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Commentaire biographique

Premier de la dynastie des Julliot, Claude-Antoine naît dans le village de Poinchy, en Bourgogne, proche de Chablis, au sein d’une famille aisée. Son père Claude, procureur, meurt avant 1712, laissant son épouse Étiennette Mercier (1658-1741) élever seule leurs enfants. On sait peu de choses sur la formation de Claude-Antoine, sinon qu’il devient marchand mercier le 14 octobre 1719 (Lemonnier P., 1989, p. 41) et qu’il reçoit de son oncle maternel, Edme Mercier, marchand bourgeois de Paris, la somme importante de 28 000 livres (AN, MC, ET/XXXIX/317). Le 13 décembre 1721, il se marie avec Françoise Février (1702-1736) (AN, MC, ET/XXXIX/316), fille de Jacques Février, procureur au parlement de Paris, et petite-fille de Guillaume Daustel (1646-1718), célèbre et riche marchand mercier de la fin du règne de Louis XIV (1638-1715). Dès 1721, le couple loue à Paris à Jean-Baptiste Lemarié Daubigny, conseiller secrétaire du roi, une boutique située quai de Conti, à l’angle de la rue Guénégaud, pour la somme de 1 900 livres par an, où Claude-Antoine tient commerce jusqu’en 1747 (AN, MC, ET/XIX/657). Mais le 22 septembre 1736, Françoise Février décède à l’âge de trente-quatre ans, après lui avoir donné cinq enfants. Il s’ensuit un inventaire après décès dressé à partir du 7 décembre 1736 (AN, MC, ET/XXXIX/353). En 1737, Claude-Antoine se remarie avec Élisabeth Bardeau (AN, MC, ET/XXXIX/355). Il emménage en 1751 (AN, MC, ET/CXII/705/A) rue des Fossés-Monsieur-le-Prince, dans une boutique proche de l’ancien hôtel du prince de Condé. Il résidait toujours à cette adresse lorsqu’il décède le 14 mars 1760 (AN, MC, ET/X/540). À partir de 1751, Claude-Antoine avait diminué de façon très significative son activité de marchand mercier en faveur de son fils Claude-François.

Né en 1727, Claude-François est le cadet des cinq enfants de Claude-Antoine Julliot et de Françoise Février. Orphelin de mère à neuf ans, il suit les traces de son père et devient marchand mercier vers 1752. À cette date, Claude-François Julliot a déjà quitté le quartier familial de la rive gauche pour traverser la Seine et s’installer quai de la Mégisserie, plus en vogue à cette époque. Le 6 février 1753 (AN, MC, ET/XXXVI/474), il se marie avec Marguerite Martin (1732-1776), native de Ribecourt (Oise), un village proche de Noyon. En 1760, il quitte le quai de la Mégisserie pour une adresse plus prestigieuse et très à la mode, dans une maison rue Saint-Honoré, à l’angle de la rue du Four. C’est là qu’il tient boutique à l’enseigne du Curieux des Indes. Marguerite Martin meurt le 27 mai 1776 et Claude-François se voit dans l’obligation, à cause de problèmes financiers, de faire dresser l’inventaire après décès de son épouse à partir du 5 novembre 1777 (AN, MC, ET/X/666) et de mettre à l’encan le stock de son magasin à partir du 20 novembre. Puis Claude-François délaisse la profession de marchand mercier en faveur de son fils Philippe-François. Il meurt dans sa maison rue des Deux-Écus le 30 juin 1794 (Lemonnier P., 1989, p. 41).

Dernier de la dynastie, son fils aîné, Philippe-François, naît en 1755. Il devient marchand mercier vers 1777 et reprend peu de temps après le commerce du Curieux des Indes, rue Saint-Honoré à l’angle de la rue du Four, jusqu’en 1793. Il développe également son activité d’expert lors des ventes aux enchères jusqu’à la fin des années 1780. La Révolution l’oblige à s’installer dans la maison familiale rue des Deux-Écus, puis rue Jean-Jacques-Rousseau. En 1799, il fait faillite et se retire du commerce au début du XIXe siècle (Pradère A., 2005, p. 27). Il meurt le 6 janvier 1836 (Pradère A., 2005, p. 29).

Claude-Antoine

Couvrant presque entièrement le XVIIIe siècle, les Julliot sont incontestablement d’incontournables marchands merciers parisiens. Spécificité propre à leur profession, les Julliot ont vendu une grande diversité d’objets, tableaux, meubles en marqueterie Boulle, bronzes dorés, porcelaines européennes et d’Extrême-Orient, laques, sculptures en bronze ou en marbre et bien d’autres curiosités. Le premier de la dynastie, Claude-Antoine, débute son activité quai de Conti en 1721. Il semble que, dès 1722, il se fournisse auprès des ventes de la Compagnie des Indes à Nantes, en particulier pour des meubles et des panneaux en vernis ou en laque dite de Canton (Wolvesperges T., 2000, p. 166). Il est très vraisemblable qu’il y fait aussi l’acquisition de porcelaines orientales. L’inventaire après décès de son épouse en 1736 nous informe très précisément de son stock à cette date. La prisée des effets, contenus dans le magasin, est réalisée par Simon Poirier, père du célèbre marchand mercier Simon-Philippe Poirier (1720-1785). Quelques meubles en marqueterie Boulle, des meubles, des objets en pietra dura et des cristaux de roche pour des lustres apparaissent dans cet inventaire. Mais la grande majorité de son stock est constitué par des porcelaines et des laques d’Extrême-Orient. On peut ainsi dénombrer pas moins de 3 736 porcelaines orientales, montées ou non, en bronze ou en argent, et 202 objets en laque tels que des tasses, des boîtes et des soucoupes (AN, MC, ET/XXXIX/353). Les descriptions succinctes de l’inventaire ne permettent pas une identification précise des œuvres, mais on peut citer notamment de nombreux jattes et bols en porcelaine du Japon, garnis en argent, des porcelaines de Chine coloriées, des blancs de Chine de Dehua, des porcelaines de Chine à couverte turquoise, des bleus et blancs et des céladons. Entre 1739 et 1744, Claude-Antoine devient fournisseur de la Couronne. Pour le château de Compiègne, il vend en 1740 une commode de bois de la Chine pour le cabinet du roi Louis XV (1710-1774) (AN, O1/3313, fol. 22). En 1741, il fournit pour le château de Choisy une autre commode dite vernis de la Chine (AN, O1/3313, fol. 67vo), ainsi que de nombreuses porcelaines de Chine (AN, O1/3313, fol. 46vo-47). À partir de 1752, Claude-Antoine délaisse son commerce en faveur de son fils. Cependant, lors de son décès en 1760, il tenait encore une boutique rue des Fossés-Monsieur-le-Prince. Comme pour son épouse en 1736, un inventaire est dressé à partir du 20 mars 1760. Jean-Louis Berouin Villercy, un marchand mercier rue Saint-Honoré, est chargé de réaliser la prisée des effets contenus dans la boutique. Cependant, il ne reste plus que 141 objets, dont 109 pièces de porcelaine orientale, composées essentiellement par des urnes et des cornets en porcelaine de Chine bleu et blanc et quelques mortiers en porcelaine du Japon (AN, MC, ET/X/540).

Claude-François

Son successeur Claude-François Julliot bénéficie de la renommée de son père. Dès 1752, il s’installe quai de la Mégisserie. Néanmoins, Claude-Antoine aide financièrement son fils et lui prête, en janvier et novembre 1754, les sommes de 4 200 et de 6 988 livres pour « employer à leur commerce » (AN, MC, ET/CXII/710).

En 1760, Claude-François Julliot emménage rue Saint-Honoré à l’angle de la rue du Four, à l’enseigne du Curieux des Indes. Après le décès de son père, ses affaires se développent de façon significative et il diversifie ses activités, notamment en servant d’expert pour la prisée et la rédaction des catalogues de ventes aux enchères – comme en 1767, pour celui de Jean de Jullienne (1686-1766), où Claude-François Julliot rédige le catalogue raisonné des porcelaines, anciens laques et meubles de Boulle du fameux collectionneur. Il se rend adjudicataire de nombreux lots dans cette vente, tant pour son compte personnel que pour celui de célèbres amateurs comme Augustin Blondel de Gagny (1695-1776), Pierre-Louis-Paul Randon de Boisset (1708-1776) ou Louis-Marie-Augustin, duc d’Aumont (1709-1782). Il bénéficie alors d’une clientèle prestigieuse.

Dès 1768, Louise-Jeanne de Durfort de Duras, duchesse de Mazarin (1735-1781), sélectionne chez Claude-François Julliot une importante quantité d’objets et plus particulièrement des porcelaines orientales. Le 6 février 1773, elle acquiert chez lui deux vases en forme d’urne, à anses de serpent prises dans la matière, d’ancienne porcelaine bleu céleste de la Chine pour 720 livres (collection particulière) (Vriz S., 2011, p. 58-61).

Le 5 novembre 1777, Claude-François se voit dans l’obligation de faire dresser l’inventaire après décès de son épouse, morte le 27 mai 1776. Jean-Louis Berouin Villercy et Simon-Philippe Poirier réalisent la prisée des effets du Curieux des Indes, comportant environ 1 586 objets, dont 1 086 porcelaines et près de 90 objets en laque et en bronze, des meubles en marqueterie, plus particulièrement avec la technique mise au point par Boulle, et des pierres dures, souvent importées d’Orient, comme des porphyres, des granits, des agates et autres marbres antiques (AN, MC, ET/X/666). À partir du 20 novembre 1777, tout le contenu du magasin est présenté sous le feu des enchères, nous laissant une description très précise du fonds de commerce de Claude-François Julliot. La vente comporte 520 lots de porcelaines orientales et 58 lots d’objets et meubles en laque japonaise ou chinoise, à l’instar du lot 639, où l’on reconnaît un kiosque en laque japonais contenant une boîte à encens (Paris, musée du Louvres, MR380-86 ; MR380-87), dont la monture en vermeil a été réalisée par l’orfèvre parisien Antoine Dutry entre 1775 et 1777.

Les clients fidèles de Julliot participent à la vente. Ainsi, la duchesse de Mazarin fait l’acquisition de plusieurs pièces dont une paire de vases en porcelaine céladon chinois datant du XVe siècle (collection privée) (Vriz S., 2018, p. 72-73). Julliot vend également des céramiques japonaises, comme une paire de coquilles transformées en pots-pourris en porcelaine d’Arita, datant de la fin du XVIIe siècle, que l’on peut reconnaître dans les exemplaires conservés au Getty Museum de Los Angeles (inv. 77.DI.90.1-2) (Wilson G., 1999, p. 80-84). Sa vente comporte des céramiques à décors kakiemon, très appréciées au XVIIIe siècle, ainsi que toutes les différentes qualités de porcelaines asiatiques que l’on peut se procurer durant la seconde moitié du Siècle des lumières.

Julliot fait également commerce de meubles en marqueterie Boulle ou genre de Boulle. En effet, il livre en septembre 1777, pour la chambre à coucher du comte d’Artois au palais du Temple, une commode genre de Boulle réalisée par Étienne Levasseur (1721-1798) (Paris, musée du Louvre, dépôt du château de Versailles, inv. 2012.V 3581) (Durand J., Dassas F., 2014, p. 404). Claude-François se retire du commerce peu de temps après 1777. Il décède, proche de la ruine, en 1794, dans sa maison rue des Deux-Écus.

Philippe-François

Dernier de la dynastie, son fils aîné, Philippe-François, lui succède après 1777 et reprend la boutique familiale de la rue Saint-Honoré. Même s’il vend, comme ses aïeuls, des porcelaines et des laques, Philippe-François se spécialise plus particulièrement dans la vente des meubles en marqueterie Boulle, en pietra dura et autres objets en pierre dure, comme en témoigne un dessin aquarellé conservé au musée des Arts décoratifs, qui porte l’inscription « ce dessin a été fait en date du 7 septembre 1784 sous la direction de Philippe-François Julliot fils » (Paris, musée des Arts décoratifs, inv. 25180). Ce projet est à rapprocher d’une commode attribuée à Adam Weisweiller et appartenant aux collections du roi de Suède à Stockholm (inv. O II St 1) (Pradère A., 1989, p. 34-36 et p. 398, fig. 491). Comme son père, Philippe-François est également connu pour ses expertises lors des grandes ventes aux enchères, des plus précieux cabinets, durant les vingt dernières années du XVIIIe siècle. Il réalise notamment la vente de Louis-Marie-Augustin, duc d’Aumont (1709-1782), en décembre 1782, celle de Louis-François-Armand de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu (1696-1788), en décembre 1788 et celle d’Emmanuel Félicité de Durfort, duc de Duras (1715-1789), en décembre 1789. L’analyse de ces catalogues de ventes nous permet de comprendre le commerce de Philippe-François concernant des laques et des porcelaines orientales. Possédant lui-même un cabinet, il est très fréquemment adjudicataire tant pour son compte que pour le compte d’un tiers. Les porcelaines et les laques que les amateurs viennent acquérir au Curieux des Indes, précurseur de l’antiquaire d’aujourd’hui, ne sont plus seulement des créations de Julliot, mais aussi des objets de seconde main.

En 1782, preuve de sa renommée en tant que connaisseur pour les porcelaines, pierres dures et laques d’Extrême-Orient, Louis XVI le charge avec son confrère le marchand Alexandre-Joseph Paillet (1743-1814) de sélectionner, d’estimer et d’acquérir au meilleur prix plus de cinquante lots à la vente du duc d’Aumont afin d’établir, selon les vœux du roi, le futur Muséum. Les événements de la Révolution forcent Philippe-François à quitter la rue du Four pour la rue Jean-Jacques-Rousseau. Sa faillite en 1799 (Pradère A., 2005, p. 27) est suivie par deux ventes de son stock en mars et novembre 1802.