Dutuit, Héloïse

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1869 : l’exposition de la collection Dutuit au Musée oriental

C’est en 1869 que leur collection asiatique connaît la consécration, laquelle n’aura pourtant guère de suite. Les Dutuit présentent alors un ensemble de près d’une centaine d’objets de la Chine et du Japon au « Musée oriental », manifestation organisée par l’Union Centrale des Beaux-Arts appliqués à l’Industrie, au Palais de l’Industrie. Un catalogue particulier est publié à cette occasion, à compte d’auteur : Souvenir de l’exposition de M. Dutuit (Extrait de sa collection) (1869). Qui se cache au demeurant derrière « M. Dutuit » ? On doit supposer qu’Eugène est l’organisateur de cette opération, même si son prénom n’est pas mentionné – ce qui est peut-être une manière d’associer implicitement son frère et sa sœur : à cette date, Héloïse est réputée toujours active sur ce marché. Cet ouvrage luxueux, richement illustré, présente un large panorama des collections Dutuit, dépassant le seul « musée oriental » : d’autres salles leur étaient, en effet, réservées au Palais de l’Industrie. La première section, consacrée aux estampes (467 numéros), et la deuxième aux livres (68 numéros), portent la marque d’Eugène ; celle dédiée aux antiques (67 numéros) porte plutôt celle d’Auguste ; la section orientale et moyen-orientale clôt l’ouvrage (95 numéros). Eugène Dutuit est sans aucun doute le rédacteur de l’avant-propos, cependant non signé : celui-ci porte uniquement sur les estampes. Le collectionneur et historien de la céramique Paul Gasnault (1828-1898), membre de la « commission du musée oriental » et de la « sous-commission du catalogue », rédige la partie consacrée aux « Objets orientaux ». Celle-ci-ci, précédée d’une brève introduction, est peu détaillée, négligeant par exemple de donner les dimensions et les provenances – à l’exception notable de deux plats importants provenant de la « Vente Monville » (n^o 13 et 14 du catalogue, que l’on reconnaît peut-être sous les n^o 190 et 206 du catalogue de la vente Monville, le premier plat y étant cependant décrit comme japonais et non chinois). Les cinq chromolithographies qui l’accompagnent sont reproduites d’après des dessins du marchand et expert Carle Delange (1837- ?), lequel a établi aussi le catalogue de la section des antiques. Il faut signaler ici que l’on ne retrouve pas ces plats pourtant réputés exceptionnels dans les inventaires du Petit Palais où ils semblent ne jamais être arrivés, n’étant ni cités ni même évoqués dans les premiers textes publiés par Georges Cain (1853-1919) ni dans les premiers catalogues établis par Henry Lapauze (1867-1925).

Le « Musée oriental » fut unique. Si l’on excepte le prêt de « Deux jardinières en émail cloisonné, de Chine » à une exposition au Palais de Justice de Rouen, en 1861 (Rouen, 1861, p. 12) – et peut-être le « Musée rétrospectif » de l’ « Exposition maritime internationale du Havre » en 1868, sans catalogue, mais Dutuit y est un gros prêteur et son nom « se retrouve partout » (Mantz P., 1868, p. 476) – les Dutuit n’ont jamais montré leurs objets de la Chine et du Japon dans d’autres circonstances, alors même qu’ils contribuaient presque chaque année aux expositions rétrospectives. On rappellera ici celles de l’Union centrale des Beaux-Arts appliqués à l’industrie de 1865, 1880 et 1882, celles des expositions internationales ou universelles de 1867, 1878 et 1889 ; les expositions d’Évreux (Palais de Justice) en 1864, de Rouen (Palais des Consuls) en 1884. Pour ne rien dire des expositions uniquement dédiées à la gravure, aux livres ou aux dessins… (Los Llanos J., 2015).

Une collection originale ?

Au sein des collections Dutuit, d’ambition généraliste sinon encyclopédique, la section orientale occupe une place assez importante en nombre avec un peu plus de quatre cents pièces, mais, elle est restée négligée dans la littérature scientifique consacrée au legs. La céramique y est majoritaire avec plus de trois cents vases, plats et assiettes chinois et japonais. S’y ajoutent cinquante-et-un objets en laque, en majorité du Japon, même si leurs propriétaires les croyaient alors chinois, et neuf objets en pierre dure, jade ou agate. Pour ce qui concerne les époques, la majorité des œuvres sont datées de notre époque moderne, XVII^e et XVIII^e siècles (Lapauze H., 1907, p. 226-234 et 290-294). Quelques pièces datent du XIX^e siècle. Nulle estampe japonaise, nul bronze archaïque chinois dont la mode est apparue sans doute trop tard pour des collectionneurs dont le goût s’était formé sous la Monarchie de Juillet.

Cette prédilection pour la céramique correspond au goût de l’époque, mais elle est aussi un des axes majeurs des collections Dutuit, conservées au musée du Petit Palais, décliné dans leurs collections de l’Antiquité (vases grecs), de la Renaissance (majoliques italiennes, céramiques de Saint-Porchaire ou de l’école de Palissy) ou de l’époque moderne (porcelaine de Sèvres et faïence rouennaise). La présence de séries importantes, dans les inventaires de la collection, d’assiettes identiques, chinoises (de la Compagnie des Indes à décor dit « à la Pompadour ») ou japonaises (dans le style d’Imari) a pu faire penser à tort à un usage de table : ce n’était guère dans les habitudes des collectionneurs. Un autre élément peut être relevé : le goût pour les porcelaines montées. On retrouve certaines montures de grande qualité dans la collection Dutuit, telles celles agrémentant deux seaux bleus chinois du XVII^e siècle (MBAP PP inv.num. ODUT1190 1 et 2) que Stéphane Castelluccio a récemment proposé de reconnaître dans l’inventaire du Garde-Meuble de la Couronne de 1729 (Castelluccio S., 2012, p. 56, repr. ill. 14). La maison Beurdeley était réputée pour ses montures anciennes, bronzes Louis XIV, Louis XV ou Louis XVI, mais aussi pour la qualité de ses artisans qui savaient les imiter à merveille.

Plus originale est la collection de laques, par ailleurs mieux connue grâce aux travaux de Geneviève Lacambre, dans le cadre de l’exposition qu’elle a organisée en 2010. Tirant de l’oubli et des réserves à cette occasion la collection des laques Dutuit, elle en expose et publie dix objets des XVII^e et XVIII^e siècles, parmi les plus remarquables (Lacambre G., 2010, n^o 14, 21, 45, 54, 59, 66, 67, 68, 70, 71). Il lui revient notamment d’avoir redonné toute leur importance à deux objets : un coffret en forme de temple (MBAP PP inv.num. ODUT1494), issu de la collection de Dominique-Vivant Denon (vente du 15 janvier 1827, n^o 1206 ; la vente prévue en 1826 fut reportée en 1827. Voir Dubois, 1826), et une écritoire (MBAP PP inv.num. ODUT1484), tous deux du XVII^e siècle, issus d’ateliers de Kyoto. Comme elle a pu l’établir depuis, l’un et l’autre proviennent de la collection du cardinal de Mazarin (2016, non publié). Si les deux ont bien sûr figuré au « Musée oriental », le coffret est l’un des cinq objets reproduits par Carle Delange dans le catalogue, ce qui témoigne de la valeur que lui reconnaissaient ses propriétaires (Dutuit E., 1869, p. 104, n^o 63, repr. n.p.).

Comme le reste de la collection Dutuit, l’ensemble des objets orientaux n’a pas fait l’objet d’une mise en scène particulière dans les demeures où vivaient les collectionneurs : nulle trace de cabinet des porcelaines – tel celui de la baronne Salomon de Rothschild. La seule publicité qu’ils voulaient donner à leur collection, outre l’accueil qu’ils réservaient aux chercheurs, était celle des expositions et des catalogues (Lapauze H., 1907, p. 11-59). Le seul écrin qu’ils convoitaient pour leurs collections était celui du musée auquel elles seraient léguées.

Article rédigé par José de Los Llanos

1869: the Dutuit Collection is exhibited in the Musée Oriental

It was in 1869 that their Asian collection was consecrated, although it barely developed. At the time, the Dutuits presented an ensemble of almost one hundred Chinese and Japanese objects in the ‘Musée Oriental’, an event held by the Union Centrale des Beaux-Arts Appliqués à l’Industrie in the Palais de l’Industrie. A specific catalogue was published on this occasion, at their own expense: Souvenir de l’Exposition de M. Dutuit (Extrait de son collection) (1869). Who in fact was the name ‘Monsieur Dutuit’ referring to? It must be assumed that Eugène organised this endeavour, even though his first name is not mentioned—which is perhaps a way of implicitly associating his brother and sister: at the time, Héloïse is believed to have been active in this market. This luxurious, richly illustrated work presents a broad panorama of the Dutuit collections, going beyond the mere ‘Musée Oriental’: indeed, other rooms were reserved for them in the Palais de l’Industrie. The first section, devoted to prints (467 articles), and the second to books (68 articles), bore the mark of Eugène; that dedicated to antiques (67 articles) bore that of Auguste; the catalogue concluded with the Eastern and Middle-Eastern section (95 articles). Eugène Dutuit definitely drafted the foreword, but did not sign it: this only concerned the prints. The collector and historian of ceramics, Paul Gasnault (1828–1898), a member of the ‘Commission du Musée Oriental’ and the ‘Sous-Commission du Catalogue’, drafted the section devoted to ‘Objects Orientaux’. The latter, preceded by a brief introduction, was not very detailed, neglecting, for example, to provide the dimensions and provenances—with the notable exception of two large dishes that came from the ‘Monville Sale’ (nos. 13 and 14 of the catalogue, which were perhaps listed as nos. 190 and 206 in the catalogue of the Monville Sale, although the first dish was described as Japanese and not Chinese). The five chromolithographs that complemented it were reproduced after drawings by the dealer and expert Carle Delange (1837–?), who also established the catalogue for the antiques section. It is important to note that these reputedly exceptional dishes do not feature in the inventories of the Petit Palais, where it appears they never arrived, and were neither quoted nor even mentioned in the first texts published by Georges Cain (1853–1919) or in the first catalogues compiled by Henry Lapauze (1867–1925).

The ‘Musée Oriental’ was unique. With the exception of the loan of ‘Two Chinese cloisonné enamel jardinières’ to an exhibition held at the Palais de Justice in Rouen, in 1861 (Rouen, 1861, p. 12)—and perhaps the ‘retrospective Museum’ in the 1868 ’Exposition Maritime Internationale du Havre’ (no catalogue), but Dutuit was major lender and the name was ‘mentioned everywhere’ (Mantz, P., 1868, p. 476)—the Dutuits never showed their Chinese and Japanese objects in other circumstances, even though they contributed almost every year to retrospective exhibitions. Worthy of mention are those of the Union Centrale des Beaux-Arts Appliqués à l’Industrie held in 1865, 1880, and 1882, and those at the 1867, 1878, and 1889 Expositions Internationales or Universelles; and the Évreux exhibitions (Palais de Justice) in 1864, and in Rouen (Palais des Consuls) in 1884. Not to mention the exhibitions solely dedicated to engraving, books, or drawings … (Los Llanos, J., 2015).

An original collection?

Within the Dutuit collections, which were intended to be generalist and even encyclopaedic, the Oriental section had a numerically significant place with just over four hundred articles, but it was overlooked in the scientific literature devoted to the bequest. Ceramics dominated, with more than three hundred vases, and Chinese and Japanese plates and dishes. There were also fifty-one lacquer objects, mostly from Japan, even though their owners thought they were Chinese at the time, and nine hardstone, jade, and agate objects. With regard to eras, most of the works date from the modern era and the seventeenth and eighteenth centuries (Lapauze, H., 1907, pp. 226–234 and 290–294). Several articles date from the nineteenth century. There were no Japanese prints and no archaic Chinese bronze pieces, the fashion for which probably emerged too late for collectors whose taste had been formed during the July Monarchy.

The predilection for ceramics corresponds to the tastes of the times, but it was also one of the main specialisations of the Dutuit collections, held in the Musée du Petit Palais, and was present in their Antique (Greek vases), Renaissance (Italian majolica and ceramic wares from Saint-Porchaire or the School of Palissy), and Modern (Sèvres porcelain and faience from Rouen) collections. The major series of plates that were identical in the collection’s inventories—Chinese (from the East Indies Company, with so-called ‘à la Pompadour’ decorations) and Japanese (in the Imari style)—were wrongly believed to be used as tableware: but this was not common practice amongst collectors. Another element is highlighted: a taste for mounted porcelain articles. There were certain high-quality mounts in the Dutuit collection, such as those adorning two seventeenth-century blue Chinese seals (MBAP PP inv. no. ODUT1190 1 and 2), which Stéphane Castelluccio recently identified in the 1729 inventory of the Garde-Meuble de la Couronne (Castelluccio, S., 2012, p. 56, repr. illus. 14). The Maison Beurdeley was reputed for its ancient mounts, Louis XIV, Louis XV,and Louis XVI bronzes, as well as for the quality of its craftsmen, who were able to make incredible imitations of them.

The collection of lacquer objects was more original and is better known thanks to the work of Geneviève Lacambre, conducted as part of the exhibition she held in 2010. On this occasion, she rescued from oblivion the Dutuit collection of lacquered objects held in the storerooms, exhibiting and publishing ten of the most remarkable objects from the seventeenth and eighteenth centuries (Lacambre, G., 2010, nos. 14, 21, 45, 54, 59, 66, 67, 68, 70, and 71). In particular, she highlighted the importance of two seventeenth-century objects: a temple-shaped casket (MBAP PP inv. no. ODUT1494), from Dominique-Vivant Denon’s collection (sale of 15 January 1827, no. 1206; the sale scheduled for 1826 was held in 1827. See Dubois, 1826), and a writing desk (MBAP PP inv. no. ODUT1484) from the Kyoto workshops. As she has since established, both came from the Cardinal de Mazarin’s collection (2016, unpublished). While both featured, of course, in the ‘Musée Oriental’, the casket was one of the five objects reproduced by Carle Delange in the catalogue, which attests to the value attributed to it by the owners (Dutuit, E., 1869, p. 104, no. 63, repr. not specified).

Like the rest of the Dutuit collection, the ensemble of Eastern objects was not displayed in a specific way in the residences in which the collectors lived: there is no trace of a porcelain cabinet—like that of the Baroness Salomon de Rothschild. The only publicity they gave to their collection, aside from the researchers they welcomed, was that of exhibitions and catalogues (Lapauze, H., 1907, pp. 11–59); and the only showcase they wished for their collections was that of the museum to which they were eventually bequeathed.

Article by José de Los Llanos (Translated by Jonathan & David Michaelson)