MANZI Michel (FR)
Commentaire biographique
Personnalité aux multiples facettes et au parcours pluriel (ingénieur, éditeur, imprimeur, marchand, écrivain, artiste), Michel Manzi est aussi un grand collectionneur et une personnalité importante du monde de l’art, reconnue à plusieurs égards à la fin de sa vie. Né le 28 septembre 1849 à Naples, il mène une carrière militaire en Italie, au Collège militaire de Naples, puis à l’École militaire de Turin dès 1866 et enfin, à l’École de guerre de Turin dont il obtient le brevet de sous-lieutenant d’État-Major en 1869. Il est ensuite détaché de l’Institut géographique militaire de Florence entre 1870 et 1875 et participe aux recherches visant à faciliter les relevés topographiques des terrains difficiles grâce aux procédés photographiques. Dès lors, Manzi développe un intérêt particulier pour les techniques d’impression et de reproduction photomécanique. Il est nommé capitaine d’état-major à l’École de guerre de Turin en 1878, et ses connaissances des techniques topographiques lui permettent de publier un manuel et d’y enseigner la topographie et la géométrie pratique. En 1881, alors qu’il est nommé Chevalier de la couronne d’Italie, Manzi démissionne de l’armée italienne suite à l’obtention de résultats prometteurs dans les recherches qu’il mène en parallèle sur les procédés de typogravure (procédé photomécanique permettant d’imprimer simultanément image et texte).
Manzi chez Goupil & Cie
Il se rend à Paris et intègre la maison d’édition et d’impression Goupil & Cie en qualité d’ingénieur, œuvrant à la mise en place et à l’application de procédés photomécaniques pour l’édition et la reproduction. Le fondateur de la société, Adolphe Goupil (1806-1893), se retire des affaires en 1884, et Manzi devient le directeur des ateliers de la firme situés à Asnières dans la nouvelle société Boussod, Valadon & Cie (successeurs de Goupil & Cie). Il y mène d’importants travaux d’amélioration et d’élaboration de procédés de reproduction et d’impression, qui influent sur la production de la maison Goupil. Ces procédés enrichissent considérablement ses publications d’estampes et de photographies, mais aussi de revues, de catalogues et de livres illustrés. Ces importants progrès lui valent d’être décoré Chevalier de la Légion d’honneur en 1900.
Michel Manzi devient codirecteur de la maison Goupil dès 1897 au sein de la société Jean Boussod, Manzi, Joyant & Cie (successeurs de Goupil & Cie) éditeurs imprimeurs, qui deviendra la société Manzi, Joyant & Cie en 1900, jusqu’à sa dissolution peu de temps après la mort de Manzi en 1917. De nouvelles revues, particulièrement luxueuses et artistiques, voient le jour sous sa direction éditoriale : Le Théâtre, Les Modes, Les Arts, Les Sports Modernes et L’Hygiène. Les orientations artistiques de la société évoluent vers une diversification des publications, la promotion d’artistes contemporains moins connus, et l’ouverture d’une galerie d’art.
L’entourage de Manzi
Par ses activités professionnelles, Manzi rencontre et lie de véritables amitiés avec des artistes et personnalités du monde de l’art : les peintres Edgar Degas (1834-1917) et Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), le sculpteur Albert Bartholomé (1848-1928), le critique et historien d’art Paul Lafond (1847-1918) ou encore le comte Robert de Montesquiou (1855-1921), critique d’art et homme de lettres. Il fréquente par ailleurs divers collectionneurs, comme Roger Marx (1859-1913), Edmond de Goncourt (1822-1896), ou Camille Groult (1832-1908). Ces différentes rencontres, sa sensibilité à l’art, sa maîtrise des techniques d’impression et l’acquisition progressive de connaissances artistiques sont autant d’éléments qui le propulsent dans un milieu d’émulation artistique et intellectuelle, et auront une influence certaine sur la définition de son goût et la constitution de ses collections.
Manzi et le japonisme
D’autre part, Michel Manzi prend part au mouvement du Japonisme qui agite la société parisienne dès le milieu du XIXe siècle. Il s’inscrit dans cette nouvelle génération d’amateurs, collectionneurs et marchands, qui apparaît dans les années 1880. Celle-ci se caractérise par une meilleure connaissance de l’art japonais et s’organise autour des marchands Hayashi Tadamasa (1853-1906) et Samuel Bing (1838-1905). Ces marchands, que Manzi fréquente assidûment, réunissent autour d’eux un véritable cercle d’amateurs et collectionneurs japonisants, dont Manzi fait partie, aux côtés notamment de Henri Vever (1854-1942), Louis Gonse (1846-1921), Charles Gillot (1853-1903), ou Raymond Koechlin (1860-1931). Les années 1890 sont ensuite marquées par la multiplication des ventes aux enchères d’objets d’art japonais, ainsi que par la vente des grandes collections des japonisants de la première heure, comme celles de Philippe Burty (1830-1890) en 1891, ou d’Edmond de Goncourt en 1897. Manzi constitue ainsi une très importante collection d’estampes japonaises, par l’intermédiaire des marchands Hayashi et Bing et des échanges entre collectionneurs ayant lieu lors des rencontres de ce petit cercle, mais aussi au fil des grandes ventes aux enchères d’art japonais pour lesquelles Manzi se place parmi les principaux adjudicataires en cette fin du XIXe siècle (Saint-Raymond L., 2016).
L’hôtel des modes
En 1907, Michel Manzi ouvre l’Hôtel des Modes (également désigné sous les noms de « Hôtel des arts », « galerie Manzi et Joyant », ou « galerie Manzi ») au 15 rue de la Ville l’Évêque, près de la Madeleine. Alliant ses passions pour les arts, la mode et le théâtre, il achète un hôtel particulier du XVIIIe siècle et le transforme dans le but d’y accueillir diverses manifestations annoncées dans les revues éditées par Manzi, Joyant & Cie : expositions, ventes aux enchères, concerts et conférences. Richement orné et minutieusement décoré, ce lieu spécifiquement dédié au départ aux lectrices des Modes, éloge de l’élégance de la beauté,proposant à leur admiration « les arts et de la femme », s’ouvre progressivement aux Beaux-Arts et aux Arts Décoratifs, et accueille des œuvres de la maison Goupil et des collections personnelles de Michel Manzi dans le cadre d’expositions particulièrement diversifiées.
Le 28 avril 1915, Manzi décède à Boulouris, commune de Saint-Raphaël, entraînant avec lui la cessation progressive des activités de la maison Goupil. Ses collections seront dispersées à l’occasion de sept grandes ventes aux enchères entre 1919 et 1921.
Constitution de la collection
Michel Manzi constitue, dès son arrivée à Paris dans les années 1880 et jusqu’à sa mort, une importante collection particulièrement riche et diversifiée, qui comprend des œuvres d’artistes modernes du XIXe et XXe siècle, des sculptures, tableaux et faïences de différentes époques et provenances, des estampes japonaises et des gardes de sabre et poteries du Japon.
Collection d’art moderne
La collection moderne est composée de tableaux, pastels, dessins, aquarelles et bronzes par près de 90 artistes différents. Certains d’entre eux occupent une place de choix dans la collection Manzi. Il réunit en effet de nombreuses œuvres de son ami Degas, comme Le Violoncelliste Pillet (RF 2582), ou Femme dans son bain s’épongeant la jambe (RF 4043) (huiles sur toiles aujourd’hui conservées au musée d’Orsay), mais aussi Chez la Modiste (141.1957), pastel conservé aujourd’hui au MoMA, ou La Classe de Danse (29.100.184), conservée au Metropolitan Museum. Toulouse-Lautrec est aussi très représenté dans la collection, par plusieurs études et portraits de femmes, tel Le Coucher, mais aussi par quelques scènes de danse et d’opéra, comme la Danseuse ajustant son maillot. Plusieurs scènes familiales intimistes et quelques portraits d’Eugène Carrière (1849-1906) rejoignent cette collection, ainsi que des bronzes animaliers et mythologiques d’Antoine-Louis Barye (1795-1875) et d’Emmanuel Frémiet (1824-1910). Manzi, lui-même originaire de Naples, possède également diverses œuvres de ses amis artistes italiens, dont Antonio Mancini (1852-1930), Giovanni Boldini (1842-1931), Vicenzo Gemito (1852-1929), Federico Zandomeneghi (1841-1917) et Giuseppe De Nittis (1846-1884). La collection comprend aussi deux œuvres de son ami Albert Bartholomé (1848-1928), dont Le Masque de Tadamasa Hayashi, bronze à patine brune qui établit un trait d’union entre les collections modernes et japonaises de Manzi. La collection compte également quelques œuvres de Jean-Louis Forain (1852-1931), ami de Degas, Bartholomé et Manzi, avec qui il partage un intérêt pour la danse et l’opéra. On note la présence de quelques œuvres de peintres incontournables du XIXe siècle, dont Camille Corot (1796-1875), Jean-François Millet (1814-1875), Auguste Renoir (1841-1919), Camille Pissarro (1830-1903), ou Édouard Manet (1832-1883). Manzi acquiert par ailleurs la majestueuse et célèbre Orana Maria (51.112.2) de Gauguin, aujourd’hui conservée au Metropolitan Museum. Enfin, il importe de citer le peintre Jean-François Raffaëlli (1850-1924), avec un Portrait de Rodin à l’aquarelle et une Scène de faubourg rehaussée à l’encre de Chine et de gouache, en plus de deux petits bronzes d’Auguste Rodin (1840-1917) (L’homme au nez cassé et Femme accroupie), artiste que Manzi fréquente par l’intermédiaire de la maison Goupil. La collection comporte aussi la très célèbre Avenue de Clichy, cinq heure du soir (1966.7) de Louis Anquetin (1861-1932) conservée au Wadsworth Atheneum Museum of Art, Les soins maternels de Mary Cassatt (1844-1926), une aquarelle, Au bord de l’eau, de Berthe Morisot (1841-1895), des Fleurs de Fantin-Latour (1836-1904) ou encore quelques paysages d’Alfred Stevens.
Collection d’estampes japonaises
Manzi se passionne pour l’art japonais et réunit une très riche collection de plus de 2500 estampes de l’ukiyo-e réalisées par près de 50 artistes différents. Il constitue un ensemble considérable de l’art d’Utagawa Hiroshige (1797-1858), particulièrement célèbre pour ses vues de paysages. Les séries les plus importantes de l’artiste, comme Vue des soixante provinces, Les cent vues de Yédo, Cinquante-trois stations sur la route du Tokaïdo, y sont représentées par des estampes de grande qualité, aux côtés de séries de fleurs, oiseaux, et poissons. Kitagawa Utamaro (c.1753-1806), particulièrement représenté dans la collection d’estampes japonaises de Manzi, est spécialisé dans les scènes de la vie quotidienne, et plus particulièrement les portraits des courtisanes du Yoshiwara, qu’il dépeint avec beaucoup d’élégance dans des impressions de grande qualité. La collection Manzi comprend de nombreuses courtisanes et jeunes femmes, quelques couples, quelques jeunes hommes et scènes de genre, ainsi que quelques paysages, animaux et fleurs. La collection Manzi couvre un large panorama des œuvres de Katsushika Hokusai (c.1760-1846), d’une grande variété stylistique et d’une qualité esthétique impressionnante. On retrouve par exemple Les trente-six vues de Fuji, la Série des ponts, et la Série des cascades. La collection japonaise de Manzi comprend aussi plusieurs estampes de l’école Katsukawa, représentée par Katsukawa Shunshô (v.1726-1792) et ses élèves, dont Shunchô (actif vers 1778-1795), Shunei (v.1762-1819) et Shunkô (v.1743-1812), spécialisée dans la représentation des scènes de théâtre et de portraits d’acteurs ; des œuvres de Suzuki Harunobu (v.1725-1770), principalement connu pour les innovations techniques qu’il apporte à l’art de l’estampe, donnant son essor à l’impression polychrome ; mais aussi d’Isoda Koryusai (actif vers 1760-1780), célèbre pour ses estampes d’oiseaux, de fleurs, mais aussi de femmes et de scènes de la vie quotidienne, dans des teintes orangées. Signalons enfin la grande quantité de surimono, estampes raffinées, luxueuses et d’une grande qualité d’impression réunies par Manzi. Certaines pièces de cette collection seront exposées entre 1909 et 1914 à l’occasion du cycle des six expositions consacrées à l’estampe japonaise organisé par le musée des Arts Décoratifs, où Manzi figure parmi les prêteurs, aux côtés de nombreux grands collectionneurs d’art japonais. Il organise également en 1909 une exposition d’estampes japonaises à l’Hôtel des Modes.
Collection de gardes de sabre
Manzi réunit une collection de gardes de sabre en provenance de différents ateliers, dont des ateliers d’incrustateur comprenant les Yoshiro en Yamashiro, les ateliers de Fushimi, des ateliers de forgerons comme les Saotome et les Myochin, mais aussi les ateliers de Kaneiye, les ateliers du Higo, la famille des Umetada, les ateliers de Kyoto, les ateliers du Yedo et autres ateliers divers. Il réunit aussi plusieurs poteries japonaises des tchaïré (pots à thé), des chawan (bols à thé), des mizusachi (pots à eau), des bouteilles, et des coupes. La collection Manzi comprend également un ensemble de neuf netsukes anciens en bois sculpté du Japon, et un ensemble de dix-neuf petits masques en bois sculpté et laqué du Japon.
Collection de céramiques et faïences
Manzi réunit une collection de faïences françaises de Moustiers, Nevers, Rouen, et Sinceny, de faïences étrangères, d’Alcora, Anspach, et Delft, de faïences hispano-mauresques, de faïences italiennes, de Caffagiolo, Deruta, Faenza, Gubbio et Urbino, de faïences orientales de Perse, Damas, Rhodes, et autres provenances diverses, ainsi que quelques porcelaines de Chine, et plusieurs médaillons en terre cuite par Jean-Baptiste Nini. Cette collection est très complète et diversifiée. Elle comprend à la fois des assiettes, des plats, vases, pichets, cruches, bouteilles, hanaps, écritoires, sucrières, coupes, bols et bannettes ; mais aussi des plaques d’applique, carreaux de revêtements et panneaux rectangulaires. Les faïences orientales et notamment de Perse occupent une place importante, et comportent de nombreux panneaux, plaques et carreaux de revêtements.
Collection de sculptures, tableaux et tapisseries du Moyen Âge et de la Renaissance
Manzi constitue également une collection de sculptures, tableaux, tapisseries et autres objets variés du Moyen Âge et de la Renaissance. Les tableaux anciens sont regroupés dans le catalogue de vente par écoles : école allemande, école espagnole, « école du nord de l’Espagne, influence allemande », école de Catalogne, école de Valence, école florentine, école italienne. De nombreuses sculptures s’ajoutent à cet ensemble. Il s’agit à la fois de chapiteaux, fragments de bas-relief, bustes, groupes, hauts-reliefs, statues, statuettes, en pierres sculptées ou en marbres. La plupart de ces sculptures sont datées du XVe ou du XVIe siècle. Le Roi Clothar I (40.51.2) et le Roi Clovis I (40.51.1), deux pièces de style gothique datées de 1250 et issues de l’abbaye de Monstiers-Saint-Jean figurent parmi celles-ci. Elles sont aujourd’hui conservées au Metropolitan Museum.
Cette collection comprend aussi plusieurs « objets variés », dont des carreaux, des plats, un fragment de sculpture égyptienne antique, un Christ en bronze, quelques ivoires, des diptyques, un groupe d’applique sculpté en bas-relief, ainsi qu’une plaque rectangulaire sculptée en bas-relief et une plaquette de forme rectangulaire. S’ajoute une importante quantité de bois sculptés, dont des groupes, statues, statuettes, panneaux, bustes, frises, bas-reliefs, hauts-reliefs, colonnes, un pilastre de meuble, un devant de coffre et une partie de retable. Enfin, cette collection comprend quelques meubles dont plusieurs coffres du XVe siècle en bois sculpté et richement ornés de motifs gothiques, mais aussi plusieurs tapisseries de différentes époques, allant du XVIe au XVIIIe siècle.
Visibilité des collections
Ces différentes collections sont rassemblées dans les appartements privés de Manzi rue Pigalle et exposées en un ensemble harmonieux, agencées selon des constructions visuelles mélangeant styles et époques, et formant une entité cohérente. Elles sont offertes au regard de certains amateurs choisis dans le cadre de visites organisées par le collectionneur. Les collections de Michel Manzi sont aussi valorisées dans les publications de la maison Goupil et à l’occasion d’expositions tenues à l’Hôtel des Modes, avant d’être dispersées peu de temps après la mort du collectionneur dans une succession de grandes ventes aux enchères, suivant sa volonté exprimée dans son testament rédigé en 1897.
Notices liées
Collection / collection d'une personne