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Commentaire biographique

Théogène-François Page naît le 3 mars 1807 à Vitry-le-François. Son père Jean François Page, âgé de quarante-huit ans à sa naissance, était aubergiste et sa mère répondait au nom de Frandrine Angélique Michel (AN, LH 2033-22). Sa carrière militaire est retracée dans le Dictionnaire des marins français d’Étienne Taillemite (2002, p. 401-402). Nous nous contenterons de reprendre ici les principales étapes de son parcours.

Théogène-François Page se forme à l’École polytechnique à partir de 1825. Là, il s’engage dans la marine et effectue sa première campagne dans la région du Levant à bord du Coureur. Il devient enseigne de vaisseau en 1830 et participe la même année à la prise d’Alger sur l’Amphitrite. Après de nombreuses interventions aux Antilles, sur la côte mexicaine et les côtes occidentales d’Afrique, il est promu au rang de lieutenant de vaisseau en 1836. Il contribue de manière décisive à la prise de San Juan de Ulúa lors de la campagne du Mexique, en apportant des renseignements stratégiques qu’il obtient lors d’une reconnaissance, déguisé en matelot. Nommé capitaine de corvette en 1841, il prend le commandement de la Favorite, sur laquelle il effectue ses premières campagnes en mer de Chine. En 1845, il passe au rang de capitaine de vaisseau avec à son commandement La Reine Blanche et la station navale de l’île Bourbon et Madagascar. Après un bref retour en France, il est nommé contre-amiral en mars 1858 et obtient le commandement d’une partie du corps expéditionnaire français pendant la campagne de Chine qui se clôture par la Seconde Guerre de l’Opium (1856-1860). En 1861, il est promu vice-amiral, puis rentre en France où il est nommé en 1863 préfet maritime de Rochefort et préside au Conseil de travaux. Il est élevé au rang de grand officier de la Légion d’honneur par décret du 11 août 1865. Il meurt à Paris le 3 février 1867, célibataire, à son domicile 11, rue Gros dans le 16arrondissement. Une partie de sa correspondance publiée dans la Revue des Deux Mondes après sa mort relate ses premières campagnes (Page T.-F., 1872).

Constitution de la collection

La carrière extrêmement dense de Théogène-François Page ne l’a pas empêché de s’intéresser à l’art, et de rassembler une très riche collection d’objets d’art de la Chine et du Japon. Celle-ci comprend des bronzes, des objets sculptés en pierre dure en ivoire ou en corne de rhinocéros, des porcelaines et autres objets en tout genre tels que des nécessaires à fumer l’opium. Pour rédiger le catalogue de sa collection, il sollicite l’un des experts les plus respectés de son temps : Albert Jacquemart (1808-1875, D’Abrigeon, notice Albert Jacquemart). Ce fin connaisseur de la porcelaine chinoise avait déjà rédigé le plusieurs catalogues de collectionneurs éminents depuis ceux de Daigremont (Lugt 26072), ou encore Marie Antoinette Malinet en 1862, et c’est donc sans surprise que Théogène-François Page se tourne vers lui, sans doute après son retour en France en 1863. Contrairement à son habitude, Albert Jacquemart ne fait aucune mention de provenance ancienne dans le catalogue ce qui tend à démontrer que Théogène-François Page n’a pas acquis sa collection lors de ventes aux enchères parisiennes à son retour, mais plutôt lors de ses campagnes militaires. Ainsi que l’a montré Katrina Hill, l’acquisition d’objets d’art était loin d’être incompatible avec les campagnes militaires, en particulier en ce qui concerne celle des guerres de l’Opium en Chine (Hill K., 2013 ; voir également Hévia J.-L., 2003). Deux objets de la collection Page sont indiqués explicitement comme provenant au Palais d’été, le (Yuanmingyuan 圓明園), résidence palatiale des empereurs mandchous pillées, puis incendié par les troupes franco-britanniques en 1860. Il s’agit d’une part d’une « coupe libatoire à anse avec déversoir antérieur ; couvercle à saillies terminé par la tête du dragon ; sur les angles antérieurs, de petits dragons ailés en relief. En dessous l’inscription Kien-long (Qianlong 乾隆) de la dynastie des Taï-Thsing (da Qing 大清), semblable à l’antique, dans le couvercle une autre inscription en ta-tchouen (dazhuan大篆), grand diam., 13 cm. » (Jacquemart A., 1867, lot no 78). Le second objet est une boîte en écaille laquée que Jacquemart attribue au Japon (Jacquemart A., 1867, lot no 140).

À sa mort, la collection est vendue aux enchères sous le marteau du commissaire-priseur Charles Pillet (1824-1887). Le catalogue rédigé par Albert Jacquemart est transformé en catalogue de vente. À la collection d’objet d’art chinois et japonais s’ajoute le mobilier précieux de Théogène-François Page : bronze d’ameublement, cabinets de marqueterie de style et d’époque du XVIIIe siècle. Les quelques 234 lots sont écoulés pour la somme totale de 15 638,75 francs, somme qui revient à son ayant droit, une certaine Jeanne Louise Donay (AP, D48E3 58). Parmi les lots ayant obtenu les prix les plus élevés se trouvent deux flambeaux en émail cloisonné appartenant à une garniture d’autel (lot no 54) acquis par Lachenal pour 636 francs. Les études récentes sur le marché de l’art asiatique à Paris au XIXe siècle ont en effet souligné l’importante valeur acquise par les émaux cloisonnés chinois dans la seconde moitié du XIXe siècle et lors des ventes du Palais d’été (Saint-Raymond L., 2021).