Aller au contenu principal
Lien copié
Le lien a été copié dans votre presse-papier

Commentaire biographique

Émile Javal est le fils d’Ernest Javal (1821-1914), ingénieur civil, et de Jeannette Merton (1833-1886). Il a pour épouse Caroline Olivier-Beauregard. Il naît au 5, rue Sedaine, Paris 11e, le 27 janvier 1864 et meurt à son domicile, au 26, avenue Charles Floquet, Paris 7e, le 31 mai 1952 (Actes de décès du 7e arrondissement de Paris, année 1952, cote 7D 237, acte n675. Extrait des minutes des actes de naissance du 11e arrondissement de Paris, année 1864). Il fait carrière, avant 1894, en tant qu’avocat, puis continue dans la magistrature (Pedone A., 1912 ; AN, BB/6(II)/955 ; Annuaire rétrospectif de la magistrature XIXe-XXe siècles). On le retrouve, ainsi, juge suppléant au tribunal de première instance de Vienne, 15 décembre 1894 ; juge suppléant au tribunal de première instance de Nogent-le-Rotrou, 4 février 1897 ; juge au tribunal de première instance d’Avallon, 15 mars 1901, d’Auxerre, 27 avril 1901, juge de Corbeil, 19 novembre 1902 ; président au tribunal civil de Mantes, 26 mars 1910 ; ensuite de Corbeil, 18 octobre 1917 ; juge au tribunal civil de la Seine, 25 septembre 1920 ; président de section au tribunal civil de la Seine, 5 mars 1926 ; vice-président au tribunal civil de la Seine, 16 janvier 1929 ; enfin, conseiller à la Cour d’appel de Paris, 18 décembre 1931.

Il est admis à la retraite le 5 février 1934. Il est, par ailleurs, décoré plusieurs fois : le 19 janvier 1912 en tant qu’officier d’Académie puis, le 31 juillet 1925, il est fait chevalier de la Légion d’honneur (AN, 19800035/554/63222). Certaines publications attribuent par erreur la collection Émile Javal à Louis-Émile Javal (1839-1907), un homonyme, ingénieur de l’École des mines et célèbre médecin ophtalmologiste.

Une collection centrée sur Hiroshige et le livre illustré

Émile Javal n’ayant laissé aucun texte sur sa collection ni sur son goût pour l’art japonais, il est difficile de reconstituer le contexte de ses acquisitions, mais elles débutèrent sans doute dès la toute fin du XIXe siècle, certains livres portant les cachets de Siegfried Bing (1838-1905) et de Hayashi Tadamasa 林忠正 (1853-1906). Javal était par ailleurs en mesure de présenter un ensemble déjà cohérent d’estampes ukiyo-e lors des expositions organisées de 1909 à 1914 au musée des Arts décoratifs (Vignier C., Inada H., 1973). Une des rares mentions de Javal comme collectionneur figure dans l’ouvrage de souvenirs de Raymond Kœchlin (1860-1931), qui le présente comme un « spécialiste d’Hiroshigé et qui, un des premiers, s’était intéressé aux livres illustrés que la plupart des autres collectionneurs dédaignaient encore » (Kœchlin R., 1930, p. 26). Cette passion pour Utagawa Hiroshige 歌川広重 est confirmée par cette note en 1933 : « Réunie en quarante années, grâce à une connaissance parfaite de l’art japonais, à un flair remarquable et à une patience évangélique, la collection de M. le conseiller Émile Javal est connue et admirée des “japonisants” du monde entier. M. Javal a été, notamment, un des tout premiers amateurs d’Occident à s’intéresser à l’œuvre d’Hiroshigé, alors peu apprécié […] » (« Vente japonaise », 1933, p. 21). La dimension la plus remarquable de cette collection revient à ses albums et à ses livres illustrés japonais, dont la qualité est de tout premier ordre. Il semble que Javal conseilla Alexandre Halot-Gevaert (1861-1927), sénateur belge, consul du Japon à Bruxelles et lui-même collectionneur d’art japonais et chinois (vente Drouot 23-24 novembre 1927), pour l’organisation au Palais des beaux-arts à Bruxelles d’une Exposition de livres japonais en 1911 (Bulletin de la Société franco-japonaise de Paris, 1912, p. 186). Ce dernier publia une conférence donnée à cette occasion (Halot A., 1912), dans laquelle il remercie Javal. Seule une toute petite partie de la collection Javal a été présentée au public de son vivant, lors de cinq des six expositions sur la gravure japonaise organisées au musée des Arts décoratifs, entre 1909 et 1914, à l’initiative de Raymond Kœchlin (1860-1931), vice-président de l’Union centrale des Arts décoratifs, et dont les catalogues furent rédigés par Charles Vignier et Inada Hogitarō (Vignier C., Inada H., 1973). Quatre-vingt-six de ses estampes des XVIIIe et XIXe siècles – notamment de Suzuki Harunobu 鈴木春信, Isoda Koryūsai 礒田湖龍斎, Katsukawa Shunchō 勝川春章, Torii Kiyonaga 鳥居清長, Ippitsusai Bunchō 一筆斎文調, Kitao Shigemasa 北尾重政, Kitao Masayoshi 北尾政美, Tōshūsai Sharaku 東洲斎写楽, Kitagawa Utamaro 喜多川歌麿, Katsushika Hokusai 葛飾北斎, Totoya Hokkei 魚屋北渓 et Hiroshige – y furent alors montrées. Elles seront dispersées lors de la première vente de la collection Javal en 1926 (Lair-Dubreuil F., Vignier C., 1926). Javal possédait aussi une petite collection d’objets (bronzes et céramiques), notamment chinois. Il prêta deux pièces chinoises en bronze Han et Wei à l’Exposition d'art oriental de 1925 (no 354-355) et fit don en 1934 aux collections nationales de 70 pièces de « céramique orientale ou extrême-orientale » (Brossier et Monnot, 2015, p. 164, don 6 décembre 1934, 20150044/77).

Les ventes de la collection

La collection Javal a été dispersée en quatre ventes à l’hôtel Drouot entre 1926 et 1934, qui ont fait l’objet de catalogues richement documentés et en partie illustrés, établis par l’expert et marchand Charles Vignier (1863-1934), installé au 4, rue Lamennais à Paris, puis par son assistante Marianne Densmore-Vignier, qui était sa nièce. Les deux catalogues de la vente de livres illustrés japonais en 1927 et 1928 constituent de précieux documents pour la connaissance de l’édition japonaise de l’époque d’Edo, par leurs renseignements sur les différentes qualités de tirage d’un même ouvrage (édition princeps, retirages, etc.) et leur collation, grâce aux comparaisons minutieuses avec les exemplaires de la collection de Théodore Duret (BnF, 1900) et ceux des ventes Hayashi Tadamasa (1re partie, Durand-Ruel, 1902), Charles Haviland (Drouot, 1922-1923), Louis Gonse (1re vente, Drouot, 1924), Prosper-Alphonse Isaac (Drouot, 1925) ou Ulrich Odin (Drouot, 1928), notamment pour les éditions de la Manga de Hokusai. Cette collection passée en vente représentait au total 1 168 lots d’estampes ukiyo-e en feuilles (y compris des surimono, des programmes de théâtre et des gravures pour éventail), 11 lots d’estampes montées en albums (soit environ 550 gravures), dont une majorité de lots de Hiroshige (722), ainsi que quelques autres types d’œuvres (5 lots d’estampes chinoises et 28 lots de dessins, de peintures et de pochoirs japonais). Les livres illustrés japonais représentaient 490 lots, soit 1 602 volumes, ce qui en faisait, après les collections Duret et Emmanuel Tronquois (1855-1918), l’une des plus importantes réunies en France avant la Seconde Guerre mondiale. Ils couvraient toute l’histoire de l’imprimerie prémoderne au Japon, depuis l’Ise monogatari dans l’édition de 1608, jusqu’aux livres de Hiroshige du milieu du XIXe siècle. La vente de 1927, annoncée dans la presse comme « le triomphe du livre japonais » (Monda, 1927), donna des prix élevés pour les meilleurs ouvrages, dont le Sanjūrokkasen 三十六歌仙 (Les Trente-six Poètes) de Hon’ami Kōetsu 本阿弥光悦 (n1, 17 100 francs), le Genpo yōka 玄圃瑶華 (Les Fleurs précieuses du jardin mystérieux) d'Itō Jakuchû 伊藤 若冲 publié en 1768 (no 65, 8 200 francs) ou le Shōkadō gajō 松花堂画帖 (L’Album de Shōkadō) de 1804 (no 107, 6 800 francs), que Gonse « désignait comme le chef-d’œuvre de la chromolithographie japonaise ». On note aussi la présence de la très rare édition princeps du Minchō shiken 明朝紫硯 (1746) d’Ōoka Shunboku 大岡春卜 – la seule connue à ce jour –, qui avait appartenu à l’origine à Siegfried Bing (1838-1905) [Marquet C., 2007, p. 105 ; Marquet C., 2008]. Cet album imprimé en xylographie et au pochoir – tout premier exemple de livre en couleurs au Japon – fut vendu au prix record de 18 300 francs et entrera finalement à la BnF par achat en 1954 (cote Rés. Oe-270-f. 4o). On compte aussi 24 des très rares livres de Hishikawa Moronobu 菱川師宣 (publiés vers 1677-1691) – le père de l’ukiyo-e – et 21 de Nishikawa Sukenobu 西川祐信. Enfin, les kibyoshi, ces livrets de récits populaires en images de la fin du XVIIIe siècle à « couverture jaune », très peu conservés, sont au nombre de 128.

Les œuvres conservées dans les collections publiques

Il subsiste dans les collections nationales un petit nombre des œuvres réunies par Javal, à commencer par le musée et la bibliothèque des Arts décoratifs, qui reçut en don le 18 décembre 1909 (UCAD. Archives. C4/43. Acquisitions UCAD, 1909) un masque japonais en cuir repoussé, neuf estampes d’acteurs (notamment Katsukawa Shunkō, Katsukawa Shunsō et Hiroshige) et deux gravures tirées d’un livre de Moronobu (inv. 16100 à 16102). Le musée national des arts asiatiques – Guimet conserve une cinquantaine d’estampes. Javal donna en effet sept estampes au Louvre en 1912 (EO 2050 à 2056, 12 juillet 1912 ; Migeon G., 1929, p. 53 ; Fimbel, Brossier et Monnot, 2014, p. 61), puis 42 œuvres de Hiroshige en 1921 (EO 2467 à EO 2508, 24 janvier 1921), tirées des séries Tōkaidō harimaze zue 東海道張交図会, Cinquante-trois relais du Tōkaidō et Cent vues d’Edo. En outre, 31 gravures ont été données ou achetées par la BnF en 1926 et en 1933. Paul-André Lemoisne (1875-1964), conservateur en chef, note dans le Journal du département des Estampes, le 1er mai 1926, que : « M. Émile Javal nous donne très aimablement 11 estampes japonaises qui, jointes aux 16 achetées à sa vente, augmentent notre collection d’un petit lot de Shunshō, Toyokuni, Hokusai, Hiroshige » (Lambert, 2008, p. 15, 222 ; Registre des dons, no 2658). Parmi ces achats à la vente du 4 mars 1926 figurent cinq Hiroshige adjugés 785 francs (Grivel M., 1984, p. 6, pl. 79, 82). D’autres gravures seront achetées par la BnF à la vente Javal de 1933 (Grivel M., 1984, pl. 67, 116, 117, 118). Signalons aussi la réalisation en 1928 de 8 gravures en tirage limité à 100 exemplaires, par un éditeur de Kyōto, Satō Shōtarō, à partir d’une série de dessins inédits de Hiroshige intitulée Tōto yukimi hakkei (Huit Vues de la capitale de l’Est sous la neige) que Javal avait montrée à Paris à ce dernier en 1927 en l’autorisant à la publier. Dans un document joint à cette publication et daté du 1er juillet 1928, l’éditeur explique que ces dessins de la main de Hiroshige, réalisés vers 1840-1847 et portant cachet de censure, n’ont pas été imprimés du vivant de l’artiste pour une raison inconnue (Bulletin de la Société franco-japonaise de Paris, 1929, p. 108). Un exemplaire de cette publication a été donné par Javal au département des Estampes de la BnF en 1929 (Registre des dons, no 3071 ; cote : Rés. DD-3184-Fol). Les livres de la collection Javal se trouvent aujourd’hui dans de prestigieuses collections. Citons sept ouvrages au British Museum (vente 1927 : no 10, no 107 ; no 131, no 152 ; vente 1928 no 13, no 228). Une douzaine dans le fonds Gerhard Pulverer conservé à la Freer Gallery of Art de Washington (The World of the Japanese Illustrated Books. The Pulverer Gerhard Collection. pulverer.si.edu). Enfin, 97 volumes – dont 68 kibyōshi – furent achetés à la vente Javal de 1934 par le collectionneur belge d’estampes et de livres japonais Hans de Winiwarter (1875-1949), puis acquis en 1966 par la Bibliothèque royale de Bruxelles (Kozyreff C., 1992 ; Bawin J., 2007, p. 154-155). Cinq autres livres avaient été achetés par Winiwarter préalablement lors des ventes Javal de 1927, 1928 et 1933 (Bawin J., 2007, p. 299). Les ouvrages de Javal portent une marque de collection en forme de losange avec les initiales « E G » entrecroisées.