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Commentaire biographique

Georges Francisque Fernand Scherzer (1849-1886) est né à Paris le 11 avril 1849. Il est le fils d’August Henri Scherzer (1819-1874), chef de gare, et de Marie Rosalie Françoise Laslier (1828-1905) (AN, LH/2479/24). Sa famille est originaire de Douai (MAE, 393QO/3691). Bachelier ès sciences en 1865, il est reçu en 1867 à l’École centrale. En 1869, il parvient à être admissible à l’École polytechnique, mais ayant dépassé la limite d’âge pour prétendre à de nouveaux examens, il sollicite le ministre des Affaires étrangères pour un poste d’élève interprète en langue chinoise (MAE, 393QO/3691). N’étant pas un élève de l’Institut des langues orientales, il est difficile de savoir comment il a appris le chinois. Grâce à de solides appuis, il est nommé élève interprète pour la langue chinoise à Pékin le 16 mars 1870 (Bensacq-Tixier N., 2003, p. 510). Échappant de peu aux massacres de Tianjin lors de son arrivée en Chine, il devient interprète chancelier de la légation à Pékin puis au consulat de Hangzhou (ibid., p. 511). Après avoir rempli les fonctions d’interprète dans plusieurs autres consulats, à Shanghai, Tianjin et Canton, il devient vice-consul de première classe à Hankou 漢口(situé dans l’actuelle ville de Wuhan武漢dans le Hubei 湖北) en 1882, puis consul de deuxième classe à Canton le 7 mai 1884, fonction qu’il n’exerce que brièvement avant que n’éclate la guerre franco-chinoise en août 1884. Scherzer rejoint alors l’escadre de l’Extrême-Orient sur le cuirassé Bayard. La guerre terminée, il participe à la commission chargée de négocier la frontière entre la Chine et l’Indochine. Il tombe malade durant cette mission, et c’est lors de son retour en France à bord du Djemnah qu’il succombe en 1886, âgé de seulement 36 ans.

Il est nommé officier d’académie en 1874 (Bensacq-Tixier N., 2003, p. 511), puis chevalier de la Légion d’honneur par décret du 28 décembre 1885 pour la mission effectuée à bord du Bayard (AN, LH/2479/24).

Il publie plusieurs études sur la Corée, pays alors peu connu des Occidentaux, en s’appuyant sur des documents chinois : en 1877, il traduit le journal d’un ambassadeur de Chine en Corée qui relate le mariage du roi Gojong 조선고종en 1866, puis, peu de temps avant sa mort, il publie un mémoire sur la Corée (Chaoxian zhi 朝鮮志) traduit depuis le chinois dans le Journal asiatique (1885, t. 6, p. 160-242, et 1886, t. 7, p. 223-376), puis édité en tiré à part par Ernest Leroux (1886). On lui connaît également une étude sur le droit chinois publiée en 1878 sous le titre La Puissance paternelle en Chine.

Constitution de la collection

Genèse d’une mission pour la manufacture de Sèvres

Dans une lettre du 14 janvier 1882, le ministre de l’Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes, Antonin Proust (1832-1905), s’adresse au directeur de la manufacture de Sèvres Charles Lauth (1836-1913) pour lui transmettre la proposition de Fernand Scherzer de se rendre « à Kin-te-cheng [Jingdezhen] où se trouvent les fours à porcelaine de la Chine » (SMMN, 4W389). Convaincu que « les aptitudes spéciales de M. Scherzer le mettraient sans doute à même d’accomplir avec fruit cette excursion scientifique et de réunir les observations précieuses pour l’industrie de la céramique », le ministre met à l’examen le projet à la commission des voyages et missions et prie Charles Lauth de lui faire parvenir un questionnaire sur les différents points que pourrait élucider Fernand Scherzer et qui seraient utiles à la manufacture (SMMN, 4W389). Charles Lauth liste un grand nombre de questions, allant de la composition des pâtes et de la couverte des porcelaines, des plans et coupes côtés des fours chinois aux modes de préparation des couvertes colorées de grand feu, au premier rang desquelles se trouve la couverte céladon et les rouges de cuivre (Abrigeon P. d’, à paraître, AN F/17/3006/1, lettre du 04/04/1882). Il précise, par ailleurs, que ces renseignements ne seront réellement utiles que s’ils s’accompagnent d’échantillons, chaque type de décoration devant être associé à un type de pâte particulier.

À Jingdezhen…

Il embarque finalement le 14 novembre 1882 à Jiujiang 九江 (Jiangxi 江西) pour Hukou 湖口à l’embouchure du lac Poyang 鄱陽湖 avant de se rendre sur la rive du lac, d’où il gagne Jingdezhen le 23 novembre par la rivière Chang 昌江. Dans une lettre adressée au ministre de l’Instruction publique, il donne des détails pittoresques de son arrivée dans la capitale de la porcelaine : « les 120 lis qui séparent Yao-tcheou d’un village appelé Ouang kan furent franchis en un jour, mais à partir de cet endroit, la navigation est entravée par l’accumulation de débris de porcelaines, de briques et de cazettes qui comblent le lit de la rivière et forment de véritables rapides se succédant sur une longueur de 60 lis que je mis deux jours à parcourir » (AN F/17/3006/1, lettre du 23/12/1882).

Grâce à l’entremise du ministre plénipotentiaire en Chine Frédéric Albert Bourrée (1838-1914), Fernand Scherzer est muni d’un passeport fourni par l’administration en charge des Affaires étrangères, le Zongli geguo shiwu yamen 總理各國事務衙門, ce qui facilite grandement ses déplacements à Jingdezhen et lui permet même d’avoir accès à la manufacture impériale yuyaochang御窯廠où le conduisent les autorités locales. Il dresse le tragique état des lieux d’une manufacture qui, à l’en croire, s’apprêtait à fermer seulement trois jours après sa visite : un gérant âgé et malade, des bâtiments qui « tombent en ruine », des artisans sous-payés malgré leur grande habileté, etc. (SMMN, SB46, Scherzer F., 1882, p. 4-5). Lors de son passage, il relève les dimensions des fours d’émaillage de la manufacture impériale. Scherzer ne recule devant rien pour mener à bien sa mission, se rendant parfois de nuit pour observer les cuissons, insistant auprès des autorités pour pouvoir observer chaque étape de fabrication de la porcelaine. Il tire la plupart de ses renseignements auprès de trois fabriques privées : les fabriques de Lin 林, Li 李et Tang 唐, qui lui communiquent un grand nombre de recettes. Il profite également de son séjour pour faire l’acquisition d’émaux bruts pour la plupart importés de Canton (Abrigeon P. d’, p. 2022, à paraître). Il séjourne en tout près de trois semaines dans la capitale de la porcelaine.

Échantillons et collection

À l’automne 1883, Scherzer expédie depuis Shanghai pas moins de trente-cinq caisses contenant les collections rassemblées lors de sa mission à Paris (AN F/17/3006/1, lettre du 31/10/1883). Parmi elles, trois caisses sont remplies d’échantillons de matières premières, les autres contiennent des porcelaines « de qualité et de valeur diverses » (AN F/17/3006/1, lettre du 15/10/1883 ; n° inv. MNC 8582-8590 et MNC 8745). À la demande du ministre de l’Instruction publique, une partie des échantillons aurait été prélevée après son examen par la manufacture de Sèvres pour venir enrichir les galeries du musée d’Ethnographie (AN F/17/3006/1, lettre du 21/09/1883). D’autres caisses d’échantillons devant compléter cet envoi furent entreposées durant plusieurs années à son adresse parisienne du 8, rue Greffulhe, sa mort prématurée ayant très certainement retardé leur acheminement (SMMN, 4W389). À ce jour, aucun échantillon rapporté par Scherzer n’a pu être localisé dans les collections publiques.

Fernand Scherzer fait par ailleurs don à la manufacture de deux ouvrages sur la porcelaine chinoise (AN F/17/3006/1, lettres du 22/10/1883 et du 26/10/1883), le Jingdezhen Taolu 景德鎮陶錄et du Tao shuo 陶說 – ce dernier lui avait été offert par le consul d’Angleterre à Hankou, Chaloner Alabaster (1838-1898) –, qui se trouvent toujours au centre de documentation de la manufacture sous les cotes S 348 et S 349.

Résultats et analyses

Les observations faites par Fernand Scherzer lors de sa mission à Jingdezhen sont consignées dans un manuscrit dont la copie est toujours conservée aux archives de la manufacture de Sèvres (SMMN, SB46). Une partie de ce compte-rendu sera publiée et analysée bien après la mort de Fernand Scherzer par le chimiste en chef de la manufacture de Sèvres Georges Vogt (1843-1909) dans le Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale (1900). La mission Scherzer aura permis de rapporter certaines couvertes et décorations sous leur forme liquide, dans de petits flacons, ce qui dans les précédentes missions engagées par Sèvres – celle notamment de Joseph Ly (cf. notice Joseph Ly) – n’avait pu être fait et qui permit une analyse chimique beaucoup plus poussée.

En reconnaissance du zèle avec lequel il avait accompli cette mission, Scherzer reçoit « un lot de porcelaine de Sèvres d’une valeur de douze cents francs » (AN F/17/3006/1). Une demande pour l’obtention de la croix de la Légion d’honneur est également proposée par le ministère des Affaires étrangères mais n’aboutit pas (AN F/17/3006/1, lettre du 13/12/1883). Après sa mort, son frère, Albert Scherzer, qui se trouve également en Chine, propose à la manufacture de Sèvres de compléter le travail d’observation et de collecte entamé par Fernand (SMMN, 4W389). Albert Scherzer fait ainsi parvenir quelques céramiques supplémentaires à la manufacture et une mission gratuite lui est attribuée en février 1888 (SMMN, 4W389).