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Commentaire biographique

Ernest Amédée dit Edmond Taigny naît le 21 mars 1828 (AP, V3E/N 2091) de l’union de l’homme d’affaire Auguste Narcisse Emmanuel Taigny et de la peintre Marie Amélie Maistre. Il est le neveu par alliance du peintre Jean-Baptiste Isabey (1767-1855). En 1865, il épouse Julie Delon (?-1918) qui lui donne trois enfants : Olivier Taigny, Jane Taigny (1856-?) et Louise Taigny (1858-1911).

Diplômé de la faculté de droit de Paris, Edmond Taigny travaille d’abord comme attaché au ministère de l’Intérieur. À partir de septembre 1852, il siège comme auditeur de deuxième classe au Conseil d’État, avant d’être nommé en 1859 auditeur de première classe au Conseil d’État attaché au Conseil du sceau et des titres. Il est promu maître des requêtes en 1864, poste qu’il occupe jusqu’à sa retraite. Le 14 août 1866, Taigny est fait chevalier de la Légion d’honneur (AN, base Léonore, LH//2563/1).

Le monde littéraire et artistique

Écrivain et critique, Taigny publie régulièrement, à partir des années 1860, des articles consacrés à l’art et à la littérature. Ses textes majeurs sont réunis en 1869 dans le recueil Mélanges : études littéraires et artistiques, qui comprend les biographies de Jean-Baptiste Isabey, de Catherine II (1729-1796) et de la princesse Daschkoff (1743-1810), de l’écrivain Paul de Molènes (1821-1862) et du préfet de police Carlier. Ces portraits sont complétés par plusieurs essais : Le Musée Campana, Quelques mots sur l’art allemand, L’Exposition des beaux-arts à Manchester, L’Art pour tous et Goethe et Werther.

Impliqué dans le monde artistique, Taigny est membre du jury international de l’Exposition universelle de 1867 et du comité de l’Exposition universelle de 1900.

Formé à la peinture par Henri Harpignies (1819-1916), il expose au Salon des artistes français en 1868 et en 1870 en tant qu’aquarelliste et peintre paysagiste (Explication des ouvrages de peinture […], 1868, p. 426).

Il joue par ailleurs un rôle actif dans la fondation de la Société du musée des Arts décoratifs en 1877, puis de l’Union centrale des Arts décoratifs en 1882, en tant que membre du conseil d’administration et président de la Commission du musée. Son action conduit à l’acquisition d’œuvres extrême-orientales, avec notamment l’achat de dix-neuf pièces de céramique chinoise et japonaise dès 1881 (Revue des arts décoratifs, 1881, p. 7), et d’objets Art nouveau.

Membre de diverses sociétés parisiennes, comme le cercle de l’Union artistique ou encore le Cercle des chemins de fer (Yriarte C., 1864, p. 272 et 296), Taigny préside la Société de propagation des livres d’art entre 1898 et 1905.

Edmond Taigny meurt le 6 octobre 1906 (AP, 8 D 121), à son domicile du 44, avenue Montaigne à Paris.

Constitution de la collection

Nature de la collection

Grand collectionneur, Edmond Taigny s’attache aussi bien à la peinture qu’à l’estampe ou encore aux arts décoratifs, réunissant un vaste ensemble couvrant la création européenne, proche-orientale et extrême-orientale.

Si sa collection de peinture se compose de quelques tableaux anciens (François Clouet [1520-1572]), sa préférence va aux artistes contemporains (Eugène Isabey [1803-1886] ; Gustave Moreau [1826-1898] ; Giuseppe de Nittis [1846-1884] ; Gustave Ricard [1823-1873] ; Henriette Brown [1829-1901]), dont certains réalisent des portraits de ses proches (un de son épouse par Ferdinand Heilbuth [1826-1889], deux de ses filles par Édouard Dubufe [1819-1883]). Toutes ces œuvres disparaissent durant les incendies de la Commune (Vachon M., 1879, p. 28).

Sensible aux évolutions des arts décoratifs, Taigny s’intéresse à l’Art nouveau. En 1891, il visite le Salon du Champ-de-Mars et y achète l’une des « verreries parlantes » d’Émile Gallé (1846-1904), un bol en verre intitulé Herbe sous la glace, gravé d’un poème de Maurice Maeterlinck (1862-1949) [Revue des arts décoratifs, 1891, p. 334]. Dans le domaine des arts appliqués, il est parfois difficile d’opérer une distinction claire entre les acquisitions de Taigny pour l’Union centrale des Arts décoratifs et ses achats personnels.

La partie la plus illustre de la collection Taigny est sans doute celle consacrée aux arts d’Extrême-Orient, qu’il commence vraisemblablement dans les années 1860. Dès 1865 en effet, ses « bronzes orientaux » sont évoqués dans la Gazette des beaux-arts parmi les collections de l’Union centrale.

Les expositions

Dans la préface du Catalogue de la précieuse collection de peintures et estampes japonaises formée par M. Edmond Taigny en 1893, Ernest Leroux (1845-1917) souligne que Taigny s’intéresse aux estampes ukiyo-e ; « Bien avant que l’exposition, faite à l’École des beaux-arts, il y a quelques années, eût permis de jeter un regard d'ensemble sur les œuvres capitales de la chromoxylographie japonaise » (p. VI-VII). L’exposition mentionnée par Leroux, consacrée à la gravure japonaise, se tient en avril-mai 1890. Taigny, prêteur mais également membre du comité d’organisation, y expose 70 estampes de l’école Torii (鳥居派) [Kiyomasu (清倍), Kiyohiro (清広)], l’école Utagawa (歌川派)[Toyohiro (豊広), Toyokuni (豊国), Kunimasa (国政), Toyomaru (豊丸),Hiroshige (広重)], l’école des Katsukawa (勝川) [Shunsho (春章), Shun’ei (春英), Shunsen (春扇), Shuntei (春英), Katsushika Hokusai (葛飾 北斎), Torii Kiyonaga (鳥居清長), Suzuki Harunobu (鈴木春信), Kitagawa Utamaro (喜多川 歌麿),Kitagawa Tsukimaro (喜多川 月麿), Isoda Koryūsai (礒田 湖龍斎), Okumura Masanobu (奥村政信), Ishikawa Toyonobu (石川 豊信), Ippitsusai Bunchō (一筆斎文調), Kitao Shighemasa (北尾 重政), Tōshūsai Sharaku (東洲斎写楽), Ryūkōsai Jokei (琉光斎 如圭), Kubo Shunman (窪俊満), Chōkōsai Eishō (鳥高斎 栄昌), Ichirakutei Eisui (一楽亭栄水), Shibata Zeshin [柴田 是真)]. Enfin, dans le Bulletin de la Société franco-japonaise de Paris de 1906, Mène (1833-1913) cite Taigny, récemment disparu, comme l’un des amateurs de laque japonaise les plus célèbres de son temps (p. 41).

D’autres expositions permettent de se faire une idée du fonds extrême-oriental d’Edmond Taigny, qui recouvre de nombreux médiums. En 1869, il prête pour le « Musée oriental » – événement éphémère organisé par l’Union centrale des beaux-arts appliqués à l’industrie – 24 bronzes de la Chine et du Japon, un bronze indien ou persan, et trois pièces en émaux cloisonnés (Union centrale des beaux-arts appliqués à l’industrie, 1869, p. 15-56). En 1878, une « vitrine Taigny » est évoquée à la section « Céramiques de l’Extrême-Orient » de l’Exposition universelle de Paris (Gasnault P., 1879, p. 479). En 1883, Taigny prête une série d’objets pour l’Exposition rétrospective de l'art japonais organisée par Louis Gonse (1846-1921) à la galerie Georges Petit : 3 bronzes, 34 statuettes en terre cuite ou grès de Bizen, 35 pièces diverses en terre cuite, 3 statuettes en bois, une boîte en laque et une aquarelle sur soie. Publié à l’issue de l’événement, l’ouvrage intitulé L’Art japonais (1883) comprend plusieurs illustrations de statuettes en bois sculpté tirées de la collection Taigny, qui est selon Louis Gonse « en ce genre, la plus nombreuse et la plus intéressante qu’il y ait en Europe » (Gonse L., 1883, p. 108).

Les dons

Généreux par ses prêts, Taigny le fut aussi en tant qu’ami et donateur de plusieurs musées français. En 1891, il fait don d’un portrait de Jean-Baptiste Isabey, une miniature sur ivoire signée E. Armand, au musée de Nancy (Musée de Nancy…, 1897, p. 188). En 1894, il offre au Louvre un grand plat chinois en bronze, un masque, un manche de couteau décoré d’une libellule, une garde de sabre ajourée et trois estampes japonaises (L’Art pour tous : encyclopédie de l’art industriel et décoratif, mars 1894, p. 2). Mais c’est au Musée des arts décoratifs, auquel il est également attaché dans le cadre de ses fonctions, qu’il effectue le plus grand nombre de dons : une tasse et soucoupe en porcelaine à décor doré en 1881 (Revue des arts décoratifs, 1881, p. 131), une assiette à asperges en porcelaine anglaise en 1884 (Revue des arts décoratifs, 1884, p. 532), une tasse en porcelaine de Venise du XVIIIe siècle en 1887 (Revue des arts décoratifs, 1887, p. 286), une tasse en porcelaine blanche de Paris de la première moitié du XIXe siècle et un dessus de porte peint à l’huile sur toile de la fin du XVIIIe siècle en 1888 (Revue des arts décoratifs, 1888, p. 255), une salière en terre cuite du XIXe siècle en 1895 (Revue des arts décoratifs, 1894, p. 415), ou encore deux bracelets en verre de femme fellah (travail arabe) en 1896 (Revue des arts décoratifs, 1896, p. 243). En février 1908, soit plus d’une année après la mort de Taigny, le journal La Liberté (p. 3) nous apprend que des plats en faïence de Théodore Deck figurent à l’exposition du musée des Arts décoratifs parmi les dons et legs récents.

Destructions et dispersions

Une première partie de la collection Taigny disparaît en mai 1871, lors des incendies de la Commune. Le maître des requêtes avait déposé, en septembre de l’année précédente, un ensemble d’objets dans un entrepôt du Conseil d’État (siégeant alors au palais d’Orsay). Il raconte en 1879 : « Ma collection comprenait deux natures distinctes d’objets. Premièrement, des tableaux et dessins ; en second lieu la plus grande et la plus précieuse partie de mes richesses orientales. […] Ma collection orientale se composait d’une belle série de jades et matières dures, de cristaux de roche, d’émaux cloisonnés ; ces pièces achetées dans les années qui suivirent l’expédition de Chine, étaient de premier choix et auraient aujourd’hui une très grande valeur. Ajoutez une centaine d’ivoires japonais très fins, un grand choix de porcelaines rares et de laques anciennes, des bronzes niellés d’or et d’argent, une grande partie de mon argenterie, dont beaucoup de pièces de vieux Paris et les bijoux, éventails et dentelles de ma femme. Je crois inutile de vous donner une description détaillée de ces objets. Il suffira de les mentionner pour que les amateurs comprennent l’étendue de la perte que j’ai subie. Elle peut être évaluée à 110,000 francs dépensés par moi, mais la valeur marchande serait actuellement d’au moins 150,000 francs »(Vachon M., 1879, p. 28-29).

Les 6-7 février 1893, Taigny cède une large partie de ses collections de peintures et estampes japonaises à l’hôtel Drouot au cours d’une première vente aux enchères. Dans la préface du catalogue, l’expert Ernest Leroux souligne que la collection « groupe une série à peu près complète de l’art de la gravure en couleurs au Japon ; elle en synthétise en quelque sorte l’histoire ; presque tous les grands artistes y figurent, honorablement représentés, la plupart y ont des œuvres de premier ordre » (Leroux E., 1893, p. VI-VII). Parmi les 339 numéros du lot, on trouve quelques peintures bouddhiques, mais surtout des estampes produites entre le XVIIe et le XIXe siècle. La « Première période » (XVIIsiècle et première moitié du XVIIIe siècle) est représentée par Hishikawa Moronobu (菱川 師宣), considéré comme l’un des fondateurs de l’ukiyo-e, l’école Torii (鳥居派) [Kiyonobu (清信), Kiyomasu (清倍), Kiyomitsu (清満), Kiyohiro (清広), Kiyotsune (清経)], Okumorura Masanobu (奥村政信) et Toshinobu (奥村利信), Hanabusa Itcho (英一蝶)].

Dans la « Deuxième période » (seconde moitié du XVIIIe siècle) figurent Suzuki Harunobu (鈴木春信), les derniers Torii (鳥居)[Kiyonaga (清長) et Kiyominé (清峰), Ippitsusai Bunchō (筆斎文調), Isoda Koryusai (礒田湖龍斎)], les premiers Utagawa (歌川)[Toyoharu (豊春) et Toyohiro (豊広)], les Katsukawa (勝川) [Shunsho (春章), Shun’ei (春英), Shunkō (春好), Shunzan (春山), Shuntei (春亭), Shunsen (春扇)], Chobunsai Eishi (鳥文斎栄之), Chōkōsai Eishō (鳥高斎), Katsukawa Shunchō (勝川 春潮), Kitao Shighemasa (北尾重政), Tōshūsai Sharaku (東洲斎写楽), Eishōsai Chōki (栄松斎長喜), les Kitagawa (喜多川) [Utamaro (歌麿), Tsukimaro (月麿), Shikimaro (式麿)], Kikukawa Eizan (菊川 英山).

La « Troisième période » enfin (XIXe siècle) comprend des œuvres de l’école Utagawa (歌川) [Toyokuni (豊国), Kunisada (国貞), Kuniyoshi (国芳), Kunitora (国虎), Kunimitsu (国三), Kunimasa (国政), Kuniyasu (国安), Hiroshige (広重), Katsushika Hokusai (葛飾 北斎) et son école [Yanagawa Shigenobu (柳川 重信), Totoya Hokkei (魚屋 北渓), Yashima Gakutei (八島岳亭), Keisai Eisen(渓斎英泉), Teisai Hokuba (江戸隅田川), Shibata Zeshin (柴田 是真)]. Le catalogue s’achève par une vingtaine de livres illustrés, dont la Manga de Hokusai, et quelques objets d’art (céramiques, bronzes, statuettes, masques, un sabre provenant de la vente Burty en 1891).

Les 20-21 avril 1903, une seconde vente aux enchères à l’hôtel Drouot, cette fois-ci consacrée aux arts appliqués, achève de disperser la collection extrême-orientale de Taigny. Le célèbre marchand d’art Siegfried Bing se charge de l’expertise de cet ensemble d’objets chinois et japonais. Sur les 308 numéros du lot, on dénombre 152 céramiques, 65 objets en bronze, 3 objets en fer, 4 objets en cloisonné, 24 sculptures japonaises en bois, 2 sculptures chinoises en bois, 8 laques du Japon, 21 estampes japonaises et 50 kakemono.