DARD Marie-Henriette et PICHOT L'AMABILAIS Henri (FR)
Un amateur dijonnais très discret
Né à Dunkerque le 12 octobre 1820 (AD 59, 5 Mi 027 R 032), Henri Pichot L’Amabilais (1820-1869) est le fils de Pierre Jean-Baptiste Pichot L’Amabilais (1791-1847), polytechnicien et capitaine au Corps d’Armée du duc d’Angoulême (AN, LH//2148/69), et de Thérèse Virginie Justine Deschodt (1796- ?), fille d’un sous-préfet du Nord (Guillaume, M., 1981-1982). C’est de ce grand-père maternel qu’il hérite le titre de baron en 1838. Le jeune homme s’inscrit à la Faculté de droit de Poitiers puis à celle de Dijon, lorsque son père reçoit, en 1841, sa nomination de chef du Génie d’Auxonne. En 1845, Henri Pichot L’Amabilais accède au Doctorat. Avocat stagiaire de 1846 à 1849, il semble n’avoir toutefois jamais plaidé et n’est plus désigné par la suite que par sa qualité de « propriétaire », recueillant plusieurs successions qui lui assurent une existence confortable (Guillaume, M., 1981-1982 et Jugie, S., 2000). Henri Pichot fait l’acquisition en 1851 d’un hôtel au 9 rue Saint-Pierre à Dijon, l’actuelle rue Pasteur (Guillaume, M., 1981-1982). Lucie Liautaud (1825-1868), mère de leur fille, Marie Henriette, née à Dijon le 13 novembre 1845 (AD 21, FRADO21EC 239/306), l’y rejoint en 1868 pour quelques mois seulement puisqu’elle disparaît dans le courant de cette année-là (le 15 novembre 1868).
Le baron décède lui-même le 8 mars 1869 à Dijon, à l’âge de 49 ans (AD 21, FRADO21EC 239/360), léguant sa fortune et sa collection à leur fille qu’il n’aura jamais reconnue (AD 21, 3 Q 9/290). La même année, Marie-Henriette Liautaud épouse le docteur Paul Dard (AD 21, FRAD021EC 239/359). Le couple s’installe dans l’hôtel paternel et veille, dans une grande discrétion, sur la très riche collection que le baron a constituée en près de deux décennies : « de leur vivant, par haine des importuns, et surtout des marchands et brocanteurs, ils tenaient rigoureusement closes les portes de leur hôtel » (Chabeuf, H., 1916). Marie-Henriette Dard (1845-1916) s’éteint le 27 février 1916 (Archives du musée des Beaux-Arts de Dijon, Aa 17, reprographie de l’acte de décès). Sans enfant, elle lègue, par son testament olographe du 30 janvier 1911 (AM Dijon, 4R1/147), la totalité de ses collections artistiques à la Ville de Dijon, sous la condition de les réunir au musée dans une section portant le nom de « Salle du Docteur et de Mme Paul Dard » (testament déposé au rang des minutes de l’étude de Maître Paul Darantière, notaire à Dijon, le 28 février 1916, voir extrait AM Dijon 4R1/147).
Au-delà de ces minces faits biographiques, la personnalité et les réseaux de sociabilité d’Henri Pichot L’Amabilais demeurent pour le moins mystérieux : si la commission du musée rend hommage à « un excellent connaisseur » (Archives du musée des Beaux-Arts de Dijon, C3, séance du 12 mai 1916) lors de l’acquisition de son importante collection en 1916, l’amateur n’apparaît pas parmi les membres de l’Académie de Dijon ou la Commission des Antiquités de la Côte-d’Or (Jugie, S., 2000). Seuls les quelques souvenirs rapportés par Henri Chabeuf (1836-1925), historien et éminente figure des sociétés savantes régionales, permettent de relier le collectionneur aux cercles érudits dijonnais. Celui qui a « visité autrefois le musée Pichot et en [a] été vraiment ébloui », prend la plume au moment du legs de 1916, esquissant un portrait posthume du baron et livrant dans le même temps quelques indices sur la provenance de sa collection : « Pendant longtemps le baron Pichot préleva pour lui les plus belles pièces qui affluaient de toutes parts dans les magasins des Tagini, et, comme au cousin Pons de Balzac, tout lui était bon, pourvu que les pièces fussent belles et intactes » (Chabeuf, H., 1916). L’antiquaire d’origine italienne Frédéric Tagini (? - 1877), installé en bonne place dans l’ancien Palais des États de Bourgogne, sur la rue Condé (actuelle rue de la Liberté), est ainsi très probablement le fournisseur principal de Pichot L’Amabilais, dont on ignore s’il se déplaçait aussi à Paris ou à l’étranger pour enrichir sa collection dijonnaise.
L’éclectisme du cabinet Pichot l’Amabilais
En 1916, le legs de la veuve du docteur Dard fait entrer au musée dijonnais une « collection rassemblée par un homme de goût qui ne s’est spécialisé dans aucune branche du beau » (Chabeuf, H., 1916). Comptant 1377 entrées lors d’un premier inventaire muséal (Archives du musée des Beaux-Arts de Dijon, Aa 8), sur les 2088 numéros de l’inventaire après décès de 1916 (Archives du musée des Beaux-Arts de Dijon, Aa 9), l’ensemble, qui a pu faire l’objet d’autres retranchements entérinés par la Commission du musée en 1917 et en 1932 (AM Dijon, 4R1/147 et Archives du musée des Beaux-Arts de Dijon, C3), est d’une extraordinaire diversité de techniques, d’époques, et (dans une moindre mesure) de provenances géographiques. Dans son éclectisme, il reflète admirablement la sensibilité du baron Pichot L’Amabilais à toutes les manifestations de l’art : peintures (plus de 170 numéros, dont une trentaine d’œuvres de primitifs suisses et allemands), dessins, enluminures, miniatures, sculptures (autour de 70 œuvres), ivoires, étains, bronzes, meubles (75 entrées), céramiques (plus de 500 pièces), bijoux, orfèvrerie et argenterie (240 objets), émaux, objets d’art divers, vitraux, verrerie, et armes (115 pièces). Les armes (du monde islamique, d’Afrique et d’Océanie) ainsi que les « objets divers » (jades, émaux cloisonnés, bronzes, laques), et surtout les céramiques (Iran, Chine, Japon, Compagnie des Indes orientales) témoignent d’une curiosité de l’ailleurs qui contribue au foisonnement de ce cabinet du milieu du XIXe siècle. Dans le fonds extra-européen qui équivaut à près d’un quart de la collection inscrite à l’inventaire (environ 330 objets), l’Asie est représentée par un ensemble significatif de 215 porcelaines de Chine (notamment des plats armoriés, décors bleu et blanc et de la famille rose) et du Japon (décors Imari principalement, vases et coupes montées).
Le témoin d’un marché de la curiosité à Dijon
Le millier d’objets entrés par le legs Dard a l’intérêt d’offrir un aperçu remarquable de « la qualité et de la variété des trouvailles qu’un amateur éclairé pouvait faire sur le marché de l’art d’une ville de province au milieu du XIXe siècle » (Jugie, S., 2000, p. 281). En effet, l’érudit et chroniqueur de la vie artistique régionale Henri Chabeuf associe explicitement l’origine de la collection de Pichot L’Amabilais et le magasin dijonnais de l’antiquaire Frédéric Tagini (? - 1877), qui fut rapidement secondé par son fils aîné Edme (1827-1903). Installé dans un premier temps au no 4 de la rue Chaudronnerie, ce commerce, très en vue, de curiosités et d’objets d’art bénéficie ensuite d’un emplacement de choix au sein même du Palais des États de Bourgogne, dans son aile occidentale à partir de 1852, en bordure de la rue Condé (actuelle rue de la Liberté) : « C’est en son plus beau temps que fut formée la collection Pichot, en 1848, surtout, époque où le bibelotage ne rendait pas, et dans les années suivantes » (Chabeuf, H., 1916). Et, c’est sans doute pour abriter et déployer sa collection que le baron quitte sa résidence de la rue Berbisey pour un hôtel acquis au no 9 de la rue Saint-Pierre dans ces mêmes années (en 1851). Le témoignage de Chabeuf qui fréquentait la boutique des Tagini et pouvait être informé directement par le marchand, ou par un de ses fils, est en outre appuyé par la découverte sur un des tableaux de la collection, un Saint Jérôme (inv. DA 105 A) de l’école suisse du XVIe siècle, d’une inscription au revers du panneau attestant d’un passage chez l’antiquaire : « 6 panneaux de peintures ancienes [sic] pour Mr Tagini Md d’antiquités à Dijon. » (Jugie, S., 2000, p. 279). Pour autant, les indications de Chabeuf et cet indice matériel ne peuvent complètement exclure la possibilité que le collectionneur, qui n’a pas catalogué ses acquisitions ni laissé de livres de comptes, se soit aussi fourni au gré de déplacements à Paris ou de voyages à l’étranger, notamment en Suisse où le Retable de Pierre Rup (inv. DA 97) figurait encore en 1853 entre les mains d’un certain Kuhn, marchand d’objets d’art à Genève (Guillaume, M., 1981-1982, p. 177).
L’entrée du legs Dard au musée
Si le conseil municipal de la Ville de Dijon accepte rapidement le legs de Marie-Henriette Dard par délibération du 20 mars 1916 (AM Dijon, 4R1/147), la présentation de la collection est retardée par des contestations d’héritiers et le contexte de la Première Guerre mondiale. En mars 1917, tous les tableaux, les armures et quelques sculptures sont déposés au musée par mesure de sauvegarde, mais ce n’est qu’en 1921 que le legs est enfin remis dans son intégralité (AM Dijon, 4R1/147). Entre temps, l’expert Paul Deveaux s’était vu confier en 1917 la sélection des objets soumis à la Commission du musée (AM Dijon, 4R1/147). La collection est ensuite rapidement, mais de façon très éphémère, ouverte aux notabilités dijonnaises, le 28 juin 1921, dans les salles du rez-de-chaussée de l’aile XVIIIe du musée (Archives du musée des Beaux-Arts de Dijon, C3, séance du 12 mai 1921). Il faut encore attendre dix longues années pour que la collection trouve sa disposition définitive en 1931 dans le parcours du musée, le temps de mener la campagne de restaurations qu’exige le mauvais état des œuvres (Archives du musée des Beaux-Arts de Dijon, C4, séance du 22 mai 1930) et de se résoudre, par manque de place, à l’installer dans sept salles spécifiques mais néanmoins dispersées, allant donc à l’encontre du vœu de la donatrice d’un unique ensemble inauguré à la mémoire des époux Dard. Les primitifs (Konrad Witz, Maître de la Passion de Darmstadt, Maître à l’œillet de Baden, entre autres), qui font la notoriété du legs Dard dès la fin des années 1920 (Réau, L., 1929), sont placés au premier étage du musée, dans la salle à l’angle de la rue Longepierre et de la place de la Sainte-Chapelle ; les objets d’art religieux (jusqu’en 1935 et un transfert dans la Chapelle des Élus du Palais) et les armes au deuxième étage, sur la place de la Sainte-Chapelle ; les meubles et les céramiques au troisième étage de l’aile XVIIIe (Jugie, S. 2000). C’est dans cette dernière section que voisinent dans un éclectisme assumé les cabinets allemands et nordiques, la porcelaine française ou de Saxe, des bronzes chinois archaïsants et une paire de grandes potiches « bleu et blanc » de Chine, les céramiques montées à décor Imari du Japon sur des consoles rococo en bois doré, non loin d’un cabinet d’ivoire sculpté et gravé (inv. DA 311), caractéristique de la production de Vizagapatam (Archives du musée des Beaux-Arts de Dijon, photographies anciennes des salles).
Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, puis un parcours muséal entièrement refondé maintiennent en réserves une grande part du fonds extra-européen du legs Dard à partir des années 1940 : la vaste mise en scène des céramiques Dard, accrochées au mur et disposées sur des dressoirs et « meubles de style » dans un effet recherché de forte accumulation, a ainsi cédé la place à la muséographie épurée de « vitrines modernes » obéissant à la typologie des foyers de création et des familles de décors. Il faut attendre 1970 et l’ouverture de la « Salle de l’Asie » au musée des Beaux-Arts de Dijon (à la faveur d’un dépôt d’œuvres de la collection Jacques Bacot du musée Guimet obtenu par le conservateur Pierre Quarré) pour que quelques pièces extrême-orientales de la collection Pichot L’Amabilais soient de nouveau visibles du public.
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