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Commentaire biographique

Jules Claine est né le 31 juillet 1856 dans un milieu rural plutôt populaire. Son père était rémouleur, probablement itinérant dans le secteur d’Esternay (Marne). Sa mère était couturière, son oncle paternel était plâtrier à Sannois (Val-d’Oise) (AD 51, 2 E 264/4, acte no 3). Rien dans ses origines ne le prédestine à la carrière qu’il va connaître, pas plus que ne l’est sa formation d’artiste peintre achevée à l’École des beaux-arts de Paris. Quelques œuvres de cette période sont conservées au musée d’Épernay, notamment un très petit format représentant une pomme qu’il a dédicacé à sa mère (Musée du vin de Champagne et d’Archéologie régionale, Epernay (MCAE), inv. 936.01.519 ; 936.01.524).

Une période de courts voyages (1876-1889)

Rares sont les éléments biographiques que l’on peut rattacher à la période. Le premier point avéré est qu’il a été exempté du service militaire du fait du veuvage de sa mère. Le deuxième est celui de son mariage, le 10 novembre 1877 à la mairie du 5e arrondissement de Paris, avec Clarisse Berthe Lepage (1858-1899) (AP, V4E 3044, acte 764). Elle est la fille du peintre montmartrois Charles Edmond Constant Lepage. Le troisième est qu’à cette date, il exerce la profession de photographe. Il est depuis la fin de ses études proche du milieu artistique, où il a trouvé quelques profondes amitiés notamment avec le peintre Pierre Tullon (1851?- ?), qui est l’un des témoins de son mariage. On le sait proche du sculpteur Charles Joseph Roufosse (1853-1901), qui est l’auteur, en 1891, du buste de Jules Claine (MCAE, sans no inv.), mais aussi du dessinateur Gaspard Edmond Lavratte (1829-1888). On ignore tout de ses moyens réels de subsistance pendant cette période si ce n’est par la vente de quelques clichés (Journal de Boston, MCAE 936.01.538) et peut-être la rémunération de ses conférences. Pourtant, d’après les annotations figurant au dos de son portrait donné en 1890 à la Société de géographie de Paris (BNF, P. no 2041), il écrit avoir voyagé – en Algérie (1883), en Grande-Bretagne et en Belgique (1884) puis au Mexique, où il va même pratiquer des fouilles archéologiques (1884) – et avoir parcouru plusieurs fois l’Amérique du Nord (États-Unis et/ou Canada) entre 1885 et 1886. Puis il s’est rendu au Mexique (1888-1889 et 1892) et aux Antilles espagnoles (1890 et 1891). Il est parfois indiqué un voyage en Égypte (Perret D., 2018) mais cela reste, à notre connaissance, sans justification. Jules Claine adhérerait à la Société de géographie de Paris vers 1889. Cette période mal connue s’achève très peu d’années après sa séparation d’avec son épouse, dont le divorce est prononcé le 19 décembre 1887. Peut-être peut-on poser l’hypothèse de cette rupture comme une des conséquences de ce qui vient d’être énoncé ?

Le séjour chez les Batak de Sumatra (juin 1890-juin 1891)

La multiplicité de ses voyages sans l’accompagnement de notes et de récits fait de Claine un aventurier plutôt qu’un explorateur, titre qu’il revendique après 1891. Quoi qu’il en soit, son séjour à Sumatra constitue le voyage dont il tire une grande fierté. Même si l’on ne sait rien de ses motivations, le but en était de fournir des informations sur des populations mal connues à l’époque : les Batak. On ne sait pas s’il a pu bénéficier d’une mission ou d’aide pour ce voyage qui débute fin juin 1890 à Singapour après être parti de Paris en mai. Il en publie quatre versions quelque peu divergentes entre le second semestre de 1891 et l’automne 1892. L’une d’elles, celle parue dans le Tour du monde, est immédiatement traduite en néerlandais et donne naissance à une controverse avec C. J. Westenberg, le premier contrôleur pour les affaires Batak (Perret D., 2018). Ceci ne constitue pas le seul point d’ombre et, d’après Perret, il subsiste une longue période non explicitée de ce séjour long d’une année. Dans le même article (Perret D., 2018), cet auteur suppose, à juste titre, que tous les objets rapportés du nord de Sumatra n’ont pas intégré les collections du musée du Trocadéro. En effet, des objets figurant dans les collections d’Épernay sont identifiables sur l’illustration de la page 376 du Tour du monde.

Dès son retour, Jules Claine exploite les fruits de son périple en participant au Congrès des orientalistes de Londres le 3 septembre 1891. Il y rencontre Émile Cartailhac et, le 14 octobre, Claine lui envoie quarante photographies et son portrait, lui demandant d’intercéder auprès de Monsieur Quatrefages pour pouvoir participer à la mission qu’il souhaite poursuivre : celle de Crampel. Dans le même échange, il laisse à Cartailhac le soin d’organiser ses conférences à la Société de géographie de Toulouse et de Bordeaux (AM Toulouse, 92Z-172/1). Dans le même temps, il adhère le 5 novembre à la Société d’anthropologie de Paris. Claine gère brillamment, mais non sans arrière-pensée, les suites à donner à son voyage. Un passage du compte rendu de la conférence qu’il donne le 10 février 1892 à la Société de géographie de Paris éclaire sur la carrière diplomatique qui lui a été offerte en 1894. On cite : « Au récit de ses voyages, M. Claine mêle de nombreux renseignements économiques sur les pays qu’il a visités. » Plus loin, on lit : « Il étudie aussi la question commerciale et indique quelques-unes des causes auxquelles il faut attribuer, selon lui, le peu d’importance du trafic français en Malaisie » (Bull. Sté Géographie com. 1892, p. 498-499). Le goût du voyage le taraudant toujours, il monte, apparemment sans succès, un projet d’exploration des pays de Souambé et d’Ouorodougou (ANOM, FR ANOM 50COL8). Et en 1892, il effectue un nouveau voyage vers le Mexique, Porto Rico et Cuba.

Sa carrière diplomatique (1894-1918)

C’est sans doute pour avoir perçu assez fidèlement les rouages économiques, commerciaux et culturels des pays qu’il a traversés que Jules Claine se voit proposer la fonction de vice-consul à Fort-Dauphin (Madagascar) peu de temps après son second mariage, qui s’est tenu le 11 janvier 1894 à Paris, avec Jensina Elisa Vilhelmina Gernandt dite Jane (1862-1944) poétesse et femme de lettres. Une révolte l’empêche de se rendre à son premier poste. En octobre de la même année, il se voit proposer l’agence de Port Elizabeth, en Afrique du Sud, où il est chargé de la surveillance de la contrebande. Après une mise à disposition au début de 1896, c’est en mai de cette même année qu’il est nommé en Argentine, à Rosario (AN, LH/19800035/119/15028). Son action contre la peste auprès des populations y est remarquée. En février 1900, il est affecté dans le même pays à La Plata. D’un point de vue économique, il permet d’y développer le marché des vaccins de l’Institut Pasteur. Puis, en novembre de la même année, le ministère le nomme à Rangoon (Birmanie), où il reste jusqu’en 1903. Il met alors à profit son temps libre pour collecter des objets qui vont orner son intérieur. Sa maîtrise de l’anglais lui permet de traduire en français le Traité sur les éléphants de G. H. Evans (Evans G. H., 1904). Il est ensuite affecté à Bakou, où son attitude est remarquée pour son aide auprès des Français et des Arméniens. Son épouse et lui assistent assistent à la révolte et aux attentats contre le pouvoir tsariste. De 1906 à juillet 1909, c’est à Corfou, devenu consul, qu’il œuvre pour le développement de la langue et de la culture françaises. Sa dernière affectation est celle d’Helsinki (1909-1916), où il est chargé des relations entre la Finlande et la France, au cœur d’un pays alors très germanophile. Des raisons de santé pour grave infirmité le contraignent à être mis à disposition avant de pouvoir faire exercer ses droits à la retraite le 11 janvier 1918.

Après cette date, il continue à porter intérêt pour différentes disciplines scientifiques : en 1921, il adhère à la Société des américanistes, en 1922, à la Société préhistorique française et, en 1924, à l’Association française pour l’avancement des sciences ; la même année, il assiste au Congrès international d’anthropologie de Prague. En 1936, il propose ses collections à la Ville d’Épernay, qui accepte, le nomme citoyen d’honneur le 26 décembre et ouvre une salle à son nom pour abriter sa donation (AM Épernay, 1 D 65) partagée entre le musée et la médiathèque (Interbibly., 1991). Son épouse donne à la bibliothèque Sainte-Geneviève, à Paris, un recueil qui ressemble fort à un press-book (Dellatolas M., 2012). Jules Claine décède à Paris le jeudi 7 septembre 1939 et est inhumé au cimetière de Vaugirard. Par la suite, Jane Gernandt le fait transférer à Chinon (Indre-et-Loire), où ils reposent tous les deux.

La vie de Jules Claine n’est pas véritablement celle d’un explorateur ni d’un scientifique, mais plutôt celle d’un aventurier qui a su mettre en avant ses voyages et principalement celui à Sumatra. Par la suite, il a bénéficié de circonstances favorables qui lui ont permis d’assouvir sa passion du voyage en devenant diplomate. Tout au long de ses déplacements et après celui de 1890-1891, il a acquis des objets, souvent par paires non identiques, afin de constituer un fonds documentaire qui, d’un statut pédagogique, est devenu ethnographique avec le temps, mais qui souffre cruellement du manque de documentation.

Claine collectionneur

Dès ses premiers voyages, Jules Claine rapporte ce qui pourrait être compris comme des objets anodins. En exemple, on pourrait citer un cadre d’artisanat amérindien en écorce de bouleau censé valoriser une carte postale colorisée. Le choix de cet artéfact, plus décoratif que signifiant, a sans doute été motivé par la présence additionnelle d’une représentation en miniature d’un canoë qui est rattachée au bas de ce cadre. Une telle pièce réunit le concept « Indiens d’Amérique » au mode fluvial de leurs déplacements. Pour Claine, elle représente aussi un témoignage de l’artisanat du bois chez les populations d’Amérique du Nord. Elle est à la fois le reflet d’une image, d’un cliché, et l’expression de la volonté de démonstration d’un savoir-faire – et c’est en quelque sorte ce procédé qui va primer tout au long des années de collecte chez Jules Claine.

Cependant, le fonds acquis pendant son séjour en Indonésie et en Malaisie manifeste une réflexion plus profonde, celle d’un homme qui veut être utile à son pays en rapportant des documents de toutes sortes venant enrichir les musées (d’où les collections de sciences naturelles pour le Muséum, des objets cultuels pour Guimet ou le Trocadéro). C’est, à notre avis, par ces gestes qu’il justifie en partie le sens qu’il donne au mot « explorateur », qu’il revendique aussi par le risque pris au cours du voyage. Malheureusement, sa conversion vers la diplomatie le ramène vers l’illustration de clichés. Les exemples sont nombreux : les bolas des gauchos argentins ou les panoplies d’armes des populations cafres. Il se diversifie davantage en recherchant l’objet ethnographique, qui fait son quotidien environnemental lorsqu’il revient en Asie du Sud-Est, cultures qui restent pour lui les plus attractives, jusqu’à en faire son décor domestique. Son éclectisme peut aller, de temps à autre, vers des objets à valeur historique : des silex taillés dans l’obsidienne provenant du Mexique, une cloche qu’il dit dater du XIIIe siècle provenant d’un temple birman. Ces quelques objets constituent le reflet de son goût pour l’archéologie, l’histoire, l’ethnographie, et que l’on retrouve dans ses adhésions à certaines sociétés savantes. Curieusement, il n’a pas su ou pu en tirer le fruit. Peut-être est-ce là le résultat de son côté autodidacte. On sait aussi que ses propos tenus lors de ses nombreuses conférences sont illustrés par la présentation de pièces originales et cela explique sans doute sa nécessité d’acquérir des objets.

Pendant sa période active au service de la France, s’il a manifesté son patriotisme, il n’a eu aucun geste pour les musées. Il s’est constitué une collection aux reflets d’exotisme pour le Métropolitain avec, en bruit de fond, on ne peut pas le nier, un ancrage dans l’esprit colonialiste de l’époque, comme l’évoquait le fragment perdu de l’arbre auprès duquel, selon la légende, Cortès aurait pleuré ; ou encore par l’acquisition quelque peu morbide de la corde officielle (britannique) de pendaison en Birmanie. La collection Claine constitue donc l’exact reflet de l’homme qu’il a été et qui n’a jamais qu’effleuré les diverses cultures avec lesquelles il a été en contact, allant même, par sa légèreté et un certain amateurisme, jusqu’à semer le trouble sur son action si l’on se réfère à la polémique qui a suivi son voyage en Indonésie.

Au cours de ses voyages, il a assemblé des collections dont il a fait don à de nombreuses institutions. Entre 1885 et 1916, Jules Claine a collectionné des objets d’ethnographie, des armes, des objets du quotidien de tous les pays où il a séjourné ou exercé (États-Unis, Canada, Mexique, Argentine, Afrique du Sud, Birmanie, Malaisie, Indonésie, Caucase, Suède, Finlande). Les objets de ses missions ont été donnés à des musées et sa collection personnelle a été offerte à la Ville d’Épernay en 1936. À titre personnel, il a collecté des objets, souvent en double mais non identiques, pour leur valeur éducative. Il n’a pas cherché à illustrer ses voyages, sa collection comme ses séjours en tant que représentant consulaire. Les derniers éléments papier ont été donnés par son épouse avant 1944 à la bibliothèque Sainte-Geneviève (Dellatolas M., 2012), où ils figurent dans le fonds nordique. Ce recueil biographique débute en 1890 et rassemble de nombreux documents biographiques (lettres, journaux, cartons d’invitation, conférences, etc.). La collection Claine retrace plus le parcours d’un jeune aventurier se présentant lui-même comme un explorateur puis celui d’un diplomate plutôt qu’une véritable recherche ethnographique et scientifique.

Détail de la collection

  • Musée du Trocadéro : collections d’ethnographies recueillies à Sumatra lors de son séjour chez les Batak-Karos.
  • Musée Guimet : collections religieuses du Siam et de Birmanie et au moins deux manuscrits.
  • Société d’Anthropologie de Paris : collection de photographies.
  • Muséum national d’histoire naturelle : collections d’oiseaux vivants ou morts de Malaisie, collections de coléoptères et de lépidoptères, de petits mammifères, de reptiles d’Afrique du Sud et d’Amérique du Nord. Collections de pierres précieuses de Birmanie.
  • Ville d’Epernay (musée et bibliothèque) : 125 pièces africaines, 54 de Malaisie, 22 d’Asie du Sud-Est et des objets d’Amérique du Nord et du Sud ainsi que des objets personnels comme son salon birman, des photographies, un manuscrit d’article et les ouvrages de son épouse.
  • Bibliothèque Sainte-Geneviève : album press-book.