Aller au contenu principal
Lien copié
Le lien a été copié dans votre presse-papier

Commentaire biographique

Archéologue, historien d’art et conservateur, Joseph-Henri Barbet de Jouy (1812-1896) a effectué la majeure partie de sa carrière au Musée du Louvre où il entre en 1851 à la suite de la faillite de l’entreprise paternelle. Il est connu pour ses nombreux catalogues des collections du Louvre et son action de sauvegarde du musée lors de la Commune en 1870. Une notice critique à son sujet a été rédigée par Geneviève Bresc-Bautier dans le cadre du Dictionnaire des historiens d’art édité par l’Institut national d’Histoire de l’art, notice à laquelle nous renvoyons notre lecteur. La présente notice a pour objet de se concentrer sur ses activités de collectionneur.

Constitution de la collection

Un « don fatal »

Charles Éphrussi (1849-1905), dans la préface qu’il dresse au catalogue de vente de Barbet de Jouy donne un étonnant portrait de ce collectionneur. À douze ans, le jeune Joseph Henry aurait reçu de sa grand-mère une « potiche chinoise » qui aurait scellé à jamais son destin de collectionneur (Ephrussi, 1879, p. IIV-IV). Ce « don fatal d’une grand’mère imprudente » l’aurait en effet conduit à acquérir avec acharnement les porcelaines chinoises, tant auprès des marchands de curiosité que lors des grandes ventes aux enchères. Ses objets de collections n’ont ainsi eu que peu de rapport avec les études qu’il a produite en tant qu’historien d’art et conservateur du musée du Louvre (cf. bibliographie, et Bresc-Bautier G., 2016).

Provenances prestigieuses

En l’absence d’inventaire après décès, le catalogue de vente de 1879 est le seul à pouvoir rendre compte de ce que fut la collection Barbet de Jouy (Lugt 39109). Il comprend près de deux-cents porcelaines chinoises (195 lots), une vingtaine de porcelaines japonaises (lots nos 196 à 217), à quoi s’ajoutent plusieurs tapis orientaux. Les numéros 242 à 245 qui clôturent la vente correspondent aux vitrines du collectionneur.

Le catalogue de vente, rédigé par le conservateur du musée des Arts décoratifs Paul Gasnault (1828-1898), recense un grand nombre de provenances prestigieuses avec plus de quarante œuvres provenant des ventes de la duchesse de Montebello en 1857. Véritable tournant dans le monde de la curiosité, les ventes après décès de Louise Antoinette Scholastique Guéheneux Maréchale de Lannes duchesse de Montebello (1782-1856 ; Lugt 23338, 23368, 23407, 23417, 23441, 23493, 23507) étaient fameuses pour leur ensemble d’œuvres de Chine et du Japon. Se trouvent également mentionnées les ventes de la Duchesse de Berry (1865, Lugt 28508), du baron Hippolyte Boissel de Monville (1866, Lugt 28856), d’Augustin Pierre Daigremont (1861, Lugt 26072), de Jean Achille Deville (1858, Lugt 24138), Charles de Férol (écrit « Ferrol » dans le catalogue, 1863, Lugt 27187), Louis Fould (1860, Lugt 25635), Humann (1858, Lugt 23977), Lablache (1858, Lugt 24224), du duc de Morny (1865, Lugt 28746), de Poinsot (1861, Lugt 26033), de James-Alexandre de Pourtalès-Gorgier (1865), du prince Soltykov (écrit « Soltikoff » dans le catalogue), Juste (1868, Lugt 30184), du Vicomte Paul Daru (1867, Lugt, 29527), de Élisabeth Rachel Félix, dite Melle Rachel (1857, Lugt 23743), Marks (1863, Lugt 27378 et 1864, Lugt 28135). Par ailleurs, plusieurs pièces de son catalogue sont indiquées comme provenant du Palais d’été, le Yuanmingyuan 圓明園, résidence palatiale des empereurs mandchous pillée puis incendiée par les troupes franco-britanniques en 1860.

Histoire de théière

Il est surprenant de constater que lors de cette vente ce ne sont pas, comme on serait en droit de le penser, les œuvres provenant du Palais d’été qui obtiennent les prix les plus élevés, eu égard au prestige et au caractère impérial de la provenance (d’Abrigeon P., 2019). En témoigne une théière famille verte émaillée sur biscuit de l’époque Kangxi 康熙 (1662-1722) qui est adjugée pour la somme faramineuse de 1305F (lot 126 ; cf. illustration de cette notice), là où, dans la même vente, une théière portant une marque impériale Qianlong 乾隆 (1736-1795) et vendue comme provenant du Yuanmingyuan est adjugé pour 155F (lot 130 ; AP, D48E3 68). Comment expliquer cette disparité ? Sans doute faut-il préciser que la théière à 1305F avait un pedigree plus important dans l’histoire des collections de porcelaines chinoises en France : gravée en 1875 dans l’Histoire de la Céramique d’Albert Jacquemart (1808-1875), critique d’art fameux et estimé, inventeur de nomenclature des « familles » (cf. notice Albert Jacquemart), elle est également présente à la vente susmentionnée du conservateur du musée des antiquités de Rouen Jean Achille Deville en 1858. Quoique stylistiquement plus tardive, Albert Jacquemart datait la pièce de la période Xuande (1426-1435), se référant à la date apposée sous la base (da Ming Xuande nian zhi 大明宣德年製). Peut-être l’ancienneté de la pièce a-t-elle également joué dans sa valorisation.

Des tableaux colorés

Contrairement à d’autres collectionneurs de son temps qui constituent une collection scientifique, acceptant même les objets fêlés tant qu’ils représentent un type intéressant à leurs yeux (cf. notice Albert Jacquemart), Barbet de Jouy semble avoir développé une approche plus esthétisante, voire puriste de la collection, laissant peu de place à l’incomplétude. Charles Éphrussi raconte une anecdote savoureuse à ce sujet : après avoir acheté une paire de vases d’époque Qianlong (1736-1795), dont l’un était restauré, il aurait achevé le vase restauré en le brisant sur-le-champ, tant pour rendre le vase restant unique que pour se débarrasser d’un vase mutilé qui « eût choqué son œil délicat » (Ephrussi, 1879, p. V). Barbet de Jouy attachait par ailleurs un soin tout particulier à la présentation de sa collection dans ses vitrines, composées, d’après Charles Ephrussi, comme de véritables tableaux colorés (Ephrussi, 1879, p. VI).

Le caractère extrêmement spécialisé de la collection semble dénoter avec cette approche plus esthétisante, faisant de ce collectionneur un cas assez singulier.