DIEULEFILS Pierre (FR)
Formation et premiers succès
Pierre Dieulefils voit le jour à Malestroit (Morbihan) en 1862, dernier-né d’une famille de cinq enfants. Son père, commerçant dans le village, meurt quand il est âgé de cinq ans. Après une scolarité sans histoire, il travaille quelque temps dans une mercerie, mais cet emploi ne comble pas son besoin d’action et d’aventure et il s’engage dans l’armée en 1883. Incorporé à Vannes au 24e régiment d’artillerie, il est nommé brigadier fourrier un an plus tard. En 1885, il se porte volontaire pour partir au Tonkin, dans le corps expéditionnaire chargé d’assurer la « pacification » du pays, et devient donc à la fois acteur et témoin de l’entreprise coloniale française au nord de l’actuel Viet Nam (Fontbrune L. de, 2015, p. 246). Par le traité de Tien-Tsin, signé en 1885, la Chine reconnaît le protectorat français sur l’Annam et le Tonkin, mais la résistance intérieure à l’occupant demeure très forte, bien que la France feigne de nier cette résistance, l’assimilant aux exactions des « pirates » et des « Pavillons noirs ». Lors de sa participation, en 1887, au siège de Ba Dinh (Fontbrune L. de, 2015, p. 246), place forte de la rébellion, Dieulefils prend ses premières photographies et commence à se passionner pour cet art. Il est nommé au grade de maréchal des logis-chef (Vincent T., 1997, p. 24). De retour à Malestroit, la même année, en permission libérable, il se fiance avec une voisine, Marie Glais (ca 1864 -1955), mais l’armée, à cette époque, exerce encore un contrôle matrimonial : elle n’autorise un sous-officier à se marier que si la future épouse dispose d’une dot ou d’un revenu suffisant. Ce n’est pas le cas de Marie, issue d’un milieu modeste, aussi Dieulefils décide-t-il de mettre fin à sa carrière militaire (Vincent T., 1997, p. 29).
Il retourne néanmoins au Tonkin : cette région le fascine et, dans le contexte de l’expansion coloniale française en Asie du Sud-Est, donne toutes leurs chances de réussite rapide à des personnalités entreprenantes. Il s’installe à Hanoï, qui connaît à cette époque des transformations spectaculaires, et y ouvre, en 1888, un magasin de photographie (Ghesquière, J., 2016, p. 46 ; Vincent, T., 1997, p. 32). La pratique photographique était déjà présente en Indochine : qu’on se réfère à Clément Gillet (1862-1887), à Émile Gsell (1838-1879), actif à Saïgon de 1866 à 1879, ou au médecin militaire Charles-Édouard Hocquard (1853-1911), dont les clichés datés de 1884-1885 furent commercialisés sous forme de portfolios par l’éditeur Henri Cremnitz. La première exposition de Hanoï en 1887 présentait déjà des photos sur l’Asie, et quelques négociants fournissaient des produits, des albums de reproductions, des vues stéréoscopiques (Vincent T., 1997, p. 26-27). Dang Huy Tru (n.c.-1874), dignitaire de la Cour d’Annam, tint à Hanoï entre 1869 et 1874 un studio photographique dont l’enseigne Cam Hieu Duong lab (« Établissement pour susciter la Piété ») indique clairement sa vocation à servir le culte des ancêtres. Mais Dieulefils apparaît comme le premier photographe professionnel d’origine européenne établi au Tonkin. Son activité est à la fois celle d’un opérateur de prises de vue, voyageant à travers tout le pays pour moissonner des images, celle d’un technicien de studio assurant le développement des clichés et le tirage d’épreuves positives, et celle d’un commerçant de détail, proposant un large choix d’articles : plaques négatives, papiers sensibles, produits, appareils et matériels.
En 1889, à l’Exposition universelle de Paris, Dieulefils peut déjà montrer une sélection significative de ses photographies : principales villes du Tonkin, édifices civils ou religieux, types ethniques, industries locales. Il y obtient une médaille de bronze. Il profite de ce nouveau séjour en France pour épouser, la même année, sa fiancée restée à Malestroit, et retourne avec elle au Tonkin. Plusieurs enfants naîtront de leur union (Vincent T., 1997, p. 32-33).
Après une expérience malheureuse d’installation rue de la Citadelle, il déménage au 53, rue Jules-Ferry, adresse qui abritera son magasin, son atelier et son habitation privée. Dans cette maison dotée d’un jardin, de logements pour les domestiques et d’une écurie, il mène avec sa famille une vie confortable, signe de sa réussite (Vincent T., 1997, p. 36). Mais celle-ci est encore précaire, il doit lutter contre une concurrence grandissante, et cherche de nouvelles opportunités commerciales. En 1895-1896, il se voit attribuer par contrat public la mission de photographier tous les Asiatiques non annamites qui résident au Tonkin et qu’une nouvelle réglementation oblige à associer une photographie d’identité à leur carte de séjour. Pour remplir cette mission, il sillonne le pays de ville en ville, profitant de ces expéditions pour engranger de nouvelles provisions d’images partout où il passe (Vincent T., 1997, p. 38-39). Transportant un matériel lourd et fragile sur des routes peu praticables, Dieulefils doit traverser certaines zones dangereuses, où sévissent des pillards. Son ancienne expérience de militaire lui est d’un grand secours pour voyager dans ces conditions difficiles qui nécessitent de l’endurance physique et des ressources de baroudeur.
Les revenus que lui apporte l’activité de photographe ne sont toujours pas suffisants et il se lance, en parallèle, dans de nouveaux projets ; certains hasardeux, comme l’achat d’un bateau de transport des Douanes qui se révèle ne pas être en état de naviguer. Il fait un long séjour en France à partir de 1898 avec sa famille, et met en place une cidrerie dans son village d’origine. Parallèlement, il présente des photos à l’Exposition universelle de Paris en 1900 (Vincent T., 1997, p. 41-42).
En 1902, nous le retrouvons au Tonkin, au moment de l’Exposition internationale de Hanoï, manifestation ambitieuse projetée par Paul Doumer (1857-1932), gouverneur général de l’Indochine de 1897 à 1902. Dieulefils entretient de bonnes relations avec ce dernier. L’objectif de l’Exposition, comme l’annonce triomphalement le catalogue officiel (La Jalerie [de], B., 1902), est de « révéler au monde les immenses progrès réalisés par la France en Indochine […], l’essor industriel et commercial de cette admirable colonie ». La démarche artistique de Dieulefils s’inscrit dans ce programme de valorisation de la présence française en Asie du Sud-Est. Il apparaît deux fois dans le catalogue : en classe 3, avec la mention « albums photographiques », qui seront récompensés d’une médaille d’or, et en classe 11, comme producteur de « cidre champagnisé », qui lui vaudra une médaille d’argent.
La carte postale : une planche de salut
1902 est une année charnière pour Dieulefils. Il trouve enfin, à travers l’édition de cartes postales, le moyen de donner de larges débouchés à ses photographies et d’en tirer des revenus réguliers et durables. Les années 1900 à 1920 sont l’âge d’or de la carte postale, qui constitue un authentique média, un mode populaire et peu coûteux de diffusion de l’image, à une époque où la photographie dans la presse est pauvre ou inexistante (Steiner A., 2015). Au Tonkin où exerce Dieulefils, la carte postale illustrée répond à un véritable besoin : les soldats des troupes coloniales, comme les civils sans cesse plus nombreux dans une Indochine en pleine expansion, sont friands de ces petits supports de correspondance, au format standardisé, manière facile de communiquer avec leur famille, restée en métropole, et de montrer les aspects les plus caractéristiques d’un pays si difficile à décrire par des mots.
L’œuvre cartophile de Dieulefils, reflet de son œuvre photographique, illustre les mêmes thèmes : scènes et « types », artisanat, coutumes, villes, monuments remarquables, vie militaire, paysages. Une étude de Thierry Vincent (Vincent T., 1997) recense dans cette production plus de 4 800 références, qu’il range en trois séries. La première (1902-1904), à légende noire et dos non divisé, est un pêle-mêle d’images sur les trois régions de l’ancien Viet Nam. La deuxième (1904-1914), plus accomplie, démarre au moment où l’Union postale universelle décide d’autoriser la correspondance au dos des cartes, qui était auparavant réservé à l’adresse. Chacune de celles-ci, légendée en rouge ou en noir, est estampée d’un motif qui représente un brûle-parfum sur son socle. Par ce signe caractéristique, Dieulefils veut clairement s’imposer comme une « marque ». Cette série constitue une sorte de reportage idéal en images fixes à travers le Tonkin (Hanoï, Haïphong, baie d’Along, Doson), sujet largement majoritaire, l’Annam (Hué), la Cochinchine (Saïgon), le Cambodge, mais accorde également une petite place à la Chine (Beijing et le Yunnan). Un sous-ensemble de cette série mérite une attention particulière : il s’agit d’une soixantaine de clichés sur les opérations militaires conduites en 1908-1909 contre le Dé-Tham, un des principaux chefs de l’insurrection contre la présence française. Les légendes de ces images traduisent de manière presque naïve le point de vue des autorités coloniales : les soldats du chef rebelle sont qualifiés de « groupe de pirates des bandes du De Tham », l’un de ses bras droits est étiqueté comme « féroce lieutenant du De Tham ». Dans ce sous-ensemble, quelques cartes postales célèbres montrent des têtes de « pirates » décapités, thématique très prisée par les amateurs d’exotisme morbide, et qui fut exploitée par d’autres photographes contemporains de Dieulefils comme le lieutenant d’infanterie coloniale Edgard Imbert (1872-1915). L’auteur des clichés originaux sur le De Tham et la piraterie est le capitaine Péri, comme Dieulefils le déclare sans ambiguïté dans une publicité pour son commerce (Vincent T., 1997, p. 242), mais d’autres images d’exécutions de pirates, plus anciennes, sont attribuables à Jean-Marie Le Priol (1865-n.c.) ; photographe auquel il fut un temps associé (Degroise M.-H.). Il est de toute façon attesté que Dieulefils eut recours aux clichés de quelques autres opérateurs, amateurs ou professionnels (Vincent T., 1997, p. 243-245), comme ceux du commandant Fritch sur la Chine, ou ceux dont il partagea l’exploitation avec l’éditeur Poujade de Ladevèze, pour compléter son corpus d’images destinées à l’impression de cartes postales, ce qui fait de ce corpus à la fois une œuvre et une collection. Quant à la troisième série (1915 – fin des années vingt), à légende noire et dos vert, elle reprend globalement les items de la précédente, avec quelques modifications et ajouts, dont une suite de vues sur Saïgon.
Dans son magasin, Dieulefils vend des « photographies bromure », c’est-à-dire des tirages argentiques, et des cartes postales en noir et blanc ou aquarellées. Il dépose une partie de sa production dans des points de vente à Saïgon, Paris, Londres et New York, preuve et effet de sa notoriété grandissante (MPP, 80/074/55). Il publie un catalogue (MPP, 80/074/55) qui précise que « tout acheteur de 100 cartes reçoit gratuitement l’album pour les contenir et le catalogue imprimé ». L’album permet à chaque client de composer, en puisant dans le catalogue, son propre roman en images de la vie en Indochine. Si Dieulefils ne fut pas le seul éditeur de cartes postales dans l’Indochine du premier quart du XXe siècle, il fut le plus fécond, et sa production a toutes les caractéristiques d’un inventaire de la réalité locale, comme s’il avait voulu écrire un chapitre de cette entreprise implicite de « catalogage du monde » qui, de la Belle Époque jusqu’à l’entre-deux-guerres, inspira de nombreux voyageurs-explorateurs-photographes, et suscita l’engouement des collectionneurs.
Les expositions internationales : vitrines des réalisations coloniales
Tout au long de sa carrière, Dieulefils aura conscience de la nécessité de renouveler constamment l’offre d’images pour se maintenir face à la concurrence. Ce souci le pousse, en 1905, à mener une campagne photographique au Cambodge, de Phnom Penh au site d’Angkor. L’ensemble de clichés qu’il réalise au cours de cette expédition, et qu’il éditera en 1909 dans l’album L’Indochine pittoresque et monumentale : ruines d’Angkor, Cambodge, constitue le sommet de son œuvre photographique. En 1906, il déménage une nouvelle fois son atelier, au 42-44, rue Paul-Bert, l’artère la plus commerçante du quartier européen de Hanoï. La même année, il participe à l’Exposition coloniale de Marseille, où il décroche une médaille d’or pour les cartes postales qu’il présente au pavillon du Cambodge. La moisson de récompenses se poursuit avec l’Exposition franco-britannique de Londres, en 1908, où il est également gratifié d’une médaille d’or (Vincent T., 1997, p. 55).
Son album sur Angkor, qu’il y montre en avant-première, fait sensation. Toujours sur la brèche, Dieulefils repart en 1909 à la chasse aux clichés pour alimenter son second album, L’Indo-Chine pittoresque et monumentale : Annam-Tonkin, qui paraît la même année. Le préfacier de cet album qualifie Dieulefils d’« habile vulgarisateur de l’Indo-Chine par l’image », et juge que, par cette publication, il « a fait œuvre de bon patriote. » La dernière grande manifestation à laquelle il participe est l’Exposition universelle de Bruxelles en 1910, où le public découvre ses photos de l’Annam et du Tonkin dans une section au nom évocateur : « Procédés de colonisation ». Là encore, une médaille d’or couronne son travail (Vincent T., 1997, p. 63).
Les dernières années
À la suite du succès des cartes postales et des albums, Dieulefils met l’accent sur l’édition. Il fait paraître un ouvrage sur la Cochinchine et un guide sur les ruines d’Angkor (Vincent T., 1997, p. 58). À partir de 1913, il installe sa famille en France, et retourne régulièrement au Tonkin, mais en 1914, au moment de la déclaration de guerre, il donne son magasin de Hanoï en gérance à l’imprimeur Charron (Vincent T., 1997, p. 61).
Dieulefils s’était lié, vers 1894-1896, avec Hubert Lyautey (1854-1934), alors membre de l’état-major du corps d’occupation au Tonkin. Photographe amateur, il apportait ses négatifs à Dieulefils et bénéficiait de ses conseils (Vincent T., 1997, p. 47). La présence de Lyautey au Maroc, où il occupe alors le poste de résident général, incite Dieulefils à se rendre dans ce pays vers 1914-1915. Il y parcourt les principales villes, d’où il rapporte un ensemble de photographies qui seront à l’origine de son album Maroc occidental : Fès-Meknès publié en 1916 par une maison d’édition qu’il vient d’acheter à Paris, rue Lebrun. Il projette d’autres ouvrages sur le Maroc, qui ne verront jamais le jour.
L’un de ses fils, Pierre, est tué au Chemin des Dames en 1917, et sa fille Marguerite-Marie meurt de la grippe espagnole en 1921. Il retourne au Tonkin après la guerre, et cède son affaire d’édition de cartes postales à A. Levray vers 1919-1920, (MPP, 84/074/55 ; Vincent T, 1997) en conservant néanmoins tout ou partie de son fonds de négatifs originaux. Levray poursuit l’exploitation des cartes vraisemblablement jusqu’à la fin des années vingt. Définitivement de retour à Malestroit, Dieulefils publie sous pseudonyme un dernier ouvrage – un recueil de poèmes inspirés de ses souvenirs d’Indochine (Yeu, P. d’, 1923) – et meurt en 1937.
Dieulefils à la MPP
Le fonds Dieulefils, conservé par la Médiathèque du patrimoine et de la photographie, est un ensemble de 265 négatifs originaux au gélatino-bromure sur plaque de verre de divers formats (13 × 18 mm, 18 × 24 mm et 24 × 30 mm) dont 43 concernent le Cambodge, 58 le Viet Nam, 164 le Maroc. Ils proviennent d’un don effectué en 1931-1932 (MPP, 80/074/55). À ces négatifs s’ajoutent 28 épreuves argentiques sur les édifices anciens du Cambodge et du Viet Nam, provenant du fonds du musée des Monuments français, et les deux recueils de planches sous serpente légendée que Dieulefils publie en 1909, l’un sur les ruines d’Angkor, l’autre sur le Tonkin et l’Annam (MPP 4o8944 et 4o8945).
Cet ensemble n’est qu’une petite partie de l’œuvre de Dieulefils, mais il est parfaitement représentatif de sa thématique et de son style. Il illustre sa veine portraitiste (l’empereur-enfant Duy Tan [1899-1945] ; DLF00186), sa veine ethnographique (femmes de la région de Cao Bang ; DLF00171, porteuse d’eau Muong ; DLF00211), sa veine paysagiste (baie d’Along ; DLF00166 à 168, cascade de Bang Giot ; DLF00222). Les édifices civils et religieux (palais royal de Hué : DLF00217, pagode des Lettrés ; DLF00229, tombeaux de personnages illustres, complexe monumental d’Angkor ; DLF00194 sq., DLF00239 sq.) y tiennent une place privilégiée. Toutes les classes sociales de la société sont représentées, depuis le petit peuple (porteurs d’eau, marchandes de fleurs, scieurs de long) jusqu’aux dignitaires (mandarin à cheval et son escorte). Les portraits de groupes (comédiens costumés, jeunes femmes du Delta travaillant à la manufacture de tabac) alternent avec des portraits individuels (danseur du ballet royal à Phnom Penh ; DLF00213), grand mandarin en costume de cour ; DLF00262). Les particularités culturelles d’une société qui intrigue, fascine et trouble sont mises en évidence dans la photo des eunuques du palais royal de Hué (DLF00275), ou celle des six favorites du roi du Cambodge (Sisowath ; DLF00232). Aux danseuses du ballet royal du Cambodge (DLF00230) fait écho la frise d’Apsaras sculptée sur un linteau de porte, à Angkor Vat (DLF00201).
Les deux albums sur le Tonkin-Annam et les ruines d’Angkor (MPP 4o8944 et 4o8945), aux héliogravures d’une exceptionnelle qualité, reflètent la volonté de Dieulefils de donner à ses livres un retentissement qui dépasse les frontières nationales : ce sont des éditions trilingues, les préfaces et légendes étant écrites en français, anglais et allemand. Les légendes du premier sont en outre traduites en caractères chinois, et celles du second en écriture khmère. L’album sur les ruines d’Angkor est une réussite esthétique incontestable. Si Dieulefils est loin d’être le premier photographe à s’être aventuré sur ce site – d’autres l’ont précédé, par exemple l’Écossais John Thomson (1837-1921) au début des années 1860, ou Émile Gsell (1838-1879) en 1866 –, les images qu’il a rapportées des temples khmers, encore recouverts à cette époque de racines et de lianes géantes, sont parmi les plus envoûtantes jamais prises, et reflètent la fascination du voyageur-photographe pour ce monde « perdu » : au milieu d’une végétation exubérante, le temple de Ta Keo, les tours à quatre faces du Bayon, les escaliers, galeries, terrasses et péristyles ornés de frises se dessinent dans toute leur noblesse mystérieuse.
Cartographie de l’œuvre
La Médiathèque du patrimoine et de la photographie n’est pas la seule institution à conserver des photos de Dieulefils. On en trouve notamment dans les collections du musée Guimet, du musée du Quai-Branly, de la Bibliothèque nationale de France, des Archives nationales d’outre-mer à Aix-en-Provence et de la Bibliothèque nationale du Viet Nam à Hanoï. Par ailleurs, la ville natale de Dieulefils, Malestroit, a bénéficié en 2016-2017 d’une donation de plaques de verre originales de la part d’une petite-fille du photographe (Ouest-France, 26/09/2017), ainsi que de matrices de cartes postales. Toute tentative de recensement exhaustif de cette œuvre se heurte à sa très grande dispersion : des épreuves anciennes isolées ou en albums, des cartes « voyagées » ou vierges d’affranchissement, sans doute encore des négatifs sur verre, sont disséminés dans de nombreuses collections privées.
Place de Dieulefils dans l’histoire de la photographie en Indochine
Largement diffusées par les albums de tirages et surtout les cartes postales, les photos de Dieulefils ont joué un rôle dans la formation d’un certain imaginaire français sur l’Extrême-Orient, et la propagation de quelques stéréotypes. Même si les scènes que capte son objectif sont la plupart du temps des mises en scène, des situations composées et non saisies sur le vif, ses qualités professionnelles – sens du cadrage, des contrastes, des arrière-plans, capacité de créer des images à la fois expressives et riches de détails – confèrent à beaucoup de ses clichés une force et une présence singulières. Associant une sensibilité d’artiste et d’explorateur à un instinct de commerçant, il a produit une œuvre qui constitue la plus vaste collection de photographies sur l’Indochine de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, et représente une mine d’informations pour l’ethnologue, l’historien, l’historien d’art, le géographe.
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