières que la raison ne saurait justifier, que le goût réprouve, véritables montres enfin qu’il faudrait étouffer à leur naissance et qu’on ne dise pas que ces dangers que nous révélons sont imaginaires, de fâcheux exemples n’en ont que trop montré la réalité. / Pour prévenir ces dangers, Messieurs, nous avons [f°111] pensé que la prévoyance de l’Académie ne saurait être trop active, les conseils de sa sollicitude trop sévère et qu’elle ne pourrait avertir trop tôt les jeunes élèves de ces déviations qui, insensibles au moment de leur départ dans la carrière, peuvent devenir enfin des aberrations funestes. L’intérêt que mérite chacun d’eux suffirait, Messieurs, pour vous porter à les garantir de tout faux système, si l’amour de l’art et la conservation de ses vrais principes qui vous est confiée, ne vous en faisaient un devoir. Loin que la juste sévérité que nous vous proposons d’exercer dans cette circonstance soit un motif d’affliction ou de découragement pour ceux sur qui elle doit porter, nous sommes convaincus qu’elle deviendra un aiguillon salutaire qui hâtera leur marche en même temps que vos sages conseils parviendront à la diriger. En général, la jeunesse étrangère encore aux combinaisons flétrissantes de l’intérêt personne, aime et respecte l’équité et nous nous plaisons à rendre aux élèves cette justice de dire qu’ils préfèrent une impartiale sévérité, à la complaisante indulgence que réclame la médiocrité, mais que dédaigne le vrai talent. / N’élevons, Messieurs, aucun doute sur l’effet salutaire des conseils que vous voudrez leur donner et soyons assurés d’avance de leur religieuse attention à les recueillir, quand ils entendrons la voix de leurs [f°111] maitres les rappeler aux sages doctrines qui ont produit tant d’excellents ouvrages. Comment refuseraient-ils de croire à votre expérience quand elle leur répétera que le sentiment et la vérité doivent présider constamment à l’ordonnance comme à l’exécution de leurs ouvrages ; que sans ces qualités qui sont l’âme et la vie des arts la peinture n’est plus qu’un adroit mécanisme indifférent pour la pensée ; que l’élévation des idées, la noblesse du style, le choix de la forme et toutes ces hautes qualités qui soutiennent l’art dans sa véritable dignité n’ont d’accès dans notre âme que par le naturel, de charme que par la simplicité. On ne saurait trop le redire, il faut croire pour être touché ; et tout ce qui ne porte pas en soi l’accent ou l’image de la vérité, n’est plus pour nous qu’un mensonge fatiguant et sans attrait. / C’est donc à la nature que les artistes doivent recourir sans cesse ; et dans quelle contrée plus qu’en Italie son intarissable fécondité leur fournira-t-elle plus d’éléments favorables à leur art ? Non que ces éléments épars et fugitifs s’offrent d’eux-mêmes à l’observation. C’est à l’œil du Génie à les saisir ; et pour les rassembler, pour les ravir à la nature il faut incessamment la poursuivre, l’épier, la surprendre. Protée n’est pas plus difficile à enchaîner ; l’or ne coûte [f°112] pas plus d’effort à arracher du sein de la terre. / Cependant, Messieurs, quelles que soient les difficultés qui entourent les premiers pas des jeunes élèves, difficultés que nous sommes loin de méconnaître et que nous venons de rappeler, l’Académie n’en doit pas moins à la conservation des vrais principes un examen rigoureux et sévère de leurs ouvrages. Indulgente seulement pour les erreurs de l’inexpérience, elle doit poursuivre de toute la rigueur de son blâme ceux qui par un égarement volontaire donneraient le dangereux exemple d’un coupable emploi de talent. Mais plus elle improuvera les écarts d’une manière factice, plus elle doit d’éloges aux nobles hardiesses de tous genres dont le principe et le sentiment émaneront de la nature. Car devant ceux que la vérité conduit, la carrière s’agrandit et s’éclaire, tandis que pour les autres, elle se ferme ou s’obscurcit de plus en plus. / C’est ainsi, au moins nous le croyons, que l’Académie, responsable envers le Gouvernement de l’application des encouragements qu’il accorde aux jeunes élèves, les rendra dignes d’en profiter et réprimant de fâcheux exemples, préviendra la funeste série de conséquences qui pourraient en résulter. / Pénétrée de l’importance de ses fonctions et guidée par les principes et les considérations qu’elle vient de vous [f°112bis] énoncer, Messieurs, votre Commission a l’honneur de vous soumettre l’examen qui en est le résultat. Organe de l’Académie, cet examen a dû être sévère. Néanmoins, elle aime à penser que les auteurs dont les ouvrages lui ont été soumis, ne verrons dans cette sévérité que le zèle ardent qui l’anime pour le progrès des arts et que le ressentiment qu’ils pourraient en éprouver fera bientôt place à des témoignages de reconnaissance. / Au reste, la Commission a la satisfaction de pouvoir déclarer qu’en général, cet envoi qui est le résultat des études de quatre pensionnaires pendant l’année 1815, lui paraît supérieur à plusieurs de ceux qui l’ont précédé. Elle pense qu’il serait à désirer que les bons ouvrages qui devront succéder à ceux-ci, en se montrant exempts de défauts qu’on a justement attaqués, pussent renfermer des qualités aussi supérieures que celles que l’on remarque dans l’un d’eux. // Psyché par M. Picot // M. Picot ne jouissant à Rome que d’une légère partie des avantages accordés aux pensionnaires n’était pas tenu, à ce qu’il parait d’après une note de Monsieur le Directeur, de fournir l’étude exigée par les règlements. On voit avec plaisir sa reconnaissance se faire un devoir de ce dont il aurait pu s’affranchir. / La figure d’étude qu’il présente et dans laquelle [f°113] nous avons cru voir une jeune nymphe, porte le nom de Psyché. Nous devons donc la juger comme telle et sous ce rapport, elle est moins satisfaisante. Nous appuierons sur ce reproche parce que notre examen doit se faire selon l’ordre et l’importance des qualités constitutives des bons ouvrages : et quoi de plus important que l’expression du sujet ? / M. Picot, de qui nous pouvons exiger beaucoup, semble avoir cédé à cette répréhensible habitude des élèves qui peignent indifféremment une figure d’après un modèle et lui cherchent ensuite un nom. S’ils voulaient réfléchir sur le règlement qui leur prescrit des figures d’étude historiée, ils y verraient la sage indication d’un double but, trop inaperçu sans doute, et qui demande pour être atteint l’essai de leurs facultés morales et intellectuelles soutenues des moyens d’exécution qu’ils doivent avoir acquis. C’est avec cette utile nécessité de l’emploi de toutes leurs forces, que l’Académie ne doit pas leur permettre de transiger. / Il faut donc que le sujet choisi par l’élève se retrouve dans son tableau, et, nous le répétons, nous ne reconnaissons pas dans celui de M. Picot l’être symbolique, essentiellement pur et presque divin, sous les traits duquel les anciens avaient coutume de représenter l’âme. Pour nous montrer la beauté, la grâce naïve de cette jeune et intéressante victime de la colère de Vénus, pour nous peindre en même temps sa touchante tristesse et son inquiète curiosité, il ne fallait rien moins que l’accent de tous ses traits et le développement [f°113bis] possible de toutes ses formes. / Au reste cette figure, en ne la considérant que comme une nymphe, porte un caractère de délicatesse fort satisfaisant. L’exécution en est pure, gracieuse ; le dessin élégant. Le fond de paysage est heureusement trouvé et d’une richesse de plans qu’un jeu et une distribution de lumière mieux entendus auraient plus développée. Le coloris, assez harmonieux en général, manque de vérité, particulièrement dans le bras et la main droite. La tête est agréable. Le modelé se fait remarquer par la finesse de son étude surtout dans la partie inférieure du torse. Les épaules ne sont point aussi bien rendues et paraissent trop rondes. Les draperies d’un jet heureux et d’une exécution soignée ajoutent au charme de cette figure sur laquelle les convenances du sujet, si l’artiste les eut mieux observées, eussent répandu un intérêt bien autrement attachant. // Mercure par M. Pallière / Nous pourrions répéter ici avec plus de force les reproches que viennent de nous suggérer les convenances du sujet. Cette figure absolument nulle d’intérêt ne peut convenir qu’à un jeune pâtre et ne saurait représenter un dieu. M. Pallière, décorant trop légèrement son étude du nom d’une divinité, n’a pas pensé qu’il compromettait son jugement et son goût en voulant qu’on y reconnût l’élégante beauté du fils de Maya. Il y a beaucoup de talent sans doute dans cette figure, mais combien n’en a-t-on pas perdu depuis qu’on fait de la peinture, combien n’en [f°114] perdra-t-on encore en négligeant les qualités qui ont le pouvoir de nous intéresser, en se privant surtout d’un ressort puissant, l’expression, cette muette éloquence, à qui seule appartient le droit de remuer notre âme ! Tous, sans doute, ne sont point appelés à réussir dans ces facultés d’un ordre supérieur, mais tous doivent au moins la tenter. Gardons-nous surtout qu’une trop facile admiration pour des mains habiles ne contribue à multiplier le nombre des productions indifférentes. Ce jeune pâtre, nous ne saurions autrement l’appeler, décèle la nature commune et incorrecte qui lui a servi de modèle. Des qualités recommandables cependant s’y font remarquer. Le coloris en est vrai, brillant ; l’effet vigoureux. La draperie et le terrain en participant de la vive clarté répandue sur la figure montrent très heureusement que l’on peut obtenir autant et plus d’effet par une lumière habilement distribuée que par cet artifice fréquent et trop facile qui consiste à en priver totalement les fonds ou les accessoires. Le modelé, qui révèle un sentiment d’imitation fort louable, a beaucoup de ressort, mais n’est pas exempt de noblesse. En général, cette figure est vraie ; mais le dessin manque de délicatesse et de choix. On aurait pu, en restant dans le même caractère de nature, éviter des lourdeurs remarquables surtout dans les pieds. Le torse, d’une belle pâte, laisse beaucoup à désirer sous le rapport du dessin : forcé de mouvement, trop resserré vers la hanche, il ne parait pas bien ensemble. / [f°114bis] Prométhée, par le même. / Il est plus d’un écueil nous l’avons dit. M. Pallière, dans cette seconde figure plus considérable et plus importante, a évité le reproche de nullité de sujet que nous avons adressé à la première. Il a cherché à nous intéresser par une situation dont la force dût porter la terreur dans notre âme. Il s’est imposé une tâche louable, mais difficile : voyons comment il l’a remplie. / Ici viennent s’appliquer quelques unes de nos réflexions préliminaires sur la nécessité du naturel et nous ajouterons que plus le sujet a de force et se trouve par son action hors des limites ordinaires de la nature, plus il a besoin d’y être ramené par une grande justesse de pantomime, par une extrême vérité d’accent dans l’exécution de toutes ces parties. Ainsi qu’un habile acteur nous fait croire au langage de la tragédie par la vérité et le naturel des inflexions de sa voix, de même le peintre doit reproduire avec une imitation plus rigoureuse les vérités d’accent et de détail afin d’avérer davantage la fiction qu’il nous représente : car nous le répétons, il faut croire pour être touché. La figure de M. Pallière n’a point atteint ce double but : l’attitude n’en est ni heureuse ni vraie ; plus tourmentée que forte, son geste et son expression sont plus exagérés qu’énergiques. Ce n’est pas ainsi qu’on voudrait voir Prométhée aux prises avec son redoutable ennemi. [f°115] Or il fallait rendre visiblement impossible l’action de ses mains, ou il fallait qu’il s’en servît pour écarter ce terrible vautour. Ce manque de justesse dans la pantomime et une roideur générale répandue dans toute la figure lui donnent un air d’immobilité fatigante à voir. Cette roideur est certainement l’effet du manque de vérité des formes qui dans beaucoup de parties sont de convention et non de choix. L’ensemble est irrégulier : les bras sont petits et les cuisses trop fortes. La tête appliquée contre le bras ne se présente pas dans la situation que demanderait le mouvement du corps. Au reste le caractère du dessin trop herculesque ne nous paraît pas convenir au personnage représenté. Ce n’est point un athlète qu’il fallait peindre, mais un homme supérieur dont le génie rivalisait avec la nature et les Dieux. Les formes les plus nobles ne l’eussent point été trop pour lui. / La couleur de ce tableau, forte, mais un peu dure, sombre et crue, surtout dans le fond, parait une imitation de certains maîtres plus que celle de la nature et rappelle ce que nous avons dit du danger de faire des tableaux avec des tableaux. Nous engageons donc M. Pallière à ne copier que la nature, et nous terminerons ces reproches très sévères, nous l’avouons avec regret, par la recommandation de deux qualités sans lesquelles il n’est point de bons ouvrages dans le haut style : le choix et la vérité. / Nous n’achèverons pas l’examen de cette figure sans reconnaître la somme de talent qui s’y trouve répandue, et sans louer quelques belles parties telles que le torse, à l’endroit des côtes [f°115bis] surtout en les extrémités ainsi que les accessoires qui sont également bien exécutés et d’un beau ton. // Anacréon réchauffant l’amour (par Monsieur de Forestier) / L’auteur de ce tableau cherche visiblement l’élévation du style, la noblesse, la simplicité de la forme, qualités conservatrices de la dignité de l’art et qu’on ne saurait trop recommander ; mais certainement il y a erreur dans sa manière de les envisager ou dans ses moyens de les reproduire et cette erreur détruit en partie les avantages qui pourraient résulter d’une aussi louable direction de talent. Nous nous hâterons d’avertir M. de Forestier d’une déviation qu’il est facile encore de ramener à la nature, mais qui prolongée, serait la perte du plus heureux talent. L’intérêt que méritent les jeunes auteurs des ouvrages que nous examinons nous a soutenu dans la pénible nécessite de leur dire des vérités quelque fois dures : nous conserverons cette rigidité envers M. de Forestier, car plus nous espérons de son talent, plus nous devons être exigeant à son égard. / Le premier sentiment qu’éveille dans la pensée le nom d’Anacréon est certainement celui d’une vive et franche gaieté. Son souvenir est inséparable des idées d’amour, de joie, d’ivresse : sans jeunesse comme Nestor, nous ne reconnaissons le vieillard de Théos qu’à ses cheveux blancs couronnés des roses de l’amour ou des pampres de Bacchus. / Pourquoi [f°116] donc toutes ces idées qui devaient déterminer la physionomie de la composition de M. Forestier ne l’ont-elles pas frappé ? Ou plutôt, car il est impossible qu’elles ne se soient point offertes les premières à son esprit, pourquoi ne les a-t-il pas prises naturellement pour guides ? Plus hardi en cela que les anciens qui cherchaient moins à faire autrement qu’à mieux faire, il a voulu s‘écarter des routes connues et s’est aventuré dans un sentier qui l’a passagèrement égaré, mais ou d’autres, avec moins de jugement et plus d’orgueil, se sont perdus. Éclairé par ces exemples et ramené par de sages conseils, M. de Forestier rentrera bientôt sous les lois d’une sage doctrine. Sa composition, quoique simple, manque cependant de naturel par le système dans lequel est conçu le personnage d’Anacréon, dont la pose froide et roide ne représente nullement l’accueil tendre et affectueux du plus enjoué et du plus amoureux des poètes. L’expression mélancolique de cette tête où devait briller la joie, est attristée encore par une chevelure noire qui s‘attache au fond et choque toutes les idées admises pour la physionomie du chantre de Bacchus. Nous y reconnaitrions plutôt Isocrate ou Platon. Toute la figure est courte, et les pieds sont d’une grosseur démesurée. La draperie quoique embarrassée et peu convenable peut-être, est cependant d’un beau parti d’ajustement. / La pose de l’Amour est plus heureuse d’un dessin et d’un pinceau plus satisfaisant surtout dans la partie inférieure. Il est à regretter que [f°116bis] l'ombre de la tête soit si noire, l'expression s'y perd et ne soutient pas la grâce du reste de la figure. Nous pourrions y rechercher d'autres défauts de détail ; mais cette recherche serait très surbordonnée d'intérêt aux réflexions générales que nous croyons devoir faire à M. de Forestier. Les derniers regardent l'effet du tableau qui nous a paru, ainsi que la composition, manquer de vérité et déceler encore l'esprit de système. Pourquoi, par exemple, la vive lumière qui frappe les personnages ne se répand-elle pas autour d'eux sur les accessoires, sur le fond qui les environne ? Pourquoi le paysage en est-il entièrement privé ? Pourquoi les reflets, ce moyen naturel d'adoucir l'effet, de rendre sensible le voisinage des objets et de donner l'intelligence de leurs plans respectifs, pourquoi ces reflets sont-ils nuls ? Quelle que soit la nature du rayon qui éclaire la scène, la réfraction doit être en raison directe de l'intensité de sa lumière. En se privant de ce moyen qu'indiquait la nature, l'artiste a donné à l'effet de son tableau une dureté qui devient un contre-sens par rapport au sujet doux et gracieux que ce tableau représente. / Malgré les nombreux reproches que nous venons d'adresser à M. de Forestier, nous pourrions trouver dans son ouvrage assez de parties dignes d'éloges pour en former une compensation que nous nous hâterions de lui offrir ; mais il la dédaignerait justement. La véritable compensation il doit la trouver dans la conscience de son talent qui, ramené à la nature, peut lui promettre les plus honorables succès, il faut seulement qu'il soit [f°117] convaincu que cette fois il s'est trompé. Pour nous, et ce n'est point une vaine consolation que nous voulons lui donner, nous lui devons la justice de dire qu'il est appelé aux plus nobles résultats de l'art, mais que le seul guide qui puisse l'y conduire, c'est la vérité. // La mort d'Abel, par M. Drolling. / Ici, Messieurs, cesse la pénible rigueur des fonctions que vous nous avez confiées. La sévérité dont nous sommes armés s'évanouit devant les qualités d'un ordre supérieur et la critique fera presque exclusivement place à l'éloge. Nous ne craindrons point de louer M. Drolling parce que le talent de ce jeune artiste prenant sa source dans la chaleur de l'âme et dans l'étude sincère de la nature, ne saurait s'égarer. Chaque année de ses études fut marquée par des progrès. L'ouvrage qu'il nous présente aujourd'hui et que nous pouvons regarder comme une des meilleures productions sorties de notre école de Rome est le présage certain des plus grands succès et l'assurance que l'école française pourra compter un maître de plus. / La composition de ce tableau fortement conçue, pleine d'âme et de vérité, également heureuse pour sa pantomime et ses lignes pittoresques, est enrichie d'un fond dont l'arrangement et l'effet ajoutent encore à la terreur de la scène. Les expressions des [f°117bis] têtes sont aussi convenables que fortement rendues. Celle d'Abel est noble et touchante ; son œil se tourne encore avec tendresse vers son frère dont le regard plein d'épouvante semble voir déjà la main de Dieu s'appesantir sur lui. La terreur de ce regard, l'effroi répandu dans les traits et la pantomime de toute cette figure portent dans l'âme une impression profonde et font réellement frissonner : tant a de force sur nous l'accent de la vérité ! Il est difficile en effet de réunir plus d'originalité et de naturel, plus d'énergie et de véritable simplicité, qualités toutes prises dans la nature et devenues trop rares aujourd'hui. / L'exécution de ce tableau, sans être exempte de reproches est franche, vraie, accentuée ; le dessin ferme et souple ; le coloris naturel, mais un peu terne. Les accessoires sont heureusement imaginés surtout la peau jetée en désordre sur les épaules et autour des bras de Caïn. En général, toutes les parties de ce tableau d'une heureuse hardiesse d'effet et de composition et également éloignées d'affectation ou d'esprit de système, sont fort satisfaisantes et font honneur au jugement de l'artiste. Nous ne devons pas lui taire cependant les critiques qui dans quelques endroits peuvent se mêler aux éloges. On aurait voulu par exemple que la stature de Caïn fut plus forte, que celle de son frère ; et que toutes les deux fussent d'une forme plus noble, d'une nature mieux choisie, dans la figure de Caïn une ombre portée à l'endroit des hanches semble rétrécir le corps d'une manière désagréable et celle prolongée sur l'épine du dos est aussi trop noire. La tête d'Abel, d'un beau caractère [f°118] et bien peinte est cependant un peu forte. Les jambes ont paru trop grêles quoique bien exprimées de raccourci. Enfin le parti d'effet, à la fois neuf et convenable, aurait demandé quelques variétés dans le terrain dont la couleur monotone et trop également éclairée ôte de la valeur au coloris de la figure d'Abel. / Malgré ces légères taches, cet ouvrage nous paraît une des bonnes productions de l'école actuelle ; nous pensons qu'il mérite d'être acquis par le Gouvernement et désigné un des premiers parmi ceux qui devront être reproduits par la gravure. / Tel est, Messieurs, le résultat de l'examen que vous avez bien voulu nous confier et que nous avons l'honneur de soumettre à votre approbation ; quoique la louange et le blâme y soient très inégalement répartis le même esprit de justice nous a guidé pour tous, et cette justice a été d'autant plus rigoureuse que nous attachons plus d'importance aux productions sur lesquelles elle devait se prononcer. Jeunes encore, mais appelés à remplacer un jour leurs maîtres, ces élèves doivent s’exercer d'avance à mériter cet honneur, à le soutenir dignement. Peut-être nos conseils ne leur auront-ils rien appris, cependant nous croirons avoir beaucoup fait en les forçant à ne point oublier des principes consacrés par l'expérience à se rappeler sans cesse le but élevé de leur noble profession, et à témoigner par de constants efforts la reconnaissance qu'ils doivent au Gouvernement qui les encourage. // A Paris le 12 octobre 1816 / Signé à la minute : Bonnard, Heurtier, Gros, Guérin rapporteurs. L’Académie approuve le rapport et en adopte les conclusions. // Certifié conforme à l’original / Le Secrétaire perpétuel / Quatremère de Quincy.
Localisations
Cote / numéro : 
20180071/1-48, fol. 109-119
Source
source : Institut national d'histoire de l'art (France) - licence : Attribution 4.0 International (CC BY 4.0)
Rédacteur
France Lechleiter