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Commentaire biographique

Les travaux consacrés à Benoît de Boigne (1751-1830) sont déjà assez anciens. Ils s’accordent à retracer, de façon souvent emphatique, l’ascension de ce « nabab savoyard » (Sentis G., 1989), qui acquiert gloire militaire et fortune à la faveur d’une « extraordinaire aventure aux Indes » (catalogue, 1996) avant de se transformer en notable et bienfaiteur de sa ville natale, Chambéry.

Un parcours haut en couleur

Son vrai nom, qu’il a lui-même changé en de Boigne, est Leborgne. Fils d’un marchand pelletier, il naît en 1751 à Chambéry, dans le royaume de Sardaigne. Il s’engage en 1768 dans le régiment de Clare de la Brigade irlandaise de l’armée française, avec lequel il se rend à l’Île de France (Maurice). Il démissionne après son retour en France. Il s’engage ensuite au sein de l’armée russe en Méditerranée orientale. Capturé par les Turcs en 1774, il est libéré peu après. En 1777, il se trouve à Alexandrie et embarque pour l’Inde. Arrivé à Madras, il s’engage dans un régiment d’infanterie indigène de l’East India Company, dont il démissionne quelques années plus tard. Il se rend à Lucknow, puis entre au service de Mahaji Sindhia, qui est alors une figure clé de la scène politique de l’Hindoustan.

Au service de Mahaji Sindhia

Sindhia le charge de former des régiments, puis des brigades. Les armées que de Boigne commande pour le compte du chef marathe contribuent à consolider et à étendre le pouvoir de ce dernier en Inde du Nord.

En échange de ses services, de Boigne reçoit des terres en concession fiscale. Il en dégage d’importants surplus et se lance dans le commerce de l’indigo. Il échange avec les princes marathes et l’empereur moghol Shah Alam II lui-même, recevant des titres prestigieux comme celui de « Pilier de l’Empire ».

En 1794, Sir John MacGregor Murray lui demande d’intervenir auprès de Sindhia pour que le Taj Mahal soit maintenu en bon état. Les deux hommes échangent plusieurs lettres à ce sujet (British Library, OIOC, IOR/H/388). De Boigne est souvent présenté comme ayant œuvré à la restauration du célèbre mausolée, mais ce trait paraît quelque peu exagéré. Sindhia meurt d’ailleurs peu de temps après. De Boigne se met au service de son héritier, Daulat Rao, avant de quitter l’Inde pour des raisons de santé (1795).

Une figure éminente de la ville de Chambéry

Il part avec sa femme indienne, Nur Begum, et leurs deux enfants, Banu Jan et Ali Baksh, avec lesquels il s’installe en Angleterre. Baptisés, ceux-ci prennent le nom de Helen, Ann Elizabeth et Charles-Alexandre. Tout en continuant de pourvoir à leurs besoins, de Boigne épouse, en 1798, Adèle d’Osmond, fille d’émigrés français. Le couple s’installe à Paris en 1802, mais le mariage n’est pas heureux.

À partir de 1807, de Boigne retourne en Savoie et réside au château de Buisson-Rond, près de Chambéry. Il reçoit des distinctions honorifiques de la part des rois de France et de Sardaigne. Devenu comte, il est nommé lieutenant-général des armées du roi de Sardaigne. Il fait partie des grands notables de Savoie. Il acquiert plusieurs propriétés à Chambéry et dans les environs, tout en faisant profiter la ville de sa fortune par le biais de donations civiles, caritatives et pieuses. Il meurt en 1830, avec Charles-Alexandre pour héritier. Quelques années plus tard, une fontaine est érigée en son honneur à Chambéry. Connue sous le nom de Fontaine des Éléphants, elle est devenue un monument emblématique de la ville.

Constitution de la collection

La catégorie « aventurier » désigne un ensemble d’individus qui, venus faire fortune en Inde à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, servent la Compagnie française des Indes orientales ou s’engagent auprès de l’East India Company et de souverains indiens. Nombre de ces aventuriers sont des collectionneurs. C’est le cas de Benoît de Boigne. L’originalité de sa collection par rapport à d’autres collections constituées à la même époque réside dans la quantité et la nature des armes qu’elle rassemble, offrant ainsi un intéressant reflet de sa carrière dans le sous-continent.

Les Européens installés en Inde acquièrent fréquemment des miniatures. Il s’agit notamment d’œuvres commandées à des artistes indiens, illustrant des sujets tels que les castes, les métiers, les divinités, les fêtes religieuses, les moyens de transport et l’architecture. La collection de de Boigne comprend une série incomplète des incarnations de Vishnou, des portraits féminins et des scènes de genre, peints dans le style de l’école de Lucknow, ainsi que des œuvres d’un style différent, réalisées en Inde du Sud, probablement à Tanjore (L’Extraordinaire aventure de Benoît de Boigne, p. 125-126). À cet ensemble s’ajoutent un Plan du Taj Mahal et une Vue du mausolée d’Humayun, deux aquarelles sur papier de la fin du XVIIIe siècle. Celles-ci sont proches d’un genre pictural en vogue dans l’Inde britannique au début du XIXe siècle, les « Company Paintings » représentant les monuments moghols de Delhi, Agra et Fatehpur Sikri.

La collection comprend également des tapis, de précieux articles de textile et des objets en or, argent ou ivoire (houkas, boîtes à épices, aspersoirs d’eau de rose, ensembles à bétel, etc.). Ces objets sont représentatifs du mode de vie des Européens dans l’Inde du XVIIIe siècle, qui s’approprient et cherchent à reproduire le luxe et le raffinement des cours princières et des nobles moghols.

De Boigne possède de nombreuses armes, délicatement ouvragées : épées, sabres, poignards, dagues, haches, boucliers, arcs, fusils, mousquets. Il s’agit d’armes de facture indo-persane, mais aussi, fait plus rare, d’armes venant de royaumes hindous, peu représentées dans les collections européennes de cette période (Jasanoff M., 2009, p. 152). Notons également la présence d’objets liés au cérémonial dans les cours princières, tels des chasse-mouches et des bâtons de commandement. L’ensemble de ces objets signalent la position éminente acquise par le commandant savoyard sur la scène militaire et politique de l’Inde de la fin du XVIIIe siècle.

Il retourne en Europe avec l’ensemble de ses possessions. Il voyage avec sa famille sur un navire danois et débarque en Angleterre, laissant à bord la quasi-totalité de ses effets personnels. Le navire continue sa route, mais coule avant d’arriver à Copenhague, engloutissant les précieuses malles. Cette perte affecte profondément de Boigne, en raison de la valeur monétaire, mais aussi affective et symbolique de ses objets indiens qui sont le fruit et le reflet de sa brillante carrière. Les malles sont finalement retrouvées en mer, lui permettant de récupérer la majeure partie de sa collection.

En 1863, une exposition est organisée à Chambéry à l’occasion de la trentième session du Congrès scientifique de France : le catalogue mentionne la « collection d’armes et objets précieux rapportés des Indes par M. le général comte de Boigne », présentée par son petit-fils, le comte Ernest de Boigne (Catalogue de l’exposition d’objets d’art, 1863, p. 33). Une exposition consacrée à Benoît de Boigne, qui s’est tenue en 1996 à Chambéry et à Paris, a permis de mieux faire connaître cette collection demeurée une collection privée.