[1851, peinture, rapport Institut séance publique annuelle]Rapport imprimé sur les envois de peintur [...]

Messieurs, Les circonstances qui ont retardé cette année l'expédition de l'envoi des travaux de nos pensionnaires n'ont pas permis à l'Académie de se livrer comme elle se plaît à le faire ordinairement à un examen détaillé de ces ouvrages. Mais son jugement, bien qu'exprimé sous une forme générale n'en sera pas moins dicté par l'intérêt profond qu'elle porte à leurs études et qui lui fait un devoir de signaler les erreurs qui peuvent se produire dans la marche de leurs talents. // PEINTURE // M. L. BÉNOUVILLE / Ce pensionnaire a envoyé pour son travail de cinquième année, un tableau représentant le départ de Protésilas / Le sujet prêtait à une composition touchante et l'on regrette d'avoir à dire qu'il n'a produit qu'un tableau froid, d'une exécution où l'on sent trop que le travail a nui à l'inspiration. Mais sans nous arrêter à relever les défauts de cet ouvrage, qui nous frappent d'autant plus que nous avons encore présent à la pensée le brillant début de l'auteur, nous aimons mieux dire que nous conservons toujours toutes les espérances que nous avions conçues de son talent et qu'avaient si bien justifiées les belles et solides études de sa pension. // M. CABANEL / La Mort de Moïse est un ouvrage qui couronne dignement le cours d'études de M. Cabanel. Ce tableau a de l'ampleur et un caractère grave, convenable au sujet. Il est fâcheux seulement qu'une tête importante, celle de Dieu le Père, manque de noblesse et de majesté ; et tout en signalant avec plaisir des parties louables dans cet ouvrage, notamment dans deux des figures d'anges, nous regrettons encore que la manière dont la lumière est distribuée, en ne détachant pas les figures les unes des autres et en formant une masse sombre sur un ciel clair, nuise à l'effet général. // M. LEPNEVEU / Cet artiste a envoyé à notre exposition un tableau et une esquisse. Le tableau, qui a pour sujet Antigone et Polynice, offre, sous le rapport des lignes, une composition satisfaisante, quoiqu'un peu trop symétrique. On eût désiré trouver dans la figure d'Antigone plutôt l'expression de la tendresse et de la douleur d'une soeur, que le calme et la gravité d'une prêtresse et dans celle de Polynice, un dessin moins vulgaire et plus correct. L'esquisse qui représente sainte Dorothée conduite au supplice a été vue avec intérêt par l'Académie. Il y a bien quelque confusion dans les masses de cette grande composition et cela parce que la lumière y est trop également répandue. Mais à tout prendre cette esquisse d'une des scènes pathétiques de l'histoire du christianisme ne manque pas de mouvement et de caractère. // M. BOULANGER / Deux figures peintes, de grandeur naturelle, avec des études de têtes dessinées d'après la Dispute du Saint Sacrement de Raphaël composent l'envoi de ce pensionnaire. L'une des figures que l'auteur a intitulé Phryné montre par la composition encore plus que par le nom, qu'il y a cherché la grâce ; malheureusement, en ne tenant pas assez compte du naturel et de la simplicité sans lesquels la grâce n'existe pas. L'Académie invite M. Boulanger à se rapprocher davantage de la vérité dans l'étude de la nature et à mettre plus de simplicité dans l'ajustement de ses draperies. M. Boulanger a donné à sa seconde figure le nom de Démocrite enfant, mais sans y rien montrer qui caractérise Démocrite. À part cette observation, nous dirons que cette figure d'enfant ne manque pas de naïveté dans le dessin ; mais nous ajouterons que le tableau pèche par le manque d'harmonie entre le ciel qui est clair et la figure qui est toute dans l'ombre, ainsi que le terrain. Nous ne dirons rien des têtes dessinées qui remplissent trop imparfaitement les obligations du règlement par la négligence avec laquelle elles sont exécutées. // PAYSAGE HISTORIQUE // M. LECOINTE / Le premier fruit des travaux de ce pensionnaire est une Vue de la campagne de Rome aux environs de Tivoli par un temps de sirocco. Comme il est encore à son début dans la carrière, nous lui dirons que la première condition d'une étude de paysage, c'est que ses éléments essentiels, les arbres, les terrains, aient le caractère véritablement historique. Or, c'est une condition que ne remplit pas le tableau de M. Lecointe. Le site n'a rien d'historique ; à part le seul plan qui s'y trouve sur le devant, et qui consiste en une terrasse, les terrains et les fonds s'y perdent dans l'espèce de vapeur qui est l'effet que l'artiste a voulu rendre. Le saint Christophe du même artiste est une figure qui serait satisfaisante si la partie inférieure n'y laissait à désirer sous le rapport du dessin. // M. DE CURZON / On ne conçoit pas trop comment M. de Curzon a pu placer Démocrite dans la campagne de Rome, à laquelle il a emprunté le motif de son paysage. Quoiqu'il en soit, la composition de M. de Curzon est noble et pittoresque et d'un bon caractère. Les premiers plans en sont bien étudiés et l'exécution est remarquable par la fermeté et la finesse. Il est // seulement à regretter que la couleur des arbres et des terrains soit trop sombre et que le tableau manque de masses de lumière. Quant à l'étude peinte, du même artiste, qui a pour sujet deux jeunes baigneurs, ce tableau est si faible que nous nous abstenons d'en rien dire.