ANGRAN Louis Augustin (FR)
Commentaire biographique
Fils de Jacques Angran (1618-1674), vicomte de Fontpertuis, conseiller au Parlement de Metz, et d’Angélique Crespin du Vivier (1646-1714), Louis Augustin Angran de Fontpertuis, seigneur de Lailly, fut un proche du Régent, qui lui donna la charge de bailli et capitaine des chasses du duché d’Orléans, comté de Baugency et pays de Sologne (Saint-Simon, 1983-1988, III, p. 86-87). Le duc de Saint-Simon (1695-1755) le décrit comme « un grand drôle bien fait, ami de débauche de M. de Donzy, depuis duc de Nevers, grand joueur de paume » (Saint-Simon, 1983-1988, II, p. 869). Selon le duc, Louis Augustin aurait fait sa fortune grâce à des spéculations sur la compagnie du Mississippi pendant la Régence. Il mourut le 11 juin 1747 dans son appartement de la place Louis-XIV, actuelle place Vendôme, où se déroula sa vente après décès (Gersaint E.-F., 1747). Les bijoux furent vendus en décembre 1747, les livres à partir du 5 février 1748, tandis que les tableaux et autres curiosités connurent les enchères à partir du 4 mars 1748. De son mariage avec Rose Madeleine de Châteauvieux, il eut un fils, Louis Angran de Fontpertuis (1719-1784).
Constitution de la collection
En 1747, Louis Angran de Fontpertuis laissa à sa mort 133 tableaux, 232 dessins, 27 volumes d’estampes et 1 361 autres en feuilles détachées, 652 porcelaines d’Orient, 788 coquilles, 35 bronzes et 34 objets de laque d’Orient (Gersaint E.-F., 1747). Les 80 œuvres de peintres flamands et hollandais contre seulement 13 italiens et 14 français, ainsi que la présence de 65 paysages témoignent du goût de sa génération qui s’est détournée de l’Italie pour apprécier le fini et le coloris des écoles du Nord. Cet intérêt pour les peintures flamandes et hollandaises ne se démentit pas tout au long du XVIIIe siècle (Guichard C., 2008 et Michel P., 2007). Cet ensemble comprenait une majorité d’œuvres allant du médiocre au correct : 60 tableaux voient leurs adjudications osciller entre 14 et 350 livres. En revanche, une vingtaine d’entre eux ont piqué l’intérêt des amateurs qui ont fait grimper les enchères de 603 livres pour un Téniers, maître qui détient le record avec 6 000 livres pour une Noces de village, laquelle lui avait été donnée par la comtesse de Verrue (1670-1736). La plupart des enchères élevées concernaient des tableaux de peintres flamands et hollandais, avec Teniers, Wouvermans, van Ostade, Metsu, Brill, Rubens ou Rembrandt, du moins à lui attribué. Seul deux Paysages du Lorrain, l’un avec le jugement de Pâris et l’autre Enée et Anchise, rivalisèrent de prix avec respectivement 1 160 et 2001 livres. La proportion paraît s’inverser pour les dessins avec 122 maîtres français et italiens et 38 des écoles du Nord, mais 72 dessins demeurent sans précision d’école. Le plus intéressant est la présence de maîtres contemporains avec Boucher et pas moins de 23 dessins de Watteau. Cependant, le manque de précision du catalogue de vente ne permet pas d’en affiner l’étude. Adjugés en 6 et 40 livres, les ensembles de dessins n’ont pas passionné les amateurs. La collection d’estampes réunissait les reproductions des œuvres des maîtres italiens, flamands et hollandais, avec un bel ensemble de 8 volumes édités par le Cabinet du roi. Les adjudications oscillent entre 4 et 192 livres, témoignant d’un intérêt limité, sauf pour les productions du Cabinet du roi. Les bronzes comprenaient des réductions d’Antiques, des bustes, des enlèvements, mais surtout des pièces exceptionnelles par leur provenance avec un pot-pourri des Indes et neuf bronzes chinois, avec deux cigognes, une femme assise sur un lion et six vases. Malgré leur rareté et peut-être en raison de leur originalité, les adjudications de ces bronzes variaient seulement entre 5 et 80 livres. Parallèlement, celles des autres sujets plus classiques dépassaient 120 livres, pour culminer à 625 livres pour chacun des deux enlèvements.
Angran de Fontpertuis laissa trente-quatre objets de laque, ensemble honorable compte tenu de leur relative rareté sur le marché européen dans la première moitié du XVIIIe siècle (Castelluccio S., 2019, p. 185-188). Cette rareté diminua en raison de l’augmentation des volumes importés dans ce domaine et de l’arrivée sur le marché de l’occasion des collections d’amateurs mises en vente après leur décès. La composition de cet ensemble reflétait des disponibilités du marché parisien avec deux coffres et un cabinet, objets alors fort démodés mais qui provenaient peut-être d’un héritage. En revanche, les 13 boîtes, 7 plateaux, 2 cabarets complets avec 4 tasses de laque et une théière, soit des objets de petites dimensions, constituaient l’essentiel des pièces vendues sur le marché européen. En raison de leur taille et de leur rareté, les adjudications des coffres montaient à 320 et 378 livres, tandis que le cabinet fut adjugé 1 400 livres, soit le prix d’un tableau du Lorrain. Plateaux, cabarets et boîtes trouvèrent preneurs entre 9 et 240 livres, disparité de prix qui s’expliquait par la qualité du laque, la complexité de certaines boîtes japonaises et par l’emploi d’un plateau comme dessus de table.
Angran de Fontpertuis avait hérité d’une partie des collections de porcelaines de son oncle, M. Du Viviers (Gersaint E.-F., 1747, p. 15). Malgré cet héritage, sa collection témoignait de l’évolution du goût des amateurs de porcelaines dans la première moitié du XVIIIe siècle. Elle ne comprenait que 74 porcelaines bleu et blanc, dont seulement huit garnitures. Désormais, les porcelaines polychromes avaient la préférence et composaient plus de la moitié de sa collection. Le petit nombre de céladons et de bleu céleste reflétait tout autant l’intérêt nouveau des amateurs pour ces productions, que leur relative rareté sur le marché européen. Angran de Fontpertuis montra un intérêt certain pour les animaux de porcelaine, avec 86 pièces au total, en comptant les animaux en forme de théière et ceux montés en girandoles, tandis que les représentations humaines étaient moitié moins nombreuses. L’ensemble des 788 coquilles témoignait de l’intérêt croissant pour l’histoire naturelle qui se développa tout au long du XVIIIe siècle. La bibliothèque ne compte que 80 ouvrages de théologie (6,1 %), dont une grande partie de livres jansénistes anciens hérités de sa mère. Les 21 ouvrages de jurisprudence (1,6 %) indiquent un intérêt modéré pour le droit. En revanche, la curiosité du XVIIIe siècle apparaît dans les 223 livres de la rubrique Sciences et Arts (17,3 %) avec une nette préférence pour la musique (125 numéros) qu’il pratiquait peut-être. Les 450 numéros dans les Belles-Lettres (34,4 %), tant anciens (Ovide…) que modernes (Crébillon, Marivaux…) et en langue étrangère, avec des ouvrages en espagnol, en italien et en anglais (Le Tasse, Milton…), témoignaient de son intérêt pour la littérature en général, tandis que l’Histoire est représentée par 535 lots (40,9 %), dont 47 relations de voyage. Sa curiosité intellectuelle l’avait amené à acheter le Dictionnaire de Bayle, le Projet de dîme royale de Vauban ou encore l’Alcoran de Mahomet, traduit en français par André Du Ryer et publié à La Haye en 1722. Bibliophile, Agran de Fontpertuis possédait quatre incunables italiens (Parme et Venise) et des classiques latins dans les meilleures éditions du XVIe siècle (Alde, Gryphe…) (Catalogue de livres de feu M. Angran, vicomte de Fonspertuis, 1748).
La collection de Louis Augustin Angran de Fontpertuis était caractéristique des amateurs de sa génération. Ils prirent leur distance avec les centres d’intérêts de leurs aînés pour préférer les peintres flamands et hollandais aux Italiens, délaisser les porcelaines au décor bleu et blanc pour les productions polychromes et réunir un ensemble d’histoire naturelle. La présence de consoles de bois doré suggère une présentation peut-être héritée du XVIIe siècle, à moins qu’elles n’aient été remisées au grenier. Tableaux, bronzes, porcelaines et laques étaient certainement présentés ensembles, les contemporains appréciant une abondance maîtrisée par la symétrie des formes et des sujets, le contraste des matières et des couleurs et le mélanges des arts. Parallèlement à l’évolution esthétique apparaît l’évolution des sensibilités et des mentalités avec un intérêt certain pour l’histoire, la littérature, les sciences et les arts au détriment des ouvrages religieux.
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