EYSSÉRIC Joseph (FR)
Commentaire biographique
Joseph Eysséric est professeur de géographie à Carpentras où il naît le 20 novembre 1860. Issu de la bourgeoisie locale, il est le fils d’une professeure de Lettres à l’école normale d’Aix-en-Provence et d’un professeur de mathématiques élémentaires au collège de Carpentras, où il fait également ses études.
Joseph Eysséric, géographe de formation
Joseph Eysséric reprend dans un premier temps l’œuvre de son père et se charge de la réédition de ses traités d’arithmétique théorique et pratique. Il tient également à jour sa Géographie de la France,dont la première édition date de 1868 (Dubled, 1969). Il est lui-même l’auteur d’une Nouvelle Géographie (1882), qui reçoit les louanges du géographe Jean Brunhes (1869-1930) [bibliothèque Inguimbertine, Ms. 2495]. Il est nommé officier d’Académie en 1894 (Le Temps, 19 janvier 1894).
Joseph Eysséric s’impose comme un géographe de métier. Il fréquente les cercles d’érudition locaux. Il devient membre de la Commission météorologique du Vaucluse, membre titulaire de l’Académie du département le 1er mars 1895 et en est élu vice-président en 1898. Il est également reconnu dans la capitale : il est admis en 1892 parmi les membres de la Société de géographie de Paris, tout comme son père, sous le parrainage de Charles Delagrave (1842-1934), libraire et éditeur à Paris, et du géologue Emmanuel de Margerie (1862-1953). Eysséric adhère également à la Société de géographie commerciale de Paris, intronisé le 3 mai 1898, après son voyage en Afrique. Il adhère au conseil de ladite société l’année suivante et devient membre fondateur de 1909 à 1914.
Un géographe de terrain
Eysséric a tout d’abord exploré la France et ses pays frontaliers ; après avoir visité l’Italie en 1877, il se rend en 1882 en Suisse. À partir de 1887, il s’en éloigne, parcourant la Belgique, le Pays-Bas, l’Espagne, l’Afrique du Nord, ou encore la Corse. En 1890, après la Grèce, il visite la Turquie, les États-Unis et le Canada. Deux voyages le conduisent en 1892, puis vers 1900, au Spitzberg en Norvège.
De 1893 à 1895, il effectue sous les auspices du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts un tour du monde, qui l’amène à visiter plus particulièrement la Chine Orientale et son grand fleuve, le Yangzi (Changjiang [長江]).
L’année suivante, le ministère lui accorde à nouveau une mission gratuite, pour explorer le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Ce voyage comporte son lot de péripéties. Il est en effet fait prisonnier par les Gouros ; un épisode, qu’il relatera dans la revue populaire LeTour du Monde (1900). Il découvre surtout ce qu’il croit être les sources du Bandama rouge. Cette mission lui permet de compter parmi la liste des nominés pour la médaille Centre Afrique, aux côtés des explorateurs Gabriel Bonvalot (1853-1933) et Émile Hourst (1864-1940). La Société de géographie de Paris lui décerne le prix Léon Dewez pour l’ensemble de ses travaux. À son retour, il se rend en Russie, où il s’intéresse aux gisements de pétrole situés au Caucase. En 1900, il participe à la mission organisée par l’astronome Guillaume Bigourdan (1851-1932) du Bureau des longitudes, qui vise à observer l’éclipse de Soleil à Hellin, dans le sud-est de l’Espagne, sur la route d’Albacete à Murci. Il observe ainsi l’éclipse totale de Soleil du 28 mai 1900, à la station secondaire d’Albacete.
Astronome, Eysséric contribue à l’élaboration de la « photographie monochromatique de la couronne » du soleil lors de l’éclipse totale du 30 août 1905, observée à Sfax en Tunisie (Ciel et Terre, 1905). Sous la tutelle de l’Observatoire de Paris, avec son groupe de Cormeilles-en-Parisis, réputé pour avoir pris de nombreuses photographies, il observe, en 1912, l’éclipse solaire à la Batterie de Cotillon, « muni d’une lunette qui, il y a quelques années, lui servit d’arme défensive contre les sauvages de la Côte d’Ivoire, lesquels la prenaient pour un canon » (La Dépêche de Brest, 1912).
Si les voyages reposent sur une volonté scientifique de documenter le territoire, ils peuvent s’effectuer également en dilettante ; le voyage relève ainsi d’un exercice physique. Son adhésion en 1899 au Club alpin français, sous le parrainage de l’inventeur de l’orographie Franz Schrader (1844-1924) et d’Emmanuel de Margerie, l’atteste. Eysséric est même désigné comme étant un « alpiniste intrépide » (Un passant, 1900, p. 159).
Explorateur et artiste
Reconnu en qualité degéographe sérieux, Joseph Eysséric cumule compétence scientifique et talent artistique. Il compte parmi ses maîtres Denis Bonnet (1789-1817) et Évariste Bernardi de Valernes (1816-1896). Il s’est également initié à la peinture auprès de l’artiste Jules Laurens (1825-1901). Il a sans doute tiré parti de l’expérience de ce peintre voyageur, qui avait lui-même participé à la mission scientifique organisée en Turquie et en Perse par l’ingénieur Xavier Hommaire de Hell (1812-1848), de 1846 à 1849. Dans les années 1880, son maître l’introduit dans le cercle parisien de « La Petite Vache » (Prat S., 1998). L’élève fréquente ainsi assidûment les ateliers de grands artistes, tels Edgar Degas (1834-1917) et Henri Matisse (1869-1954), avec qui il noue des liens d’amitié (Prat S., 1998). L’atelier d’Eysséric a même pignon sur rue, figurant dans l’Almanach du commerce de l’industrie, au titre d’artiste-peintre, de 1902 à 1908, après ses deux grandes missions scientifiques.
Eysséric est reconnu dans les cercles artistiques et expose ses œuvres lors de divers salons parisiens et provinciaux. À l’échelle régionale, la Société vauclusienne des Amis des arts le compte parmi ses membres. Il en sera nommé sociétaire perpétuel en 1934. En 1898, il fait partie de la Société des Amis des arts de Nîmes. À l’échelle nationale, il devient membre en 1931 de la Société des artistes français. De 1900 à 1931, il figure à l’Annuaire de l’Association des artistes peintres, sculpteurs, architectes, graveurs et dessinateurs. Dès 1899, il contribue activement à l’Association des peintres de la montagne, soutenu par le Club alpin français, dont il est également membre à vie. Il adhère à l’Association amicale des paysagistes français. Il participe ainsi aux expositions des Beaux-Arts d’Avignon (mai1882, 1900, 1901), Nîmes (1883), Montpellier (1887), Orange (1888), Nice (1906), et Paris (1904). Il participe au Salon des peintres orientalistes (1903, 1905, 1906, 1908, 1910, 1911, 1913, 1914) et aux salons organisés par l’Association professionnelle des artistes. C’est dire l’importance qu’il accorde à ses œuvres et la dimension esthétique qu’il leur attribue. Il s’agit principalement de paysages, de marines, fruits de ses nombreuses excursions.
L’art comme engagement
Entre ses voyages, Eysséric ne manque pas de participer à différents congrès en France ou à l’étranger, où il fait part de son opinion sur l’état de la France coloniale.
Tout comme les projections lumineuses qui se déroulent pendant ces séances publiques, les expositions permettent une présentation visuelle des territoires traversés. À l’issue de son tour du monde, Joseph Eysséric reçoit du ministère de l’Instruction publique l’autorisation d’exposer, le 21 décembre 1894, ses photographies et albums de dessins dans les locaux de la Société de géographie de Paris, situés au 184, boulevard Saint-Germain. C’est une exposition qui marque les esprits, et retient notamment l’attention du médecin, anthropologue et fondateur du Musée ethnographique du Trocadéro Ernest-Théodore Hamy (1842-1908) [AN, F/17/2960).
La participation d’Eysséric au Salon des peintres orientalistes français est révélatrice à bien des égards. Si l’on se réfère aux statuts de l’association, le but est « de favoriser les études artistiques conçues sous l’inspiration des pays et des civilisations d’Orient et d’Extrême-Orient » et de « faire mieux connaître ces pays et ces races indigènes ». Répondant à une soif d’exotisme, l’image sert également le projet de propagande du gouvernement, profitant de cette « fascination de l’image » (Bénédicte L., 1897, p. 3).
Joseph Eysséric expose le résultat de ses voyages au cours de différents Salons artistiques, parisiens et provinciaux, preuve du double statut qu’il donne à ses œuvres, perçues dans leur dimension artistique et propagandiste. Son statut de président du comité local de la Fédération littéraire et artistique du sud-est et de l’Afrique du Nord obtenu en 1926 suggère cette ambivalence. Certaines de ses œuvres sont même exposées dans les musées de la région : musée Duplessis de Carpentras et musée Calvet d’Avignon.
Un autre canal de diffusion est privilégié : la carte postale. Cette image, qui voyage et se transmet, nourrit une esthétique du souvenir et une certaine conception de l’espace.
Avec son ami Eugène Gallois (1856-1916), Joseph Eysséric participe en mars 1900 au lancement du bulletin mensuel de l’Institut colonial marseillais L’Expansion française coloniale et devient membre du comité de direction et de la Société d’études industrielles, commerciales, maritimes et financières, créées par la suite. Il partage avec son confrère une conception utilitaire de la géographie, pouvant contribuer aux sciences coloniales et à l’extension de l’influence française dans le monde. En mars 1914, il est nommé membre du jury de l’Exposition nationale et coloniale.
Une implication de la vie culturelle de la cité
Outre son investissement dans l’avenir colonial de la France, Joseph Eysséric s’investit dans la vie de sa ville natale. En 1891, il documente aux côtés de l’illustrateur Charles Lopis (1872-1947) et du photographe Philippe Isnard (18 ? -19 ? ; actif à Carpentras en 1890) l’Histoire de Carpentras de Joseph Liabastres (1842-1904), conservateur de la bibliothèque Inguimbertine.
À partir de 1892, il joue un rôle important dans le comité de la bibliothèque Inguimbertine. De 1924 à sa mort, en 1932, il en est le vice-président.
Vers la fin de sa vie, il tend à s’impliquer davantage dans la vie politique de la cité. En 1931, il devient vice-président du conseil d’administration du comité de Carpentras, fondé en 1914. Il se préoccupe des victimes de guerre et se rapproche de la Société française de secours aux blessés militaires à la même date.
Un polygraphe
Géographe, explorateur, artiste, astronome, sociologue et démographe, Joseph Eysséric est notamment l’auteur de l’ouvrage Politique laïque et Dépopulation. Finis Galliæ ? en 1931, dans lequel il donne son point de vue sur l’enseignement laïque. Il est également l’inventeur d’un abri saute-vent pour l’automobile, la navigation maritime et aérienne, publiant ses recherches dans la Revue aéronautique en 1912. Il contribue ainsi à l’Association française pour l'avancement des sciences, figurant sur la liste régionale des membres en 1929 (p. 56). Il devient également membre de la Société française de navigation aérienne, fondée en 1872. Ainsi, Joseph Eysséric s’impose comme un véritable polygraphe.
Constitution de la collection
Joseph Eysséric a fait don de ses œuvres à plusieurs institutions. Le fonds de l’Inguimbertine est le plus important, riche de plus de 60 photographies prises en Asie. Celles-ci sont contrecollées sur carton, avec bordures, réunies en trois albums, non reliés. Le fonds de la Société de géographie de Paris présente quant à lui des lacunes.Sur les dix clichés données par le photographe en 1895, après sa remontée du Yangzi, il n’en reste plus que six. Eysséric recourt à différents médiums pour rendre compte du réel. Croquis, aquarelles, peintures et photographies sont autant de moyens permettant de documenter le terrain.
La pensée d’une « iconographie géographique »
De sa double formation, géographe et artiste, Joseph Eysséric tire une approche singulière de la géographie et de l’image photographique. La notion d’« iconographie géographique » apparaît en tête de ses deux projets d’exploration soumis au ministère de l’Instruction publique.
Son tour du monde est conçu « à l’effet de réunir des documents cartographiques de géographie générale et spécialement d’iconographie géographique », « en relevant par la photographie, le dessin, l’aquarelle ou l’étude peinte, des panoramas, des horizons, des sites intéressants du point de vue géographique et géologique » (AN, F/17/2960).
La photographie : une pratique collective
Pour sa première mission, Eysséric requiert l’aide d’un ami proche, Gaston Guérin, sur lequel nous avons peu de renseignements. Il précise que c’est en Chine que son concours lui sera le plus utile (AN, /17/2960). À la faveur d’une ampliation de l’arrêté de mission du ministère de l’Instruction publique, daté du 10 octobre 1893, Guérin est affecté à la mission comme aide à la prise de vue photographique. Par ailleurs, si ses notes de voyage, son carnet et sa correspondance recensent minutieusement sa progression picturale, numérotant ses aquarelles et ses peintures au grés des étapes parcourues, Eysséric n’évoque à aucun moment des scènes de prise de vue. Aussi, force est de constater qu’il s’impose avant tout comme peintre, se révélant plus habile à manier le pinceau qu’à manipuler la chambre noire. Le secrétaire général de la Société de géographie Charles Maunoir (1830-1901), sollicité par le ministère afin de donner son avis sur le projet proposé par Eysséric, fait l’éloge d’un artiste confirmé, d’un « homme extrêmement consciencieux », juste et rapide dans l’exécution de ses dessins, capable de s’adapter à son terrain (AN, F/17/2960).
Préparation à la collecte de vues
Si Eysséric fait montre de son expérience en matière d’observation, il requiert tout de même les conseils de Charles Maunoir. Le programme du voyage n’étant pas encore fixé à la fin du mois de juin 1893, ce dernier s’en tient à des généralités. Par rapport à la photographie, le dessin lui semble premier, bien que les deux soient complémentaires. Il recommande à ce titre la photographie instantanée, « un judicieux moyen de reproduction des foules ou de rendre des attitudes » (AN, F/17/2960). Si les photographies ont été effectivement prises sur le vif, elles attestent d’une maîtrise technique aléatoire : flou des personnages en mouvement, surexposition des photographies. Les croquis complètent celles-ci, relevant d’un geste rapide, et comportant intrinsèquement « des visées sommaires » (AN, F/17/2960), mais utiles lorsque les conditions pour la prise de vue ne sont pas réunies.
L’accent est mis sur l’annotation des photographies. Il s’agit principalement de prendre la mesure des distances et de les reporter sur celles-ci. Charles Maunoir recommande d’utiliser une ouverture focale ample, et délivre des conseils sur la prise de vue panoramique : noter le point de vue, la distance des points les plus éloignés, l’altitude ; et surtout, nommer le lieu en question. Pour les photographies prises des sommets, Maunoir insiste sur la nécessité de conserver intacte la ligne d’horizon, comme point de repère. Il recommande d’assortir chaque vue d’« une légende sommaire, indiquant le jour et même le moment de la journée auxquels le dessin a été exécuté » (AN, F/17/2960). Eysséric s’en tiendra à quelques annotations pour les photographies.
Certaines consignes se réfèrent spécifiquement à la Chine, dont les caractéristiques géologiques sont à rendre visibles. La présence du lœss et les tonalités singulières du territoire sont ainsi à mettre en exergue. Le dessin et la peinture apportent ce qui fait défaut à la photographie, à savoir la couleur. En ce sens, ces œuvres picturales apportent « un complément précieux de ses vues photographiques » (AN, F/17/2960). Maunoir ajoute encore le cas spécifique de la navigation, attirant l’attention sur les marges du regard, qui doit prendre en compte les bords du fleuve et les embarcations fluviales. Les croquis doivent s’accompagner de précisions d’ordre technique. Les carnets rendent compte de cet effort d’observation des rouages techniques des différents bâtiments sur lesquels a pu naviguer Eysséric.
Les injonctions formulées par Maunoir invitent à une conception iconographique exhaustive et totalisante. Il s’agit de cerner l’ensemble des aspects des pays traversés : les cours d’eau, les paysages, la faune et la flore, les mœurs et les coutumes, avec un souci d’exemplarité. Il ne s’agit pas de multiplier les prises de vue d’un phénomène qui serait redondant. Le photographe doit agir avec circonspection, et faire des choix. Eysséric privilégie les bords du fleuve : les haleurs et les nautoniers chinois entrent dans son viseur ; le paysage, lui, apparaît évanescent.
La pratique photographique sur le terrain
Eysséric ne respectera pas entièrement ce strict cahier des charges. Les facteurs humains (Eysséric ayant été confronté aux contingences du terrain et aux comportements imprévisibles des observés) et climatiques conditionnent incidemment le processus photographique, ou même pictural. Il n’en reste pas moins que l’image s’avère pensée en amont.
Eysséric développe une recherche conceptuelle, qu’il ne théorise pas, mais qui est mise en exergue dans ses ordres de mission, comme faire-valoir. Dans ses carnets, l’artiste voyageur évoque ses peintures comme des « tableaux d’observation ». Alors que la photographie relève de l’instantané, la pratique picturale nécessite une réalisation sur un temps long, un arrêt sur image, qui marque un moment particulier du voyage. Le dessin désigne ainsi une autre manière d’appréhender le réel. Cet acte performatif n’est pas sans susciter quelque hostilité de la part des autochtones. Eysséric se trouve ainsi confronté à la curiosité excessive des Chinois et se voit même molesté, victime de jets de pierre.
Le Yangzi, cette « grrrrrrande expédition »
Le Yangzi bénéficie d’un traitement iconographique particulier. Son exploration s’insère dans un périple plus long, commencé en novembre 1893. La Chine, où il arrive le 3 avril 1894 après un court séjour au Tonkin, est considérée comme l’acmé du voyage. Le Yangzi est cette « grrrrrrande expédition » (bibliothèque de l’Inguimbertine, Ms. 2507), où Eysséric a la fierté de hisser le pavillon français, comme il le mentionne dans une lettre adressée à son oncle (bibliothèque Inguimbertine, Ms. 2507). Il remonte le Yangzi jusqu’à Xinling (信陵) [Yunnan (雲南)] qui se situe à huit jours de jonque, en amont d’Yichang (宜昌).
L’intention d’Eysséric est de compléter les renseignements recueillis par le consul Frédéric Haas (1843-1915) et Berger dans leur voyage à Chongqing (重慶), ville ouverte aux étrangers depuis 1890. L’explorateur se documente in situ, recueillant les témoignages de certains de ses prédécesseurs : Hobson, qu’il rencontre à Hankou (汉口) [Wuhan (武汉)] et à Pékin (北京), et auprès des Pères Stanislas Chevalier (1852-1930) et Pierre Heude (1836-1902), auxquels il rend visite à l’Observatoire de Zi-ka-wei (Xujiahui [徐家汇]) à Shanghaï (上海). Dans son voyage, le géographe n’emprunte pas de routes nouvelles ; seuls quelques segments relèvent de l’inconnu. L’étude de l’hydrographie du Yangzi, déjà parcouru, apporte toutefois un nouvel éclairage sur la navigabilité du haut fleuve, et fait l’objet d’une note adressée au ministère de l’Instruction publique (AN, F/17/2960).
Dans un rapport circonstancié, l’explorateur relève l’aspect difficile de cette portion du fleuve, entrecoupée de rapides particulièrement périlleux, même si, selon lui, ce danger semble avoir été exagéré par ses prédécesseurs. Pour améliorer la navigabilité du fleuve, Eysséric avance ainsi un ensemble de propositions, dont il mesure la difficulté à les mettre en place. Pour lui, le Yangzi est bien une grande voie commerciale, malgré sa navigation difficile.
L’image latente
La production de l’image photographique est tout d’abord envisagée à un court terme, le processus étant amené à s’interrompre, par précaution, pour éviter de gâter la pellicule au grand jour. L’explorateur se sépare de ses clichés, en les adressant à des personnes de confiance. Le 1er janvier 1894, Eysséric préfère ainsi envoyer les pellicules imprimées de son Kodak, à son oncle Gustave, fondateur de la confiserie carpentrassienne de berlingots. Ce paquet, contenant entre autres deux rouleaux de photographies et 71 pellicules, est « à placer soigneusement » pour que Joseph Eysséric puisse les déballer sereinement à son retour (bibliothèque Inguimbertine, Ms. 2507). « Les photos sont classées dans des enveloppes étiquetées » (bibliothèque Inguimbertine, Ms. 2507). Si Eysséric a déjà conscience avant même le développement du fait que certaines pellicules sont endommagées ou ratées, cela ne diminue en rien la valeur qu’il attribue à ses photographies, jugées « précieuses » malgré tout (bibliothèque Inguimbertine, Ms. 2507). Il adresse également certaines de ses pellicules au géographe Maurice Viguier, à qui il demande de les conserver (bibliothèque Inguimbertine, Ms. 2507). Ce n’est que dans un second temps qu’il passera par le circuit officiel du ministère, conscient peut-être de la portée de cette nouvelle mission et animé de la volonté de publier ces images. Le ministère de l’Instruction publique est ainsi l’intermédiaire entre l’Administration coloniale et un certain M. Robaut, avocat à la Cour d’appel de Paris, qui s’occupera de les développer et de les retrier.
Concernant son album de dessins de Port-Saïd à Calcutta, Eysséric recommande encore à son oncle de « ne laisser feuilleter l’album qu’à des personnes archisoignées, et le classer avec les autres dessins », ajoutant : « si vous saviez combien chaque croquis représente d’efforts, de volonté et de travail ! » (bibliothèque Inguimbertine, Ms. 2507). L’image circule dans le cadre d’une parenthèse domestique, qui deviendra caduque au retour du voyageur, qui s’occupera de leur développement, du tirage des épreuves et de la constitution de leur appareil critique, adapté au public visé.
Producteur et collecteur d’images
Eysséric publie certaines de ses œuvres dans les Annales de géographie (1895-1896), présentant deux aquarelles du Yangzi (1895-1896), et dans la revue populaire Le Tour du Monde (1900), à l’occasion d’un compte-rendu de ses péripéties en Afrique. À ce propos, Emmanuel de Margerie l’encourage à publier ses dessins (bibliothèque Inguimbertine, Ms. 2495).
En outre, le producteur d’images peut se faire aussi collecteur d’images, enrichissant une collection personnelle, reflet d’un regard singulier. À Mandalay, Eysséric fait ainsi la rencontre du photographe et marchand d’art Felice Beato (1832-1909). Il est fort probable que certaines photographies aient été achetées auprès de lui, Eysséric mentionnant dans ses carnets des achats « peu encombrants » (bibliothèque Inguimbertine, Ms. 2507a). Aussi, sa coopération avec Berger à Chongqing lui vaut de recevoir de lui deux photographies, dont on trouve trace dans les archives municipales de Carpentras (bibliothèque Inguimbertine, 26.628 [35]).
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