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Commentaire biographique

Albert Kahn est né à Marmoutier, chef-lieu de canton situé dans le Bas-Rhin, le 3 mars 1860 dans une famille de marchands de bestiaux appartenant à la communauté juive de la ville. Il est l’aîné d’une fratrie de six enfants et se prénomme alors Abraham. Sa mère meurt en 1870, peu de temps avant le début de la guerre qui voit l’annexion de l’Alsace et de la Moselle par le nouvel empire allemand. Il est élevé alors par sa tante et intègre le collège de Saverne. En 1876, il arrive à Paris avec un permis d’émigration accordé par le gouvernement impérial allemand. Travaillant d’abord dans une maison de confection des grands boulevards, il entre en 1878 comme employé dans la banque de lointains cousins, Charles (1842-1925) et Edmond Goudchaux (1843-1907). En parallèle, ayant repris des études, il devient en 1879 le premier élève et l’ami du philosophe Henri Bergson (1859-1941), puis obtient un baccalauréat en lettres et une licence de droit. Son ascension est telle qu’il devient associé de cette banque en 1894 (Beausoleil J., Ory P., Albert Kahn, 1860-1940. Réalités d’une utopie, 1995 ; Albert Kahn, singulier et pluriel, 2015).

Installé à Boulogne-sur-Seine à partir de 1892, il acquiert, de 1895 à 1920, plusieurs parcelles en vue de l’aménagement d’un jardin composé de scènes paysagères agrémentées de « fabriques » et de forêts : jardin français, verger-roseraie, jardin anglais, village japonais, forêt bleue et marais, prairie et forêt dorée, forêt vosgienne et jardin chinois-alpin. Dès 1897 il achète des terrains à Cap-Martin, près de Menton, et y fait bâtir une villa principale autour de laquelle il fait aménager des jardins de collections de plantes exotiques. Il augmente cette propriété de deux autres villas construites par le même architecte. Il séjournera souvent au Cap-Martin, en compagnie de prestigieux invités.

En 1898, Albert Kahn fonde sa propre banque et dans le même temps crée sa première œuvre philanthropique : les bourses Autour du Monde qui permettent à de jeunes agrégés d’enrichir leurs compétences et leur futur enseignement par une confrontation directe au monde.

Cette première fondation est suivie par la création en 1906 de la Société Autour du Monde, puis d’une dizaine d’autres fondations qui s’échelonnent jusqu’en 1932. Elles ont pour objet l’information des élites amenées à orienter les affaires publiques dans le but de favoriser une meilleure compréhension mutuelle des nations et garantir ainsi la paix. Ainsi en 1916, il met en place le Comité national d'études sociales et politiques (CNESP), domicilié à la Cour de cassation à Paris, qui organise des débats entre politiques et spécialistes de divers sujets d'actualité et édite treize revues de presse.

En 1920, il crée le Centre de documentation sociale de l’École normale supérieure (ENS), suivi par d'autres lieux d’enseignement supérieur, et qui vise à former les jeunes chercheurs en sciences économiques et sociales. Il soutient aussi de son mécénat le Laboratoire de biologie et de cinématographie scientifique dirigé par le docteur Jean Comandon (1877-1970), abrité dans sa propriété de Boulogne. Pour pérenniser ces diverses structures, il signe en 1929 avec l’université de Paris une convention qui crée une Centrale de recoordination à même de pérenniser son action. Parmi ces fondations, les Archives de la Planète occupent une place singulière. Cette entreprise visuelle et documentaire vise à enregistrer, au moyen de la photographie en couleurs (autochrome) et du film, un état du monde « à l’heure critique de l’une des “mues” économiques, géographiques et historiques les plus complètes qu’on ait jamais pu constater ». Dans un premier temps, Albert Kahn conduit lui-même ce vaste programme de documentation, puis en confie la direction scientifique au géographe Jean Brunhes (1869-1930) à partir de 1912. Durant près de vingt ans, une douzaine d’opérateurs vont parcourir une cinquantaine de pays et produire près de 72 000 plaques photographiques ainsi qu’une centaine d’heures de films.

La crise boursière de 1929, effective à partir de 1931 impacte la banque Kahn et entraîne l’arrêt progressif de l’activité des fondations. Les ventes successives n’empêchent pas la ruine du banquier acculé par ses créanciers. Le département de la Seine rachète en 1936 la propriété de Boulogne, dont les jardins ouvrent au public à l’occasion de l’exposition internationale de 1937. Albert Kahn bénéficie de l’usufruit de sa maison jusqu’à son décès qui a lieu dans la nuit du 13 au 14 novembre 1940. Il est inhumé en 1941 au cimetière de Boulogne-Billancourt.

La collection de photographies et de films

Les premiers éléments relatifs à l’Asie dans les collections iconographiques sont des photographies stéréoscopiques noir et blanc et autochromes de même que des films réalisés majoritairement au Japon et en Chine, ainsi que lors d’escales à Singapour, à Penang et à Colombo. La plupart de ces images sont l’œuvre d’Albert Dutertre (1884-1964), chauffeur mécanicien d’Albert Kahn. Formé aux techniques de prise de vue photographiques et de films, il accompagne le banquier lors du voyage au Japon et en Chine de 1908-1909, au cours duquel plus de 3 000 plaques stéréoscopiques vont être réalisées et des centaines de mètres de pellicule de films tournés. S’y adjoignent une centaine de plaques réalisées par Jacques Gachet (1881-1948), travaillant pour la légation de France à Pékin, et probablement offertes par ce dernier à Kahn. Au Japon, Albert Dutertre enregistre les quartiers modernes de Tokyo, Yokohama, les sites de Nikko et Kyoto, les personnalités éminentes de l’ère Meiji (1868-1912), rencontrées lors de réceptions officielles ou de visites privées comme le baron Itchiro Motono (1862-1918), le comte Shigenobu Okuma (1838-1922), le marquis Masayoshi Matsukata (1835-1924) Les vues des jardins des résidences de ces personnages se font l’écho du goût d’Albert Kahn pour cette organisation paysagère savante qu’il recrée à Boulogne alors même qu’il visite l’archipel. En Chine, la découverte du pays est totale, un regard ethnographique sur les populations, leur mode de vie, l’agitation des rues, les festivités du Nouvel An, les modes de transport, les rituels funéraires, est complété par des prises de vue des sites remarquables (temples de Pékin, tombeaux des Ming, Grande Muraille.)

Ce fonds iconographique constitue les prémices du vaste projet de production d’images appelé les Archives de la Planète qu’Albert Kahn met en place à partir de 1912 en recrutant un directeur scientifique et des opérateurs professionnels. Cette entreprise qui vise à constituer un témoignage visuel du monde contemporain utilise deux procédés novateurs : le cinéma ainsi que le premier procédé photographique en couleurs.

L’Extrême-Orient est la destination des premières missions organisées hors d’Europe dès le lancement du projet :

  • Missions Passet (1912 et 1913) en Chine du Nord, en Mongolie intérieure, en Mongolie, au Japon : 228 plaques autochromes, 117 plaques noir et blanc, 14 minutes de film nitrate noir et blanc muet ;
  • Mission Passet (1914) en Inde : 400 plaques autochromes, 49 mn de film nitrate noir et blanc muet.
  • Léon Busy (1913, 1914, 1916) en Indochine : 1 508 plaques autochromes, 60 mn de film nitrate noir et blanc muet
  • Mission Dumas (1926-1927) au Japon : 2 712 plaques et 60 mn de film nitrate noir et blanc muet 
  • Mission Dumas (1927) en Inde : 714 plaques et 124, 62 mn de film nitrate noir et blanc muet.

En parallèle des images des Archives de la Planète prises lors de missions, les opérateurs d’Albert Kahn ont réalisé les portraits de personnalités asiatiques lors de leur passage à Boulogne, lors de projections auxquelles celles-ci étaient conviées par le banquier, et plus rarement à Cap-Martin. Les supports de ces images sont des plaques photographiques autochromes ainsi que des films nitrate noir et blanc muet.

D’autres fonds iconographiques comportant des contenus se rapportant à l’Asie et résultant d’acquisitions et de dons ont enrichi progressivement les collections du musée (fonds Piry, Le Play, Lucien Bourgogne, Alain Petit, Walther, Gachet).

De nombreux éléments originaux provenant du Japon sont présents à Boulogne dans des scènes japonisantes. Certains sont encore conservés, d’autres ont disparu, mais les autochromes et les quelques films réalisés dans le jardin par les opérateurs d’Albert Kahn en conservent le témoignage visuel. Ces éléments ont été acquis à partir de 1898, puis en 1908-1909. Ils sont destinés à l’élaboration de deux représentations paysagères emblématiques que ce dernier fait aménager dans sa propriété de Boulogne : le village japonais et le sanctuaire. Celles-ci, qui occupent la plus grande surface au sein du jardin, témoignent de la recherche d’authenticité qui anime le banquier qui a pu découvrir la richesse et la diversité des jardins de ses relations japonaises lors de ses voyages au Japon. Elles ont été aménagées juste après son retour en 1898, pour le village, et quand Albert Kahn visite l’archipel, pendant l’hiver 1908-1909, pour le sanctuaire. La première, aménagée en 1898 et appelée « village » comprenait à l’origine un ensemble de trois maisons de thé (deux de type sencha, en vogue à la fin du XIXe siècle, et un pavillon de type macha, plus traditionnelle), une pagode de cinq étages, un cabinet de bain. Plusieurs lanternes de pierre (ishidôrô) et de bronze complétaient la scène ainsi que deux portiques fermant les accès de cet ensemble. La pagode a disparu ainsi que le pavillon de thé qui fut remplacée dans les années soixante par une maison de thé offerte par le gouvernement japonais et l’école Urasenke. La seconde aménagée au cours de l’hiver 1908-1909, se voulait une évocation des sites sacrés du Japon. Deux torii (portiques de sanctuaires shinto) en marquait les limites. Deux ponts placés à la suite, un laqué rouge, reproduction de celui du sanctuaire de Nikko, et un autre peint en marron, enjambaient le bassin et conduisaient au sôrintô ou « pagode flèche ». Cet élément, unique référence dans les jardins japonais européens de cette époque, était également une reproduction de celui du temple Rinno-ji à Nikko. Sur une petite hauteur, à proximité se trouvait la reproduction miniature de la façade du célèbre temple de Kyoto, le Kyomizu-dera. On y accédait par un torii, menant à un chemin abrupt bordé de lanternes de pierre. Cette partie du jardin a été entièrement transformée en 1990. Il n’en subsiste que les deux ponts et un élément de la terrasse de la façade du temple.

Les collections du musée sont consultables à partir de ce lien.