collection Armengol-Junyent
Plaque à la croisée ovale qui faisait partie d'une croix processionnelle composée. Elle comporte dix-huit trous qui la fixaient sur l’âme de bois. Les extrémités des bras sont droites et les angles sont légèrement incurvés. Le Christ crucifié est en applique, vivant, nimbé et couronné, fixé à la croix par quatre clous à tête ronde. On remarquera la vivacité des yeux formés de deux perles de verre émaillées et la délicatesse d’exécution de la barbe, courte et arrondie sur le menton, et de la longue chevelure, partagée en deux, tombant sur les épaules. Les bras sont presque horizontaux, le thorax, l'épigastre et la cage thoracique sont finement ciselés et les muscles des bras sont gravés.
La couronne rapportée est enrichie de losanges gravés et sertie de perles de verre turquoise, un attribut royal caractéristique des christs limousins du XIIIe siècle. Les pieds reposent sur le suppedaneum, qui a perdu sa polychromie.
Le perizonium est attaché avec une ceinture qui pend jusqu'à l'extrémité inférieure en formant une bordure jaune, verte et rouge. Cette même bordure chromatique encadre le côté droit du perizonium en contraste avec sa couleur bleue. Les bandes métalliques en réserve forment des plis très espacés à droite et en V à gauche. La ceinture s’attache avec un bouton en métal richement ciselé, orné d'une perle turquoise au centre.
La croix est surmontée d'une nuée et du monogramme de Jésus-Christ : IHS / XPS sur deux lignes. Malgré la disparition d'une grande partie de l'émail de la croix, il est possible de reconstituer le chromatisme initial en observant les restes conservés. Tous les motifs ornementaux sont disposés sur un fond émaillé bleu : les asters avec des traces de blanc et de bleu clair, de petits disques et des losanges incorporant également du jaune et du vert. La croix intérieure sur laquelle repose le Christ est verte et bordée de jaune. Le nimbe crucifère est bordé d’un cercle turquoise.
La bordure est marquée d'un filet tricolore blanc, bleu foncé et bleu clair.
Le revers est uni, avec une simple marque en forme de V, qui servait probablement au montage de la croix.
Cette plaque appartient au groupe A a .GF-8 du répertoire typologique établi par G. François (1993) pour les croix et plaques de croix de Limoges, datées entre 1190 et 1215. Elle reprend les caractéristiques établies. C’est une croix composée, avec une croisée circulaire et une applique figurative émaillée.
Pour fixer une date, il faut comparer la plaque avec d'autres du même type. L'une des plus proches est celle du Historiska Museet de Lund (Suède) (inv. LUHM 18616:1) (Andersson, 1980, fig. 12). Elles sont similaires dans la figure du Christ, encore très romane, dans l'exécution technique du torse et des bras ; dans le nimbe qui reprend la couleur turquoise et la zone des nuées ; les mêmes gammes chromatiques appliquées au répertoire décoratif des disques et des losanges ; les touches de rouge sur le vert de la bordure du perizonium, et la double bordure de la plaque en bleu et blanc. La couronne du Christ de la collection Junyent-Armengol est sertie de perles turquoises, tandis que celle de Lund imite les pierres précieuses avec des lignes gravées ; une autre différence réside dans la forme du croisillon, qui est en mandorle sur la plaque de Lund. Une autre plaque qui présente nombre de ces particularités est celle qui a été vendue aux enchères chez Christie's à Londres le 17 décembre 2020, lot 123. Elle présente en outre une grande similitude dans le chromatisme et le traitement du perizonium. Nous pouvons inclure dans cette même série la plaque de l'église paroissiale de Terrazas (Burgos, Espagne), actuellement conservée au Museo del Retablo (Burgos, Espagne) (Lázaro López, 1993, p.115), qui se caractérise aussi par une croisée circulaire, une couronne de perles turquoises, une bordure blanche et bleue et un répertoire floral. Tous les christs de ces plaques s'inscrivent dans une même chronologie avec une caractéristique commune, le chromatisme du perizonium en bleu, jaune et vert piqueté de rouge ; la plaque de Lund est dépourvue de jaune. La plaque étudiée ici est une nouvelle contribution à ce répertoire. La palette de couleurs et le traitement des plis suggèrent un modèle spécifique de crucifiés. Les similitudes que nous avons observées nous permettent de dater cette plaque en suivant la chronologie établie pour la plaque de Lund et celle du Museo del Retablo, entre 1210 et 1220.
Le sommet de la couronne est brisé, la dorure est très usée, notamment sur le torse et les jambes. Manques très importants d’émail sur la croix et le perizonium.
Cette plaque faisait partie de la collection d’Oleguer Junyent i Sans (Barcelone, 1876-1956), peintre et scénographe espagnol, mais aussi collectionneur d’art. Depuis son acquisition, la plaque appartient toujours à la même famille et se trouve actuellement sous la responsabilité de Mme Sabine Armengol, arrière-petite-fille du frère aîné du peintre, qui conserve son héritage dans l'atelier Oleguer Junyent, à Barcelone (Espagne), resté intact depuis la mort du peintre. L'actuelle collection Armengol-Junyent conserve les carnets de croquis des œuvres acquises par Junyent. Le dessin de la plaque apparaît dans l'un de ces albums, ce qui nous permet de documenter son entrée dans la collection vers 1925.