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21/03/2022 Collectionneurs, collecteurs et marchands d'art asiatique en France 1700-1939

Commentaire biographique

Marie Adélaïde de France est le sixième enfant et la quatrième fille de Louis XV (1710-1774) et de Marie Leszczyńska (1703-1768). À la différence de ses sœurs cadettes, Marie Adélaïde est élevée et éduquée à Versailles, avec ses sœurs aînées, Madame Louise Élisabeth (1727-1759), Madame Henriette (1727-1752) et Madame Marie Louise (1728-1733) ainsi qu’avec son frère Louis, dauphin de France (1729-1765). Confiée aux bons soins de Marie Isabelle de Rohan, duchesse de Tallard (1699-1754), elle étudie l’italien avec Carlo Osvaldo Goldini (1707-1793) et la musique auprès de cet esprit universel français qu’est Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1799). Selon madame Campan (1752-1822), « Madame Adélaïde, surtout, eut un désir immodéré d’apprendre ; elle apprit à jouer de tous les instruments de musique, depuis le cor (me croira-t-on ?) jusqu’à la guimbarde » (Jeanne-Louise-Henriette Campan, Mémoires sur la vie de Marie-Antoinette […] suivis de souvenirs et anecdotes historiques sur les règnes de Louis XIV, de Louis XV et de Louis XVI, Édition Didot Frères, 1849, p. 52).

En 1744, Mesdames Henriette et Adélaïde quittent la pouponnière royale pour emménager dans les appartements de Mesdames aînées, et deux ans plus tard elles voient entrer à leur service leur propre dame d’honneur, Marie-Angélique-Victoire de Bournonville, duchesse de Duras (1686-1764). Après la mort d’Henriette, en 1752, les appartements de Mesdames aînées deviennent ceux de Madame Adélaïde, régis par Marie-Suzanne-Françoise de Creil, duchesse de Beauvilliers (1716-1780). Adélaïde est donc la seule des princesses non mariées qui disposât de ses appartements privés. Marie Adélaïde ne se marie jamais. À la fin des années 1740, quand elle atteint l’âge d’avoir un époux, on ne trouve aucun parti de son rang qui fût en outre catholique. En 1761, on suggère, dit-on, qu’elle épouse Charles III (1716-1788) d’Espagne, veuf depuis peu, mais elle refuse lorsqu’elle voit son portrait. 

Lorsque ses jeunes sœurs reviennent de Fontevrault, entre 1748 et 1750, Adélaïde prend la tête du groupe des quatre sœurs non mariées, outre elle-même, Madame Victoire (1733-1799), Madame Sophie (1734-1782) et Madame Louise (1737-1787). Adélaïde est d’une personnalité ambitieuse encline à dominer, douée d’une forte volonté, qui s’affirme sur celle de ses sœurs cadettes. Madame Campan écrit : « Madame Adélaïde avait plus d’esprit que Madame Victoire ; mais elle manquait absolument de cette bonté qui seule fait aimer les grands : des manières brusques, une voix dure, une prononciation brève la rendaient plus qu’imposante. Elle portait très loin l’idée des prérogatives du rang » (J.-L.-H. Campan, 1849, p. 58). Elle est la seule parmi les filles non mariées de Louis XV qui a des ambitions politiques, et elle tente (sans succès) d’exercer son influence à travers son père le roi, son frère le dauphin et plus tard son neveu, nouveau dauphin et futur Louis XVI (1754-1793).

Avec son frère et ses sœurs, elle tente, sans plus de succès, de briser la relation entre son père et madame de Pompadour (1721-1764), puis plus tard celle qu’il entretient avec madame du Barry (1743-1793). À la fin des années 1750, alors que la santé de madame de Pompadour décline, Adélaïde devient un temps la favorite et l’intime de son père. Après la mort de Marie Leszczyńska, en 1768, elle encourage le roi, afin qu’il ne retombe pas dans les rets d’une nouvelle maîtresse, à épouser la princesse de Lamballe (1749-1792), riche et veuve. En 1769, Louis XV présente pourtant à la Cour madame du Barry. En 1770, Marie-Antoinette (1755-1793) devient la dauphine, et durant les premières années qu’elle vit en France se rapproche de Mesdames, en raison notamment des étroites relations qu’elles entretiennent avec leur neveu Louis, le dauphin. Madame Adélaïde s’efforce de gagner le soutien de Marie-Antoinette dans sa lutte contre madame du Barry, l’encourageant régulièrement à lui témoigner son mépris. En 1772, cette situation a à ce point tendu les rapports entre le roi et Marie-Antoinette que la mère de celle-ci, l’impératrice Marie-Thérèse (1717-1780) et son ambassadeur, inquiets des conséquences politiques de cette inimitié pour les relations entre la France et l’Autriche, contraignent la Dauphine de s’entretenir avec Madame du Barry, ruinant ainsi les intrigues de Madame Adélaïde et mettant un terme à l’amitié entre Mesdames et Marie-Antoinette.

D’avril 1774 à la mort de Louis XV, le 10 mai 1774, Madame Adélaïde et ses sœurs veillent leur père, malade de la variole. Les sœurs contractent la maladie et sont placées en quarantaine près du château de Choisy, puis guérissent. Lorsque Louis XVI monte sur le trône, Madame Adélaïde est de nouveau amenée à jouer un rôle politique : elle fournit une liste de candidats aux ministères, jouant ainsi un rôle non négligeable dans la formation du nouveau gouvernement, devenant la conseillère de son neveu. Elle compte parmi ses soutiens et ses partisans le duc d’Orléans (1725-1785), le duc de Richelieu (1696-1788), le duc d’Aiguillon (1720-1788), la duchesse de Noailles (1729-1794) et madame de Marsan (1720-1803). Finalement, sa participation aux affaires du royaume rencontre l’opposition de la Cour et Louis XVI est contraint de l’exclure de toute fonction politique. En 1777, Madame Adélaïde est faite duchesse de Louvois par le roi. Aves sa sœur Victoire, elle s’éloigne de la Cour, préférant résider dans son château de Bellevue, à Meudon. Après la désagrégation de leurs relations avec Marie-Antoinette, le salon de Mesdames devient le lieu de rencontre des ennemis de la reine ; il est fréquenté par le ministre Maurepas (1701-1781), dont Adélaïde a soutenu la position, par le prince de Condé (1727-1776) et par le prince de Conti (1717-1776), tous membres du parti anti-autrichien, et Beaumarchais y lit ses satires contre l’Autriche.

Madame Adélaïde et sa sœur Victoire sont présentes à Versailles lorsque les femmes parisiennes marchent sur le château le 6 octobre 1789, et sont parmi celles et ceux qui se réfugient dans les appartements du roi la nuit où est attaquée la chambre à coucher de Marie-Antoinette. Lorsque la Cour quitte Versailles pour les Tuileries, leur voiture se sépare du convoi et prend la route du château de Bellevue. Après avoir obtenu leurs passeports pour Rome, Victoire et Adélaïde s’apprêtent à partir, le 3 février 1791. Mais leur intention s’est ébruitée ; le départ prévu provoque des protestations à l’Assemblée nationale et, le 19 février, une foule de femmes se rassemblent au Palais-Royal dans le but de marcher sur Bellevue afin d’empêcher Mesdames de quitter le royaume. Elles partent néanmoins le 20 février 1791, mais elles sont à nouveau arrêtées par des manifestations à Moret, et détenues quelques jours, à partir du 21 février, à Arnay-le-Duc. À Paris, les protestations contre leur départ reprennent ; les protestataires marchent sur les jardins des Tuileries, demandant au roi le retour de ses tantes. Après un débat à l’Assemblée nationale, il est décidé que la défection de Mesdames aura peu de conséquences sur la cause générale de la Révolution. Après que de nouvelles protestations ont encore retardé le départ d’Arnay-le-Duc, Mesdames quittent finalement la ville, le 3 mars, pour la Savoie, où le roi de Sardaigne les héberge dans son château de Chambéry. Adélaïde et Victoire sont accueillies le 16 avril 1791 à Rome, où elles demeurent cinq ans. Lorsque l’Italie est envahie par la France révolutionnaire, en 1796, elles quittent Rome pour Naples, et lorsque Naples est envahie par la France, en 1799, elles partent pour Corfou. Elles s’installent enfin à Trieste. Adélaïde meurt en 1800 et son corps, ainsi que celui de sa sœur Victoire, morte en 1799, est ramené en France sur ordre de Louis XVIII durant la Restauration des Bourbons. Elle est enterrée à la basilique de Saint-Denis.

Constitution de la collection

Des inventaires des collections de Madame Adélaïde établis de son vivant ressortent surtout les meubles et les pièces ou objets d’ameublement, ce qui pourrait laisser penser qu’elle ne s’intéressait guère aux arts visuels – à la peinture ou à la sculpture – et aux objets d’art, à l’exception de son abondante collection de porcelaine de Sèvres attestée au château de Bellevue. Toutefois, malgré le peu de documentation, nous savons que Madame Adélaïde joua un certain rôle de mécène et soutint avec enthousiasme la peintre Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803). À vrai dire, Madame Adélaïde est si touchée par l’Autoportrait avec deux élèves de Labille-Guiard (1785 ; New York, The Metropolitan Museum of Art, inv. 53.225.5) qu’elle lui propose de le lui acheter pour la somme de 10 000 livres (M. Sprinson de Jesús, 2008, p. 160).

Mécénat

Si Marie-Antoinette protégeait Anne Vallayer-Coster (1744-1818) ou Elisabeth Louise Vigée Le Brun (1755-1842), Mesdames Adélaïde et Victoire étaient déterminées à cultiver leur identité propre, tenant leur cour au Château de Bellevue, et non à Versailles, et soutenant Adélaïde Labille-Guiard (M. Sprinson de Jesús, 2008, p. 157). En 1787, Labille-Guiard réalise deux études préparatoires au pastel pour des portraits de Mesdames Adélaïde et Victoire, aujourd’hui conservées, avec les portraits achevés, au Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon. Apprenant qu’un portrait de Marie-Antoinette et ses enfants a été commandé à Vigée Le Brun pour le Salon de 1787, Marie Adélaïde, soucieuse des prérogatives de son rang, passe commande à Labille-Guiard de portraits peints en pied d’elle-même, de sa sœur Madame Victoire et de sa nièce Madame Elisabeth destinés à être exposés au Salon aux côtés du portrait de Marie Antoinette (le portrait de Madame Victoire ne fut achevé qu’en1788 et exposé au Salon de1789). Mesdames sont tellement satisfaites du résultat qu’elles demandent à Louis XVI d’accorder à l’artiste le titre de premier peintre de Mesdames, qui doit figurer, accolé au nom de Labille-Guiard, dans le livret du Salon (M. Sprinson de Jesús, 2008, p. 162). Cette galerie de portraits révèle les divisions de la famille royale à la veille de la Révolution. Selon Jean Cailleux, « Dans l’opposition à l’extravagance de la reine, à sa nature capricieuse, à ses amis, dans l’opposition à la faiblesse du roi qui cédait aux demandes de son épouse, il y avait la coalition des filles de Louis XV, Mesdames. Elles représentaient l’esprit de la vieille Cour, la morale rigide et les principes chrétiens de leur mère et du Dauphin leur frère » (J. Cailleux, 1969, p. iv [trad. originale]). En outre, la commande de ces portraits dessine le rôle d’Adélaïde en gardienne de la mémoire familiale. Pour reprendre les termes de Jennifer Milam, « en joignant son portrait à ceux de ses sœurs, elle met en scène un ordre de pouvoir féminin parfaitement approprié à sa condition » (J. Milam, 2003, p. 117).

Porcelaine dans la collection

Mesdames comptent parmi les clientes les plus fidèles de la Manufacture royale de Sèvre, y acquérant de nombreuses pièces : entre 1766 and 1788, Madame Adélaïde y dépense plus de 26 000 livres (C. Baulez, 2001, p. 13). L’inventaire de 1786 du Château de Bellevue (A.N., O/1/3379) témoigne du vif intérêt de Madame Adélaïde pour les pièces de la manufacture. La collection comptait plusieurs sculptures de figures féminines en biscuit de Sèvres, ainsi que de nombreux vases dans différentes couleurs de Sèvres, notamment le bleu roi, le gris de lin, de blanc et or, le rouge et or et le vert pomme. Certains de ces vases s’ornaient de bas-relief dans le genre étrusque. La collection de porcelaines de Bellevue comprenait aussi deux grands vases japonais avec des ornements de figures et de rinceaux sur un fond vert céladon.

Livres dans la collection

Des sœurs, Marie Adélaïde est la bibliophile la plus fervente, et sa bibliothèque, qui compte plus de onze mille volumes, n’est surpassée que par celle de madame de Pompadour. Les reliures de Mesdames répondent à des couleurs différentes pour chacune : les ouvrages de Madame Adélaïde sont reliés de maroquin rouge, ceux de Madame Victoire le sont de vert, et ceux de Madame Sophie de citron, les uns comme les autres aux armes de fille de France. Dans les rayonnages de Mesdames se trouvait un exemplaire d’une œuvre fort connue du père Jean-Baptiste Du Halde (1674-1743), Description géographique, historique, chronologique, politique, et physique de l’empire de la Chine et de la Tartarie chinoise, enrichie des cartes générales et particulières de ces pays, publiée pour la première fois à Paris en 1735 et rééditée en 1770. L’ouvrage, commun aux plus riches bibliothèques du XVIIIe siècle, comprend des journaux de voyage, de grandes cartes et des descriptions détaillées des provinces chinoises et de leurs principales villes, mettant l’accent sur les succès des missions jésuites françaises en Chine, pour le plus grand plaisir des esprits cultivés qui s’intéressent à la Chine (M.-L. de Rochebrune, 2014, p. 7-8).

Objets asiatiques dans la collection

Si les traces écrites n’établissent pas que Madame Adélaïde eût pour la collection d’objets chinois et japonais un goût particulier, quelques pièces méritent néanmoins d’être citées, hors les vases japonais de Bellevue déjà mentionnés. Dans ses appartements du château de Compiègne se trouvait un ensemble de meubles constitué d’un lit, de rideaux, de grands fauteuils, de tabourets et d’un paravent, entièrement tendus de taffetas chiné. Le chiné est une étoffe obtenue avec des fils de chaîne préteintés ou imprimés d’un motif, de façon à créer un effet doucement brouillé lorsque chaîne et trame sont finalement tissées ensemble. Le chiné devient de plus en plus prisé en Europe au milieu du XIXsiècle, avec la vogue que connaissent les objets venus d’Orient. Si les premières pièces viennent effectivement de Chine, la France produisait dans les années 1760 ses propres tissus chinés. On ne sait pas si les meubles de Madame Adélaïde étaient garnis de taffetas chinés originaux ou bien produits en France ; leur dessin, à fleurs et figures chinoises sur fond blanc, dénote toutefois de l’intérêt pour la « chinoiserie ».