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Commentaire biographique

Antoine Léonard Joseph Delanarde est un antiquaire parisien actif à la fin du xixe siècle. Il est né le 8 novembre 1839 à Tours, au domicile de ses parents, Léonard Delanarde et Marie Célestine Philipeaux. Un jugement du tribunal civil de Tours du 22 juillet 1869 rectifie son acte de naissance – il convient désormais d’écrire son patronyme en trois mots : De la Narde (AD 37, 6NUM8/261/153).

D’origine modeste, son activité de commerçant est attestée à Paris dès 1871. Selon l’Annuaire-almanach du commerce Didot-Bottin de la même année, il est « négociant » dans le quartier parisien du Château-d’Eau. En 1874, son affaire prend le nom de « A. de la Narde et Cie » et il est précisé que ses activités se développent dans l’importation et l’exportation. L’année 1883 marque un changement : il est renseigné au 14, rue Saint-Georges pour un commerce de « chinoiseries et japoneries » (Annuaire-almanach, 1883, p. 2316). Il semble que son activité de marchand d’art japonais et chinois ait commencé plus tôt, puisque le 14 juin 1879, Edmond de Goncourt mentionne dans son Journal sa visite chez « un nouveau », M. de la Narde, où il achète des objets japonais. C’est dans ce même Journal que Goncourt raconte avoir vu, le samedi 29 juin 1889, L’Origine du monde de Gustave Courbet (1866, Paris, musée d’Orsay) chez la Narde. Ce dernier l’aurait ensuite vendu à Louis-Charles-Émile Vial. Le contexte d’arrivée de l’œuvre dans la boutique de La Narde reste inconnu (Savatier T., 2006, p. 109, musée Courbet, 2014, p. 14) : sa spécialisation affichée dans l’art asiatique ne semble pas l’avoir empêché de réaliser des transactions d’objets d’autres provenances, comme le tableau de Courbet ou encore les quatre panneaux en faïence de Delft qu’il propose à l’Union centrale des arts décoratifs (UCAD) le 1er juin 1889 (Archives de l’UCAD, C2/13). Il est particulièrement actif lors des ventes aux enchères parisiennes d’art asiatique (L. Saint-Raymond, 2019, annexe).

La Narde est proche de l’Union centrale, il prête des œuvres à plusieurs reprises pour les expositions temporaires qu’elle organise (Quette B., 2018, p. 14 ; Revue des Arts décoratifs, 1884-1885, p. 101). Actif dans les grandes manifestations parisiennes, il est remarqué pour ses collections japonaises lors de l’Exposition universelle de 1878 (Gasnault P., 1878, p. 910 et Duranty E., 1878, p. 1012, 1018, 1020). Il vend régulièrement auprès des grands musées jusqu’à la fin du siècle. Si le commerce d’Antoine de la Narde porte son nom, il n’en est pas le seul acteur : il s’est entouré de collaborateurs, dont les patronymes sont aujourd’hui oubliés. Un certain « Anubigny » ou « Aubigny » signe des documents pour La Narde, comme en témoigne une facture de dépôt conservée dans les archives de l’UCAD datée du 11 mars 1885. La dernière apparition d’Antoine de la Narde dans l’Annuaire-almanach semble dater de 1901 : il a alors déménagé 10, rue Saint-Georges (Annuaire-almanach, p. 678). Toutefois, il aurait fui la France pour le Brésil à la suite d’une condamnation judiciaire à la fin de l’année précédente qui lui vaut d’être rayé des matricules de la Légion d’honneur qu’il avait reçue en 1872 (AN, LH/1464/3). Il se remarie avec Louise Corbin à Montreux (Suisse) en juin 1909, après la mort de sa première épouse, et finit sa vie en exil. La date de sa disparition n’est pas connue ; elle aurait eu lieu après 1912 (L’Action française, 3 août 1912).

A. de la Narde et Cie

Retrouver des traces des objets passés entre les mains d’un antiquaire parisien est toujours une affaire délicate, surtout en l’absence d’archives privées localisées ou d’écrits de celui-ci. La Narde est désigné par Paul Gasnault comme un « amateur » (Gasnault P., 1878, p. 910), ce qui témoigne de la porosité entre les activités commerciales et privées de ce marchand. Il semble lui-même considérer son stock comme une collection, étiquetant ses objets « A. N. Collections de la Chine et du Japon. Rue Saint-Georges. 14. Paris » (l’assiette MG 9002 conservée au MNAAG porte cette étiquette).

À partir des achats effectués pour cinq collections muséales (le musée Guimet, l’UCAD, le musée Adrien-Dubouché de Limoges, la collection extrême-orientale du Louvre et la collection Grandidier), il est possible d’approcher la nature des objets vendus par La Narde. Cette étude, en aucun cas exhaustive, sera amenée à être complétée par des recherches ultérieures (on sait, par exemple, qu’il a donné des objets au musée de la Céramique de Sèvres et qu’il a vendu de nombreux objets à Clémence d’Ennery). Bien qu’il affiche une spécialisation dans les arts de la Chine et du Japon, ses ventes témoignent de son ouverture, ou de son opportunisme, envers d’autres objets asiatiques. Il vend en 1899 une boîte à Émile Guimet, qui est aujourd’hui identifiée comme étant peut-être birmane (MNAAG, inv. EG 1059). Entre 1887 et 1895, il fournit au musée Guimet au moins 42 objets asiatiques de provenances, d’époques et de matériaux divers : quinze grès et porcelaines japonais, la plupart du xixe siècle, cinq céramiques chinoises, un vase en cornaline et une statuette en cristal de roche chinois, quatre kakémonos des xixe et xve siècles, trois bronzes tibétains de la fin du xviiie ou du début du xixe siècles, dix statuettes japonaises en bois et trois dessins japonais du xixe siècle (base Micromusée du MNAAG).

L’UCAD choisit d’acquérir chez ce marchand plusieurs objets entre 1885 et 1893 : quatre porcelaines et un émail cloisonné chinois, un vase en bronze Ming, trois céladons, quatre peignes et épingles à cheveux et une coupe en émail cloisonné japonais ainsi qu’une « faïence (sic) » de Satsuma. La Narde vend également vingt pièces de céramique au musée Adrien-Dubouché de Limoges entre 1882 et 1883, dont la plupart sont japonaises (Archives du musée Adrien-Dubouché, 2e registre céramique).

Au Louvre, La Narde fournit des pièces pour la collection d’Extrême-Orient du département des Objets d’art du Moyen Âge, de la Renaissance et des Temps modernes : le musée lui achète en 1894 un kakémono attribué à Yusho et daté du xvie siècle (MNAAG, inv. EO 84). Il vend un grand nombre de céramiques chinoises et surtout japonaises à Ernest Grandidier (1833-1912) : pour ce collectionneur, La Narde est un marchand estimé, et il lui achète un peu plus de 500 objets (Chopard L., 2020). Pour les céramiques chinoises, il s’agit de pièces Qing, dont certaines sont de haute qualité, comme le bol à décor d’émaux polychromes G 2890 décoré dans les ateliers du palais impérial de Pékin (Besse X., 2004, p. 127), mais aussi des pièces plus anciennes, certaines datant des dynasties Song (960-1279), Jin (1115-1234), Yuan (1279-1368) et de celle des Ming (1368-1644). Parmi ces dernières, une délicate coupe sur pied à décor de dragon en bleu et blanc (MNAAG, inv. G 2787), dont la marque du règne de Xuande, aujourd’hui considérée comme authentique (Besse X., 2004, p. 60), n’avait pas été reconnue comme telle par le collectionneur (MNAAG, inventaire en deux registres reliés de la collection Grandidier, t. I, p. 264).