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Commentaire biographique

Les éléments biographiques concernant l’abbé Guérin sont mal connus. Il signe ses ouvrages de ses initiales « J. M. F. Guérin », si bien qu’on a pu lui attribuer le prénom de « Jacob », du nom de la rue où il résidait à Paris à la fin de sa vie. Les archives de Paris (AP État civil de Paris, année 1861, acte de décès no 1057), où il est mort, et de la Manche (AD 50, acte de naissance, Montanel, 1802, 316 J 111), où il est né, dévoilent que Jacques Marie François Guérin est né le 23 décembre 1802 à Montanel, un bourg aujourd’hui rattaché à la commune de Saint-James, à la frontière des départements de la Manche et de l’Ille-et-Vilaine, du mariage de Pierre Guérin (17..-18..) et Éléonore Thomas (17?-18?). Devenu prêtre et docteur en théologie, Jacques Guérin est envoyé à Chandernagor au Bengale comme curé de la paroisse Saint- Louis, où il arriva le 17 mai 1831. Sa vivacité, sa curiosité et son fort caractère sont remarqués par l’administration de la ville (Lobligeois, 1975, p. 2-7). À peine arrivé à Chandernagor, il s’engage avec beaucoup de panache dans une affaire de « fleurs de lys » représentées sur une maison de la ville et à l’intérieur de l’église, dont on demandait la suppression au nom de la Révolution de 1830 et contre laquelle il mit toute son énergie de trésorier du Conseil de fabrique (Lobligeois, 1975, p. 1-53). À la fin de sa mission apostolique, il rédigea une lettre à Monseigneur Jean Luquet (1810-1858) dans laquelle il milita pour une réorganisation des vicariats de l’Inde et pour une plus grande place faite à l’étude des langues indiennes (Luquet, 1853, p. 347). Convaincu que la raison est la seule arme de conversion face à l’autorité de la tradition brahmanique, dont les racines sont « très profondes et très étendues » (Luquet, 1853, p. 348), il se consacra à l’étude des sciences indiennes, médecine, mathématiques, astronomie et astrologie : « Arrivé dans l’Inde avec le désir d’y répandre la lumière évangélique, et de dissiper quelques-uns des nuages qui couvrent l’intelligence des malheureux Indiens, il ne me fut pas difficile de voir qu’il fallait d’abord connaître profondément la plus abstraite de leurs erreurs, c’est-à-dire leur astrologie et par suite, l’astronomie spéciale qui lui sert de base » (Guérin, 1847, p. ii). Il étudia auprès des brahmanes bengalis à Chandernagor et à Dacca, ainsi qu’à la Société asiatique de Calcutta où il fut aidé dans ses recherches par James Prinsep (1799-1840), Alexandre Csoma de Körös (1784-1842) et S. F. Bouchez (prénoms et dates inconnus), bibliothécaire assistant. Il étudia plus particulièrement l’astrologie auprès du lettré bengali Kalinath Biddyashagor (dates inconnues) à Rajkhara, près d’Hosenabad, en amont de la rivière Hooghly. Il passa douze ans en Inde et fut rapatrié en France pour raison de santé, autour de 1843. Revenu à Paris, il s’installa comme aumônier de l’hôpital de la Charité, 47 rue Jacob, et étudia la riche collection de manuscrits qu’il avait rapportée (Guérin, 1847, p. VI). Il publia en 1847 à l’Imprimerie nationale un ouvrage ambitieux sur l’astronomie indienne, qu’il dédia à François d’Orléans (1818-1900), prince de Joinville, troisième fils et septième enfant de Louis-Philippe et de Marie-Amélie Bourbon (Guérin, 1847). En 1855, il mit en vente sa collection de manuscrits après avoir rédigé lui-même le catalogue (Guérin, 1855). La Bibliothèque nationale finit par se porter acquéreur pour l’ensemble de la collection le 20 mars 1861, quelques semaines avant sa mort, survenue le 24 avril à l’âge de cinquante-neuf ans (État civil de Paris, année 1861, acte de décès no 1057).

La collection de l’abbé Guérin

La collection réunie par l’abbé Guérin lors de sa mission apostolique au Bengale forme un ensemble cohérent de textes sanskrits sur la médecine, les mathématiques, l’astronomie, l’astrologie, la grammaire et la philosophie. Le cœur de la collection procède d’un lot acquis auprès d’un marchand qui avait mis en vente la bibliothèque d’une famille de médecins bengalis : « Toute cette bibliothèque de livres de médecine, de grammaire et de religion, a appartenu à une famille de médecins, dont les chefs s’appelaient Ram-mohone, Ram-mohone-dash et Hori-mohone-dash. Le dernier est mort à Chandernagor en 1833 ; il n’a point laissé d’héritiers ; sa bibliothèque était mise en gage pour une certaine somme d’argent chez un marchand qui me l’a cédée, à condition de n’en rien dire dans le pays et de taire son nom : il craignait beaucoup la caste des médecins, mais il aimait encore plus l’argent que je lui promettais » (Guérin, 1855, p. 19). Guérin a aussi recherché des manuscrits de textes fondamentaux comme le Sūryasiddhānta, dont il commandita des copies auprès des brahmanes bengalis avec qui il travaillait : « Avec de l’argent, de la patience, du temps et des égards, j’obtenais tantôt les manuscrits eux-mêmes qui m’intéressaient, en en laissant une copie au propriétaire, tantôt une copie authentique de ces manuscrits, dont on ne voulait pas se dessaisir » (Guérin, 1847, p. ii). Il a aussi fait copier des manuscrits conservés à la bibliothèque de la Société asiatique de Calcutta : « J’aime à témoigner ici toute ma reconnaissance à M. S. F. Bouchez, bibliothécaire assistant, qui eut la bonté de surveiller les Brammes qui faisaient mes copies, à l’exactitude desquelles il savait que je tenais tant » (Guérin, 1847, p. IV).

La collection Guérin compte 120 manuscrits, dont 63 manuscrits sur l’astronomie et l’astrologie. Guérin avait rassemblé lui-même certaines copies pour former des recueils thématiques sur l’astronomie par exemple (BnF Sanscrit 245, 304, 957, 958, 961, 973, 995, 998). Les manuscrits isolés, conditionnés entre deux planchettes de bois, furent groupés par petits ensembles, montés sur onglets et reliés à leur arrivée à la Bibliothèque nationale dans des demi-reliures de parchemin (BNF Sanscrit 612, 740, 791, 889, 969, 972, 976, 980, 997, 1011, 1012, 1014, 1015, 1017, 1020, 1021, 1022, 1023, 1028). La plupart des copies sont des copies commanditées et datent donc des années 1840. Certaines copies plus anciennes sont datées de la fin du XVIIIe siècle, la plus ancienne est datée de 1702 (BNF Sanscrit 1017). Elles sont toutes en écriture bengalie sur papier. Guérin avait marqué lui-même l’ensemble de sa collection avec une estampille à l’encre noire, médaillon aux initiales « J. G. » avec une colombe stylisée au sommet et une autre sous le chiffre.

Un document retient particulièrement l’attention des historiens de l’art. Il s’agit d’un recueil de 28 planches comportant de l’art tantrique du Bengale (BNF Indien 869). La première moitié contient des dessins à la plume et l’encre noire. Elle montre des représentations anthropomorphes des 27 constellations (nakṣatra) qui servent aux astrologues à déterminer les horoscopes. La seconde moitié comporte des dessins rehaussés à la gouache et à l’aquarelle. Les peintures donnent à voir la façon de représenter les chiffres en peinture, par des procédés de répétition de motifs floraux, anthropomorphes, zoomorphes ou géométriques, dans la perspective des chronogrammes utilisés pour noter les dates (lune = 1, yeux = 2, etc.). Les légendes sont rédigées en écriture bengalie et certains mots sanskrits ont parfois reçu une traduction en français de la main de l’abbé Guérin.

La collection Guérin a été acquise par la Bibliothèque nationale le 20 mars 1861 pour une somme de 10 000 francs payée sur trois ans (BNF, Registre C, no 5507 à 5625).