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La famille Bacri est une grande famille de négociants, bijoutiers et marchands d’antiquités, installée à Paris depuis 1860. En 1940, les frères Bacri sont contraints de quitter Paris pour la Côte d’Azur, puis vers l’Afrique du Nord, tandis que leurs collections sont saisies en 1942.

Des antiquaires réputés

Les ancêtres des frères Bacri font fortune en Afrique du Nord comme riches négociants en céréales ou comme banquiers du dey d’Alger. Dans les années 1860, ils s’installent à Paris ; c’est ainsi que Jacob Bacri et ses frères Samuel, David, Joseph, Salomon et Adolphe deviennent négociants, bijoutiers ou marchands d’antiquités.

Les deux fils aînés de Jacob Bacri, Martin (de son vrai prénom Mardochée, né le 5 octobre 18681) et Léon Jules (né le 11 juillet 18732) achètent le fonds de commerce de leur père et oncle le 22 juillet 18953. Leur troisième frère, Vidal (ou Chalabée, né le 1er septembre 18774) se joint à eux le 31 août 1904. Ainsi, la société « Martin et Jules Bacri » devient « Bacri Frères ». Le quatrième frère, Henri (Aaron, né le 13 mai 18805) s’associe également le 1er mars 1911. Fondée rue de Rivoli, la maison changera plusieurs fois d’adresse : d’abord au 1, rue de Richelieu, probablement à partir de 1877, année de naissance de Vidal, puis au 28, rue La Boétie, sûrement dès 1905, année de naissance d’Esther Stella, une des filles de Léon Jules, et enfin au 141, boulevard Haussmann, où Léon Jules, son épouse Clotilde et leurs fils Jacques sont recensés en 1931.

Avant l’Occupation, la réputation de la famille est solidement ancrée à Paris. La firme Bacri comptait notamment l’empereur Napoléon III parmi ses clients, tout comme de nombreux musées nationaux et étrangers. La Naïade peinte par Lucas Cranach l’Ancien, ayant appartenu aux Bacri, est exposée à la Kunsthalle de Brême, tout comme un Portrait d’homme, attribué à Corneille de Lyon, aujourd’hui conservé au Metropolitan Museum de New York. Des œuvres médiévales ayant appartenu aux frères antiquaires se trouvent également dans des musées français, comme la tapisserie représentant les Scènes de la Vie de la Vierge au musée de Cluny et le Pleurant du musée Rodin. La société Bacri participe aussi à la plupart des expositions d’art ancien en France et à l’étranger ainsi qu’à d’autres manifestations artistiques, comme l’exposition « Bronzes et ivoires royaux du Benin » organisée au musée d'Ethnographie du Trocadéro du 15 juin au 15 juillet 19326.

Des collections pillées par Angerer pour Göring

Le 11 juin 1940, les frères Bacri quittent précipitamment Paris pour Cusset1, commune voisine de Vichy, dans l’Allier. Ils confient les clés de leur immeuble au concierge du 140, boulevard Haussmann, Auguste Clocher2. L’immeuble compte près de vingt-cinq pièces, abritant des objets de tous types, allant de la tapisserie de haute époque aux boiseries et aux faïences, en passant par des tableaux et des sculptures. Ces marchandises constituent le fonds de commerce des frères Bacri, mais également leurs collections personnelles.

Avant même la nomination d’un administrateur provisoire pour gérer la firme, quatre prélèvements vont être opérés par Josef Angerer, marchand d’art du Reichsmarschall Göring. Le 1er juillet 1940, Angerer, accompagné par les commissaires Lienard, Chain et Dumez, retire les clefs de l’immeuble à Clocher et lui en interdit l’accès. Ce dernier sera témoin des enlèvements de marchandises, emmenées dans des camions ; aucune d’entre elles ne sera estimée à cette date. Le 8 juillet 1940, Angerer retourne chez les frères Bacri, accompagné cette fois du graveur Jacques Beltrand, professeur aux Beaux-Arts, qui estime les objets emportés par les autorités occupantes. Tous deux reviendront le 4 août 1940, puis une seconde fois dans le courant du même mois3. Bruno Lohse confirmera qu’une partie de la collection Bacri, comme La Vierge à l’Enfant, peinte par un imitateur de Rogier van der Weyden4, ainsi qu’un petit panneau tissé perse datant du XVIIe siècle5, fut envoyée directement à Göring, sans passer par l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR)6. En 1942, les collections Bacri et Kramer sont transférées au château de Kögl, la même année où les dépôts de Nikolsburg et Buxheim entrent en service7.

Par la suite, il est certain que d’autres marchandises ont été emportées par les Allemands, puisque quatre-vingt-huit œuvres ne figurant pas sur les listes d’Angerer sont passées par le Jeu de Paume entre le 15 et le 18 août 1942, inventoriées par les docteurs Eggemann, Fleischer et Borchers8.

La liquidation de Bacri Frères et l’occupation de ses locaux

Le 31 octobre 1940, le président du tribunal de commerce de la Seine nomme par une ordonnance déposée au greffe, Léon Pioton (né le 26 janvier 1896 à Saint-Parize-le-Châtel, dans la Nièvre), assisté par Victor Charbonnier, comme administrateur provisoire de la firme Bacri Frères. Par une seconde ordonnance du 26 novembre 1940, il est nommé liquidateur de la société1. Cependant, Pioton ne pourra jamais exercer son autorité : le 9 avril 1941, des militants du parti de Marcel Déat, le Rassemblement national populaire (RNP), occupent illégalement l’immeuble des Bacri. Les militants du Mouvement social révolutionnaire (MSR), autre parti collaborationniste proche du RNP, pillent également la collection Bacri.

En 1940, le MSR, concurrent du Parti populaire français (PPF), est fondé par Eugène Deloncle (1890-1944). Ancien membre du Comité secret d'action révolutionnaire (CSAR), plus connu sous le nom de la « Cagoule », Deloncle fonde, dans la continuité de son engagement politique des années 1930, un parti soutenant le maréchal Pétain. Cependant, en février 1941, le MSR fusionne avec le RNP, créé par Marcel Déat (1894-1955), allié politique de Pierre Laval. Dans la nuit du 2 au 3 octobre 1941, le MSR organise sept attentats visant plusieurs synagogues parisiennes2.

C’est d’une part entre l’inventaire effectué par Maurice Michaud, commissaire-priseur, et M. Préau, expert, entre le 26 avril 1941 et le 21 mai 1941 à la requête de Pioton, et d’autre part celui effectué entre le 20 novembre 1942 et le 11 janvier 1943, à la requête de Roger Noël (né le 12 juillet 1904 à Paris, dans le XIIe arrondissement), nommé remplaçant de Pioton au poste d’administrateur provisoire le 26 septembre 1942, que le plus de marchandises ont été dérobées3.

Seule une petite table en laque noire appartenant aux frères Bacri fut retrouvée lors de la perquisition du château de Noüe à Villers-Cotterêts, domicile d’Eugène Deloncle. D’après les renseignements de la police judiciaire, d’autres meubles de la collection Bacri auraient meublé le château. L’appartement parisien de Deloncle, ainsi que celui de son secrétaire, Jean Van Ormelingen (dit Vanor), ont également été perquisitionnés, sans résultat. Il semblerait que d’autres personnalités politiques comme Georges Albertini, secrétaire général du RNP, Roger Bertrand, ancien membre de la CGT et directeur du cabinet du secrétariat d’État au Travail (1944), ou Marcel Janin, dont il est difficile de retrouver la trace, aient eu en leur possession des œuvres appartenant aux Bacri4.

Le 7 janvier 1943, c’est Paul Jourdan (né le 1er janvier 1892 à Florac, en Lozère) qui remplace Noël en tant qu’administrateur provisoire de la firme. Ce dernier ordonnera la vente du reste des marchandises encore présentes dans les locaux des frères antiquaires. Ainsi, trois ventes aux enchères sont organisées à l’hôtel Drouot par Maître Jean-Paul Bezançon, commissaire-priseur, assisté par M. Préau les 30 janvier, 19 et 21 mai 1943 ; 2 703 618 francs y sont récoltés5.

La recherche des œuvres spoliées

Il est difficile de savoir ce qu’est devenue la famille Bacri durant la guerre ; ils auraient fui vers la Côte d’Azur, puis vers l’Afrique du Nord1. À la Libération, Jacques Bacri, fils de Léon Jules né le 14 mars 19112, de retour à Paris, se charge des demandes de restitution et d’indemnisation. Il parviendra à récupérer une partie de la collection familiale, des meubles3, des bois sculptés4, des lustres5, des tapis6, des terres cuites7, des peintures8 ainsi qu’une tapisserie d’Aubusson9. Jacques Bacri fut également spolié d’une importante bibliothèque de livres d’art et d’archéologie10, dont il a pu récupérer une partie le 29 juillet 194811.

Avec le temps, les recherches se complexifient. Le 26 mars 1961, Jacques Bacri fait savoir à Rose Valland sa volonté d’abandonner la poursuite des recherches12 ; il meurt le 3 décembre 196513. La fille de Jacques, Clotilde Bacri Herbo, née le 26 février 1940 à Nice, a pu récupérer, grâce aux recherches de la mission d'étude sur la spoliation des Juifs de France, quatre œuvres : La Vierge à l’Enfant d’un imitateur de Rogier van der Weyden14 ainsi que le petit panneau tissé perse du XVIIe siècle15 cités précédemment, mais aussi une bande de velours16 et un brocart à fils d’or et de soie17, spoliés chez les antiquaires le 8 juillet 1940. Envoyés à Karinhall, résidence de Göring, et retrouvés à Berchtesgaden, les quatre œuvres sont restituées à la famille le 2 décembre 1999 et radiées des inventaires spéciaux provisoires le 6 décembre 1999.

Le 30 mars 2017, la maison de ventes Sotheby’s organise une vente pour disperser le reste de la collection de Jacques Bacri, qui faisait dialoguer les œuvres, les époques et les civilisations. La vente atteint près de quatre millions d’euros et plus de 70 % des œuvres ont dépassé leur estimation haute18.