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Estampe d'Utamaro représentant une sauterelle posée sur un tuteur au milieu de fleurs roses et violettes.

ANQUETIL-DUPERRON Abraham (FR)

Commentaire biographique

Biographie

La biographie d’Anquetil-Duperron est connue par la description détaillée qu’il donne de son voyage en Inde dans un discours préliminaire publié en introduction à sa traduction du Zend Avesta (Paris, 1771). Ce texte indépendant a d’ailleurs fait l’objet d’une édition scientifique par Jean Deloche, Manonmani Filliozat et Pierre-Sylvain Filliozat (Anquetil-Duperron A. H., 1997). Des notices nécrologiques (Anquetil L. P., 1805, Dacier J. B., 1808) et des ouvrages inspirés par la figure de ce pionnier (Brunnhoffer H., 1883 ; Menant D., 1907 ; Modi J. J., 1916 ; Schwab R., 1934 ; Kieffer J.-L., 1983 ; Filliozat P. S., 2005) complètent les sources permettant de tracer ici les grandes lignes de sa biographie.

Formation

Né à Paris le 7 décembre 1731, Anquetil-Duperron fit ses études à l’université de Paris et dans les milieux jansénistes. Lecteur assidu de la Bibliothèque du roi à Paris, intéressé par les langues orientales, notamment l’hébreu, il est remarqué par l’abbé Claude Sallier (1685-1761), garde du département des Imprimés, qui l’introduit auprès des milieux savants (Filliozat P. S., 2005, p. 1262). La légende veut que sa vocation d’orientaliste naisse lorsque Michel-Ange-André Leroux-Deshauterayes (1724-1795), professeur d’arabe au Collège de France, lui montre le calque de quatre feuillets d’un manuscrit en vieux-perse conservé à Oxford (Anquetil-Duperron A. H., 1997, p. 75). Cet événement le décide à se rendre en Inde pour apprendre les langues, chercher des manuscrits et traduire les textes permettant de comprendre la civilisation indo-iranienne encore mal connue en Europe.

Voyage en Inde

Sans attendre de mission scientifique officielle, il s’engage dans l’armée de la Compagnie des Indes et quitte Paris le 7 novembre 1754. Arrivé à Lorient, il est nommé interprète pour les langues orientales à la Bibliothèque du roi, doté d’une pension et d’une place sur le Duc d’Aquitaine qui part pour l’Inde le 24 février 1755 (Anquetil-Duperron A. H., 1997, p. 77-79). Anquetil-Duperron arrive à Pondichéry le 9 août 1755 et cherche tout de suite à apprendre les langues indiennes, notamment le sanskrit (Anquetil-Duperron A. H., 1997, p. 89). Pour ce faire, il part à Chandernagor au Bengale, où son état de santé, déjà affaibli par des maladies, se détériore. Au printemps 1757, il est empêché par la guerre de Sept Ans de se rendre à Bénarès pour étudier le sanskrit et assiste à la prise de Chandernagor par les Anglais. Il retourne à Pondichéry par voie de terre, après un long voyage rocambolesque, où il retrouve son frère, Étienne Anquetil de Briancourt (1727-1793) (Anquetil-Duperron A. H., 1997, p. 95-163). Ils partent tous les deux pour Surat au Gujarat, via Mahé, Goa et Aurangabad où Anquetil-Duperron rencontre Jean-Baptiste-Joseph Gentil (1726-1799) avec qui il noue une amitié portée par une curiosité scientifique commune (Anquetil-Duperron A. H., 1997, p. 271). Arrivé le 1er mai 1758 à Surat, il assiste de nouveau à la prise de la ville par les Anglais. L’année suivante, il rencontre les destours parsis Darab et Kaous, avec qui il étudie la riche littérature zoroastrienne en vieux-perse (Anquetil-Duperron A. H., 1997, p. 339 et passim). En 1761, la domination anglaise l’oblige à rentrer en France. Le 15 mars 1761, il quitte Surat et l’Inde via Bombay, sur un navire de prisonniers français (Anquetil-Duperron A. H., 1997, p. 436). Une fois libéré, il profite de sa présence en Angleterre pour examiner les manuscrits avestiques de la bibliothèque d’Oxford et rencontrer les professeurs de l’université.

Retour à Paris

Rentré à Paris le 14 mars 1762, Anquetil-Duperron dépose le lendemain dix-huit manuscrits à la Bibliothèque du roi (Anquetil-Duperron A. H., 1997, p. 461) où il reste, engagé comme interprète pour les langues orientales jusqu’en 1792. Le 6 septembre 1763, il est élu membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres où il siège jusqu’à sa réorganisation par Napoléon, à qui il refuse de prêter serment de fidélité, lequel, pour lui, « n’est dû qu’à Dieu, par la créature au Créateur » (AN A/A/63 ; Schwab R., 1934 ; Filliozat P. S., 2005, p. 1279). Il meurt chez son frère Guillaume-Louis Anquetil (1735-?) le 18 janvier 1805 (28 nivôse an XIII), après avoir mené une vie centrée sur son travail scientifique, privée des plaisirs du monde, se comparant à un « renonçant des bords de la Seine » (Filliozat P. S., 2005, p. 1274).

Constitution de la collection

Un premier dépôt

La collection des manuscrits d’Anquetil-Duperron est arrivée en deux temps à la Bibliothèque nationale. Anquetil-Duperron a déposé lui-même dix-huit manuscrits dès son retour à Paris, le 15 mars 1762. Il décrit lui-même ces collections dans le second volume de sa traduction du ZendAvesta (vol. II, p. I-XL ; Anquetil-Duperron, 1997, p. 461). Il s’agit essentiellement de manuscrits mazdéens en vieux-perse et en pehlvi, versés dans le fonds « Persan » (BnF Supplément Persan 26, 27, 29, 32, 33, 34, 39, 40, 43), de manuscrits persans (BnF Supplément Persan 37, 41, 42, 46, 47, 48, 417, 983) et d’une traduction en gujarati de l’Ardā Vīrāf Nāmag (BnF Indien 722), un conte en moyen-perse relatant le voyage de l’âme d’Ardā Vīrāf qui parcourt les paradis et les enfers décrits par Zoroastre. Ce volume présente une centaine de peintures, souvent en pleine page, dans le plus beau style de l’école gujarati.

Le testament

Quelques jours avant sa mort, Anquetil-Duperron rédige son testament et désigne Antoine-Isaac Silvestre de Sacy (1758-1838) comme légataire de ses manuscrits, comportant à la fois ses papiers scientifiques et ses manuscrits indiens : « Je donne et lègue à M. de Sacy mon ancien confrère à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, tous les manuscrits écrits de ma main et d’autres mains contenant mes travaux sur les matières orientales, formant plus de sept à huit volumes in folio et in quarto et autres formats, ensemble les cartes générales et particulières grand et petit atlas, manuscrits et imprimés ou gravés qui y tiennent ou en font partie. Je veux et entends que tous les manuscrits orientaux écrits dans les différentes langues du pays que je possède soient remis au même M. de Sacy pour en disposer par lui ainsi qu’il avisera, à la charge pour lui d’en régler la valeur et d’en payer le montant à mes frères » (Institut, NS 375, no 47 ; cité par Dehérain H., 1919, p. 155).

L’acquisition de la collection par la Bibliothèque nationale

Sacy dresse un inventaire des collections de manuscrits orientaux (Institut, NS 375, no 46, repris dans BnF, NAF 5433, p. 21-36) et en propose l’acquisition à la Bibliothèque impériale. La collection est évaluée par les conservateurs lors de la séance du Conservatoire de la Bibliothèque impériale du 28 mars 1805 (7 germinal an XIII) : « Les conservateurs des Manuscrits annoncent au Conservatoire qu’ils ont examiné avec soin les manuscrits orientaux de feu M. Anquetil du Perron et que d’après une évaluation faite concurremment avec M. Silvestre de Sacy chargé des intérêts de la famille Anquetil, le prix de cette collection monte à la somme de 6 690 francs. Les conservateurs des Manuscrits propose[nt] de réduire cette somme à celle de six mille francs, et de faire cette offre à M. de Sacy. Le Conservatoire approuve leur proposition et les autorise à faire les démarches nécessaire[s] pour terminer cette acquisition. » (BnF, Archives modernes 55-56, p. 3). La remise des manuscrits est enregistrée lors de la séance du 2 mai 1805 (12 floréal an XIII) : « Les conservateurs des Manuscrits annoncent que les manuscrits orientaux de M. Anquetil du Perron, au nombre de cent cinquante-six, leur ont été apportés ce matin » (BnF, Archives modernes 55-56, p. 5). Ces deux procès-verbaux sont signés de Pascal-François-Joseph Gossellin (1751-1830), géographe, président du Conservatoire de la Bibliothèque, et Louis Langlès (1763-1824), conservateur en charge des Manuscrits orientaux.

Les papiers scientifiques

Sa collection de livres imprimés, largement annotés de sa main et « maltraités par les vers » selon les mots de Sacy (Institut, NS 375, no 716 ; cité par Dehérain H., 1919, p. 137), fut mise en vente et dispersée. Les 25 volumes de ses papiers scientifiques furent donc acquis par la Bibliothèque avec le lot de manuscrits. Ils forment actuellement le « fonds Anquetil-Duperron » des Nouvelles Acquisitions françaises (BnF, NAF 8857-8882). Ce fonds contient notamment sa traduction française des Upaniṣad (« Oupnek’hat, traduit littéralement du persan, mêlé de samskrétam [1786] », BnF NAF 8857) qu’il publiera finalement en latin (Oupnek’hat, id est, Secretum tegendumcontinens doctrinam e quatuor sacris Indorum libris excerptam, Strasbourg, 1801-1802). On y trouve aussi les brouillons de sa traduction de l’Avesta, des études sur différents textes mazdéens, des notes sur les Parsis, des lexiques du persan et du sanskrit d’après les textes originaux, ainsi qu’une riche correspondance avec les savants de son temps, notamment le père jésuite Gaston-Laurent Coeurdoux (1691-1779) qu’il avait rencontré en Inde et qui joua un rôle important dans sa collecte de manuscrits et son apprentissage de la langue et de littérature sanskrites.

Les manuscrits orientaux

Les manuscrits orientaux acquis par la Bibliothèque nationale ont été d’abord décrits par Anquetil-Duperron en annexe à son introduction au Zend Avesta (voir Voyage en Inde, 1997, p. 482-494). Ils se composent de 2 manuscrits en turc, 7 en arabe, 7 en ancien persan, 80 en persan moderne, 3 en hindoustani (ourdou), 1 en kanada, 2 en malayalam, 4 en tamoul et 6 en sanskrit. Ils furent ensuite décrits par Sacy comme 12 « manuscrits zends, pehlevis, persans et indiens relatifs à la religion ou à l’histoire des Parsis ou disciples de Zoroastre », 16 « manuscrits en sanscrit et autres langues indiennes », 9 « manuscrits arabes », 90 « manuscrits persans », 2 « manuscrits turks », 1 « manuscrit français » (« Description de la Haute Éthiopie, de Pétis de la Croix », BnF NAF 1822). Sacy ajoute à sa liste les dix-huit manuscrits déposés par Anquetil-Duperron à son retour de l’Inde ainsi qu’une liste des « brouillons d’Anquetil » (voir BnF NAF 5433, p. 21-36). Parmi ces manuscrits, on trouve un nombre important de manuscrits persans dont certains présentent des peintures, comme le Barzū-Nāma d’Atā’i Rāzī contenant des peintures exécutées à Surat en 1760 (BnF Supplément Persan 499 et 499 A) ou l’Anvār-i Suhaylī, traduction persane du recueil de contes arabes, le Kalila wa Dimna, comportant douze peintures réalisées en 1713 sous le règne de l’empereur moghol Farruḫ-siyyar (BnF Supplément Persan 920), ou encore un second exemplaire de l’Ardā Vīrāf Nāmag d’une exécution de moindre qualité (BnF Indien 721). On note aussi la présence du manuscrit du Sirr-i Akbar, traduction persane des Upaniṣad commanditée par le prince Dārā Šukūh, à partir duquel Anquetil-Duperron réalisa sa traduction (BnF Supplément Persan 14). Cette copie fut acquise par l’intermédiaire de Jean-Baptiste-Joseph Gentil (1726-1799), autre grand collectionneur de manuscrits indiens.