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Commentaire biographique

Jacques Doucet couturier

Jacques Doucet naît le 19 février 1853 au sein d’une entreprise familiale de mode : son père, Édouard Doucet, possède une boutique de chemises pour hommes et sa mère, Mathilde Doucet (née Gonnard), une affaire de dentelles et lingerie pour dames au 21, rue de la Paix à Paris (« Trente ans de mode », Vogue, 1er mars 1923, p. 3-11). Doucet commence à travailler dans le commerce familial vers 1875 et le développe pour le transformer en maison de couture. En janvier 1888, il quitte l’appartement familial pour s’installer seul au 27, rue de la Ville-l’Évêque.

À partir de 1890, Doucet reçoit ses premières commandes de robes pour une clientèle parisienne fortunée. Son nom commence à apparaître sous des gravures de mode. Il hérite en 1898, à la mort de son père, de la maison de couture, devenue maison de haute couture (Calderini L., 2016, p. 244-246).

Doucet travaille avec le modéliste José de La Peña de Guzman et de futurs grands couturiers comme Paul Poiret, employé de Doucet entre 1896 et 1900, ou Madeleine Vionnet qui lui succède à partir de 1907. Il confie également une grande partie de la gestion de la maison de couture à son ami et homme de confiance, Charles Pardinel (Chapon F., 2006, p. 69-71).

Entre 1913 et 1920 Doucet patronne la Gazette du bon ton, publication mensuelle qui présente ses modèles et ceux d’autres couturiers à chaque livraison (Chapon F., 2006, p. 97, note 120).

La rue Spontini et l’art ancien

L’année 1903 marque un tournant dans la vie personnelle de Doucet : il conçoit le projet de se faire construire un hôtel particulier, futur écrin pour sa collection, au 19, rue Spontini, à Paris. Louis Parent en est l’architecte, associé aux décorateurs Georges Hoentschel et Adrien Karbowsky. Achevé en 1906, cet hôtel n’accueille toutefois la collection de Doucet qu’à l’été 1907 (AP, casier sanitaire, 17-19, rue Spontini, 3589W 2104 et avril 1903, ventes par la société Menier à M. Doucet, MFontana, notaire, AN, MC/ET/XCII).

Entre 1909 et 1913, Jacques Doucet est également trésorier de la Société de reproduction des dessins de maîtres fondée à Paris en 1909 et présidée par Jean Guiffrey (1870-1952) : « La Société de reproduction des dessins de maître est une réunion de savants et d’amateurs qui se proposent la reproduction, par les procédés les plus exacts, des dessins anciens et modernes, français et étrangers, conservés dans les collections publiques et privées de France » (Incipit, Société de reproduction des Dessins de maîtres, non paginé, première et deuxième année, 1909-1910). Son siège se trouve au 19, rue Spontini. En 1911, Doucet assume cette fois encore le rôle de trésorier pour la nouvelle Société française de reproduction de manuscrits à peintures, puis il participe en 1912 à la création de la Société pour l’étude de la gravure française (Chapon F., 2006, p. 192-193). Il effectue aussi plusieurs voyages pendant ces années : en Égypte en mars 1909, à Naples, en Grèce, en Dalmatie au printemps 1911, puis en Allemagne la même année, et en Italie à nouveau avec André Suarès en 1913 (Chapon F., 2006, p. 38).

Vraisemblablement en raison de la mort de sa maîtresse en février 1911, assassinée par son mari, il vend sa collection d’art ancien en juin 1912 et quitte en décembre 1913 son hôtel de la rue Spontini (Delatour, J., 2019).

La bibliothèque d’art et d’archéologie

Parallèlement à l’édification de son hôtel particulier rue Spontini, Doucet commence à rassembler une documentation qui donne naissance entre 1906 et 1914 à une bibliothèque d’art et d’archéologie, il souhaite en effet pallier l’absence en France d’un tel fonds spécialisé. Celle-ci ouvre au public en avril 1909, au 16, rue Spontini, avec le critique d’art René-Jean (1879-1947) à sa tête (Lettre de Jean Sineux à Pierre Lelièvre, 18 octobre 1943 ; AN, AJ 16 8388, cité par Sarda M.-A., 2021).

La bibliothèque conserve des publications de référence, une documentation photographique ainsi que de nombreuses sources (archives, manuscrits, autographes, ouvrages anciens, catalogues de vente…). Ce fonds accueille aussi des estampes et des dessins. En 1905, Doucet échange ainsi avec des artistes contemporains pour constituer un cabinet de dessins et d’estampes modernes pour la bibliothèque(Debray C., 2016, p. 135). Noël Clément-Janin (1862-1947) prend ses fonctions de conservateur du cabinet des estampes modernes le 1er septembre 1911 (1862-1947) (Georgel C., 2016-1). Doucet fait également appel à des spécialistes comme l’orientaliste Édouard Chavannes (1865-1918) qui le conseille pour l’acquisition de 200 volumes chinois entre 1909 et 1917 et à qui il acquiert les fonds photographiques de sa mission en Chine du Nord et en Mandchourie en 1907-1908. Doucet achète aussi les fonds photographiques de la mission archéologique de Victor Segalen en Chine, en 1914, qu’il a financée, ainsi que ceux de la mission de Paul Pelliot aux confins de la Chine et du Turkestan, entre 1906 et 1910, ou encore de Victor Goloubew en Inde du Nord en 1910-1911 (Labrusse R., 2016, p. 156).

Doucet soutient activement les six expositions consacrées à l’histoire de l’estampe japonaise organisées par Charles Vignier entre 1909 et 1914 au musée des Arts décoratifs : il y prête les estampes des collections de la bibliothèque d’art et d’archéologie et finance les expositions (Labrusse R., 2016, p. 156).

Doucet fait don de la bibliothèque à l’université de Paris le 1er janvier 1918.

Avenue du bois et studio Saint-James : mécéner l’art moderne

En décembre 1913, Doucet emménage dans un appartement au 46, avenue du Bois à Paris. Le mobilier et la décoration sont l’œuvre d’Iribe, de l’atelier Martine de Paul Poiret, d’Eileen Gray, Clément Rousseau, Gaston Le Bourgeois, René et Suzanne Lalique (Possémé E., 2016, p. 116). Au même moment, il commence son activité de mécénat auprès d’artistes tels que Picabia, Adler et Legrain. En 1919, il épouse à soixante-six ans, sous contrat de mariage, Jeanne Roger (1861-1958), une de ses anciennes compagnes, revenue auprès de lui en 1917 (Possémé E., 2016, p. 116, Delatour, J., 2019 et contrat de mariage de Jacques Doucet et Jeanne Roger, AN, MC/ET/XCII/1814, étude 92). Après la guerre, Doucet modifie l’aménagement de son appartement avenue du Bois pour y placer des meubles de Pierre Legrain ou de Marcel Coard, privilégiant du mobilier qui s’inspire du mouvement cubiste et de l’art africain (Possémé E., 2016, p. 116 et 122).

Entre 1916 et 1925, il acquiert aussi la propriété des Nonettes, à Villers-sous-Esquery (Oise) (legs de Jacques Doucet, AN, MC/ET/XCII/1972). Il possède par ailleurs un pavillon de chasse à Nouan-le-Fuzelier, le « château des Fontaines » (Peylhard A.-M., 2016, p. 232).

Doucet vend sa maison de couture en 1925 et cesse alors son activité professionnelle (Peylhard A.-M., 2016, p. 233). Il consacre la dernière partie de sa vie à une nouvelle entreprise décorative : à partir de 1926, il charge l’architecte Paul Ruaud de modifier un bâtiment annexe de l’hôtel particulier que possède sa femme au 33, rue Saint-James à Neuilly. Il souhaite y installer un « studio ». Le couple s’installe dans l’hôtel particulier en août 1928, mais le collectionneur meurt d’une crise cardiaque en octobre 1929, peu de temps après la fin de l’aménagement du studio (Georgel C., 2016-2).

La bibliothèque littéraire

Le 2 juillet 1914, André Suarès, rencontré un an auparavant chez des amis communs, suggère à Doucet de se constituer une « librairie à la Montaigne ». Le couturier reprend l’idée à son compte deux ans plus tard, en mai 1916, priant Suarès de lui indiquer le nom des auteurs à rechercher pour enrichir sa bibliothèque, « en dehors du quatuor dont elle est formée » (Claudel, Gide, Jammes, Suarès, auxquels il ajoute Valéry). En 1921, André Breton entre au service de Doucet (Calderini L., 2016, p. 247). L’amie d’André Suarès, Marie Dormoy, lui succède en 1925 comme bibliothécaire, dans les locaux du 2, rue de Noisiel. Pendant treize années, jusqu’en 1929, Doucet fait rassembler non seulement des éditions rares et des reliures précieuses, mais également tout ce qui concourt à documenter la création contemporaine : épreuves, manuscrits, correspondances. Pour cela, il s’adjoint les services d’écrivains, tels qu’André Suarès, Pierre Reverdy, Max Jacob, Guillaume Apollinaire, Blaise Cendrars, Raymond Radiguet, André Breton, Louis Aragon, Robert Desnos et bien d’autres encore.

Cette bibliothèque est léguée par Doucet à l’Université de Paris à sa mort en 1929 (Chapon F., 2006, p. 313-377).

Constitution de la collection

La manière dont Doucet compose sa collection, la chronologie et les modalités de ses acquisitions sont mal connues. Aucun document, carnet d’adresses contemporain, inventaire ou liste, qui permettrait de dater les entrées des œuvres et d’identifier ses fournisseurs n’a été retrouvé à ce jour. Sa correspondance n’a été conservée qu’en partie et ne donne pas davantage d’éléments à ce sujet. Néanmoins, celui-ci semble avoir acheté de manière très variée et aussi bien à d’autres collectionneurs, en vente publique, à des descendants d’artistes ou encore auprès de marchands.

De l’impressionnisme au XVIIIe siècle

Comme Jacques Doucet le raconte à Félix Fénéon, il aurait d’abord commencé à collectionner, dès 1874, des œuvres impressionnistes (Fénéon F., 1921, p. 313). Anne Distel note que la « collection restreinte d’œuvres impressionnistes constituée par Jacques Doucet dès 1879-1880, où Monet, Degas, Pissarro et Cassatt, complété par Raffaëlli et Forain […] paraît réservée à la sphère privée de l’amateur ». Ces œuvres n’apparaissent que « comme des exceptions » dans les salons de réception de Jacques Doucet jusqu’en 1912 (Distel A., 2016, p. 98-111). Elles ont vraisemblablement été revendues pour la plupart avant 1907, date de l’emménagement de Doucet dans son hôtel de la rue Spontini. Son assureur n’y relève alors que trois peintures modernes : Le Lièvre, par Édouard Manet, entré dans sa collection en 1906, le Paysage d’hiver à Louveciennes par Alfred Sisley et L’Amateur d’estampes, par Honoré Daumier. Doucet achète cependant à nouveau des œuvres impressionnistes dès son installation dans ce nouvel hôtel, avec notamment des toiles de Degas en 1907 et Van Gogh en 1909 (Georgel C., 2016, p. 94 et Distel A., 2016, p. 109).

Achevé en 1906, l’hôtel de la rue Spontini n’accueille toutefois la collection de Doucet qu’à l’été 1907 (AP, casier sanitaire, 17-19, rue Spontini, 3589W 2104 et AN, avril 1903, ventes par la société Menier à M. Doucet, Me Fontana, notaire, MC/ET/XCII). En 1905 et 1906, le collectionneur prépare minutieusement son emménagement, ajustant pour cela la composition de sa collection. Les 16 et 17 mai 1906, il organise la première dispersion aux enchères d’une partie de sa collection (Catalogue des tableaux anciens, pastels, dessins, aquarelles, sculptures, objets d’art et d’ameublement du XVIIIe siècle provenant de la collection de M. J. D…, 1906). Doucet trie manifestement à l’occasion de cette vente les œuvres de sa collection XVIIIe, en écartant les éléments mineurs voire faux (voir les annotations dépréciatives en marge de l’exemplaire du catalogue conservé à la BnF, YD-1 (A, 1906-05-16)-4).

Après l’écrémage de 1906, la collection XVIIIe de Jacques Doucet a gagné en qualité. Pour la peinture, elle compte quelques pièces qui font la convoitise des musées, comme le portrait de Duval de l’Epinoy, par Maurice Quentin de La Tour, celui d’Abraham de Robais par Jean-Baptiste Perroneau ou le Projet d’aménagement de la grande galerie du Louvre et L’Incendie de l’Opéra, vu des jardins du Palais-Royal, le 8 juin 1781 par Hubert Robert. Cependant, cette collection de peintures et de dessins français, nettement centrée sur la figure humaine et le portrait, est numériquement peu importante par comparaison aux collections XVIIIe contemporaines de Camille Groult ou du marquis d’Hertford (Faroult G., 2016, p. 36). De même, des œuvres importantes de Clodion, Lemoyne et Houdon se trouvent parmi les sculptures, mais cela ne rend aucunement unique la collection de sculpture française de Doucet par rapport à celles rassemblées par Mme Arman de Cavaillet, Pierre Decourcelle ou Guillaume de Gontaut-Biron (Scherf G., 2016, p. 50).

La vente de 1912 et la dispersion de la collection d’art du XVIIIe siècle

Doucet ne justifie pas clairement la vente de sa collection XVIIIe et son départ de l’hôtel Spontini. En 1921 il déclare à Félix Fénéon à propos de son changement de cap en tant que collectionneur : « Choses anciennes, choses mortes, et je préfère à la poussière la vie » (Fénéon F., 1921, p. 313-318). Dès octobre 1911, le Burlington Magazine informe ses lecteurs britanniques que la vente des « peintures et objets du XVIIIe siècle » aura lieu l’année suivante (R.E.D., 1911, p. 62). François Chapon et Sébastien Quéquet ont analysé dans le détail la préparation et le déroulement de la vente qui se déroula du 5 au 8 juin 1912 à la galerie Georges Petit (Chapon F., 2006, p. 199-223 et Quéquet S., 2016, p. 84-91). Publié en trois volumes, le catalogue est d’une qualité scientifique alors exceptionnelle. Le travail scientifique de valorisation de la collection ainsi que la publicité organisée autour de la vente permettent au moment total des adjudications d’atteindre un montant total de 13 884 460 francs, qui dépasse les records de vente des années précédentes (Quéquet S., 2016, p. 85-86).

Charles Vignier et la collection d’art asiatique

Parallèlement à cet ensemble dans lequel l’art français du XVIIIe siècle domine, Doucet possède depuis les années 1890 au moins une petite collection d’art asiatique qu’il présente avec sa collection XVIIIe et qu’il décide d’enrichir de manière systématique avec l’aide du marchand Charles Vignier entre 1906 et 1912. « Croyez-vous que j’aie mes chances, en commençant tardivement une collection d’objets d’Orient et d’Extrême-Orient, de me situer au rang des principaux amateurs en exercice ? », lui aurait demandé le collectionneur. Charles Vignier s’enorgueillit lors de la vente de cette collection que « sans une seule exception, tous les objets [orientaux et extrême-orientaux] furent achetés chez moi […]. À dater de la guerre, Jacques Doucet cessa ses relations d’affaires avec moi et ne les reprit pas ultérieurement » (introduction de Charles Vignier au Catalogue Jacques Doucet. Céramiques d’Extrême-Orient, bronzes, sculptures, peintures chinoises et japonaises, laques du Japon, faïences de la Perse, de la Transcaspie et de la Mésopotamie, miniatures persanes, Paris, 1930, non paginée). Doucet se sépare du grand paravent chinois en laque de Coromandel du XVIIe siècle, des porcelaines chinoises ainsi que des céramiques chinoise et japonaise, montées en bronze en France au XVIIIe siècle, qui ornent le grand salon de l’hôtel de la rue Spontini dès la vente de 1912 (lot no 399 ; lots no 196 à 205 ; 208 à 217). Il conserve en revanche dans sa collection jusqu’à sa mort des céramiques chinoises, coréennes et japonaises (lots no 1 à 13 de la vente de 1930), des bronzes chinois (lots no 14 à 18), trois sculptures chinoises et une sculpture perse (lots no 19 à 22), des peintures chinoises et japonaises (lots no 23 à 29), un ensemble d’objets japonais en laque (lots no 30 à 65), 30 céramiques de Rhagès, Sultanab et Rakka (lots no 66 à 96), ainsi que quelques miniatures persanes (lots no 97 à 102).

En mai 1925, il prête 75 œuvres à la grande exposition d’art oriental organisée par Charles Vignier à la Chambre syndicale de la curiosité et des beaux-arts, rue la Ville-l’Évêque (Catalogue de l’Exposition d’Art oriental : Chine, Japon, Perse : organisée au profit de la Société de Charité maternelle dans les salles de la Chambre syndicale de la Curiosité et des Beaux-Arts, du 4 au 31 mai 1925, n52 à 127). Comme l’a relevé Rémi Labrusse en croisant les prêts aux expositions de Doucet et les 102 numéros de la vente de 1930, on peut constater que les ventes de Charles Vignier à Doucet constituent la quasi-totalité de la collection d’art extra-occidental de ce dernier, à l’exception des œuvres africaines (Labrusse R., 2016, p. 161).

Les collections d’art asiatique de Jacques Doucet sont épargnées par les ventes successives du collectionneur qui les conserve d’une demeure à l’autre et poursuit leur enrichissement jusqu’à la Première Guerre mondiale. Avenue du bois, le visiteur est accueilli dès le vestibule par des « peintures chinoises archaïques alternant avec des vitrines où brillaient des céramiques persanes aux précieux reflets » (Joubin A., 1930-2, p. 74), tandis que rue Saint-James, une grande sculpture de bouddha chinois de la dynastie Sui (581-618) est placée en haut de l’escalier (voir la photographie reproduite dans Joubin A., 1930-1, p. 17).

Ces collections ne sont vendues qu’en novembre 1930, après la mort de Doucet (Catalogue Jacques Doucet. Céramiques d’Extrême-Orient, bronzes, sculptures, peintures chinoises et japonaises, laques du Japon, faïences de la Perse, de la Transcaspie et de la Mésopotamie, miniatures persanes, Paris, 1930).

À la conquête de l’art moderne

En 1913, la collection de Jacques Doucet, prend un nouveau tournant avec son installation avenue du Bois. Évelyne Possémé relève ainsi qu’en 1925, dans cet appartement, « des œuvres de Sisley, Manet, Soutine, Cézanne et Van Gogh cohabitent avec des œuvres de Picasso, Braque, Derain et Modigliani » (Possémé É., 2016, p. 116).

Mais Jacques Doucet présente aussi désormais dans son intérieur des œuvres des arts de l’Islam qu’il possède déjà en 1910 puisqu’il les prête à l’exposition des « Arts musulmans » à Munich (peintures, céramiques persanes et syriennes des XIIe-XIIIe siècles, planches 25, 27, 94, 103 du catalogue commémoratif publié en 1911 par Marcel Montandon, cité par Labrusse R., 2016, p. 158). Il acquiert notamment en 1910 le portrait d’un peintre de la fin du XVe siècle chez Charles Vignier (probablement règne de Mehmet II [1444-1481], gouache et or sur papier, H. 18,9 ; L. 12,8 cm, Washington D.C., Freer Gallery of Art, inv. F. 1932.28). Avenue du Bois, ces œuvres côtoient des portes en cristal gravé de Lalique, un meuble de Paul Iribe ou encore une sculpture de Joseph Bernard (photographie du vestibule de l’avenue du bois, Inha, Archives 97/3/3/19). Doucet enrichit également sa collection d’art extra-occidental de quelques masques africains qu’il achète au marchand Paul Guillaume dès 1916 (Labrusse R., 2016, p. 159 et Peylhard, A.-M., 2016, p. 170).

Son bibliothécaire, René-Jean, lui recommande le premier les artistes qui exposent au nouveau Salon d’automne, inauguré en 1913 : Desvallières, René Piot, Georges Rouault, Albert Marquet, mais aussi Henri Matisse. André Suarès, Pierre Reverdy dès 1916, puis André Breton, à partir de 1921, conseillent ensuite Doucet pour ses achats d’œuvres cubistes puis surréalistes (Debray C., 2016, p. 132-135). La première acquisition de Doucet à l’initiative de Breton, en mai 1922, est La Charmeuse de serpents du Douanier Rousseau, obtenue auprès de Robert Delaunay sous condition de legs au Louvre à sa mort (Debray C., 2016, p. 145). Après la guerre la collection de Doucet compte des œuvres de Matisse dont Poissons rouges et Palette (1914, acquis en 1921, New York, Museum of Modern Art, inv. 507-1964), des peintures de Marie Laurencin, des œuvres de Modigliani, Picabia, Braque, Miro, André Masson, Max Ernst, Paul Klee, un verre préparatoire au Grand Verre de Marcel Duchamp, la Glissière contenant un moulin en eau en métaux voisins (Philadelphia Museum of Art, inv.19502-134-68), une tête de femme de Csakt en pierre polychrome de 1923, un bronze de Zadkine, La Lionne, un plâtre doré à la feuille de Laurens, La Jeune Fille à l’oiseau de Miklos, mais aussi deux bronzes majeurs de Brancusi, Danaïde (acheté en mars 1921, Tate Collection, inv. T00296) et sa Muse endormie II (Debray C., 2016, p. 132-151). L’acquisition en 1923 par Doucet du chef-d’œuvre de Picasso, Les Demoiselles d’Avignon (1907, New York, Museum of Modern Art, inv. 333.1939), sur les conseils d’André Breton, est sans doute son coup d’éclat le plus important (Georgel C., 2016, p. 152).

Épilogue : la collection après Jacques Doucet

À la mort de Jacques Doucet sa veuve, Jeanne Doucet née Roger, et légataire universelle, lègue au musée du Louvre, selon la volonté de son mari, sous réserve d’usufruit, deux sculptures : une tête de lionne (Perse sassanide, VIe- VIIe siècles) et un bouddha en marbre d’époque Sui. Quelques tableaux sont donnés à l’État français et aux musées comme La Charmeuse de serpents du Douanier Rousseau ou Idylle de Picabia au musée de Grenoble (musée d’Orsay, inv. RF 1937-7 et musée de Grenoble, inv. MG 2627). L’architecte Paul Ruaud hérite de la propriété des Nonettes, à Villers-sous-Esquery (Oise) (testament olographe et legs de Jacques Doucet, AN, MC/ET/XCII/1972). La veuve de Doucet se sépare également d’une grande partie des collections d’art asiatique à l’occasion d’une vente publique et organisée par l’expert et ancien marchand du collectionneur, Charles Vignier, le 28 novembre 1930 (Catalogue Jacques Doucet. Céramiques d’Extrême-Orient, bronzes, sculptures, peintures chinoises et japonaises, laques du Japon, faïences de la Perse, de la Transcaspie et de la Mésopotamie, miniatures persanes, Paris, 1930). Les miniatures persanes et les faïences orientales emportent les adjudications les plus élevées (Gazette Drouot, 39e année, no 124, 29 novembre 1930, p. 1). Jeanne Doucet cède au marchand Jacques Seligmann en 1937, parmi d’autres œuvres de la collection, les Demoiselles d’Avignon.

Après la disparitionde Jeanne Doucet, en 1958, la collection est transmise au neveu de Jacques Doucet, Jean Dubrujeaud (1880-1969). Celui-ci lègue à son tour une partie de sa collection aux filles issues du premier mariage de son épouse et l’autre partie à son fils, Jean Angladon-Dubrujeaud (1906-1979). L’épouse de ce dernier, Paulette Angladon-Dubrujeaud (1905-1988), fonde à sa mort un musée à Avignon, le musée Angladon (Peylhard M.-A., 2016, p. 232-241). On y retrouve la grande peinture japonaise représentant un bouddha d’éclat infini Amida, d’époque Kamakura, que Doucet avait placée dans le salon rue Spontini (Labrusse R., 2016, p. 156, musée Angladon, inv. 1996-M-3).