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Commentaire biographique

Fils de Marie-Thérèse d’Autriche (1638-1683) et de Louis XIV (1714-1715), Louis de France, dit le Grand Dauphin ou Monseigneur, naquit à Fontainebleau le 1er décembre 1661. Seul des six enfants du couple royal à ne pas mourir en bas âge, il épousa, le 20 janvier 1680, Marie-Anne-Christine Victoire de Wittelsbach (1660-1690). Le couple eut trois fils : le premier, Louis, duc de Bourgogne (1682-1712), fut le père du futur Louis XV ; Philippe, duc d’Anjou (1683-1746), monta sur le trône d’Espagne en 1700 sous le nom de Philippe V, par le jeu des successions ; et le dernier, Charles, duc de Berry (1686-1714), mourut sans qu’aucun de ses trois enfants ne lui survive. Amateur d’art, d’opéra, de danse et de chasse, homme cultivé et généreux, le Grand Dauphin fréquentait les boutiques des marchands parisiens pour enrichir ses collections. Son caractère affable le fit apprécier des Parisiens. À trente-deux ans, il disposa de sa première demeure particulière avec le château de Choisy que lui légua Mademoiselle de Montpensier (1627-1693) en 1693. Louis XIV estima cette résidence trop éloignée de la Cour et l’échangea en 1695 avec Meudon, que Madame de Louvois (1646-1715) fut ravie d’échanger contre Choisy. Le grand Dauphin mourut à Meudon de la variole à l’âge de quarante-neuf ans, le 14 avril 1711, soit quatre ans avant son père.

Constitution de la collection

Monseigneur commença à collectionner à partir de 1681 (Castelluccio, 2002, p. 136). Tableaux, bustes et sculptures de marbre attiraient peu le Grand Dauphin, qui leur préférait les vases de pierres dures, les statuettes de bronze et les porcelaines. Louis XIV fit déposer dans ses appartements de Versailles et de Meudon des peintures et des sculptures des collections royales, qui restèrent propriété de la Couronne. Monseigneur n’avait donc pas à acquérir des tableaux, en revanche, il acheta sur sa cassette des objets d’art, considérés comme sa propriété personnelle.

Les collections du Grand Dauphin sont bien connues grâce à un inventaire rédigé en 1689, puis actualisé au moins jusqu’en 1702. Cet inventaire est passé en vente à Londres, chez Sotheby’s, le 2 décembre 1998 et se trouve actuellement dans une collection particulière. Intitulé Agates, cristaux, porcelaines, bronzes et autres curiosités qui sont dans le Cabinet de Monseigneur de Dauphin à Versailles, inventoriez en MDCLXXXIX, il comprend les sept chapitres suivants : Agates, Cristaux, Porcelaines, Porcelaines données par les Siamois, Orfèvrerie donnée par les Siamois, Bronzes et Pendules et Bureaux. Cet inventaire contient une description très précise de chaque objet, avec ses dimensions, son prix ou le nom de la personne qui l’a offert à Monseigneur, son numéro d’inventaire et sa localisation à Versailles ou à Meudon. Chaque objet portait une étiquette avec le numéro d’inventaire, son prix ou le nom du donateur, étiquette encore visible sur certains vases conservés au musée du Prado.

Le Grand Dauphin avait une grande passion, héritée de son père, pour les vases de pierres dures et de cristal de roche. Il avait réuni 452 vases de pierres dures, ensemble qui dépassait celui des collections royales qui comptait 377 numéros en 1713. En revanche, ses 246 pièces de cristal de roche ne pouvaient rivaliser avec les 446 numéros des collections royales inventoriés cette même année (Castelluccio, 2002, p. 45). Les vases de pierres dures de Monseigneur se caractérisaient par la richesse de leurs montures ornées d’émaux polychromes, et pour les plus somptueuses, de camées et de pierres précieuses. L’autre grande passion de Monseigneur était les porcelaines de Chine. Il en avait réuni 380, soit plus que de pièces de cristal de roche. Soixante-quatre d’entre elles provenaient du présent diplomatique apporté en 1686 par les ambassadeurs du roi de Siam, actuelle Thaïlande. Les porcelaines bleu et blanc dominaient avec 336 numéros, celles-ci étant les plus abondantes sur le marché européen dans la seconde moitié du xviie siècle (Castelluccio, 2013, p. 66-69). Signe de l’importance que leur accordait le Grand Dauphin, 38 d’entre elles avaient reçu une monture en argent doré et certaines étaient même enrichies d’ornements d’or. Les porcelaines au décor polychrome restaient minoritaires, tandis que les productions japonaises ne parvinrent pas à séduire le Grand Dauphin, qui n’appréciait pas davantage les sculptures et ne possédait que deux personnages assis en porcelaine. Les pièces monochromes, peu nombreuses, en comprenaient quatre de couleur beige pâle et neuf céladons gris et verts. La pièce la plus surprenante et la plus ancienne restait une bouteille de céladon à décor de fleurs et de cordons en relief, ornée d’une monture exceptionnelle attribuée à Charles III de Duras, roi de Naples. Louis XIV avait probablement offert en décembre 1681, neuf grands bronzes (Castelluccio, 2002, p. 152). Six représentaient des Travaux d’Hercule, deux autres Alexandre et Bucéphale de la place du Quirinal à Rome et le dernier un Enlèvement des Sabines. Jusqu’en 1689, Monseigneur acquit 31 bronzes. Louis XIV lui fit un nouveau don en 1689 avec le Lion contre le cheval et le Lion contre le taureau, qu’il venait de recevoir par le legs du peintre Charles Errard (1606-1689), sujets que ne possédait pas le Grand Dauphin. Après 1689, dix autres bronzes entrèrent dans la collection, cependant, l’absence de mention de prix et de nom de donateur ne permet pas de préciser leur mode d’acquisition. La qualité de la fonte, de la ciselure et de la patine des neuf bronzes reçus de Louis XIV en 1681 placèrent haut le niveau d’exigence de la collection. À défaut d’un intérêt véritable, le Grand Dauphin rechercha les plus belles pièces pour sa collection, qui reflétait moins son goût personnel que celui de son époque pour les sujets et les auteurs estimés prestigieux. Ainsi, seize bronzes étaient des réductions d’antiques et neuf des œuvres de Jean Bologne (1529-1608) et de ses disciples. Au moins quatre pièces provenaient d’ateliers français, dont peut-être la Femme à sa toilette, attribuée à Barthélemy Prieur (1536-1611). Plus rare est le groupe d’Hercule, Déjanire et Nessus, donné à Adrien de Vries (1545-1626) : présent de Louis XIV, il avait appartenu aux collections de l’empereur Rodolphe II (1552-1612). À sa mort, le Grand Dauphin possédait 52 bronzes et 2 petites bacchanales d’ivoire inscrites dans ce même chapitre, en dépit de la différence de matière. Comme son père, Monseigneur estima qu’une cinquantaine de pièces suffisaient pour tenir son rang. Son goût le portait vers les gemmes et les porcelaines, seuls types d’objets offerts par sa famille, ses amis et les courtisans. Le chapitre intitulé Orfèvrerie donnée par les Siamois regroupe les 45 pièces de métal précieux offertes en présent diplomatique par les ambassadeurs de Siam, reçus le 1er septembre 1686 dans la galerie des Glaces à Versailles. Les 19 objets d’or en côtoyaient 26 d’argent, tant de Chine que du Japon. Ils comprenaient une aiguière, des bassins, des assiettes, des coffres… En 1689, année de la fonte du mobilier d’argent décidée pour financer la guerre de la Ligue d’Augsbourg, le Grand Dauphin envoya à la Monnaie 21 de ces pièces. Les 24 restantes disparurent probablement lors de la seconde fonte de 1709. Le dernier chapitre de l’inventaire de 1689 porte sur des pièces de mobilier avec treize pendules et dix-sept meubles d’ébénisterie. L’horloger Nicolas Gribelin (1637-1719) était l’auteur de cinq d’entre elles, Balthazar Martinot (1636-1714) en avait fabriqué deux, Henri Martinot (1646-1725) au moins une, la quatrième ne portant que le nom de Martinot, sans prénom. Une dernière était due à l’Allemand. Henri Martinot était l’auteur de la plus riche, avec sa boîte d’argent doré enrichie de diamants et de rubis avec ses aiguilles de diamants. Gribelin avait fabriqué la plus originale, « bleue et blanche en façon de porcelaine » encadrée de deux termes de Mercure et d’Apollon et soulignée d’ornements, le tout de cuivre doré. Le chapitre sur le mobilier comprenait quinze scabellons pour présenter des bronzes ou des girandoles, huit bureaux, quatre guéridons, une armoire, un cabinet et un coffre. Le cabinet avait été « fait par Boulle », tandis que le Grand Dauphin avait acheté l’armoire et un bureau chez le marchand mercier Daustel (1646-1718). Sur ces 30 meubles, 21 étaient ornés de marqueterie Boulle, décor très apprécié du prince.

Héritier du trône, le Grand Dauphin présentait les plus belles pièces de ses collections à Versailles, résidence officielle des souverains de France. À partir de 1683, il occupa un appartement au rez-de-chaussée à l’angle sud-ouest du corps central. Dans son état définitif, après 1693, Monseigneur avait disposé ses plus belles porcelaines dans son Cabinet doré, aménagé entre 1684 et 1687 à l’emplacement de l’actuelle chambre du Dauphin. Les lambris peints d’arabesques sur fond or encadraient des tableaux des collections royales et des miroirs. Les porcelaines prenaient place sur des consoles de bois doré. La pendule bleu et blanc de Gribelin avait probablement été disposée dans cette pièce. Ensuite se trouvait le Cabinet des glaces, situé dans l’actuelle seconde antichambre du Dauphin. Aménagé entre 1684 et 1685, il constituait l’apogée de l’enfilade de l’appartement. Son sol de marqueterie fabriqué par l’ébéniste Pierre Gole (vers 1620-1684) répondait au plafond à caissons ornés de miroirs et de marqueterie sur fond d’ébène. André-Charles Boulle était l’auteur des lambris de marqueterie, lesquels alternaient avec des miroirs. Toujours pour des raisons de prestige, Monseigneur y disposa plus de 600 objets avec 344 vases de pierres dures, parmi les plus beaux et les plus spectaculaires, 199 cristaux, 23 bronzes et de l’orfèvrerie de Siam. Les objets étaient disposés sur des consoles de bois sculpté et doré, fixées sur les panneaux de glace. Monseigneur avait probablement disposé dans ce Cabinet soit la pendule de vermeil de Martinot, soit une autre plus petite en or et diamants. Contrairement à l’usage contemporain, Monseigneur ne mêla pas de tableaux avec ses objets d’art. Ce Cabinet des glaces devint immédiatement une des célébrités de Versailles par la richesse de son décor et de son contenu.

Au château de Meudon, des bronzes et des porcelaines ornaient la Galerie et différentes pièces de l’appartement du prince. Ce dernier avait aménagé en entresol un Cabinet des bijoux aux boiseries à la capucine, soit en bois naturel simplement verni avec les ornements dorés. Il disposa 99 porcelaines sur la corniche, selon la mode du temps, et les objets dans des armoires. Monseigneur y plaça 118 vases de pierres dures, 52 cristaux, 27 autres porcelaines et l’orfèvrerie siamoise, mais aucun bronze. Contrairement à Versailles, il n’y avait aucun désir d’ostentation dans le Cabinet des bijoux de Meudon, en entresol, donc uniquement accessible sur invitation du souverain, au décor simple et aux objets enfermés dans des armoires.

À la mort du Grand Dauphin, ses collections, considérées comme ses biens propres, furent traitées comme celles d’un particulier. Les pièces estimées les plus prestigieuses, vases de pierres dures et de cristal de roche, les statuettes de bronze et quelques meubles furent partagés entre ses trois fils. À la mort du duc de Bourgogne en 1712, puis après celle du duc de Berry deux ans plus tard, leurs parts intégrèrent les collections royales. Selon l’usage, quelques pièces et la totalité de la collection de porcelaines furent vendues aux enchères à Marly, du 9 au 15 juillet 1715, pour régler les dettes du prince (Castelluccio, mai 2000 ; Castelluccio, 2002, p. 168-176). Des marchands, des amateurs et des courtisans achetèrent à cette vente. La qualité des porcelaines fit que la mention d’une provenance delphinale dans les catalogues de vente, tels ceux des ducs de Tallard en 1756 ou d’Aumont en 1782, était présentée comme un gage d’excellence (Rémy-Glomy, 1756, p. 257-258 et p. 263-264 no 1066 ; Julliot-Paillet, 1782, p. 82). Les collections du Grand Dauphin étaient caractéristiques du goût d’un homme de la seconde moitié du XVIIe siècle et de son rang par le grand nombre d’objets et par leur nature. La noblesse et la rareté des matières ainsi que la richesse des montures étaient dignes d’un fils de souverain et héritier du trône, tout comme la splendeur des décors de ses cabinets à Versailles.

Des collections du Grand Dauphin, le musée du Louvre présente des vases de pierres dures et des bronzes ; le musée du Prado à Madrid expose les vases de pierres dures issus de la part d’héritage de Philippe V et quelques meubles ornent des résidences royales ; le National Museum of Ireland de Dublin conserve la bouteille de céladon, mais sans sa monture médiévale ; la Wallace Collection de Londres possède deux Chenets de l’Algarde.