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Commentaire biographique

Georges Labit naît le 12 février 1862 à Toulouse au sein d’une famille de commerçants prospères. Son père, Antoine Labit (1832-1912), est le fondateur de La Maison Universelle, premier grand magasin de la capitale occitane. Après une formation au collège des jésuites et au lycée de Toulouse, Georges Labit entre à l’École de commerce de Paris, où il effectue sa scolarité de 1879 à 1881 (Lefèvre G., 1994, p. 15-16, 20-21).

Peu à peu, son père lui confie le rôle de voyageur de commerce. Chargé de plusieurs missions d’affaires à l’étranger à partir de 1883 (Europe de l’Ouest et Méditerranée), il prend peu à peu goût aux voyages et à la découverte d’autres cultures (Lefèvre G., 1994, p. 15-16, 39-40, 45). Pris de curiosité pour les arts populaires, il s’intéresse dans un premier temps aux objets de la vie quotidienne, qui vont rapidement constituer le socle d’une première collection. Les premiers artefacts sont dénichés sur les marchés (Lefèvre G., 1994), dans la limite de l’argent de poche que son père lui octroie – Georges Labit étant sous tutelle financière depuis sa majorité (Lefèvre G., 1994, p. 17).

L’adhésion à la Société de géographie de Toulouse en 1888 marque une nouvelle étape. Encouragé par ses membres, Georges Labit multiplie les découvertes de régions du monde (Scandinavie, Maghreb, Chine, Japon, mais aussi Europe et provinces françaises) de 1888 à 1898. Équipé d’un appareil photographique, il rapporte des vues de divers points du globe et effectue plusieurs milliers de clichés, malheureusement disparus pour la plupart (Lefèvre G., 1994, p. 17). Dans un contexte mondial de profondes mutations économiques et culturelles, il s’intéresse aux usages et savoir-faire traditionnels : il en recueille des témoignages à l’occasion de séjours d’immersion, notamment en Laponie (Boulade Y., 2008, p. 48-57).

Les voyages effectués au Japon et en Chine en 1889, 1891 et 1895 marquent profondément Georges Labit. Il en rapporte de nombreux objets (sculptures religieuses, netsuke, armes, petits objets du quotidien, livres, peintures sur soie) qui constituent les pièces centrales de sa collection. Au retour de son premier séjour au Japon, il conçoit la création de son musée, inauguré en 1893.

À partir de 1896, ses voyages prennent une nouvelle orientation : Georges Labit développe un intérêt pour l’art occidental et la muséographie. Cherchant à améliorer l’agencement de sa collection, il effectue plusieurs séjours d’étude dans des musées européens (Lefèvre G., 1994, p. 163). Ses étapes en Italie, Grèce et Autriche, lui permettent de se familiariser avec les problématiques de présentation des œuvres et de gestion d’un musée. Au cours de ces séjours, il cherche à approfondir ses connaissances en histoire de l’art occidental, possédant lui-même une collection d’objets d’art et de peintures, dont il reste aujourd’hui très peu d’éléments (Lefèvre G., 1994, p. 152).

Les dernières années de sa vie sont consacrées à la gestion de la station de pisciculture paternelle. Georges Labit meurt le 9 février 1899, à l’âge de trente-six ans, dans des circonstances demeurées mystérieuses.

Constitution de la collection

La collection d’arts asiatiques de Georges Labit a été rassemblée lors de séjours effectués au Japon et en Chine en 1889, 1891 et 1895. Ces visites s’inscrivent dans un contexte d’ouverture récente du Japon à la civilisation occidentale, période d’attrait considérable pour les visiteurs occidentaux qui cherchent à collecter les témoignages d’une culture menacée de disparition (Siary G., 2000, p. 21-22).

Le voyage inaugural (1889)

Le premier séjour au Japon de 1889, effectué avec l’aide de la Société de géographie de Toulouse, est, avec celui de 1895 (Toulouse, musée Georges Labit (MGL) 009.1.2.21), l’un des mieux documentés : il donne lieu à la publication d’une lettre (Toulouse, bibliothèque d’Étude et du Patrimoine (BEP), LP15009 : Labit G., 1889, p. 425-430) et d’une communication dans le Bulletin de 1890 (BEP Toulouse, LP15009 : Labit G., 1890, p. 274-308). Le secrétaire général de la Société, Stanislas Guénot, mentionne l’existence possible d’autres lettres (BEP Toulouse, LP15009 : Guénot S., 1889, p. 374). L’absence de telles sources nous prive potentiellement d’informations sur la nature et les objectifs de cette expédition. Il ne semble toutefois pas y avoir eu de plan de mission spécifique, la Société présentant sa communication comme « un coup d’œil rapide » et non « pas [comme] une étude approfondie » (BEP Toulouse, LP15009 : Guénot S., 1890, p. 271). Le récit imprimé (BEP Toulouse, LP15009 : Labit G., 1890, p. 274-308), et la lettre publiée du collectionneur (BEP Toulouse, LP15009 : Labit G., 1889, p. 425-430) donnent toutefois quelques indications sur le rôle de la Société de géographie dans l’organisation de ce voyage en Extrême-Orient. La fourniture de lettres de recommandation (BEP Toulouse : Labit G., 1890, p. 308) permet au voyageur de se bâtir un réseau de contacts, dont l’activation sur place a contribué à faciliter son séjour au Japon (Boulade Y., 2008, p. 58-60).

Georges Labit embarque à Marseille le 17 mai 1889 à bord du Djemnah, un steamer des Messageries maritimes (BEP Toulouse, LP15009 : Labit, G., 1889, p. 425). Après une traversée de 42 jours et des escales à Suez, Aden, Ceylan, Singapour, la Cochinchine, Hong Kong et Shanghai, le bateau débarque dans le sud de l’île d’Honshu. Georges Labit visite alors les cinq villes japonaises de Kobe, Akashi, Yokohama, Tokyo, Utsunomiya et Nikko (BEP Toulouse, LP15009 : Labit G., 1890, p. 274-308). Ce parcours est représentatif de l’itinéraire suivi par les voyageurs contemporains de Labit. À la fin du xixe siècle, en raison de contraintes politiques, le Japon offre un espace restreint à la découverte, le circuit classique se limitant le plus souvent à Yokohama, Osaka, Kyoto, Nara, Nikko et Hokkaido (Siary G., 2000, p. 21-22). Georges Labit évoque lui-même dans ses écrits cette difficulté de circulation (BEP Toulouse, LP15009 : Labit G., 1890, p. 289).

Sur place, le voyageur est guidé par des correspondants de la Société de géographie (le lieutenant de vaisseau Vaquier, membre de la Société et commandant du Djemnah ; M. Okashi, le consul du Japon à Lyon, qui l’invite et le reçoit chez lui à Kobe ; Prosper Fouque, un Toulousain correspondant de la Société de géographie, professeur à l’école des nobles de Tokyo ; M. Daigremont, professeur à l’école militaire de Tokyo et Georges Bigot (1860-1927), artiste-peintre et journaliste, qui lui sert de guide à Nikko (Lefèvre G., 1994, p. 93). Il est par ailleurs accompagné tout au long de son séjour par M. de Montreuil, chef de bataillon au 3e régiment de zouaves de Sétif en Algérie, dont il vient de faire la connaissance à Hong Kong, et qui effectue « un voyage d’agrément autour du monde » (BEP Toulouse, LP15009 : Labit, 1890, p. 277).

Sa communication (BEP Toulouse, LP15009 : Labit G., 1890, p. 274-308), sa lettre publiée (BEP Toulouse, LP15009 : Labit G., 1889, p. 425-430) et sa bibliothèque fournissent des témoignages sur les pratiques d’études et de collecte mises en œuvre lors de ce premier séjour. Si la bibliothèque d’origine n’a pas été conservée en l’état, la connaissance de celle-ci nous est connue grâce aux trois inventaires établis à partir de 1893 jusqu’en 1913 (MPD, fonds d’archives GL, s.c. : catalogue du musée (1893 ?), inventaire après décès de 1899 et prisée de 1913). Une étude approfondie de sa bibliothèque et de ses lectures a mis en évidence un recours fréquent à la référence indirecte dans l’élaboration de ses comptes rendus, pratique courante dans la littérature de voyage de la seconde moitié du xixe siècle (Berchet J.-C., 1985, p. 11-12). La lecture des récits d’Émile Guimet (Les Promenades japonaises) et d’Edmond Cotteau (Un touriste dans l’Extrême-Orient) a particulièrement influencé Georges Labit, certains passages de ce dernier ouvrage étant repris quasi textuellement dans sa propre communication de 1890 (Boulade, Y, 2008, p. 92-98).

Parmi les thèmes abordés dans sa communication publiée Au Japon. Souvenirs de voyage, le théâtre doit certainement beaucoup à la lecture des (Promenades japonaises), qui avait contribué à faire connaître en France le genre traditionnel kabuki. Relatant sa propre expérience dans les théâtres de Yokohama, Georges Labit manifeste cependant un enthousiasme plus réservé qu’Émile Guimet à l’égard de la longueur et de la monotonie des représentations théâtrales japonaises (BEP Toulouse, LP15009 : Labit G., 1890, p. 288-289) [Boulade, Y, 2008, p. 90-91].

L’influence des (Promenades japonaises) se fait également sentir à travers le thème de la religion. Dans Au Japon. Souvenirs de voyage, Georges Labit fait mention de plusieurs visites au sein de lieux sacrés : le sanctuaire d’Ikouta à Kobe, le temple d’Asacksa à Tokyo, et la ville sainte de Nikko (BEP Toulouse, LP15009 : Labit G., 1890, p. 279, p. 293-294, et p. 300-304). L’étude sur les religions menée par Émile Guimet et illustrée par Félix Régamey, les (Promenades japonaises) constitue une véritable référence en matière d’ethnographie religieuse dans les années 1880. La connaissance de cet ouvrage se ressent fortement dans nombre de récits de voyages ultérieurs, qui en reprennent souvent la trame narrative. Georges Labit, quant à lui, semble avoir subi plus indirectement cette influence, à travers la reprise du récit de voyage d’Edmond Cotteau (Un touriste dans l’Extrême-Orient). Ce voyageur français, titulaire d’une mission du ministère de l’Instruction publique en 1881, a suivi les traces des pérégrinations d’Émile Guimet, tout en explorant de nouveaux sites religieux. Les descriptions de Georges Labit doivent beaucoup à la lecture de cet ouvrage : certains passages en sont d’ailleurs repris quasiment mot à mot (Boulade, Y, 2008, p. 92-95). En ce qui concerne son itinéraire, celui-ci visite précisément les mêmes sites qu’Émile Guimet et Edmond Cotteau. De la nécropole de Shiba à Tokyo jusqu’à la ville sainte de Nikko en passant par les temples d’Hiogo et de Kobe, il effectue le même parcours que ces voyageurs. La visite du sanctuaire de Nikko est proposée par Georges Bigot, contact de la Société de géographie et ami de Félix Régamey, qui a pu conseiller la lecture des récits de Guimet et de Cotteau au collectionneur toulousain (Boulade Y., 2008, p. 93).

S’il est impossible de connaître la date d’acquisition de ces ouvrages, il semblerait que Georges Labit ait effectué un travail de documentation important avant de rédiger son propre compte rendu de voyage. En plus des livres mentionnés par l’inventaire de 1899, ses écrits de attestent la connaissance d’autres ouvrages. Le voyageur évoque par exemple le récit de Georges Bousquet, (Le Japon de nos jours et les échelles de l’Extrême-Orient), l’une des premières études ethnographiques dans l’Empire du Soleil levant, datant des années 1870. Il en parle comme l’« un des ouvrages qui font le mieux connaître le Japon actuel » (BEP Toulouse, LP15009 : Labit G., 1890, p. 307). Il fait également référence aux premiers récits de voyage du xixe siècle sur le Japon et à des voyageurs français et allemands tels que Ludovic de Beauvoir (1846-1929), Joseph Alexandre von Hübner (1811-1892), Rudolph Lindau (1829-1910) ou encore Johann Justus Rein (1835-1918) [BEP Toulouse, LP15009 : Labit G., 1890, p. 301-302].

Georges Labit n’évoque malheureusement que très peu les circonstances de ses acquisitions. Sous tutelle financière, il dispose généralement d’un budget limité, excepté lors de ses séjours en Chine et au Japon, où il bénéficie exceptionnellement de davantage de moyens. L’un des buts de ce voyage aurait été le choix d’objets pour le rayon d’Extrême-Orient du commerce paternel, La Maison Universelle, ce qui pourrait justifier une plus grande largesse de fonds (Lefèvre G., 1994, p. 78, 102). Son compte rendu publié (BEP Toulouse, LP15009 : Labit, G., 1890, p. 274-308) révèle seulement à deux reprises quelques informations concernant d’éventuels lieux d’approvisionnement ainsi que les objets qui s’y trouvent. Georges Labit mentionne ainsi « la foire du soir » de Yokohama où sont exposés des éléments d’anciennes parures militaires de samouraïs, des costumes d’anciens seigneurs féodaux, des porcelaines de Kyoto et des livres illustrés (BEP Toulouse, LP15009 : Labit G., 1890, p. 287). Il évoque aussi le quartier de Shin-me-Mai à Tokyo où sont vendus en grand nombre des artefacts et des objets d’art (BEP Toulouse, LP15009 : Labit G., 1890, p. 292).

Pour l’achat de sa collection photographique, Georges Labit a pu être influencé par la lecture d’Un touriste dans l’Extrême-Orient d’Edmond Cotteau. L’acquisition de photographies japonaises était relativement peu coûteuse pour les touristes occidentaux de la fin du xixe siècle. Edmond Cotteau, qui a lui-même constitué un important ensemble lors de son séjour de 1881, affirme qu’« au Japon, on peut s’offrir à bon compte une belle collection de photographies » (Cotteau E., 1884, p. 112). Dans son récit de voyage, il évoque ses diverses acquisitions dans des ateliers de Yokohama, de Tokyo ou de Nikko, autant d’endroits dans lesquels Georges Labit s’est vraisemblablement rendu quelques années plus tard, notamment à Tokyo (BEP Toulouse, LP15009 : Labit G., 1890, p. 294).

La collection japonaise

Les documents attestant l’importance des collections asiatiques sont le catalogue général du musée (MGL 009.1.2.4), ainsi que les deux inventaires après décès de 1899 et de 1913 (MPD, fonds d’archives GL, s.c. : inventaire après décès de 1899 et prisée de 1913). L’absence de détails concernant les achats empêche de connaître précisément la quantité et la nature des objets acquis lors des différents voyages. Cette lacune contraint à une étude globale des différents fonds. La collection japonaise y apparaît comme la plus importante en nombre. Pas moins de cinq salles du musée originel sont pleinement consacrées à l’exposition d’objets d’Extrême-Orient provenant pour la majorité du Japon et de Chine. La collection japonaise présente une grande variété d’objets, datant pour la plupart de la fin de la période Edo (1615-1868), mais aussi pour certains de la nouvelle ère Meiji (1868-1912). Le champ de collecte est vaste et témoigne d’un intérêt pour les arts populaires [okimono (ex : inv. 92.4.132), netsuke (ex : inv. 92.4.151), vêtements, meubles, faïences, instruments de musique, kakemono, ustensiles de cuisine, spécimen de voiture japonaise, accessoires] et pour les insignes de pouvoir [sculpture religieuse, armes et armures, gardes de sabre (ex : inv. 92.5.1-23)]. L’ensemble de tenues militaires anciennes est représentatif des collections de la fin du xixe siècle. Les équipements militaires (ex : inv. 92.7.25-31), armures de samouraï (p. ex. : inv. 92.7.19-21) et sabres (ex : inv. 92.7.1-5), brutalement tombés en discrédit après l’abolition du système féodal japonais en 1871, sont particulièrement prisés par les collectionneurs occidentaux dans les années 1880 (Labails M.-D., 1994, p. 86).

De son séjour dans les sites religieux japonais, Georges Labit a rapporté une collection d’objets cultuels bouddhistes, datant de la période Edo (1616-1867). L’ère Meiji (1868-1912) correspond à une période de déclin pour le bouddhisme, le shintoïsme étant réinstauré par l’empereur Mutsuhito 睦仁 (1852-1912) comme religion officielle d’État en 1872. Tombés en désuétude, ces objets deviennent plus facilement accessibles aux amateurs occidentaux. La collection de Georges Labit se compose pour l’essentiel de sculptures de divinités ou de moines bouddhistes, de manteaux monastiques Kesa (p. ex. : inv. 59.883 et inv. 59.884), et de gongs Moku Gyo, instruments de musique en bois laqué qui servaient à accompagner le chant des moines lors de la prière, autant d’objets que l’on retrouve dans toutes les collections d’art religieux japonais de la fin du xixe siècle, en particulier dans celle d’Émile Guimet, constituée treize ans plus tôt (Labails M.-D., 1994, p. 78). Parmi les pièces les plus remarquables, on peut citer une statue en bois sculpté de Jizo (inv. 69.10.7) et une sculpture en bois laqué et doré du bouddha Amida (inv. 59.498).

À l’instar d’Émile Guimet, Georges Labit manifeste un intérêt important pour la religion japonaise. Dans une recherche personnelle non datée sur l’histoire des religions (MGL, 009.1.2.4, p. 11-21), le collectionneur passe en revue les différents cultes bouddhistes et shintoïstes, en s’intéressant aux sectes, rituels et divinités associées. L’agencement premier du musée témoigne de l’importance donnée à la comparaison des pratiques religieuses. Le catalogue (MPD, fonds d’archives GL, s.c., catalogue général du musée) et quelques rares photographies du premier musée montrent l’équilibre entre les différents objets exposés. Dans la salle centrale du premier étage, se côtoient des statues de divinités bouddhiques et taoïstes, un autel se rapportant au rite shinto et un autre consacré à la secte Jodo (MPD, fonds d’archives GL, s.c., catalogue général du musée, p. 14-18). Sur les piliers de ce salon orientaliste, des inscriptions en arabe empruntées à la mosquée de Kairouan (« Dieu seul est cher ») invitent à une étude comparée contemplative (Labails M.-D., 1994, p. 35). Un article de La Dépêche du mois de février 1891 a été trouvé dans les archives du collectionneur. Cette coupure de presse, qui rend compte d’une cérémonie d’action de grâce bouddhiste pratiquée au musée Guimet, montre l’intérêt que Georges Labit portait à la question du traitement muséographique des objets religieux (Labails M.-D., 1994, p. 40).

Outre cet ensemble d’objets cultuels, Georges Labit a rapporté du Japon plus de 300 estampes, des dizaines de kakemono, d’aquarelles sur soie, de panneaux brodés, des vases en bronze ciselé ou en laque, des étoffes, des masques de théâtre ainsi qu’une collection de 130 livres en langue japonaise (p. ex. : inv. 92.4.107), dont certains illustrés par ou d’après Katsushika Hokusai 葛飾北斎 (p. ex. : inv. 92.4.18), Utagawa Toyokun i歌川豊国 ou Utagawa Kunisada 歌川国貞 (p. ex. : inv. 92.4.2). Cette collection révèle un goût prononcé pour l’art japonais de la fin de la période Edo, en particulier pour les estampes, peintures, xylographies et recueils de motifs (Lefèvre G., 1994, p. 158-159). Ces objets sont particulièrement en vogue à la fin du xixe siècle chez les collectionneurs ainsi que dans les milieux artistiques, l’art japonais nourrissant une réflexion plastique nouvelle au sein de la peinture, de l’architecture et des arts décoratifs occidentaux. La bibliothèque de Georges Labit témoigne de cet intérêt pour le japonisme : outre la célèbre monographie L’Art japonais de Louis Gonse, Georges Labit a également en sa possession toute la collection du Japon artistique de Samuel Bing, revue phare du mouvement japoniste français au tournant des années 1880-1890 (Boulade Y., 2008, p. 67).

Le collectionneur toulousain a également constitué une vaste collection de photographies, composée en partie de clichés du célèbre photographe vénitien Felice Beato (1833-1907) [ex : inv. 92.6.130], propriétaire d’un atelier de photographie à Yokohama de 1863 à 1877, et de son successeur le baron autrichien Raimund von Stillfried (1839-1911) [p. ex. : inv. 92.6.20]. Ces photographies, datant pour la plupart de l’extrême fin de la période Edo et du tout début de l’ère Meiji, constituent un fonds documentaire et artistique de grande qualité ; elles offrent le témoignage d’un style de vie et d’une société en pleine mutation, d’un Japon dont on s’empresse de recueillir les rémanences culturelles et artistiques traditionnelles, encore perceptibles dans les portraits (p. ex. : inv. 92.6.38), paysages (p. ex. : inv. 92.6.142) ou scènes de la vie quotidienne (p. ex. : inv. 92.6.135) [Labails M.-D., 1994, p. 34].

La collection chinoise

De Chine, Georges Labit rapporte une collection plus réduite, constituée d’objets de la vie quotidienne (costumes, pipes, bracelets, éventails, jeu d’échecs en ivoire, boulier compteur, petit kiosque en os, jonque, meuble, masques, peignes, bourses), d’objets d’art (peintures sur soie, peinture Fondo, estampes, études de paysages, paravents, panneaux de broderie et de bois sculpté, statuettes en terre cuite, lions de Fo, porcelaines), d’armes (poignards, sabres, couteaux d’exécution) et d’objets de culte (autel bouddhiste, devant d’autel, kakemono du temple de Canton, brûle-parfum, vase à sacrifice et statue de Bouddha en bronze). La collection comporte également des objets d’Annam (divinités bouddhiques), du Cambodge (divinité en malachite, étoffes), de Ceylan (sarong de soie, bijoux, amulettes d’ivoire, paires de chaussures, statuettes de brahmanes, soutras), de Corée (vase en bronze), de Java (sarongs), peut-être acquis lors d’escales (Lefèvre G., 1994, p. 102-103).

Les voyages de 1891 et de 1895

Georges Labit effectue deux séjours ultérieurs en Extrême-Orient. En 1891, il se rend en Chine du Nord et en Mongolie, lors des événements de Jindandao, dans un contexte de répression de la population mongole par la société secrète chinoise Han Jindandao 金丹道. Équipé de son appareil photo, il envoie à L’Illustration plusieurs de ses clichés, dont certains figurant un jugement dans un tribunal chinois, à Tung-Tchao, près de Pékin. Sa photographie de l’exécution d’un accusé fait la une du 5 décembre 1891 (BF, L’Illustration, 1891/12/5, PER X1 Fol).

En 1895, Georges Labit se rend à nouveau en Chine en empruntant le tout nouveau Transsibérien (Lefèvre G., 1994, p.86). Peu de détails sont connus de ce voyage. Son séjour au Japon, la même année, est un peu mieux documenté. Le journal de bord du collectionneur (MGL, 009.1.2.21.1) donne des informations sur sa traversée de Liverpool à Yokohama du 4 janvier au 11 mars 1895. Deux documents manuscrits, consacrés au théâtre de Kabukiza à Tokyo (MGL, 009.1.2.21.4), et aux sites de Miyanoshita, d’Otometoge, et du Fuji-Yama (MGL, 009.1.2.21.5) renseignent sur de vraisemblables lieux de visite durant ce séjour.

Le musée Georges-Labit

Les collections sont d’abord conservées dans l’hôtel familial de la rue Bayard. Dès la fin des années 1880, Georges Labit souhaite faire bâtir un musée pour abriter et exposer l’ensemble de ses collections. Ce projet, susceptible d’accroître la notoriété de La Maison Universelle, est financé par son père Antoine Labit : ce dernier achète un terrain dans le quartier de Montplaisir, encore peu loti, pendant le séjour de son fils au Japon en 1889 (Lefèvre G., 1994, p. 133). La famille Labit fait appel à l’architecte toulousain Jules Calbairac (1857-1935), pour l’édification du bâtiment. Marqué par ses séjours en Afrique du Nord et par la vogue des villas d’inspirations orientales, le collectionneur choisit pour l’édifice une architecture de style mauresque (Lefèvre G., 1994, p. 133-134).

Un article publié dans la Revue mensuelle illustrée de l’Association des étudiants de Toulouse en 1894 apporte un éclairage sur les choix muséographiques opérés. Un premier conservateur est recruté : Louis Darbas se charge « en l’espace de quelques mois » de l’agencement des collections. L’auteur de l’article, Demeure de Beaumont, indique que « la collection se transforme, s’augmente sans cesse. Tel objet, admis à l’origine pour “peupler”, doit disparaître, soigneusement éliminé pour être remplacé par de vraies pièces de collectionneur » (BnF, 1894/07, FOL-R-271).

Les témoignages de la disposition originelle proviennent du catalogue général du musée (MGL 009.1.2.4), de quelques photographies de 1895 (MGL, 009.1.1.1) et d’un reportage publié dans L’Illustration le 8 août 1894 (BF, L’Illustration, 1894/08/8, PER X1 Fol). Sur la base du plan carré de l’édifice, les différentes aires culturelles sont distribuées autour d’un espace central sur deux étages, en symétrie. Le rez-de-chaussée comprend une salle des mannequins au centre, plusieurs salles d’armes, une salle des faïences et du mobilier régional (MGL 009.1.2.4, p. 26-30). Le premier étage intègre quatre salles consacrées aux collections japonaises et chinoises, celle des peintures, un cabinet de travail, une bibliothèque, une chambre et un vestibule consacrés aux arts du bassin méditerranéen (MGL 009.1.2.4, p. 2-25). S’inspirant des nouveautés muséographiques du xixe siècle, l’architecte adopte une distribution aérée : à l’éclairage latéral prodigué par de larges fenêtres s’ajoute un éclairage zénithal (Pistre C., 1994, p. 28). Une grande verrière coiffe l’espace central, la transformant en patio couvert. Dans une atmosphère moyen-orientale, les collections sont exposées au sein d’un décor surchargé, reflet d’un contexte de curiosité universelle, très marqué à la fin du xixe siècle. Tous les volumes possibles sont investis parfois jusqu’au plafond, afin d’exposer le plus grand nombre d’objets, même si le conservateur Louis Darbas reconnaît lui-même dans le catalogue général que tout n’est pas exposé « faute de place » (MGL 009.1.2.4, p. 22).

L’entrée s’effectue par le premier étage, où le visiteur est accueilli dans un vestibule au décor méditerranéen (MGL 009.1.2.4, p. 2-6). La plus grande partie de ce niveau est consacrée aux arts du Japon et de la Chine (MGL 009.1.2.4, p. 7-17). L’axe de la présentation est affirmé par la pièce forte de la collection, la statue en bois sculpté de Jizo (inv. 69.10.7), qui se détache dans l’arrière-plan. Dans la salle centrale, d’occupation très dense, sont exposés différents artefacts (costumes, outils, armes, bronzes, faïences, mobilier, sculptures religieuses), témoignages des traditions cultuelles et des savoir-faire artisanaux de ces deux pays d’Extrême-Orient (MGL 009.1.2.4, p. 7-11). Les ailes droite et gauche de cette pièce sont consacrées à l’exposition d’objets japonais (peintures sur soie et sur papier, masques, instruments de musique, armes) dont certains mis en situation. Quatorze vitrines abritent de petits objets (netsuke, okimono, nécessaires à fumeur, services de table) [MGL 009.1.2.4, p. 11-17]. L’exposition de la collection asiatique se poursuit au rez-de-chaussée en empruntant une cage d’escalier, décorée de sept kakemono et d’armes, et d’un mannequin de guerrier japonais (MGL 009.1.2.4, p. 25). Plus aéré, le rez-de-chaussée adopte une disposition typologique. Au centre, la salle des mannequins comprenant au total 29 modèles en grandeur réelle comporte une partie réservée à l’Extrême-Orient, et met en scène le Japon (maison de thé), la Corée et la Chine (mandarin rendant la justice) [MGL 009.1.2.4, p. 26]. Ces mises en situation mettent l’accent sur les pratiques quotidiennes des populations représentées et font écho au principe de contextualisation, développé par le musée d’Ethnographie du Trocadéro dans sa salle des provinces (Labails M.-D., 1994, p. 40). La salle d’armes et des faïences accueillent également quelques objets des collections asiatiques (MGL 009.1.2.4, p. 27-30).

Inauguré le 11 novembre 1893, le musée Georges-Labit est ouvert gratuitement au public sur simple demande. À sa création, il constitue alors l’un des rares musées de province consacrés aux cultures de l’Extrême-Orient. Il abrite par ailleurs des collections régionales françaises, méditerranéennes, scandinaves, des peintures et copies d’œuvres célèbres, toutes rassemblées par Georges Labit. Le musée Guimet, fondé en 1879, a vraisemblablement servi de modèle. Plusieurs documents témoignent des contacts qui ont existé entre Georges Labit et le collectionneur lyonnais, invité dès 1890 lors d’une conférence de Georges Labit à la Société de géographie de Toulouse (Labails M.-D., 1994, p. 41). Émile Guimet effectue une visite au tout jeune musée le 19 septembre 1893, un mois avant son inauguration officielle (BnF, La Dépêche de Toulouse, 1893/09/20, A24, N9172). Dans une lettre envoyée quelques jours plus tard, le 28 septembre 1893, Georges Labit remercie Émile Guimet pour les « gracieux envois » qu’il a bien voulu faire au musée (MGL 009.1.2.15).

La disparition prématurée de Georges Labit en 1899 met un terme brutal au développement du musée. À la mort d’Antoine Labit en 1912, l’établissement est légué à la Ville de Toulouse qui accepte le bien en 1919 (AM Toulouse, PO1/1919/9). Après une période de déshérence et de dégradations, le musée reprend vie sous la direction du Dr Albert Sallet en 1935, puis de Jeanne Guillevic en 1969. Grâce à de nombreux dons, des dépôts du musée Guimet, et plusieurs campagnes de rénovation, le musée Georges-Labit poursuit son enrichissement, plus de 100 ans après sa fondation (Labails M.-D., 1994, p. 45-49).