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Commentaire biographique

Ernest Monin est né à Besançon le 13 septembre 1856. Il est le fils de Rachel Levy et Louis-Henri Monin, historien, philologue et professeur d’histoire à la faculté de lettres de Besançon. Il débute ses études de médecine au sein des hôpitaux civils et militaires de Besançon avant de les poursuivre à la faculté de médecine de Paris où il s’installe définitivement. En 1877, il y soutient une thèse consacrée à La pathogénie et l’étiologie des oreillons (Monin E., 1877).

Spécialiste de l’hygiène, il se dédie à sa vulgarisation à travers la publication de nombreux ouvrages. On y retrouve la plupart des grands principes défendus par le courant hygiéniste, alors particulièrement influent. Monin s’intéresse ainsi non seulement aux pathologies mais également à leur prévention par le bon entretien de l’habitation et de l’espace public, l’alimentation ou encore le recours à certains produits cosmétiques. Les ouvrages du docteur se doublent également d’une forte dimension moralisatrice. En effet, comme le souligne Olivier Faure, la maladie est, dans la perspective hygiéniste, avant tout le produit de mœurs dissolues (1994, p.113). Un bon exemple du travail de vulgarisation mené par Ernest Monin est son Hygiène de la beauté (1886a). Il s’agit d’un recueil de recettes de cosmétiques et de préceptes à appliquer, destiné à la gent féminine afin de prévenir à la fois l’apparition de la maladie et des signes de la vieillesse. Les activités d’écriture de Monin ne se limitent par ailleurs pas à ces ouvrages. Il publie également des articles dans plusieurs revues médicales telles que la Revue thérapeutique (Monin E., 1886b).

Les convictions hygiénistes d’Ernest Monin se traduisent également par son engagement au sein de la Société Française d’Hygiène dont il est le secrétaire à partir de 1882 (AN LH/1907/46). Olivier Faure rattache plus particulièrement cette association au courant des hygiénistes dits « pastoriens » (1994, p. 177-198). Influencés par la figure de Louis Pasteur (1822-1895), les pastoriens sont particulièrement influents sur le plan politique et défendent un projet de société fondé sur le pragmatisme, la mutualité et la prévoyance. Monin est ainsi membre d’organisations telles que la Ligue de l’Intérêt Public ou encore la Société de Secours Mutuel des Artistes Lyriques (MBAAB, s.c.). Son engagement politique se traduit également par son élection à une date inconnue en tant qu’adjoint à la mairie du IIIe arrondissement de Paris (MBAAB, 931.1.342).

Par ailleurs, Monin n’est pas seulement membre de la Société Française d’Hygiène mais aussi de nombreuses autres associations et sociétés savantes ce dont témoignent les insignes, médailles et diplômes conservés dans sa collection. Ces mêmes objets nous apprennent également qu’il participe régulièrement aux expositions qui jalonnent la seconde moitié du XIXe siècle en tant que membre des jurys et des comités d’organisation. Il est par exemple membre du comité d’admission de l’Exposition universelle de 1900 à Paris (MBAAB, s.c.). Il représente également à plusieurs reprises la France à des expositions étrangères. Ainsi, en 1887, il se rend à l’exposition d’hygiène de Varsovie pour le compte du ministère de l’Instruction Publique (Monin E., 1889). Sa participation l’année suivante au jury des eaux minérales à l’Exposition universelle de Barcelone (MBAAB, 931.1.363) lui vaudra d’être nominé au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur par le ministre du Commerce (AN LH/1907/46). On sait également que Monin MBAAB, 931.1.363a participé à l’exposition française de Moscou en 1891 et à plusieurs expositions à Vienne (MBAAB, s.c.).

Mais Ernest Monin ne se consacre pas uniquement à ses activités scientifiques. En effet, il est également membre de la franc-maçonnerie. Il est reçu au grade de maître en 1882 au sein de la loge L’Amitié (MBAAB, s.c. et 931.1.420). Par ailleurs, Monin s’investit au sein du Fumisme. Ce courant littéraire et artistique ne se présente pas comme un mouvement unifié. Il s’agit plutôt d’un ensemble de groupes et d’initiatives, liés par des personnalités communes et un certain état d’esprit fondé sur l’humour et l’iconoclasme (Grojnowski D., 1997, p. 47). Ernest Monin est présent dès les débuts du mouvement puisqu’il participe aux soirées organisées par le groupe des Hydropathes créé en 1878 par l’écrivain Emile Goudeau (1849-1906), fondateur et figure de proue du Fumisme (Goudeau E., 1888, p. 194). Ces soirées endiablées constituent alors un banc d’essai pour de nombreux jeunes auteurs. On y joue du théâtre, de la musique, on y récite des poèmes et on s’y moque de tout à commencer par soi-même. Les soirées fumistes constituent ainsi « un creuset où s'échange[...] la culture potachique des étudiants du quartier latin, les plaisanteries d'ateliers des Beaux-Arts, la fantaisie des poètes et les premières performances des élèves du Conservatoire » (Goudeau E., 2000, p. 12).

A la séparation des Hydropathes en 1880, Monin participe à la fondation du groupe des Hirsutes (Goudeau E., 2000, p. 375), puis rejoint les Jemenfoutistes en 1884 (Goudeau E., 2000, p. 524). En parallèle, les fumistes, d’abord installés dans les cafés du quartier latin, migrent vers Montmartre et le cabaret du Chat Noir fondé par Rodolphe Salis (1851-1897) en 1881. Ernest Monin devient alors le médecin officiel de ce nouveau quartier général (Goudeau E., 2000, p. 524). Il participe également aux revues éditées par les fumistes, notamment à la revue du Chat Noir, élaborée dans l’arrière-salle du cabaret. Il est le secrétaire de rédaction du numéro du 17 avril 1886 sous le surnom évocateur de « Dr Monin dégustateur » (Oberthür M., 2007, p. 251).

On sait peu de choses de la fin de la vie d’Ernest Monin car les sources disponibles se raréfient à partir de 1910. En 1913, il est nominé au grade d’Officier de la Légion d’Honneur par le ministre de l’Intérieur, pour une raison encore inconnue (AN LH/1907/46). Âgé de 58 ans en 1914, il n’est alors pas concerné par l’ordre de mobilisation générale. Il n’apparaît d’ailleurs dans aucune des bases de données du ministère des Armées. Il décède le 18 décembre 1928 à l’âge de 72 ans à son domicile du 12 boulevard Raspail à Paris (AN LH/1907/46). Son testament olographe, rédigé en 1910, ne mentionne aucun enfant vivant (MBAAB, s.c.).

Constitution de la collection

La collection rassemblée par Ernest Monin compte environ 1500 objets d’origines diverses. On ignore exactement à quelle période de sa vie il l’a constituée et il n’a laissé à son sujet aucun écrit expliquant sa démarche ou la provenance des objets. L’ensemble des remarques qui vont suivre constituent par conséquent des hypothèses fondées sur l’étude de la collection. Les deux points communs des objets qui la constituent sont leur faible valeur commerciale ainsi que leur petite taille. En effet, à l’exception de quatre grandes statues bouddhiques, la collection d’Ernest Monin n’est composée que de petits objets. Ces derniers sont de nature et de provenance variées et plusieurs ensembles peuvent être identifiés. Tout d’abord, une majorité d’objets sont d’origine occidentale. Il s’agit principalement de boîtes, d’objets de dévotion, de bijoux et de petites sculptures. On y trouve également un ensemble de médailles et d’insignes pour la plupart liés à la vie d’Ernest Monin. Par ailleurs, l’archéologie tient une place importante au sein de la collection. En effet, on y trouve un ensemble d’oushebti et d’amulettes égyptiennes ainsi que des statuettes et amulettes gallo-romaines. La collection comporte également un certain nombre de faux ou copies archéologiques imitant l’Antique et des objets précolombiens. Les objets extra-européens sont également très présents. On trouve dans la collection plusieurs objets provenant du Mexique, du Congo, d’Afrique du nord ainsi qu’une statuette inuit et une boucle d’oreille marquisienne. Chine et Japon sont les deux zones les mieux représentées avec respectivement une quarantaine et une trentaine d’objets. En ce qui concerne la Chine il s’agit principalement de statuettes en pierres dures figurant des personnages parfois liés au taoïsme. Une statuette en métal pourrait également représenter Guanyin à la robe blanche. Les objets japonais quant à eux sont essentiellement de petites statuettes en ivoire inspirées des netsuke. On peut également noter la présence d’une statuette en bois figurant le kami Yebisu et d’une figurine en céramique représentant un démon oni. La collection Monin recèle également quelques statuettes de divinités hindouistes en métal, sans doute des statuettes d’autel domestique ainsi que des statuettes bouddhiques qui pourraient provenir du territoire de l’ancienne Indochine française. Il faut également noter la présence de quatre statues bouddhiques en bois d’environ un mètre de haut, dont une divinité gardienne. La plupart des objets extra-européens semblent pouvoir être rattachés à la catégorie des objets produits spécifiquement pour le marché occidental.

La provenance exacte des objets de la collection Monin n’est à ce jour pas connue. Nombre d’objets d’origine européenne semblent avoir été rapportés par Ernest Monin de ses voyages effectués à l’occasion de manifestations scientifiques. En ce qui concerne les objets extra-occidentaux, aucun élément ne prouve en revanche que le docteur aurait voyagé en dehors des frontières de l’Europe. Il est donc plus probable qu’ils aient été acquis en France où circulent alors des artefacts venus du monde entier. Manuel Charpy décrit ainsi Paris comme une « ville à la proue de la modernité et saturée d’objets de toutes les provenances et de toutes les époques, brassés par les modes, les passions collectives et les aventures individuelles » (2007, p. 105). De la même façon, Manuel Charpy souligne la facilité à se procurer des faux archéologiques et des copies, alors produits en série dans la capitale française (2007, p. 114).

Dans son ensemble, la collection Monin s’inscrit tout à fait dans les pratiques de collectionnisme développées par la bourgeoisie française dans la seconde moitié du XIXe siècle. Le goût de Monin pour les petits objets, qualifiés de « bibelots », exposés aux yeux du visiteur dans une grande armoire vitrée (MBAAB, s. c.), mais aussi pour l’Antiquité et pour les sociétés extra-européennes, alors perçues comme « primitives », correspondent ainsi parfaitement à la description que Manuel Charpy dresse des collections bourgeoises de l’époque (2007, p. 127-128). La présence des nombreuses médailles et insignes d’Ernest Monin n’est pas non plus sans évoquer le développement à la même période d’un intérêt nouveau pour les biographies individuelles et la conservation des objets liés aux étapes de l’existence (Charpy M., 2007, p. 109).

Un examen plus poussé de la collection révèle également un intérêt certain pour la question des religions. Polyptyques et crucifix chrétiens, statuettes bouddhiques, taoïstes, shintoïstes et hindouistes, oushebti égyptiens se côtoient en nombre dans l’armoire d’Ernest Monin. L’intérêt du docteur évoque ainsi le développement dans la seconde moitié du XIXe siècle de l’étude laïque des religions. Cette nouvelle discipline est alors dominée par l’approche comparatiste qui cherche à identifier des schémas communs entre les différents systèmes de croyances. La démarche de Monin n’est ainsi pas sans évoquer, à une échelle beaucoup plus modeste, celle d’Emile Guimet (1836-1918) avec son musée des religions du monde. On peut également s’interroger sur l’influence éventuelle du mouvement fumiste sur la collection d’Ernest Monin (Bernadac A., 2020, p. 111). En effet, l’accumulation des objets les plus divers n’étaient pas une pratique étrangère aux fumistes, proches du mouvement des Arts Incohérents (Grojnowski D., 1997, p. 53). L’arrière-salle du Chat Noir était ainsi connue pour être le lieu d’exposition des trouvailles les plus hétéroclites (Fanfare, 1882, p. 2).

 A sa mort en 1928, Ernest Monin a légué l’intégralité de sa collection au musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon où elle est toujours conservée aujourd’hui.