JASIEŃSKI Feliks (FR)
Commentaire biographique
Critique d’art, journaliste et conférencier doté d’un grand talent polémique, mécène et animateur de nombreuses associations artistiques, donateur et conservateur du Musée national de Cracovie, japoniste fervent, promoteur des arts graphiques et militant de l’art moderne, Feliks Jasieński fut un grand personnage de la vie artistique en Pologne à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Mais il fut aussi, si ce n’est surtout, le collectionneur, un des plus éminents qu’ait connu l’histoire de l’art en Pologne (Kluczewska-Wójcik A., 2014).
Jasieński naît le 8 juillet 1861 à Grzegorzewice, à 60 km de Varsovie, dans la partie de la Pologne incorporée alors à la Russie. La famille de son père Zdzisław, les Jasieński appartient à la couche moyenne de la noblesse polonaise. Bien plus influents, les Wołowski, la famille de sa mère Jadwiga, commerçants et juristes d’origine juive convertis au catholicisme, participent activement à la vie économique et politique polonaise. Franciszek, l’arrière-grand père de Feliks (anobli en 1823) et ses trois fils Ludwik, Kazimierz et Feliks prennent part au soulèvement de novembre 1830 et à la guerre russo-polonaise qui s’ensuit. Installés à Paris après la défaite du soulèvement, ils sont très actifs au sein de la « Grande émigration » polonaise, de même que dans la société française. Franciszek est l’un de principaux collaborateurs du prince Adam Jerzy Czartoryski. Partisan du bloc aristocratique, il reste toutefois proche de l’aile libérale de l’émigration grâce aux liens de parenté qui unissent les familles Wołowski et Mickiewicz. Ludwik Wołowski, grand-oncle de Jasieński, est professeur d’économie au Conservatoire national des arts et métiers, l’un des fondateurs et le premier directeur de la banque Crédit foncier de France (1852), et sénateur à vie (1876) (Levasseur É., 1877). Parmi ses collaborateurs, outre Pierre Émile Levasseur et Léon Faucher, ministre de l’Intérieur et époux de sa sœur Alexandra, se trouvent les frères Emile et Isaac Pereire.
Jasieński, avec son frère Zdzisław et ses deux sœurs Aleksandra et Jadwiga, passe son enfance au palais du domaine d’Osuchów, appartenant à son grand-père maternel Feliks Wołowski, qui restera dans la famille jusqu’en 1898. Après sa scolarité à Varsovie, il fait ses études à l’étranger, d’abord à l’Université de Dorpat (aujourd’hui Tartu, Estonie) en 1881, interrompues en raison de la maladie des yeux dont il souffrira toute sa vie, puis, entre 1883 et 1886, à Berlin et à Paris. À Berlin, il exerce ses talents musicaux tout en suivant les cours de Ernst Curtius (archéologie classique) et de Hermann Grimm (philologie) à l’Université, en tant qu’auditeur libre. À Paris, il fréquente des cours de Levasseur (économie politique), d’Émile Deschanel (littérature française) et d’Ernest Renan au Collège de France. Ses compositions musicales publiées entre 1882 et 1886 à Dorpat, Varsovie et Paris ne rencontrent pas un accueil favorable (liste des publications : Kluczewska-Wójcik A., 2014, p. 227).
En 1887, il épouse sa cousine Teresa Łabęcka, fille de Mieczysław et Jadwiga née Kossowska. Le jeune couple s’installe à Varsovie, leur fils Henryk nait en 1888. Jasieński s’engage dans des activités de la Société d’encouragement des Beaux-Arts de Varsovie et noue des contacts avec des représentants de la première avant-garde polonaise. En 1896, la crise conjugale bouleverse sa vie. Séparé de sa femme qui décède en 1900 et de son fils, il part pour un grand voyage « de Varsovie à Londres par Jérusalem » (Félix, 1901, p. 48), dont la destination finale est Paris, où il passera les dernières années du XIXe siècle en approfondissant son intérêt pour l’art japonais et la gravure contemporaine.
Critique, journaliste, éditeur
Jeune, Jasieński rêve d’une carrière de pianiste-compositeur, ses espoirs musicaux resteront pourtant vains. Si ses amis admiraient encore ses improvisations et ses interprétations de Chopin, ses essais de compositions sont définitivement oubliés. Le bilan des années consacrées aux études n’est toutefois pas négatif : il leur doit une assise solide pour sa future activité du chroniqueur musical, dans laquelle il s’emploiera pratiquement toute sa vie, en collaborant notamment avec les quotidiens Głos Narodu, Naprzód, Czas, Ilustrowany Kurier Codzienny (liste des publications : Kluczewska-Wójcik A., 2014, p. 223-227).
Le domaine auquel il s’essaie ensuite est la critique artistique et littéraire. Son opus magnum, Manggha.Les promenades à travers le monde l’art et les idées (Félix, 1901) est publié à Paris et à Varsovie en 1901. Comparé à tort au Journal des frères Goncourt (Alberowa, Bąk, 1964-1965), ce « livre sur la France » (Lorentowicz J., 1901), devrait être mis dans un contexte bien plus large, incluant surtout les « maîtres à penser » de l’auteur, en premier lieu Ernest Renan et Anatole France, mais aussi ses contemporains : Paul Bourget, père du dilettantisme littéraire, le critique Jules Lemaître et l’essayiste Rémy de Gourmont. L’ouvrage présente un large panorama de la pensée critique de l’époque, principalement française et allemande (Kluczewska, 1998, p. 99-181 ; Miodońska-Brooks E., 1992 ; Salwa M., 2008). Son titre Manggha en hommage à Hokusai devient le nom de plume de Jasieński.
En 1901, après son retour à Varsovie, Jasieński devient membre de la rédaction de Chimera, une vraie publication de prestige, berceau du symbolisme en Pologne. Il signe l’article-manifeste pour le renouveau de la musique polonaise (Jasieński F., 1901b), mais c’est l’article blasphématoire publié à l’occasion du décès du peintre Wojciech Gerson, un des article les plus contestés de toute son œuvre journalistique, qui marque le vrai début de sa carrière de polémiste (Jasieński F., 1901a). Dans la même lignée se situe aussi son œuvre de journaliste-feuilletoniste de grands quotidiens de Cracovie. Derrière le provocateur se cache pourtant un homme de métier qui connaît tous les secrets professionnels de ce nouveau médium qui est la presse et n’hésite pas à l’utiliser pour orchestrer ses actions artistiques ou ses entreprises éditoriales.
En effet, Jasieński est aussi le co-fondateur et directeur artistique de deux autres revues Lamus (1908-1909) à Lwów et Miesięcznik Literacki i Artystyczny (1911) à Cracovie. Entre 1903 et 1910, il publie plusieurs albums graphiques en commençant par le premier Album de la Société des peintres-graveurs polonais, dont il est fondateur (Czarnecki K., 1991). Conscient du fait que la promotion de l’art moderne se fait également par le biais des publications, il se charge d’éditer la première monographie illustrée de la peinture polonaise de la fin du XIXe et du début du XXe siècle (L’Art polonais. La peinture, 1904-1909) qui reste encore aujourd’hui une source indispensable pour l’étude de la critique artistique en Pologne au tournant des siècles (Kluczewska-Wójcik A., 2012). En 1907, il crée « L’Édition du Musée Jasieński », maison d’édition musicale active jusqu’au 1911, où paraissent cinq cahiers d’œuvres de deux jeunes musiciens Jadwiga Sarnecka et Karol Hubert Rostworowski (futur dramaturge) (Marcinkowska H., 2014).
Japoniste et animateur de la vie artistique
Ses préoccupations de journaliste et d’éditeur constituent un volet d’un programme beaucoup plus vaste : la diffusion et la promotion de l’art japonais et du « jeune art » polonais. Le grand « agitateur » de la scène culturelle, Jasieński est animateur, conférencier et commissaire d’expositions artistiques. Sa première exposition japonaise à Varsovie, en 1901, fait date en raison de la nouveauté esthétique qu’elle propose et de l’atmosphère de scandale qui l’entoure. Jusqu’au 1923, il organise plus de quarante présentations, surtout à Cracovie, d’art contemporain polonais, d’arts graphiques et d’art japonais de sa collection, destinée, comme il le le souligne dès le début, à la nation. Elles ont pour la plupart un caractère inédit, comme une grande exposition japonaise du 1906, accompagnée par Le guide de la collection japonaise du Département du Musée national de Cracovie, écrit et publié par Jasieński, ou encore les expositions monographiques de Hiroshige, Utamaro, Hokusai et Kuniyoshi en 1923. Les présentations de deux albums de la galerie Vollard, de l’œuvre grave de Redon et de Klinger, en 1902-1903, sont non seulement les premières de ce genre en Pologne mais parmi les premières en Europe.
En 1902, Jasieński s’installe à Cracovie, ville à laquelle il restera lié jusqu’à sa mort survenue le 6 avril 1929. Son appartement, 1 rue Saint Jean, au centre de la vielle ville, dont les fenêtres donnent sur les Sukiennice qui abritent la galerie du Musée national, devient le lieu de rencontres des artistes, écrivains et amateurs d’art. Ce « Musée Jasieński » est aussi, depuis 1903, le siège du club « L’Art », créé par le collectionneur pour soutenir la Société des Artistes Polonais Sztuka (« L’Art », 1897), composée pour la plupart de ses amis-peintres, professeurs de l’Académie des Beaux-Art de Cracovie. À la fin de sa carrière, limité par ses moyens, le colletionneur décide de concentrer ses efforts en faveur de ceux qu’il considère comme les plus vulnérables : les jeunes sculpteurs, graveurs et musiciens. En 1921, son initiative prend la forme du prix Feliks Jasieński dont la gestion est confiée à l’Académie des sciences et des lettres de Cracovie. Elle sera décernée régulièrement chaque année jusqu’en 1938 (Kluczewska-Wójcik A., 1998, p. 365-368, 389-392).
Engagé dans le mouvement du renouveau des arts graphiques et des arts décoratifs, Jasieński fonde, en 1902, la Société des peintres-graveurs polonais et apporte son soutien à la société « Art appliqué polonais » et à l’association « Kilim ». Il participe également aux activités de la Société des Amis des Beaux-Arts de Cracovie et crée, en 1903, la Société de amis du Musée national de Cracovie, la première de ce genre en Pologne. Il est aussi l’un des fondateurs du cabaret littéraire Zielony Balonik (Petit balon vert) qui réunit l’élite intellectuelle de la ville pour les manifestations artistiques les plus divers.
Sa collection et sa bibliothèque sont à la disposition des tous les intéressés, non seulement des artistes arrivés mais aussi des étudiants de l’Académie des Beaux-Art et des élèves de l’école artistique pour les femmes de Maria Niedzielska, pour lesquels il donne des cours accompagnés par les présentations des œuvres d’art, en premier lieu japonais. Ainsi le « Musée Jasieński » reste le centre vivant du japonisme polonais.
Le 11 mars 1920, Jasieński lègue l’ensemble de ses collections au Musée national de Cracovie (acte de donation : Kluczewska-Wójcik A., 2014, p. 205-222 ; DIMNK no 140.000-155.000). Nommé conservateur du nouveau département, il en est entièrement responsable. À l’exception des sculptures et des tableaux exposés aux Sukiennice, des objets demeurent néanmoins toujours dans son appartement, situation qui restera inchangée jusqu’à sa mort. En 1930, sa veuve Janina achève les travaux d’inventaire et l’ensemble passe sous la responsabilité d’un conservateur nommé par le musée. Le Département Feliks Jasieński n’ouvre officiellement qu’en 1934 et fonctionne seulement jusqu’en 1939. Après la IIe guerre mondiale, la collection est répartie entre les différents départements du Musée. La collection japonaise est à présent en dépôt au Musée Manggha d’art et de téchnologie japonaise à Cracovie.
Sa collection
L’art polonais
La véritable vocation de collectionneur de Jasieński remonte à sa rencontre avec les peintres groupés autour de la revue Wędrowiec et de son rédacteur artistique Stanisław Witkiewicz, à la fin des années 1880 à Varsovie. Il s’intéresse aux œuvres réalistes de Witkiewicz, Józef Chełmoński et Aleksander Gierymski, mais plus encore à ceux de Władysław Podkowiński et Józef Pankiewicz, jeunes « impressionnistes », alors violemment décriés par la critique, et de Leon Wyczółkowski, le troisième protagoniste de la « révolution du paysage » dans la peinture polonaise. Le sort tragique du jeune sculpteur Antoni Kurzawa non seulement pousse le collectionneur à acheter plusieurs compositions de l’artiste mais aussi renforce son intérêt pour ce domaine de la création.
À Cracovie, sa collection s’enrichit d’œuvres de professeurs de l’Académie des beaux-arts et de membres de la Société Sztuka : Julian Fałat, réformateur et premier recteur de l’Académie, Jan Stanisławski, fondateur de l’école polonaise du paysage, Jacek Malczewski, porte-drapeau des symbolistes polonais, ainsi que des représentants du courant décoratif de la peinture tels que Józef Mehoffer et Stanisław Wyspiański, ou encore Konstanty Laszczka, tuteur de la nouvelle génération de sculpteurs. Le collectionneur entretient également des relations avec les peintres de l’entourage de Chimera Ferdynand Ruszczyc et Konrad Krzyżanowski et les artistes polonais actifs en France Olga Boznańska et Władysław Ślewiński. Des œuvres de Xawery Dunikowski, d’Edward Wittig, de Ludwik Puget, de Henryk Hochmann, de Henryk (Enrico) Glicenstein et Gustav Vigeland complètent sa galerie de sculptures, unique en Pologne. Cette partie de la collection qui compte 220 toiles, 740 pastels et dessins et 78 sculptures constitue jusqu’à aujourd’hui la base de l’exposition permanente de l’impressionnisme, du symbolisme et de l’Art nouveau polonais au Musée de national de Cracovie (liste des tableux et sculptures : Kluczewska-Wójcik A., 1998, p. 580-621 ; Blak H., Małkiewicz B. ; Wojtałowa E., 2001 ; Godyń D., Laskowska M., 2016 ; Kozakowska S., Małkiewicz B., 1997).
Collections orientales
L’art de l’Extrême Orient fut et reste toujours le premier titre de gloire de Jasieński-collectionneur. Sa « passion japonaise » est née en France tout comme sa collection, acquise presque entièrement par l’intermédiaire de marchands parisiens, en premier lieu Siegfrid Bing, et Charles Vigner, mais aussi Hayashi Tadamasa, Henri Portier, Adolphe Worch ou N. Pohl. Ses séjours à Paris, entre 1897 et 1900, lui donnent la possibilité de se former, d’exercer son œil, d’affiner ses références. Les relations commerciales établies à ce moment-là se poursuivent après son retour en Pologne jusqu’en 1909 au moins (AMNK S1/4, S1/14, S1/19).
Il alimente sa collection aussi dans d’autres centres commerciaux d’Europe : à Amsterdam, chez Van Veen, fournisseur de sa collection d’étoffes orientales ; à Berlin, chez Amsler et Ruthard, Rex & C° et R. Wagner, spécialisés dans les tapis orientaux ; à Vienne « Au Mikado » et à Leipzig, chez Karl W. Hiersemann qui approvisionne surtout la bibliothèque extrême-orientale de Jasieński et son recueil d’arts graphiques, y compris japonais (AMNK S1/4, S1/16, S1/19). Outre des monographies et des périodiques spécialisés, sa bibliothèque contient plusieurs catalogues de vente des grandes collections japonaises, depuis celle des Goncourt du 1897, dont certains comportent des notes manuscrites du collectionneur ce qui porte à croire qu’il participait aux enchères. Entre 1904 et 1907, Jasieński importe des estampes directement du Japon par l’intermédiaire de Stanisław Dębicki, peintre et collectionneur d’art japonais.
Après les pertes subies pendant la deuxième guerre mondiale, la collection compte environ 7 600 objets, représentatifs pour l’histoire de l’art japonais, auxquelles s’ajoutent également des exemples de l’art chinois. Elle contient un choix de peintures, du XVe au XIXe siècle (83 kakémonos, 5 makimonos, 33 dessins et aquarelles) dont les œuvres de Tosa Mitsusuke, Kano Shunko, Miyagawa Chôshun, Masanobu, Toyokuni, Kishi Renzan, Watanabe Seitei et des peintures bouddhiques. Outre des 26 exemples de la statuaire bouddhique du XIVe au XIXe siècle, la sculpture est représentée par un grand nombre de netsuke et plusieurs masques d’acteurs (Alberowa 1968 ; Martini, 2014, Sztuka japońska, 1994).
Jasieński s’intéresse plus particulièrement aux estampes et sa collection en compte plus de 5 000 (Kurakufu, 1993). Signées par 200 artistes, de Hishikawa Moronobu et Okumura Masanobu à Hiroshige, elles illustrent bien les étapes successives de l’évolution de l’ukiyo-e, même si toutes les périodes ne sont pas représentées d’une façon également riche. Les préférences du collectionneur vont aux maîtres du XVIIIe siècle tels que Harunobu, Koryûsai, Shigemasa, Shunshô, Kiyonaga et Sharaku. Un des artistes le mieux représentés est Utamaro. Parmi les maîtres de la première moitié du XIXe siècle, il apprécie Toyokuni, Kuniyoshi et Kunisada, mais ses préférés sont Hokusai et Hiroshige. Le premier est représenté par ses séries historiques et légendaires ainsi que des paysages et 64 albums. Le deuxième, dont les œuvres constituent 30% de la collection, est présent avec pratiquement toutes ses séries et de nombreuses planches isolées. À cela s’ajoutent surimono, dues entre autres à Hokusai, Hokkei, Gakutei, et Kubo Shuman.
Un grand amateur de tsuba, Jasieński en rassemble 680, ainsi qu’un choix de kozuke, sabres et deux armures. Plus de 60 inrô, céramiques, émaux, laques, objets en bronze, textiles, notamment kimono et ceintures obi, et pochoirs katagami représentent des arts décoratifs japonais.
Jasienski est également féru de l’art du Proche Orient, surtout des étoffes, tapis persans et turc, ainsi que des ceintures polonaises dites de Słuck (XVIIe- XIXe siècles), dont sa collection compte 1200 pièces (Biedrońska-Słotowa B., 1983 ; Taszycka M., 1990, 1994). Il les achète dès le début de sa carrière, mais sa passion s’intensifie dans les années 1910-1920. Pendant la guerre, il voyage en Galicie et Podolie (aujourd’hui Ukraine) à la recherches des kilims traditionnels, destinés à faire pendant à son ensemble de textiles orientaux, qu’il achète à Lwów, mais aussi à Berlin ou encore à Amsterdam, où il se fournit également en batiks javanais.
Arts graphiques et décoratifs
Les arts graphiques constituent un des centres d’intérêt majeurs du collectionneur. Eveillé pendant ses séjours à Berlin et surtout à Paris, son goût de la gravure grandit en même temps que sa « passion japonaise », tous les deux restant étroitement liés. Ses correspondants privilégiés sont Edmond Sagot, Gustave Pellet et Ambroise Vollard. Parmi les nombreux marchands d’estampes actifs à Paris, Jasieński choisit ceux qui sont aussi les premiers à soutenir activement le mouvement en faveur de l’estampe en couleurs, auquel il s’associera par ses acquisitions et par ses initiatives éditoriales. Il porte un intérêt particulier aux publications des sociétés ou associations des peintres-graveurs : français, mais aussi allemands, anglais, hollandais, scandinaves et même russes. Il les achète directement chez les éditeurs ou bien chez son fournisseur attitré Hiersemann. Des albums et grand nombre d’affiches de propagande russes et soviétiques sont importés directement de Moscou.
Plus de 3000 gravures, de nombreuses affiches et revues illustrent les phases successives de l’évolution de la gravure en Europe : de Goya aux Nabis, en passant par Klinger et Redon, particulièrement bien représentés dans la collection (Kluczewska-Wójcik 2006a, b ; Kulig-Janarek K., 2015). Le fonds de gravures polonaises compte environ 1200 planches. Il présente tous les artistes et toutes les œuvres les plus significatifs de 1895 à 1929, ceux de Pankiewicz et de Wyczółkowski en tête. Jasieński achète également des monographies d’artistes et d’autres publications spécialisées, dans l’espoir de transformer son cabinet d’estampes en un lieu de rencontres pour tous ceux qui s’intéressent à ce domaine de création artistique.
Engagé dans le mouvement du renouveau des arts décoratis, déjà en 1902 Jasieński prend fait et cause pour le style dit de « Zakopane » né des projets et des écrits de Witkiewicz. Il dirige donc tout naturellement son intérêt vers l’artisanat des régions de Podhale (dans les montagnes de Tatras), des Carpates, de la Wolhynie, de la Podolie (aujourd’hui Ukraine) et de Kachoubie (au Nord de la Pologne). À côté des spécimens de l’art populaire trouvent leur place des tapis, des meubles et des batiks signés par des adhérents des « Ateliers de Cracovie », tels que Karol Tichy, Tadeusz Brzozowski et Józef Czajkowski ou des jeunes apprenties les sœurs Kogut. À côté des grès flambés de Stanisław Jagmin, rénovateur de l’art de la céramique en Pologne, ceux de Franciszek Necel, potier de Kachoubie, dont l’œuvre, commandée par Jasieński juste avant sa mort, est la dernière pièce à entrer dans la collection (Kostuch B., 2001 ; Kostuch B., 2010).
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