Aller au contenu principal
Lien copié
Le lien a été copié dans votre presse-papier

Commentaire biographique

Alfred Gérard naît à Reims le 23 mars 1837 de parents boulangers. Il passe son enfance entre sa ville natale et deux villages alentour, Lavannes et Bezannes, où ses ancêtres furent agriculteurs. Il entre très jeune dans le monde du travail chez un fabricant de tissus et laines rémois. Rien ne le prédestinait alors au destin particulier qui a été le sien. Son oncle, alors négociant en vin à Cumières, lui permet d’effectuer des séjours à l’étranger pour apprendre les langues et le commerce. Le 18 février 1859, Alfred Gérard obtient un visa pour l’étranger. Il débarque à Yokohama en tant que représentant d’une marque de thé anglaise, dans un Japon qui ouvre tout juste ses portes aux étrangers. Pour preuve, il est le trente-deuxième étranger à y pénétrer et le premier Français (Guyard, 2000).

Yokohama n’est alors qu’un modeste port de pêcheurs, aux maisons en terre et bois, couvertes de chaume. Les premières années sont difficiles, car les Japonais refusent obstinément la présence des étrangers sur place. En 1863, Alfred Gérard est recensé comme grossiste en épicerie et en vin qu’il importe de France et fait découvrir le champagne aux Japonais (Guyard, 2000). Il ouvre ensuite une boucherie dans le quartier chinois afin de nourrir une population européenne grandissante, dans un pays qui ne consomme pas de viande rouge. Il achète également des terrains, dont l’un d’eux comporte des sources. Il décide alors d’y creuser un puits et de vendre cette eau à la Marine pour les bateaux faisant escale dans la baie ; idée qui s’avère alors fort lucrative. Cette eau a la réputation d’être particulièrement pure et fait la renommée du port de Yokohama, tous les bateaux l’utilisent. Sur un autre terrain, il construit ses propres bâtiments à la mode européenne, « en dur ». Les commandes affluent et la fabrication de tuiles et briques artisanales s’impose à lui. Ces tuiles remportent même un prix lors de l’Exposition de beaux-arts et d’industrie de Paris en 1884 et sont les premières à apparaître au Japon. Quant aux briques, elles sont largement utilisées par l’architecte Paul Sarda, qui reconstruit partiellement Yokohama, dont le fameux « bluff », quartier réservé aux étrangers. Mais, une partie de la ville disparaît (avec ses briques) lors du tremblement de terre de 1923.

Alfred Gérard fasciné par la beauté des paysages et les œuvres d’art qu’il découvre se cultive pour comprendre l’histoire du pays. Alors que le Japon change de régime politique, il se passionne pour l’acquisition d’objets d’art mais aussi usuels, témoins du style de vie du Japon de cette époque. À son retour en France en 1878, à quarante et un ans, il multiple les projets, tous liés au monde agricole. En 1879, il installe dans sa maison, construite 15, rue Chanzy à Reims, une bibliothèque dédiée au monde agricole et scientifique, riche de 25 000 ouvrages et ouverte aux scientifiques et érudits. Sans enfant, il lègue à la Ville de Reims sa riche collection japonaise entre 1891 et 1905 (Guyard, 2018, p. 20-24). En 1904, à soixante-sept ans, il entre à la maison de retraite de la rue Simon à Reims. Il y reste dix ans, pendant lesquels il continue de gérer ses biens, de transmettre ses connaissances et de rédiger son testament. Bien qu’il n’oublie pas sa famille, il institue ainsi comme légataire universel une fondation, la Fondation Alfred Gérard, dont l’existence se perpétue encore de nos jours, qui poursuit son œuvre à travers le Cercle agricole rémois (Reims, Musée Saint Rémy, s.c.). Le 19 mars 1915, il meurt dans le bombardement de la maison de retraite où il séjourne. Sa précieuse bibliothèque, elle aussi bombardée, est reconstituée méthodiquement par ses exécuteurs testamentaires (Reims, Musée Saint Rémy, s.c.). Alfred Gérard est enterré à Bezannes, sous un monument en forme de tori. S’il est toujours honoré à Yokohama, ce n’est que depuis quelques années qu’il fait l’objet d’une reconnaissance méritée dans sa ville natale.

Constitution de la collection

Alfred Gérard a réuni, durant son séjour japonais entre les années 1860 et 1878, un ensemble considérable d’objets d’art et de la vie quotidienne du Japon, et, dans une moindre mesure, d’autres régions d’Extrême-Orient (Corée, Chine, Indochine, Java, Ceylan). Sans enfant, il décide de léguer à la Ville de Reims sa collection en quatre fois (1er mai 1891, 30 novembre 1897, 17 janvier 1898, février 1905). Riche de plus de 2 000 items, elle constitue le cœur de du fonds japonais du musée Saint-Remi de Reims. Collection témoignant d’une démarche avant tout ethnographique, les objets ramenés par Alfred Gérard sont les précieux témoins des bouleversements que connaît le Japon entre la fin de l’époque Edo et l’avènement de l’ère Meiji. La fin des samouraïs, la crise du bouddhisme, les changements de modes de vie mettent sur le marché des objets traditionnels ayant perdu leur valeur d’usage et leur valeur symbolique. Parallèlement se développent des productions destinées à l’exportation vers l’Occident (bronzes, ivoires, céramiques...) qu’Alfred Gérard acquiert aussi largement.

Ces objets très divers, principalement des xviiie et xixe siècles, ont été partiellement catalogués par Alfred Gérard dans un livret qu’il a remis au conservateur du musée Henri-Jadart en 1896 et annoté de sa main pour préciser la provenance ou l’intérêt de certaines œuvres. Alfred Gérard a porté un intérêt particulier à l’armement des samouraïs. En effet, les quelque 200 armes et pièces d’équipement qu’il a rapportées de son séjour démontrent son intérêt pour le sujet. Il semble s’être attaché à illustrer l’équipement du guerrier japonais dans sa plus grande diversité, ne négligeant aucune catégorie d’objets : sabres, lances, défenses de corps, harnachement de cheval, arcs et flèches, armes à feu, textiles... (Guyard, 2018, p. 20-24).

Les céramiques illustrent la diversité des ateliers japonais ayant produit pour l’exportation, y compris parfois par l’acquisition de vases au format spectaculaire. Les objets et le mobilier de la vie quotidienne sont pour la plupart en bois laqué : meubles, coffrets, vaisselle, modèles réduits pour la fête des poupées, mais également un imposant palanquin de mariage, objet rare dans les collections françaises, illustrent le savoir-faire des artisans japonais, tant à destination des riches familles japonaises que des Occidentaux. D’autres objets sont en bronze, comme des vases à ikebana ou des brûle-encens à décor d’animaux, proposés dans les boutiques de Yokohama. Des modèles réduits de monuments, des instruments de musique, des coiffes, éventails et autres objets illustrent la vie quotidienne des Japonais dans les années 1860-1870.

La religion est représentée par du mobilier en bronze provenant des temples bouddhistes, pour certains identifiés, en particulier un grand bouddha de 1760 ainsi que des chapelles domestiques, des objets d’offrandes et quelques sculptures en bois. Alfred Gérard a également acheté de nombreuses œuvres graphiques, des rouleaux peints et près de 800 estampes individuelles ou en albums, mais aussi des cartes géographiques, des albums calligraphiés ou des ouvrages touristiques, dont le parcours du voyage à Nikkô, ville sainte du Japon, en huit volumes (Guyard, 2018, p. 20-24).

Un ensemble numismatique composé de manuels et de plateaux présentant des copies de près de 900 monnaies japonaises a été donné en 1905. Alfred Gérard n’a cependant pas porté d’intérêt particulier aux ivoires (netsuke ou okimono) dont la collection ne présente aucun élément. Malgré les recherches effectuées, il n’a pas été possible de définir les lieux où Alfred Gérard a pu se procurer les objets de sa collection. Une seule pièce (un petit paravent en laque rouge) porte une étiquette « Le Bon Marché », mais globalement l’ensemble de la collection a été acquise directement au Japon, auprès de revendeurs ou de marchands locaux, même si on ne peut exclure que quelques autres œuvres, dont la provenance n’est plus aujourd’hui identifiée, ont ainsi été achetées par Alfred Gérard dans les rayons « exotiques » des grands magasins parisiens ou rémois ou chez des antiquaires spécialisés, une fois rentré en France (Le Goût du Japon, 2018).