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La duchesse du Maine, princesse et mécène

Petite-fille du Grand Condé, Louise-Bénédicte de Bourbon prend le titre de duchesse du Maine lorsqu’elle épouse, en 1692, son cousin Louis-Auguste de Bourbon (1670-1736), prince légitimé né de la liaison amoureuse que Louis XIV entretint avec la marquise de Montespan. Jouissant d’un appartement à Versailles, elle s’installe, peu après 1700, au château de Sceaux, que le duc du Maine avait acheté aux héritiers du marquis de Seignelay, le fils aîné de Colbert. Louise-Bénédicte de Bourbon passe commande, pour Sceaux, de nouveaux décors aux artistes les plus renommés, à l’exemple de Claude III Audran (1658-1734), qui compose, en 1704, les boiseries d’un cabinet de l’appartement de la princesse sur le thème des arts et des sciences (Brême D., Cessac C., 2019). Princesse instruite, initiée aux sciences par Nicolas de Malézieu (1650-1727), en particulier à l’astronomie, elle nourrit une vive passion pour l’art du théâtre et protège en tant que mécène comédiens, compositeurs et auteurs dramatiques. Elle s’entoure, sous le surnom de « Ludovise », d’une cour nombreuse dédiée à l’organisation de fastueux divertissements mêlant théâtre, musique et danse. Une salle de théâtre occupe le second étage du château de Sceaux : la princesse y monte volontiers sur scène pour jouer la comédie ou la tragédie devant ses courtisans assemblés. Son théâtre particulier se déplace parfois à Châtenay, chez Malézieu, et dans les autres demeures des Maine, à Clagny et au château d’Anet, où Voltaire représente, en 1747, l’une de ses premières pièces, Le Comte de Boursoufle

Le train de la maison du Maine se ralentit considérablement après la mort de Louis XIV et la conspiration de Cellamare, que Louise-Bénédicte, sa principale instigatrice, avait mené contre le régent Philippe d’Orléans. Au terme d’une année d’exil forcé, la duchesse du Maine forme une nouvelle cour, considérée comme la préfiguration des salons littéraires du XVIIIe siècle. Princesse de sang orgueilleuse, elle domine largement son époux, qu’elle pousse à acquérir de nouvelles terres pour créer le jardin de la Ménagerie, près du grand parc de Sceaux, sur lequel l’architecte Jacques de La Guêpière (mort en 1734) élève, vers 1721, un petit pavillon coiffé d’un dôme. La duchesse du Maine fait, à la même époque, l’acquisition d’un hôtel particulier, dit « du Maine », situé à Paris, rue de Bourbon (actuelle rue de Lille). La princesse loue également l’Hôtel Biron (aujourd’hui le musée Rodin), rue de Varenne, où elle passe beaucoup de temps après la mort du duc du Maine, et où elle-même meurt, en 1753.

La duchesse du Maine achète, tout au long de son existence, des meubles précieux et des céramiques pour garnir ses différentes demeures, principalement le château de Sceaux, dont elle conserve l’usufruit jusqu’à sa mort, et l’Hôtel du Maine, qu’elle aménage comme un véritable palais. L’art asiatique occupe une place majeure dans les goûts de la princesse qui accumule une quantité d’objets en provenance de Chine et du Japon et raffole de chinoiseries en tous genres. Après l’extinction de la maison du Maine à la mort du comte d’Eu (1701-1775), dernier fils du couple princier, les biens de Louise-Bénédicte de Bourbon passent à son neveu, le duc de Penthièvre (1725-1793). L’un des principaux cadres de vie de la duchesse du Maine disparaît après la confiscation du domaine de Sceaux (1793) et la démolition de son château (vers 1803) (Meyenbourg M., Rousset-Charny G., 2007, p. 19-23). La conservation, dans un salon de l’Hôtel de Pontalba (Paris, rue du Faubourg-Saint-Honoré), des panneaux de laque du cabinet de la Chine, aménagé par la princesse à l’Hôtel du Maine (détruit en 1838), nous permet de mesurer encore aujourd’hui le rôle qu’elle a pu jouer dans la diffusion du goût pour l’Extrême-Orient dans la France de la première moitié du XVIIIe siècle.

Tapisseries à sujets chinois

La duchesse du Maine s’intéresse assez peu à la peinture, en dehors des portraits de famille ou des tableaux évoquant les divertissements de la cour de Sceaux, dont elle passe commande à François de Troy (1645-1730) et à Pierre Gobert (1662-1744). Elle a un goût plus appuyé pour la petite statuaire décorative, en bronze ou en marbre, bien souvent à sujet mythologique. Son inventaire après décès (AN, MC/ET/XXXV/673, 19 février 1753) dénombre surtout la présence de 78 pièces de tapisserie. Dans cet ensemble, qui comprend probablement des pièces acquises par voie d’héritage, la tenture de L’Histoire de l’Empereur de Chine, tissée de laine et de soie à la manufacture de Beauvais et rehaussée de fils d’or et d’argent, occupe la première place. Commandée après la visite de l’ambassadeur du Siam en 1684 et peut-être offerte au duc et à la duchesse du Maine au moment de leur mariage, elle témoigne de l’intérêt des deux époux pour l’Extrême-Orient. La princesse a accroché une partie de cette tenture dans la chambre qu’elle occupe à Sceaux et l’autre, dans celle de son hôtel particulier de la rue de Bourbon (AN, MC/ET/VIII/1015, 4 juin 1736, n° 26, 850), avant d’en transporter une partie à l’Hôtel Biron (AN, MC/ET/XXXV/673, 19 février 1753, n° 113).

Porcelaines de Chine et du Japon

Le duc du Maine passe lui-même commande de quelques plateaux ou cabarets en bois et laque de Chine. Au moins l’un de ces objets, entièrement exécuté en Chine, porte les armes du prince (MDDS, inv. 2008.6.1).La duchesse du Maine se montre beaucoup plus active et rassemble de nombreux objets et meubles extrême-orientaux qu’elle répartit dans les pièces de ses appartements. Son inventaire après décès confirme un goût marqué pour les porcelaines de Chine et du Japon, dont on dénombre plus de 1 200 pièces. Ce goût n’est pas exclusif, puisque la princesse possède également en grand nombre des porcelaines de Saxe et de Chantilly ainsi que plusieurs pièces de Saint-Cloud. Grande amatrice de céramiques, elle protège la manufacture de faïence de Sceaux et s’y approvisionne en pièces de forme et figurines émaillées et peintes en couleur. Elle agence parfois elle-même divers éléments d’origines différentes, à l’exemple de ces « deux bouteilles quarrées de porcelaine de Chine, repeinte en hollande contenant chacune un bouquet de fleurs de porcelaine de Saxe » (AN, MC/ET/XXXV/673, 19 février 1753, n° 1919 (Sceaux).  

Nous savons, par l’intendant de la maison du Maine, Pierre-Jacques Brillon (1671-1736), que la duchesse du Maine faisait « emplette » de porcelaines extrême-orientales « à la compagnie des Indes » (BIF, MS 385, 20 février 1723, p. 208). Son inventaire après décès mentionne des objets, parfois montés en bronze ou doublés d’argent ou de vermeil, ayant trait à la vie quotidienne (pots à tabac, cuvettes, seaux, jattes, écuelles,aiguières) ou au service de la table (terrines, assiettes, plats, bouteilles). L’inventaire signale par ailleurs plusieurs plateaux « de lac rouge » et des cabarets vernis du Japon, accompagnés de leur nécessaire en porcelaine (théières, gobelets, tasses, soucoupes, boîtes à sucre, etc.), ainsi que plusieurs objets précieux, comme des pots-pourris, des fontaines à parfum (AN, MC/ET/XXXV/673, 19 février 1753, n° 432, 482, 485 (Hôtel Biron). Une seule des quatre fontaines à parfum de la duchesse du Maine, « de porcelaine bleu céleste semée de rosettes sur un pied de porcelaine rouge monté en bronze doré » est connue (AN, MC/ET/XXXV/673, 19 février 1753, n° 620 (Hôtel Biron) ; MDDS, inv. 2014.7.1). La princesse collectionne enfin des chinoiseries purement décoratives, aussi bien des magots que de petites pagodes (AN, MC/ET/XXXV/673, 19 février 1753, n° 1893 (Sceaux, pavillon de la Ménagerie), n° 2353 (Anet). 

Meubles et panneaux de laque

La duchesse du Maine se fait aménager deux cabinets de la Chine, l’un à Sceaux et l’autre à Paris, dans son hôtel parisien, rue de Bourbon. À Sceaux, cette pièce tapissée de glaces et « ornée de beaucoup de magots chinois et figures de la Chine très-riches » (Gaignat de l’Aulnays C.-F., 1778, p. 40) est somptueusement meublée. La maîtresse des lieux y a réuni « un canapé à trois places, deux fauteuils, deux chaises et quatre tabourets […] couverts d’étoffe de Constantinople fonds d’or à figures chinoises », « une table à écrire de bois verny de la Chine » et « une petite commode à la régence de bois de Coromandel » (AN, MC/ET/XXXV/673, 19 février 1753, n° 1415, 1419, 1420 (Sceaux), seul élément encore conservé de ce fastueux décor. Soulignée de bronzes dorés et ciselés, la commode de Sceaux possède la particularité d’être entièrement ornée de panneaux de laque provenant d’un paravent importé de Chine depuis les côtes de Coromandel, en Inde. L’attribution à l’ébéniste Bernard II Van Risamburgh (c. 1700-1760), concepteur des meubles les plus précieux du règne de Louis XV, atteste la grande qualité de ce meuble exceptionnel (MDDS, n° inv. 2005.14.1).

Pour lambrisser le cabinet de la Chine de l’hôtel de la rue de Bourbon, la duchesse du Maine fait, en 1722, l’acquisition de « trois paravents composés de 18 feuilles » (BIF, MS 382, 21 février 1722, p. 287, 294 ; 22 février 1722, p. 656), puis sollicite le vernisseur Justin Moyrin afin de compléter cet ensemble par des panneaux de laque français, le tout encadré de bordures sculptées et dorées (Tillerot I., 2018, p. 89-120). Considéré comme « de la dernière magnificence » (Antonini A., 1734, p. 84), ce coûteux décor est aujourd’hui remonté dans un salon de l’Hôtel de Pontalba, à Paris, l’actuelle résidence officielle de l’ambassadeur des États-Unis (Leben U. et McDonald Parker R., 2007, p. 26-29). À la fin de sa vie, la princesse crée un ultime salon chinois dans une chambre de l’Hôtel Biron. Elle y place un cabinet « d’ancien lac du Japon », deux tables carrées et une table à écrire, chacune « de verny de la Chine », un petit guéridon « de verny du Japon » ainsi que divers objets en porcelaine (AN, MC/ET/XXXV/673, 19 février 1753, n° 520-541), afin de rassembler les précieux témoignages d’un goût qu’elle a tant apprécié.