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Estampe d'Utamaro représentant une sauterelle posée sur un tuteur au milieu de fleurs roses et violettes.

WANNIECK Léon et Marie-Madeleine (FR)

Jeunesse et formation

Léon Joseph Benjamin Wannieck naît le 17 février 1875 à Vienne, en Autriche. D’origine tchécoslovaque, il est le fils de Joseph Wannieck et d’Ada Mauroner, et le neveu de Friedrich Wannieck (1838-1919), célèbre industriel de Brno, en actuelle République tchèque. Il acquiert la nationalité française par décret le 16 juillet 1921 (AN, Sous-série BB/11, Décrets de naturalisation de l’année 1921), à la suite de son engagement au sein de la Légion étrangère de l’armée française, dès le 29 septembre 1914.

Marie-Madeleine Perault naît quant à elle le 2 août 1871, à Barberier (Allier). Elle est la fille de Nicolas Péraud, dont le nom sera par la suite orthographié « Perault », décédé, et de Marie Citerne, sans profession (AM Barberier, s.c.). Le 8 décembre 1916, Marie-Madeleine Perault épouse Léon Wannieck à Paris ; ils vivent alors au 17, rue Drouot, dans le 9e arrondissement. Ils s’installent ensuite à une date indéterminée au 29, rue de Monceau, dans le 8e arrondissement. Le couple n’a pas d’enfant, mais les neveux et nièces Perault semblent particulièrement présents dans leur vie personnelle et professionnelle, à l’image de Francis Perault (1903-1930).

Le couple Wannieck ne semble pas avoir reçu une quelconque formation universitaire : les origines modestes de Marie-Madeleine Perault laissent penser qu’elle n’a pas eu accès à un cursus scolaire long. Léon Wannieck a quant à lui abandonné ses études à l’âge de quinze ans, afin de rejoindre l’armée. Le couple possède en revanche une riche bibliothèque autour des arts asiatiques, et en particulier concernant la céramique chinoise (AN, AB/XXXVIII/137).

Fonctionnement de la galerie

La Maison L. Wannieck possède la particularité, rare pour un antiquaire d’arts chinois à cette époque, d’avoir été fondée en Chine même, à Pékin, place Tiananmen, en 1902. Cette maison-mère, où Francis Perault semble avoir tenu un rôle de relai, permet d’approvisionner chaque quinzaine la galerie parisienne, située d’abord au 5, rue d’Enghien (10e arrondissement), puis au 1, rue Saint-Georges (9e arrondissement) à partir de 1914 (Wannieck L., 1911). Certaines pièces sont acquises auprès d’antiquaires pékinois, tandis que d’autres sont achetées à des locaux réalisant des fouilles (Rostovtzeff M., 1929, p. 111).

Répertoriée dès 1913 comme une entreprise d’« Importation d’objets d’art anciens de Chine, Porcelaines, Poteries, etc. » (AP, Bottins du commerce, 1910 à 1914), la galerie parisienne se spécialise plus précisément dans les « Œuvres chinoises. Porcelaines chinoises anciennes. Bronzes chinois anciens, céramiques. Sculptures bouddhiques en pierre anciennes, peintures, panneaux de laque » (The Burlington Magazine for Connoisseurs, 1923-1931, p ?). Il est complexe d’y distinguer ce qui relève de la collection particulière des Wannieck et ce qui est destiné à la vente.

Voyages

Cette présence en Chine s’accompagne de plusieurs voyages, au cours desquels les Wannieck rapportent de nombreuses œuvres. Subventionné par la Ville de Paris (BNF, Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 8 février 1923, imprimé), le long séjour de 1923 permet à Léon Wannieck d’effectuer des recherches archéologiques en Chine du nord et en Mongolie, à la condition de laisser à la Ville de Paris un droit de premier choix sur les objets rapportés, à l’exception des manuscrits. Les objets ainsi importés en France donnent lieu à une exposition au musée Cernuschi en 1924 (AP, VR 233, Musée Cernuschi), et sont en grande partie acquis par la Ville de Paris pour cette même institution. Lors du second voyage, en 1924, Marie-Madeleine Wannieck est présente, bien que son rôle exact soit mal connu. Les dangers rencontrés lors de ces voyages sont soulignés par la presse contemporaine ; ils ont en effet pour contexte une période troublée de l’Histoire de la Chine, alors marquée par les conflits des « seigneurs de la guerre » et par les famines et insécurités qui en découlent.

Relations avec le milieu de la sinologie et les musées

Les Wannieck fréquentent de nombreux professionnels ou amateurs des arts asiatiques. Ching Tsai Loo (C. T. Loo, 1880 - 1957), célèbre antiquaire d’arts chinois, fait ainsi partie des amis et concurrents de Léon Wannieck. Le couple est également très impliqué au sein de la Société des Amis du Musée Cernuschi, dont Léon Wannieck est le vice-président dès sa création en juillet 1922 (procès-verbaux de la Société des Amis du Musée Cernuschi, s.c.). Lors des assemblées de cette société, le couple fréquente des sinologues de premier plan, tels que Paul Pelliot (1878-1945). Léon Wannieck est aussi en contact régulier avec Henri d’Ardenne de Tizac (1877-1932), conservateur du musée Cernuschi.

Par ce lien direct, ou à travers la Société des Amis, les Wannieck donnent ou vendent de nombreuses œuvres au musée Cernuschi. Ce statut de grand donateur du musée vaut à Léon Wannieck d’être proposé par Henri d’Ardenne de Tizac pour la Croix de la Légion d’honneur (AP, VR233), une décoration dont l’attribution n’a pas pu être confirmée à ce jour. Marie-Madeleine Wannieck se voit quant à elle remettre la médaille de vermeil des donateurs, plus haute distinction de la Ville de Paris (BNF, Conseil Municipal de Paris, 1956).

Les Wannieck sont également en contact avec plusieurs conservateurs du monde occidental. ; on peut ainsi citer Zoltán Felvinczi Takács (1880-1964), directeur du Ferenc Hopp Museum of Asiatic Arts de Budapest, qui acquiert environ vingt-cinq pièces auprès des Wannieck, et qui leur rend visite à chacun de ses séjours à Paris (Fajcsák G., 2008).

Décès

Léon Wannieck décède le 24 mars 1931, à l’âge de 56 ans, des suites d’une erreur opératoire ayant provoqué une brûlure aux rayons X (Pelliot P., 1931). Marie-Madeleine Wannieck vit jusqu’au 6 juin 1960. Dans cet intervalle, elle maintient l’activité de la galerie, qui prend d’ailleurs son nom en devenant la « Maison L. Wannieck - Vve Wannieck, Succ. ». Après son décès, ses biens personnels et financiers sont légués à ses proches, notamment à ses neveux et nièces. Les œuvres sont quant à elles vendues lors de plusieurs ventes aux enchères, en 1960.

Caractéristiques de la collection

La collection telle que recensée actuellement ne saurait constituer une image exhaustive du contenu de la galerie Wannieck à un instant donné. Avec un peu plus de 800 œuvres identifiées, ce corpus ne représente probablement qu’un échantillon des pièces passées par la Maison L. Wannieck durant sa longue période d’activité. Ces différentes œuvres n’ont par ailleurs pas forcément été en possession des Wannieck de manière simultanée.

Néanmoins, ce corpus permet d’identifier quelques grandes caractéristiques de la collection Wannieck. Celle-ci est relativement homogène quant à la provenance des œuvres : la très grande majorité des pièces est chinoise, à l’exception de rares œuvres tibétaines ou mongoles. Les datations relèvent de périodes globalement assez anciennes : plus de la moitié des pièces est datée de la dynastie Song (960-1279) ou antérieurement, tandis que la dynastie Han (206 av. J.-C.-220 ap. J.-C.) représente à elle seule un cinquième des œuvres recensées (Robin Julie, dir. Bellec Mael. Léon et Marie-Madeleine Wannieck. L’art chinois au musée. Mémoire d’étude, Ecole du Louvre, mai 2019).

Le corpus ainsi réuni est dominé de manière importante par les céramiques, qui représentent trois cinquièmes de la collection recensée. Ces céramiques sont essentiellement des éléments de vaisselle, mais les mingqi constituent également une part considérable des objets de cette catégorie. Un nombre conséquent de céramiques plus récentes, notamment des dynasties Ming (1368-1644) et Qing (1644-1911), constituait le cœur de la collection particulière de Marie-Madeleine Wannieck, exposée dans l’appartement de la rue Monceau où elle tenait salon (Collection de Madame L. Wannieck, vente après décès…, 1960). Si les Wannieck étaient célèbres pour certains de leurs bronzes, ceux-ci ne représentent finalement qu’environ un quart du corpus. Ces pièces font en revanche partie des œuvres les plus étudiées, en particulier l’ensemble des bronzes de Liyu ou encore les bronzes scythes des Ordos, parmi les premiers exposés en Europe (Fajcsák G., 2007, p. 181).

Les bronzes de Liyu

Découverts fortuitement dans la province du Shanxi, en Chine du Nord, et rapidement acquis et importés par Léon Wannieck, les bronzes de Liyu constituent les pièces les plus fameuses et les mieux documentées de la collection. Aujourd’hui exposés au Musée National des Arts Asiatiques — Guimet, ces bronzes s’inscrivent dans un ensemble de vaisselle rituelle plus vaste, dont d’autres éléments sont conservés à Shanghai, Stockholm et Washington. Ils témoignent de manière très représentative de l’itinéraire suivi par une pièce au sein de la galerie Wannieck.

Découverts par un paysan local lors d’un éboulement, en mars 1923, les bronzes de Liyu attirent Léon Wannieck, alors en mission dans la région. Sur place, il achète sans difficulté une vingtaine d’œuvres et parvient à les exporter. Dès ses premières déclarations dans la presse concernant ce voyage, l’antiquaire prête à l’ensemble une histoire propre à susciter l’engouement, en liant les bronzes au premier empereur, Qin Shi Huang, qui les aurait utilisés pour réaliser un sacrifice sur le mont « Hochan » [Hua Shan] (Shaanxi, Chine) (BNF, J. Kolb, 1924).

Très tôt remise en cause, cette rumeur semble néanmoins contribuer au succès des bronzes. Exposés au musée Cernuschi dès 1924, les bronzes de Liyu créent surtout l’événement en 1934, lors de l’exposition « Bronzes chinois » au musée de l’Orangerie. Prêté par Marie-Madeleine Wannieck, l’ensemble suscite l’intérêt du Musée du Louvre, qui prévoit de l’acquérir à l’aide d’une souscription publique pour son département des arts asiatiques (AN, 20144786/1). Soutenue par plusieurs personnalités du milieu de la sinologie, telles que Paul Pelliot, la souscription menée en parallèle de l’exposition permet l’acquisition des bronzes, hormis cinq pièces déjà vendues à d’autres musées, tels que la Freer Gallery of Art de Washington.

Dispersion de la collection

Au décès de Marie-Madeleine Wannieck, la collection est vendue lors de deux vacations, le 2 décembre 1960 à l’hôtel Drouot et le 5 du même mois au palais Galliera. Conformément à l’objectif commercial de l’entreprise, de nombreuses œuvres ont été vendues tout au long de la période d’activité de la Maison L. Wannieck, mais également données à différents musées. On peut en particulier citer les dons réguliers réalisés en faveur du musée Cernuschi, notamment à travers une série par Marie-Madeleine Wannieck, de 1937 à 1946, à raison d’une pièce tous les ans. Les ventes d’œuvres restent bien sûr le principal mode de sortie de la collection des œuvres, particulièrement à l’issue des voyages du couple. Les ventes les plus massives ont ainsi lieu en 1923, date du retour de Léon Wannieck d’un voyage en Chine.

Lieux actuels de conservation

À ce jour, dans le monde occidental, quatorze musées au moins possèdent des pièces issues de la collection Wannieck. Ces institutions sont essentiellement européennes, mais une douzaine de pièces se trouve outre-Atlantique, à la Freer Gallery of Art de Washington, au Metropolitan Museum of Art de New York et au Penn Museum de Philadelphie. Premier en nombre d’œuvres, le musée Cernuschi possède plus de 350 pièces, achetées ou reçues en don auprès des Wannieck. Sans doute en raison de l’origine autrichienne de Léon Wannieck, le Weltmuseum de Vienne est le deuxième lieu conservant le plus d’œuvres de la collection, avec quelques 300 objets. Plus que des ensembles importants quantitativement, les pièces issues de la collection Wannieck sont pour certaines toujours considérées aujourd'hui comme des œuvres de grande qualité par les conservateurs et responsables de collections, et beaucoup sont actuellement exposées.