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Estampe d'Utamaro représentant une sauterelle posée sur un tuteur au milieu de fleurs roses et violettes.

CHAMBLANC Jehannin de (FR)

Commentaire biographique

Jean-Baptiste-François Jehannin de Chamblanc était un lettré et notable dijonnais, dernier représentant d’une famille réputée d’avocats et de parlementaires bourguignons. Après des études au collège jésuite de Dijon, puis à la faculté de droit de la ville, il devint conseiller au Parlement de Bourgogne à dix-neuf ans et assura cette fonction pendant les vingt années réglementaires, avant de consacrer sa vie à la création et au développement de multiples collections (Des Marches A.S., 1851, p. 59). Malgré son jeune âge, trente ans, mais déjà reconnu pour son érudition et sa vaste culture, il fut choisi par Gilles Germain Richard de Ruffey (1706-1794), président de la Chambre des comptes, pour faire partie des membres fondateurs de la société littéraire qu’il créa en 1752. Veuf et sans enfant, il put consacrer toute sa fortune à ses collections, constituant une bibliothèque de près de 20 000 volumes, particulièrement riche en ouvrages de sciences naturelles enluminés provenant de toute l’Europe (étant aussi un botaniste réputé) [BM Dijon, Ms. 2480], une collection d’estampes de près de 25 000 pièces (BM Dijon Ms. 2481), un ensemble de plus de 280 tableaux, certes de qualité inégale, mais aussi une très riche collection de minéraux et de coquillages, d’objets d’art (émaux, bronzes, vases, sculptures, porcelaines, médailles, intailles) [AM Dijon, 4 R 1-1]. Cet ensemble exceptionnel l’oblige à faire construire deux galeries attenantes à son hôtel particulier situé 33, rue Chanoine à Dijon pour y installer bibliothèque et cabinets spécialisés (AD 21, J 4894/4 et AD 21 Q 427). La première galerie construite, consacrée à sa bibliothèque, est complétée par des cabinets adjacents spécifiques destinés à la présentation des collections d’Extrême-Orient, le dessin (le rangement et leur présentation, des papiers pour le dessin, la reliure…), la réalisation d’expériences scientifiques. Féru des sciences alors en plein essor, comme la physique et la chimie, il dote ce cabinet des appareils les plus performants et peut ainsi y réaliser les expériences évoquées dans les quelque 330 titres traitant de ces sujets, conservés sur les 460 rayonnages de ses bibliothèques (BM Dijon, Ms. 2480). Visant à l’encyclopédisme (Chaux-Haïk A., 2016). Il s’intéresse également aux langues étrangères et régionales, rassemblant d’innombrables dictionnaires, portant sur des langues alors aussi « exotiques » que le groenlandais, le chaldéen, le huron ou le tibétain (Chaux-Haïk A., 2016). La deuxième galerie fut décidée lorsque sa bibliothèque prit une telle importance que de nouveaux locaux durent être construits. Dès les années 1762, alors qu’il faisait construire sa première galerie, nous pouvons noter son intérêt pour les exotica avec l’aménagement d’un « cabinet chinois », dont il surveille la décoration et l’ameublement, y intégrant peu à peu meubles et objets précieux provenant de Chine et du Japon, complétés par des livres et manuscrits, des estampes sur soie ou sur papier venues de Chine ou de provinces indiennes (AD 21, J 4894/3 ; BM Dijon, Ms. 2481). Malade, il partit en 1792 prendre les eaux en Suisse, mais ne put dépasser Dompierre près de Fribourg, où il mourut seul et ruiné en 1797 (Quarré P., 1958). Considéré alors comme émigré, toutes ses collections furent saisies pour être vendues comme biens publics (AD 21, Q 1023/8) avant que Guyton de Morveau (1737-1816) n’intervienne pour les sauver de la dispersion. Elles furent alors intégrées dans les diverses institutions muséales de Dijon alors en gestation (musée des Estampes, bibliothèque municipale, muséum d’histoire naturelle) pour lesquelles elles constituèrent un apport essentiel.

Constitution de la collection

Jehannin de Chamblanc étant un collectionneur visant à l’encyclopédisme, ses centres d’intérêt sont multiples et il est réputé pour sa grande érudition. Veuf, sans enfant, il se consacre à sa véritable passion qui était la collection. Son immense bibliothèque, présentant une structure bien différente de celle constatée chez la plupart des parlementaires du xviiie siècle, est le reflet de son intérêt pour toutes les disciplines littéraires, scientifiques et artistiques passées et surtout contemporaines. Il s’insère dans le courant des cabinets de curiosités, tel celui de Bonnier de la Mosson, qui se structurent dans les hôtels particuliers en se répartissant par discipline, dans du mobilier et un décor spécialement adaptés. Son style de vie, l’ameublement de son hôtel particulier répondent aux dernières tendances de la mode. Il possède quelques petits tableaux et porcelaines chinoises formant garniture de cheminées comme tout personnage aisé au xviiie siècle, objets de décoration jugés sans valeur pour la nation et vendus comme biens nationaux. Mais son intérêt pour les pays d’Extrême-Orient va plus loin que le seul objectif d’être « au goût du jour », la mode des « chinoiseries » étant d’ailleurs retombée depuis 1770 (AD 21, Q 1023 ; BM Ms. 2480 ; Cordier H., 1910 ; Brunel G., Wolvesperges T., Detrié M. etal., 2007 ; Jarry M., 1981). Entre 1762 et 1776, dates de début et de fin des constructions de ses deux galeries (ADCO, J 4894/3), il réussit à faire parvenir à Dijon, on ne sait précisément par quel canal, des objets extrêmement rares. Ce collectionneur crée un « cabinet chinois » reconstituant tout un décor, du moins tel qu’il l’imagine, avec des rubans, des plumes, du taffetas et des étoffes « en or et en argent » achetés auprès d’un fournisseur dijonnais avec aux murs des figurines choisies spécialement. Deux paravents chinois sont remarquables L’un à six feuilles du xviie ou xviiie siècle de laque noire sur bois (Dijon, MBA, inv. CA 2632) avec des peintures dorées représentant un paysage finement exécuté, entouré d’une large bordure d’oiseaux également dorés, le tout encadré par de délicats rinceaux dorés. L’autre est un paravent à huit feuilles en vernis de laque noire sur bois avec de nombreux sujets coloriés (Dijon, MBA, inv. CA 1631). On y voit l’empereur et sa Cour, accompagné de danseuses et de musiciennes accueillant un important personnage à cheval. Sur la gauche, un paysage où se trouvent l’épouse du souverain et sa suite occupées à diverses activités. Ce paravent, très précieux travail fin xvie ou xviie siècle, est un modèle de patience et d’adresse en laque dite de Coromandel. Deux cabinets, l’un appelé « de nacre » par le collectionneur, l’autre le « cabinet en or », meublaient également ce cabinet. Le premier, présentant de riches et précieuses incrustations de laque d’or et de nacre d’inspiration exclusivement végétale sur un fond de laque noire, est caractéristique du style namban, lié au mouvement d’expansion des monarchies ibériques en Asie. Il est daté des premières décennies du xviie siècle. Cette origine étrangère d’un mobilier, difficile à se procurer sur le marché, combinée à la raréfaction de ces objets emportés par les émigrés lors la Révolution, rend ce cabinet (Dijon, MBA, inv. CA 1648) à la fois rare dans les musées français et le plus anciennement attesté sur le sol français (Lacambre G., 2010). Le second, dit le « cabinet en or » par le collectionneur, est également d’origine japonaise et peut être daté entre 1640 et 1680 (Dijon, MBA, inv. CA 1647). C’est un cabinet portatif, au décor naturaliste dit « pittoresque », dominant dans les laques d’exportation à partir des années 1650, dont le caractère précieux est souligné par l’emploi d’or sur la laque noire et les ferrures en cuivre finement gravées. Il utilise plusieurs techniques décoratives pour multiplier les effets (technique de la « peinture parsemée », peinture en relief, emploi de petits carrés d’or, fines lignes d’or pour traduire les vagues et les feuillages, bordure en « peau de poire »). Seuls quatre autres cabinets de ce type sont recensés dans les musées français, l’un au musée Antoine-Lécuyer de Saint-Quentin et les trois autres au musée des Beaux-Arts de Rennes, provenant des collections du président du Parlement de Robien. Outre ces deux précieux cabinets et les deux paravents, Jehannin de Chamblanc s’était procuré des vêtements qui étaient conservés dans un tiroir d’une commode en marqueterie située dans son antichambre (AD 21, Q 1023).

Ce riche cabinet chinois retient l’attention de François Devosge (1732-1811), chargé par les nouvelles autorités d’estimer l’intérêt des objets artistiques saisis dans cette demeure. Sa compétence s’étend donc à toute saisie de toute provenance géographique. Dans une lettre du 7mars 1798 à l’administration centrale du département, il souligne l’intérêt de ces vêtements non sur le plan artistique, mais au titre de la « Curiosité » (AD 21, Q 677). La plupart d’entre eux sont actuellement conservés au musée de Dijon où l’on peut voir des bas de soie brodés, deux paires de chaussons ornés de broderies de perles ou d’entrelacs, une veste de soie brodée sur le devant et au dos d’un paysage de pins et de rochers avec une grue, une ceinture de soie comportant cinq bourses de soie brodée reliées à la ceinture par des cordons de soie, une pipe à opium en bambou. Sur les préconisations de Devosge (AM Dijon, 4 R 1-1), neuf peintures d’origine chinoise sont conservées dont huit au musée et une à l’École centrale, les autres ayant été vendues. Il avait conservé les peintures qui lui permettraient, dans un futur musée, de présenter un éventail d’illustrations chinoises devenues des stéréotypes : hommes et femmes dans leur costume traditionnel sur un fond de paysages et de fabriques convenu et trois vases de fleurs. La curiosité d’esprit de Jehannin de Chamblanc étant sans limites, il réussit également à se procurer des peintures sur papier et sur soie (BM Dijon, Ms. 2481). Il les incorpore dans son inventaire d’estampes, leur réservant deux familles spécifiques dans son classement personnalisé très élaboré, bien distinctement des gravures éditées dans les pays européens ayant pour sujet des « chinoiseries » dessinées et/ou gravées par François Boucher (1703-1770), Jean-Baptiste Pillement (1728-1808) ou Pierre-Charles Canot (1710-1777) par exemple. Il crée ainsi la famille intitulée peintures et mignatures indiennes, maintenant conservée à la bibliothèque municipale de Dijon. Deux thèmes la structurent, des représentations de dignitaires persans ou moghols et des représentations de métiers. Seize peintures sur papier d’un format le plus souvent de 340 × 260 mm représentant des dignitaires moghols ou persans sont des peintures caractéristiques de l'école moghole, appartenant à l'école provinciale de Murshidabad. Ce type de portraits connut une grande vogue aux xviie et xviiie siècles. L’autre série de 30 peintures indiennes sur papier, d’un format d’environ 300 × 450 mm pour la plupart, est consacrée à la représentation de métiers, peintures s'inscrivant dans la tradition des représentations des castes et des métiers en Inde, genre très répandu dans la production picturale indienne dès le xviiie siècle. Celles-ci étaient souvent destinées à une clientèle européenne en guise de souvenirs de voyage. Jehannin de Chamblanc réussit également à se procurer 114 dessins qu’il range dans une famille spécifique dans son inventaire d’estampes, appelée « papiers chinois », à l’intérieur de représentant des mandarins, des divinités chinoises, des scènes de vie, des bouquets de fleurs, des oiseaux, le tout pour une somme avoisinant les 380 livres (BM Dijon, Ms. 2481). Pratiquement tout a disparu lorsque les vérificateurs interviennent lors de la confiscation. Possiblement cinq peintures sur taffetas actuellement conservées à la BM de Dijon peuvent avoir appartenu à cette sous-famille. Elles se caractérisent par des paysages délicats, la présence ou non de personnages, extrêmement raffinés et sur une l’inclusion d’idéogrammes minutieux peut être relevée. Enfin, des peintures sur papier grand et moyen format, conservées en rouleau ou non, sont également présentes dans cette collection, montrant des magots et des paysages. Seuls quatre grands magots, aquarelles sur papier d’un format moyen de 117 × 61 cm, sont conservés à la BM (BM Dijon, Est 655/1/2/3/4)). Le musée conserve huit gouaches sur papier, cinq gardiens d’un format moyen de 77 × 47 cm et trois gouaches plus petites (37 × 26 cm) représentant un gardien, un mandarin et une scène à trois personnages (Dijon, MBA, inv. AGSN 165 à 172). Enfin, six grands paysages avec des scènes de la vie quotidienne, quatre à la BM et deux au musée, complètent cet ensemble. Nous n’avons pas d’informations sur les circuits d’approvisionnement utilisés par ce collectionneur dijonnais, habitué à s’adresser directement à Genève ou en Hollande pour se procurer les livres qu’il souhaite (BM Dijon, Ms. 4342). Ce dernier qui conservait de multiples récits de voyage des pays d’Extrême-Orient, ceux des missionnaires jésuites, reçut des livres en chinois avec illustrations. Botaniste confirmé, Jehannin de Chamblanc possédait de nombreux ouvrages en français ou en anglais sur les jardins chinois, qui étaient alors très en vogue (Gournay A., 1991). Il réussit en particulier à se procurer un manuscrit rare de botanique chinoise avec sa traduction partielle en latin, délicatement orné d’animaux réels ou fabuleux (BM Dijon, Ms. 387 et 387 bis), ouvrage de 218 feuillets. Il s’agit d’un ouvrage fondamental de la médecine chinoise, dont il manque le second volume. Cette copie a pu être faite par un Européen connaissant le chinois. Enfin, il reste encore à authentifier une centaine de morceaux de laque qui pourraient avoir été écoulés par un marchand-mercier, pour qu’ils soient ensuite incrustés dans du mobilier européen. Jehannin de Chamblanc ne se contentait donc pas de présenter dans ses salons, en décoration, des porcelaines ou des gravures produites en grandes quantités pour répondre au goût occidental, mais il recherchait des objets réalisés pour des amateurs extrême-orientaux illustrant merveilleusement le génie artisanal et artistique de ces contrées.