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Commentaire biographique

Né vers 1703, Lazare Duvaux meurt à Paris le 23 novembre 1758, « âgé d’environ 55 ans » et est inhumé le lendemain en l’église Saint-Eustache (AN, MC/ET/XCIV/290, 29 novembre 1758. Duvaux, 1873, I, p. LXVIII, LXXXIII et II, p. 380, note 1).

Lazare Duvaux commence probablement son activité commerciale à la fin des années 1720 ou au début des années 1730. Louis Courajod mentionne sa boutique sise rue de la Monnaie, à l’enseigne du Chagrin de Turquie (Duvaux L., 1873, I, p. LXIX). Duvaux déménage ensuite, car, le 20 septembre 1739, il est qualifié de « bourgeois de Paris y demeurant rue Saint-Honoré » (AN, Y 4567B). Le 5 août 1758, Lazare Duvaux signe un bail avec Thomas Joachim Hébert, ancien marchand mercier devenu écuyer, secrétaire du roi, pour la location d’une maison rue Saint-Honoré, située en face de l’hôtel d’Aligre (en face des actuels nos 121-125), où il meurt trois mois plus tard, le 23 novembre 1758 (AN, MC/ET/CXIII/398, 5 août 1758). Lazare Duvaux disposait également à l’hôtel de Lisieux, rue Saint-Germain l’Auxerrois, d’une écurie pour un cheval et d’une remise pour sa voiture à deux places, véhicule indispensable pour ses déplacements dans l’exercice de son métier (AN, MC/ET/XCIV/290, 29 novembre 1758).

Le 18 juillet 1755, Duvaux succède à Claude Roussel (mort en 1755) dans la charge d’orfèvre joaillier du roi (AN, O1 *99, f. 201. Duvaux, 1873, I, p. LXXVI, LXXVII) et reçoit le privilège d’être « marchand suivant la Cour » avant 1756.

À sa mort, sa veuve, Françoise-Nicole Boutron, poursuit l’activité commerciale de son mari jusqu’au 26 avril 1759 (Duvaux L., 1873, II, p. 380, note 1 et p. 390), puis vend le fonds de commerce aux enchères à partir du 3 décembre 1759 au 7 janvier 1760 (Annonces, affiches et avis divers, 26 novembre 1759, p. 731 ; 29 novembre 1759, p. 739 ; 17 décembre 1759, p. 779 et 3 janvier 1760, p. 4). Son fils, Jean-François Duvaux, alors âgé de quinze ans, ne reprend donc pas la boutique. Il entre ensuite au service du comte d’Artois comme écuyer maître d’hôtel et est gendarme de la garde du roi (AN, MC/ET/LXIX/768, 8-10 février 1783).

Le métier de marchand mercier

Lazare Duvaux appartient au corps des marchands merciers, dont la première mention date de 1137. Les statuts de juillet 1601 et surtout ceux de janvier 1613 posent les cadres juridiques de leurs activités commerciales extrêmement variées, depuis la vente de charbon de bois ou de jambon à celle des brocarts. À la fin du XVIIe siècle, la corporation compte vingt spécialités, celle du commerce des meubles et objets d’art ayant émergé au cours du règne de Louis XIV (1638-1715) [Castelluccio S., 2014].

L’originalité des statuts du corps des merciers réside dans leur interdiction de fabriquer : seul « l’enjolivement », c’est-à-dire un complément, leur est accordé. Cette restriction fait le succès des merciers spécialisés dans le commerce du mobilier et des objets d’art : ils peuvent vendre des meubles et des objets d’occasion, dit « de hasard » au XVIIIe siècle, mais surtout des porcelaines et des laques d’Orient, ainsi que des porcelaines des manufactures européennes (Chantilly, Sèvres, Meissen) « enjolivés » de montures de bronze doré.

Cette liberté leur permet d’être à l’origine de nombreuses créations dans les domaines du mobilier et des objets, et de faire preuve d’une grande originalité afin d’attirer et de conserver leur clientèle aristocratique avide de nouveautés et de luxe (Duvaux L., 1873, I ; Vidal-Duru, 1911 ; Verlet, 1958 ; Watson F., septembre 1967 ; Sargentson, 1996 ; Castelluccio S., 2014).

Les marchandises

Deux documents détaillent le commerce de Lazare Duvaux avec, d’une part, son Journal du crédit ou Livre-journal, dans lequel tout commerçant devait enregistrer ses activités commerciales au jour le jour depuis l’ordonnance sur le commerce promulguée en 1673. Duvaux y consignait la date de la vente, le nom du client, le type de marchandises vendues ou de services rendus, le montant de la transaction, le règlement ou le solde des achats (Duvaux, 1873, II). D’autre part, son inventaire après décès dresse un état de son stock à sa mort, avec une estimation des marchandises en magasin (AN, MC/ET/XCIV/290, 29 novembre 1758).

La boutique de Lazare Duvaux proposait une grande variété de meubles d’ébénisterie avec encoignures, tables, commodes, commodes plaquées de laques de Coromandel, armoires, tables de nuit, secrétaires, tables à jeu, bidets, serre-papiers, table de toilette et autres. Le choix des meubles de menuiserie était moins large avec écrans, paravents, fauteuils de toilette, pieds de table et de consoles ou des petites consoles de bois doré.

Pour l’éclairage, il fournissait des lustres garnis de cristaux de Bohème, des girandoles et des chandeliers.

Duvaux vendait une grande variété de porcelaines de Chine et du Japon (vases, statuettes d’animaux, figures), vendues montées ou non, ainsi qu’en garniture de girandoles, de pendules ou de lustres. La part de porcelaine d’usage (assiettes, tasses, gobelets, théières…) paraît minoritaire (Castelluccio S., 2013).

Les laques de Chine et du Japon demeuraient très appréciés pour leur rareté et leur raffinement (Castelluccio S., 2019a). Duvaux débitait un large assortiment de cabarets, de boîtes, de théières, de plateaux de laque, garnis ou non de bronze ou d’argent doré, voire d’or pour les pièces les plus raffinées. Il proposait également des meubles occidentaux (commodes, secrétaires…) ornés de panneaux de laque ou de vernis Martin, imitation occidentale des laques d’Orient.

Les papiers peints de Chine connaissent un succès croissant jusque dans les années 1770. Leur fantaisie, leurs couleurs chatoyantes et leurs motifs de fleurs et d’oiseaux séduisent les amateurs pour le décor des murs de leurs cabinets ainsi que pour garnir paravents et écrans (Castelluccio S., 2018a).

Parallèlement aux porcelaines d’Orient, Duvaux vend les nouvelles productions européennes dans ce domaine avec particulièrement celles de Saxe. Les sculptures dominent et constituent l’élément central d’ensembles créés par les merciers comme des girandoles, des bras de lumière, des écritoires, des pendules…, à l’égal de celles d’Orient. Entre 1748 et 1758, des 394 ventes de porcelaines de Saxe effectuées par Duvaux, un tiers se composait d’objets montés et un quart de sculptures. En revanche, les porcelaines de Chantilly demeurent marginales et, de 1748 à 1758, Duvaux n’en vendit que trois fois et uniquement des pots de chambre (Castelluccio S., 2020).

Lazare Duvaux est un des revendeurs officiels de la manufacture de Vincennes-Sèvres, depuis les pièces destinées à l’usage de la table, dont des services complets, aux vases d’ornement et aux sculptures en biscuit. Le montant de ses achats à la manufacture de Sèvres impressionne : pour l’année 1758, il lui achète pour 73 589 livres de marchandises, « déduction faite de la remise de douze pour cent » dont il bénéficie, sans doute en raison des importants volumes acquis (AN, MC/ET/XCIV/290, 29 novembre 1758).

Son stock comprend également des trumeaux de glace et les accessoires nécessaires à son ornementation, tels que les bras de lumière ou les chenets, le tout de bronze doré. Il vend également des tableaux à accrocher sur les murs ou à placer en dessus de porte.

De menus objets complètent la diversité de son offre, avec des petits bronzes d’ornement, des cachets d’argent pour sceller lettres et documents, des fontaines, des écritoires d’argent, des tabatières, des étuis divers, des soufflets, des stores, des pièces d’orfèvrerie et même des colliers pour chiens.

Les mêmes types de meubles et d’objets se retrouvent dans son inventaire après décès (AN, MC/ET/XCIV/290, 29 novembre 1758), lequel décompte 642 porcelaines de Chine et du Japon, 109 pièces de porcelaine de Saxe, 16 d’Angleterre et seulement 5 « de France », c’est-à-dire de Sèvres. Aucune production de Chantilly n’apparaît. L’ensemble de laques comprenait 121 pièces. Duvaux avait en réserve treize meubles d’ébénisterie (commodes, armoires, secrétaire, encoignures) plaqués de laque.

Les activités commerciales

À sa mort, Lazare Duvaux emploie Jacques Antoine Rousseau et Jean Henri de Beaussen comme garçons de boutique.

L’activité commerciale d’un mercier ne se limite pas à la vente pour se doubler de nombreux services à la clientèle. Les achats sont livrés au domicile du client et Duvaux se charge également de la pose des trumeaux de glace, des bras de cheminée, ainsi que des papiers peints chinois (Castelluccio S., 2018a). Il propose bien entendu des garnitures pour les porcelaines, tant d’Orient que d’Europe, généralement en bronze doré.

Duvaux entretient et répare tous les types de marchandises, depuis les bronzes vernis ou dorés aux lustres, en passant par les papiers peints déchirés, les pièces d’orfèvrerie cassées, les mouvements de montres, les clefs… Il vend des vitres pour remplacer celle cassée d’une lanterne ou pour les estampes à encadrer et accepte le troc d’un objet contre un autre.

Il joue également le rôle de commissionnaire pour des clients et achète pour leur compte lors des ventes après décès, telle celle du duc de Tallard (1684-1755) en 1756.

La richesse de son fonds de commerce lui permet de meubler plus ou moins complètement des résidences, comme les châteaux de Crécy et de Champs ou l’appartement à Compiègne pour la marquise de Pompadour (1721-1764). Duvaux se charge également du déménagement de son château de Crécy, dont il transfère une partie des meubles dans celui de Champs en septembre-octobre 1757. Mme de Pompadour lui confie également l’entretien des ébénisteries et des bronzes dorés de son château de Bellevue.

Duvaux livre de même le mobilier des pavillons des Hubis et de Verrière et celui du château de Saint-Hubert pour Louis XV (1710-1774), ainsi que celui de la résidence de M. de Fontferrière à Auteuil.

En cas d’expéditions en province ou à l’étranger, Duvaux se charge de l’emballage, de la mise en caisse (dans de la paille et du foin) et de la livraison au voiturier chargé du transport des marchandises.

Le ministère des Affaires étrangères n’hésite pas à faire appel à Duvaux pour composer les présents diplomatiques, comme ce fut le cas pour ceux destinés à la Russie et au Danemark.

Les équipes d’artisans

Pour assurer cette grande variété de service, Lazare Duvaux fait appel à son équipe d’artisans. À sa mort, il travaille avec les horlogers Moisy, Lenoir et Mallon, le sculpteur Houllier, les fondeurs Leroy, Passe, Gallien, Buron, Vassan, Dugué et Osmont, les garnisseurs Collet et Nolleau, le doreur Amelin et l’argenteur Lemoine, les orfèvres Bellanger et Ducrollay, les ébénistes Macré et Dubois, le marbrier Trouard, ainsi que les vernisseurs Martin et Huet (AN, MC/ET/XCIV/290, 29 novembre 1758).

La clientèle

Comme la majorité des marchands merciers spécialisés dans le commerce des meubles et des objets d’art, Lazare Duvaux se place dans le créneau du luxe pour toucher la clientèle la plus consommatrice, c’est-à-dire la famille royale et l’aristocratie française et européenne.

Si sa première livraison pour le Garde-Meuble de la Couronne apparaît le 29 janvier 1746 (AN, O1 *3314, f° 4), Lazare Duvaux devient le marchand habituel de Louis XV, de Marie Leszczinska (1703-1768) et de la famille royale vers 1747. Les souverains, le Dauphin et la seconde Dauphine, Marie Josèphe de Saxe (1731-1767), et les Filles du roi apparaissent ensuite régulièrement dans son Livre-journal jusqu’à la fin de son activité commerciale.

Sa clientèle comprend la haute aristocratie et les financiers. De grands collectionneurs, tels les ducs d’Aumont (1709-1782) [Castelluccio S., 2011, p. 76] et de Tallard, le peintre François Boucher (1703-1770) (Castelluccio S., 2019b ; Rimaud Y., 2019), Louis Augustin Angran de Fonspertuis (1669-1747), Augustin Blondel de Gagny (1685-1776) et son fils Barthélémy Augustin Blondel d’Azaincourt, Gaignat, Jean de Julienne (1686-1766) ou Ange Laurent de Lalive de July (1725-1779) n’hésitaient pas à se fournir chez lui, en laques, porcelaines et autres objets d’Orient, preuve de la grande qualité de ses marchandises.

Enfin, autre pratique habituelle chez les marchands, la vente entre confrères, pour combler une lacune de leur stock ou pour répondre rapidement au souhait d’un client. Apparaissent ainsi les merciers Dulac, Fayolle, Thomas-Joachim Hébert (1687-1773), les La Fresnaye, les Le Brun, Machard, l’orfèvre Jean Ducrollay (v. 1708-après 1776) ou les faïenciers Gilles Bazin et Bailly (Duvaux L., 1873, II).

Conclusion

Lazare Duvaux apparaît comme un des merciers les plus célèbres du XVIIIe siècle, en grande partie grâce à la conservation de son Livre-journal. Ce dernier présente la richesse de son fonds de commerce, la variété et la complexité de son activité commerciale, ainsi que la diversité des profils sociologiques de sa clientèle. Un mercier endossait les rôles de marchand, d’antiquaire, de décorateur, de commissionnaire, tout en assurant des services après-vente divers et appréciés. Ce document, complété de son inventaire après décès et des nombreuses études, permettent d’appréhender le rôle capital des merciers dans le développement du commerce du luxe à Paris au XVIIIe siècle, dans la diffusion des productions des artisans et des manufactures, en particulier celle de porcelaine de Sèvres.