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Georges Maratier exerça ses activités de marchand de tableaux à Paris à la galerie de Beaune de 1937 à 1939, puis à la galerie René Drouin au début de l’Occupation et enfin à la galerie Allard, tout en ouvrant une galerie à son nom entre 1944 et 1946. Il aida Gertrude Stein à récupérer ses tableaux et fut aussi impliqué dans des transactions avec des clients allemands en 1941 et 1944.

La galerie de Beaune

Georges Charles Maratier naquit le 9 septembre 1900 dans le Ve arrondissement à Paris. Il était représentant en vins aux établissements Maratier, entreprise familiale, jusqu’en 19361. Il est référencé ensuite en 1937 comme antiquaire au 36 rue Verneuil et ouvrit une galerie au 25 rue de Beaune dans le VIIe arrondissement à Paris avec l’Américain Edwin Livengood2. Maratier se maria le 15 octobre 1930 avec Florence Tanner, qui partit aux États-Unis en 1939 et divorça en 19543. Sa femme entretenait une correspondance avec Francis Picabia et le couple fréquentait Pablo Picasso dans la maison de campagne de Gertrude Stein et d’Alice B. Toklas, sa compagne et secrétaire, au début des années 19304.

Proche de Daniel-Henri Kahnweiler, Maratier exposait les œuvres d’André Derain, Max Ernst, André Masson et Francis Picabia. Il promut de jeunes artistes, à l’instar de Roger Toulouse, propulsé sur la scène parisienne par Max Jacob et qui lui fut présenté par Picasso et Kahnweiler en 1937. Il se rendit à Orléans avec Gertrude Stein pour acheter une grande partie de l’atelier de Toulouse. La plupart de ces toiles partirent ensuite enrichir des collections publiques ou privées aux États-Unis. La galerie de Beaune prit alors l’artiste sous contrat d’exclusivité, à raison de quatre toiles par mois et organisa sa première exposition personnelle en 19385.

La même année, Maratier présenta l’exposition « Guillaume Apollinaire et ses peintres », avec des œuvres de Marie Laurencin. Il avait connu le poète quelques jours avant son décès et soutenu sa veuve Jacqueline. Sa galerie était aussi fréquentée par Wilhelm Uhde à qui l’exposition rappelait l’époque où tous ces artistes se retrouvaient chez Gertrude Stein6. D’après Hans Werner Lange, lieutenant affecté par la suite au service de la propagande allemande en France sous l’Occupation, qui le connut à cette époque :

« Georges n’était pas de ces galeristes typiques je dois dire, dont l’univers se limite aux tableaux qu’ils vendent et à l’argent qu’ils touchent ou ne touchent pas. Il s’intéressait à la littérature, à la danse, à la musique, à la comédie. Il avait fondé les Éditions de la montagne, produisait des pièces de théâtre, collaborait aux Ballets russes de Serge de Diaghilev. Polyglotte, il donnait à la radio de Chicago des conférences sur la vie culturelle en France7. »

Maratier fut contraint de fermer la galerie de Beaune du fait de son engagement militaire en tant qu’infirmier en 1939.

De la galerie René Drouin à la galerie Georges Maratier

À son retour à Paris en octobre 1940, il se rapprocha de la Galerie Drouin qui voulait reprendre ses activités après l’armistice. Alors que Leo Castelli (1907-1999) quittait la France pour les États-Unis en décembre, son associé René Drouin confia à Maratier l’ouverture d’une galerie d’art et de mobilier, sise 17 place Vendôme dans le Ier arrondissement à Paris. Georges Maratier écrit à Roger Toulouse le 11 août 1941 :

« J’ai le plaisir de vous annoncer que depuis la semaine dernière, je suis devenu directeur d’une galerie et que nous espérons ouvrir vers le 1er septembre (…) L’emplacement est magnifique et le local luxueusement décoré1. »

Le nouvel espace fut finalement ouvert en novembre 1941, à quelques pas du Ritz, fréquenté par les hauts responsables nazis. Il est inauguré avec une exposition consacrée aux « Portraits contemporains », rassemblant des toiles de Pierre Bonnard, Maurice Denis, Giovanni Boldini, Kees van Dongen, Marie Laurencin et Édouard Vuillard2. D’autres suivront comme l’exposition « Rivages de France » en avril 1942, présentant des tableaux de Bonnard, d’Édouard Manet, Henri Matisse, Paul Signac et Raoul Dufy ou encore « Maîtres et Petits Maîtres du XIXe siècle » en octobre 1942 avec des œuvres de Camille Corot, Gustave Courbet, Eugène Delacroix et Théodore Géricault. En juin-juillet 1943, la galerie Drouin attirait le public avec « Le Portrait français du XVe siècle à nos jours » exposant Sébastien Bourdon, Nicolas de Largilliere, Jean-Honoré Fragonard, Jean-Baptiste Greuze, Jean Auguste Dominique Ingres, Paul Gauguin, Edgard Degas, Henri de Toulouse Lautrec, Odilon Redon, Vuillard et Renoir.

Il est probable que Maratier se servit alors de ses relations, notamment du lieutenant Lange, pour protéger ses proches. La riche américaine, Gertrude Stein, partie en zone libre à Billignin dans l’Ain, récupéra sa collection d’art moderne vraisemblablement par son entremise3. Juive et amatrice d’art dit dégénéré, elle pouvait aussi compter sur l’appui de Bernard Faÿ (1893-1978), nommé administrateur général de la Bibliothèque nationale par le régime de Vichy, qui était l’un des traducteurs de ses écrits et l’un de ses amis. La déclaration de guerre des États-Unis faisait de tout Américain présent sur le sol français un ennemi. La collectionneuse ne fut cependant pas directement menacée, probablement en raison de ses bonnes relations avec le maréchal Pétain dont elle traduisait les discours4. En 1941, Maratier obtint également, grâce à l’intervention de Lange, la libération du camp de Compiègne de son ancien associé américain de la galerie de Beaune, Livengood5. Ce dernier était marié à Christiane van der Klip (1921-1975), gérante de la galerie Berri, et son beau-père, le collectionneur belge John van der Klip, était un fidèle client de la galerie Drouin. Jugé trop proche du régime de Vichy, Maratier, dont les opinions politiques bonapartistes étaient connues avant-guerre, fut cependant écarté de la direction de la galerie. Sous la houlette de Jean Paulhan (1884-1968), la galerie prit alors un tournant radical qui allait faire sa renommée après-guerre, se détachant des modernes classiques pour promouvoir la création de Jean Fautrier et de Jean Dubuffet6.

Au printemps 1943, Georges Maratier participa à la programmation du Théâtre des Champs-Élysées, haut lieu de culture de la danse et de la musique, marqué par l’histoire des ballets et aurait contribué à sa direction artistique7.Tout en travaillant pour la galerie Allard située 20 rue des Capucines dans le IIe arrondissement à Paris, il fonda au début de l’année 1944 sa propre galerie au 20 place Vendôme dans le Ier arrondissement, la Galerie Georges Maratier qu’il dirigea jusqu’à la fin de l’année 1946. Il était ainsi installé, cette fois à son nom, dans un hôtel particulier qu’il avait occupé dès la réouverture de la galerie Drouin en 1941. Après 1946, il fut salarié de la maison ALGAP, 25 rue Jacob dans le VIe arrondissement et était domicilié 2 rue de Harlay dans le Ier arrondissement à Paris, à la même adresse que Livengood8.

Vente d’un Rembrandt à Boehmer et de « tentures chinoises » à Gurlitt

À l’issue du conflit, il fut d’abord poursuivi par la Direction des Douanes, puis comparut devant le Comité de confiscation des profits illicites pour son implication dans deux affaires distinctes, pour lesquelles la Cour de justice du département de la Seine avait abandonné toute poursuite pour atteinte à la sécurité de l’État1.

La première affaire concernait la vente d’un tableau de Rembrandt, La mère, ayant appartenu à Maurice Escoffier. Maratier aurait servi d’intermédiaire dans la vente de ce tableau à Bernhard A. Boehmer en 19412. En effet, il savait qu’Escoffier cherchait à vendre son Rembrandt. Les conditions exactes ayant mené à la vente restent obscures, Lucien Adrion soutenant que Maratier était lui-même venu proposer l’œuvre de Rembrandt et Maratier affirmant pour sa part qu’Adrion s’était proposé comme acheteur3. La vente fut bien conclue par Adrion au nom de Boehmer. Pétridès avança l’argent pour Adrion et toucha pour cela une commission ; Escoffier donna aussi une commission à Maratier4.

La deuxième affaire pour laquelle Maratier fut convoqué concernait la vente de quatre tapisseries anciennes de Beauvais par Nicolas Matzneff à Hildebrand Gurlitt en 19445. Provenant de l’héritage de « madame Morgon Ferry », elles avaient été acquises par Matzneff en avril 19446. Ce dernier fit une offre à Guillaume Janneau, administrateur général du Mobilier national, pour l’acquisition des tapisseries par l’État7. En parallèle de ces échanges, Matzneff avait contacté d’autres intermédiaires et il avait laissé des photographies des quatre tapisseries à des fins de documentation à Maratier8. Adrion et Gurlitt vinrent les voir et Maratier assista à la discussion du prix de vente entre Matzneff et Gurlitt, ce dernier faisant une offre plus généreuse que l’État français et les tapisseries étant exportées en Allemagne en juillet 19449.

Maratier avait touché pour ces deux ventes une commission s’élevant à 430 000 F (180 000 F pour l’affaire Escoffier et 250 000 F pour l’affaire Matzneff)10. Il est condamné à une amende de 468 100 F (208 100 F pour l’affaire Escoffier et 260 000 F pour l’affaire Matzneff)11. Dans ces deux affaires, il est identifié comme un intermédiaire ayant été manipulé, d’où la procédure uniquement fiscale. Les poursuites pour collaboration furent abandonnées, Adrion et Matzneff étant considérés comme étant à l’origine des transactions. Maratier décéda à Pouzy-Mesangy dans l’Allier le 13 août 196312.