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Commentaire biographique

Albert d’Amade est le fils d’Adolphe d’Amade (1821-1892), adjoint à l’Intendance militaire, et de Marie-Thérèse Amélie de Ricaumont (dates inconnues), domiciliés tous deux à Alger. Bon élève, il suit une formation studieuse et mène une carrière militaire exemplaire, gravissant les échelons.

Une formation militaire (AN, LH//27/37)

Le 24 octobre 1874, il entre à l’École spéciale militaire. Il est engagé volontaire pour une période de cinq ans, le 3 mars 1875. Il est promu au grade de caporal, le 24 août, puis à celui de sergent, le 31 janvier 1876. Ses examens de sortie sont couronnés par la mention du mérite. De 1878 à 1879, l’officier poursuit sa formation à l’École de tir de Blida, en Algérie, d’où il sort premier sur un classement de treize élèves.

À la suite, il effectue de nombreuses campagnes en Afrique. Membre du corps expéditionnaire de Tunisie, il se voit enrôlé dans le 3e régiment de tirailleurs algériens, en tant que sous-lieutenant, le 1er octobre 1876. Le 9 décembre 1881, il est affecté au 143e régiment d’infanterie, comme lieutenant. Il suit les cours de l’École supérieure de guerre du 1er novembre 1882 au 1er novembre 1884 et obtient le brevet d’état-major, avec mention bien. Le 29 mars 1885, il est admis capitaine, au 108e régiment d’infanterie.

La mission en Chine et au Tonkin

Alors que les traités de Tianjin (天津) [11 mai 1884 et 9 juin 1885] mettent fin à la guerre franco-chinoise et aboutissent à la reconnaissance de la souveraineté française en Indochine, Albert d’Amade est envoyé au Tonkin, sous protectorat français depuis 1883. Il participe au corps expéditionnaire du Tonkin, du 13 avril 1885 au 22 mai 1887, détaché à l’état-major de la 3e brigade du Tonkin, le 4 mars 1886. L’entreprise de « pacification » (Munholland K., 1978, p. 82), soutenu par le deuxième gouvernement Jules Ferry (1832-1893), lui vaut d’être renversé le 6 avril 1885. Le gouvernement doit en effet faire face à des révoltes endémiques. La situation s’enlise.

Albert d’Amade est nommé attaché militaire de la légation de la République française en Chine, à Tianjin, par décret du 7 mars 1887. Sa mission lui permet d’effectuer un voyage sur le Yangzi (长江) et dans le Yunnan(雲南), de 1888 à 1889, qu’il prolonge jusqu’en Corée en 1890. Il est relevé de ces fonctions, par décision du 17 décembre 1890.

Le 26 février 1894, il est élevé au rang de chef de bataille, rattaché au 18e régiment d’infanterie.

À son retour de Beijing (北京), après quatre ans de service en Chine, D’Amade se marie le 8 août 1891 à Nelly Pauline Amélie Marie Mieulet de Ricaumont (dates inconnues), à Libourne, en Gironde, qui lui donnera quatre enfants, deux filles et deux fils.

Albert d’Amade est sollicité, pour ses connaissances sur la Chine, aux côtés de l’interprète Gabriel Dévéria (1844-1899), pour guider le vice-roi de du Beizhili (北直隸) [ancienne région, englobant la capitale pékinoise et une partie du Hebei (河北)], Li Hongzhang (李鴻章)[1823-1901], lors de son séjour dans la capitale parisienne. Il fait ainsi partie de la délégation diplomatique qui l’accueille à son arrivée en gare du Nord à Paris le 13 juillet 1896.

Le 19 août, l’officier est appelé au 2e bureau de l’état-major de l’armée. D’Amade continue ses investigations en Chine et sur la frontière tonkinoise, chargé par le ministère des Affaires étrangères Gabriel Hanotaux (1853-1944), de sonder les différentes voies d’accès du Tonkin vers la Chine, avec pour objectif de « créer en Chine une voie immédiatement productrice » et « d’adopter la ligne de pénétration la plus directe et la plus facile entre nos possessions de l’Extrême-Orient et les provinces riches de l’Empire du Milieu » (ANOM, GGI 6632). Cette mission aboutit à la rédaction de plusieurs notes et réflexions sur le sujet. Il s’interroge sur les liaisons possibles du Tonkin avec les routes commerciales du Yunnan, du Guangxi (廣西) et du Guangdong (廣東). Il rédige un autre rapport sur les voies d’accès à frayer en Chine en vue de l’établissement d’un réseau ferré dans les deux pays, en mai 1897. La mission cherche ainsi à répondre à la convention sino-birmane, signée le 4 février 1897 à Pékin par Li Hongzhang et Claude MacDonald (1852-1915), ministre d’Angleterre nouvellement nommé en Chine (1896-1900). En effet, la construction du chemin de fer chinois jusqu’à la frontière, son raccordement à celui de la Birmanie et les modifications apportées à la frontière sino-birmane avantageant l’Angleterre, mettent en péril les échanges commerciaux entre la Chine et les provinces de l’Indochine, qui reposent essentiellement sur le projet du chemin de fer du Yunnan (ANOM, GGI 6632). Ces rapports adressés au ministère des Affaires étrangères le 4 juin 1897, serviront de base à ce projet et seront lus attentivement par Charles Marie Guillemoto (1857-1907), chef de la mission, déjà sur place (1896-1898).

Un général en campagne au Maroc

Par décret du 28 octobre 1899, et ce jusqu’au 5 août 1900, Albert d’Amade, promu au grade de lieutenant-colonel le 12 juillet 1900, est nommé attaché militaire, au quartier général de l’armée anglaise au Transvaal. Cette mission lui permet de suivre les opérations menées dans le sud de l’Afrique. Il obtient le grade de colonel le 31 décembre 1903, pour être promu général de brigade, par décret du 12 mars 1907, pour prendre rang à la date du 27 mars. Il reçoit le commandement des troupes françaises débarquées à Casablanca, le 27 décembre 1907, et continue de diriger ses hommes sous les fonctions de général de division, par décret du 1er octobre 1908, pour prendre rang au 9 octobre. Il a pour mission de pacifier le Maroc, en proie à la révolte, des suites de la signature de l’acte d’Algésiras (1906) par le sultan Moulay Abd al-Aziz (1878-1943) ; une situation, qui vire à la guerre civile (1907), opposant le sultan officiel à son frère Moulay Abd al-Hafid (1875-1937). En mars 1908, Jean Jaurès (1859-1914), contre la pénétration française au Maroc, jugera Albert d’Amade responsable du massacre de la population dans la région de la Chaouïa, entourant Casablanca (Fabre R., 2015, § 29). À partir de 1910, il occupe les fonctions de général de division des troupes coloniales. Sa connaissance du territoire africain, lui vaut d’occuper les fonctions de Résident général de France au Maroc.

L’expédition des Dardanelles

Pendant la Grande Guerre (1914-1918), il siège au Conseil supérieur de la guerre. En 1915, il commande le corps expéditionnaire français d’Orient aux Dardanelles. La France, s’enfonçant dans l’inertie d’une guerre de tranchées, cherche conjointement avec les Britanniques à ouvrir un second front et forcer l’Empire ottoman, sous la dictature jeune-turque, à se retirer de la guerre. L’objectif est de s’engouffrer en mer Noire pour approvisionner les Russes en armement, de manière à rééquilibrer les forces. Mais, l’expédition se solde par un échec, prise au piège par les forces turco-allemandes.

Une carrière d’officier général récompensée

Albert d’Amade est élu président de l’Union nationale des combattants de la 18e région (Gironde), dont le siège se situe à Bordeaux. L’association appuie sa candidature pour l’obtention de la décoration suprême que constitue la grand’croix de la Légion d’honneur. Le gouvernement accède à leur requête et lui remet la décoration, par décret du ministre de la Guerre, le 30 janvier 1925, pour prendre rang en qualité de général de division de la section de réserve. Il est honoré également de la médaille commémorative du Tonkin et de l’Annam, ainsi que de la médaille coloniale, pour services rendus au cours de ses missions effectuées dans les colonies du Tonkin et du Maroc. Sadi Carnot (1837-1894), président de la République de 1887 à 1894, l’autorise à accepter la décoration du premier degré de la 3e classe du double dragon de Chine. De même, lorsque l’empereur de Russie lui octroie la décoration de chevalier de 2e classe de l’Ordre de Saint-Nicolas, à porter à la boutonnière, le 14 décembre 1893.

Albert d’Amade se retire enfin à Fronsac, dans son château de Pontus, près de Libourne, où il se fait viticulteur.

Constitution de la collection

Les fonds de l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD) se composent d’un ensemble de vingt recueils de photographies, constitués par Albert d’Amade ou achetés dans le commerce au cours de son voyage en Chine et au cours de ses différentes campagnes militaires. Il faut noter la présence d’une série de photographies, qui contraste avec le reste du fonds, consacrée aux loisirs. Albert d’Amade prend en photographie les moments passés en famille dans le Pays basque, à Bayonne, Biarritz et Hondarribia, à la frontière espagnole, ainsi qu’à Royan, en Gironde, entre 1902 et 1904 (ECPAD, D137-21). Son voyage en Chine représente plus de la moitié du fonds. Quatre cent quatre-vingt-dix photographies, réparties en dix albums, évoquent cette mission.

Des photographies souvenirs

D’Amade consacre deux albums à son trajet le conduisant vers la Chine, réunissant 78 photographies. Très peu sont de son fait. Le premier (ECPAD, inv. D 137-3) présente le travail du photographe italien Luigi Fiorillo (1847-1898), montrant des vues du Caire, des pyramides de Kéops et d’Alexandrie, qu’il a sans doute acquis dans son atelier, situé place Mehemet Ali à Alexandrie. Il s’agit de photographies touristiques, rassemblant les souvenirs d’une escale égyptienne.

Le deuxième (ECPAD, inv. D 137-4) se compose de photographies d’Hippolyte Arnoux (18 ? -19 ?), de Gabriel Lekegian (actif ca 1887-1908) et de l’atelier des frères Constantin et Georges Zangaki, originaires de l’île de Minos en Grèce. D’Amade a dû se procurer les clichés de ces derniers photographes, dans leur atelier, créé à Port-Saïd vers 1880, à moins qu’il n’ait profité de son retour pour visiter leur succursale ouverte au Caire dans les années 1890. Il collectionne ainsi des photographies du Canal de Suez, du Port d’Aden, des villes de Colombo et de Kandy sur l’île de Ceylan (actuel Sri Lanka).

Une construction militaire du paysage chinois du Beizhili

Six autres albums renvoient directement à son voyage en Chine, en tant qu’attaché militaire à la Légation française entre 1887 et 1891. Il voyage dans les provinces du Yunnan et du Guangxi, d’octobre 1888 à mai 1889 et remonte le fleuve Bleu en novembre de la même année. Ses photographies témoignent de ses déplacements. Son regard s’avère scrutateur, observant avec attention la configuration topographique du terrain qu’il découvre. Un déterminisme stratégique semble caractériser ces prises de vue. L’officier répond, suivant sa mission, à des préoccupations d’ordre militaire.

Albert d’Amade prend acte de la présence de l’armée chinoise dans le paysage et étudie l’emplacement d’ouvrages défensifs, des forts et des enceintes, construits sous l’égide du gouvernement chinois. Soucieux d’avoir une vue globale de la configuration topographique et de la situation militaire, le photographe s’attache à prendre de la hauteur, en donnant à la plupart de ses images une certaine profondeur de champ. Il opère également quelques gros plans sur certains éléments de fortifications. D’Amade photographie ainsi l’installation des camps militaires chinois dans l’ancienne région du Beizhili. Il assiste aux revues et manœuvres militaires chinoises. Sur le Bai he (白河), son regard se concentre sur les forts de Dagu (大沽), sur ces torpilleurs chinois stationnant devant l’entrée de la passe, à l’intérieur du port.

D’Amade livre également quelques portraits de notables et de dignitaires chinois, tel que Li Hongzhang, pris avec sa famille, ou encore Liu Yongfu (劉永福) [1837-1917], chef des Pavillons-Noirs. Quelques photographies d’autochtones, à la manière de celles prises en studio, confirment un intérêt limité pour les populations locales. Le photographe s’intéresse davantage à la traversée d’un territoire, observant les rives du fleuve Bleu et saisissant le passage des fameuses gorges d’Yichang (宜昌).

Sa mission le conduit jusqu’en Corée, où il note les ambitions territoriales japonaises. Il photographie la concession japonaise de Busan et assiste aux funérailles de la reine mère de Corée à Séoul, le 11 octobre 1890. Outre leur présence dans les collections de l’ECPAD, un certain nombre de ces photographies de Corée ont fait également l’objet d’une donation en 1923 par D’Amade à la Société de Géographie de Paris.

Un regard stratégique

Les photographies ont vraisemblablement une utilité dans la connaissance topographique du terrain et répondent à une visée stratégique fondamentale, qui conditionne les modalités de prises de vue. En complément des documents topographiques adressés à Gabriel Lemaire (1839-1907), ministre plénipotentiaire en Chine, d’Amade envoie sous pli spécial quelques vues photographiques, qu’il demande de transmettre, à toutes fins utiles, au ministre de la Guerre, Charles de Freycinet (1828-1923) [AMAE, inv. 107 PAAP 3]. Elles viennent aussi illustrer certains de ses rapports [SHD, DE 2019 PA 200 1].

Des vues pittoresques de la Chine

À ces vues factuelles, qui semblent être à vocation documentaire, s’associent des vues plus pittoresques. Albert d’Amade a pu photographier certains aspects de la ville chinoise, retenant une atmosphère particulière. Les photographies de Thomas Child (1841-1898) et de William Saunders (1832-1892) complètent cette dernière représentation de la Chine.

Une vision fugitive de la Sibérie

Enfin, un dernier album permet de se rendre compte du travail de collecte dont d’Amade a pu faire preuve. Outre des photographies de Sibérie, et notamment de Port-Arthur (actuelle Lüshun [旅順]), l’officier a récolté des photographies d’objets archéologiques de Sibérie, des planches présentant de façon éclatée des artefacts divers, qui contrastent avec l’ensemble de la production.

Ainsi, Albert d’Amade s’impose comme un photographe amateur, mais aussi un collectionneur de vues. Force est de constater la diversité de cette collection de photographies prises par un militaire, qui, du fait de ses fonctions, s’est concentré sur ses obligations, sans trop s’étendre sur la vie et la culture chinoise.